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  • Changement climatique, inégalités et risques sanitaires

    Rapport d’étude réalisé par Alice Gautreau, Julie Hernu, Clément Martin et Perrine Pastor, étudiant-es du Master D3P1 « Risques, Science, Environnement et Santé » de Sciences Po Toulouse

    L’urgence climatique est là. Les manifestations du changement climatique ont été largement documentées par la communauté scientifique. Les rapports montrant les effets du changement climatique sur l’environnement sont de plus en plus médiatisés et reprennent successivement les données suivantes : parmi les dix années les plus chaudes jamais recensées, huit sont survenues au cours de la dernière décennie[1], l’augmentation du niveau des mers pourrait atteindre 60 cm à 1 mètre d’ici la fin du siècle[2], et il est nécessaire de limiter l’augmentation moyenne des températures à 2 voire 1,5 degrés par rapport à l’ère préindustrielle. Comme l’a identifié le Sénat dans un rapport de 2019[3], ces phénomènes vont continuer de s’amplifier à l’avenir selon les modélisations scientifiques du GIEC[4]. Globalement, la nécessité de lutter contre le changement climatique est inscrite à l’agenda de tous : décideurs politiques, organisations non-gouvernementales, entreprises, société civile, etc. Cette prise de conscience a été cristallisée par l’Accord de Paris qui, à l’issue de la COP21 de 2015, marque une volonté consensuelle de l’ensemble des Etats de diminuer leurs émissions de gaz à effet de serre. L’Accord de Paris marque également une rupture dans la mesure où il enjoint les entités non-parties de l’Accord, en particulier les entreprises, à lutter contre le risque climatique via leur démarche RSE (responsabilité sociétale de l’entreprise)[5].

    Mais la lutte contre le changement climatique est essentiellement abordée au prisme de la protection de l’environnement. A contrario, et c’est tout l’objet du présent rapport, la question des effets du changement climatique sur la santé humaine est très peu abordée. C’est ce que souligne la revue scientifique The Lancet dans un rapport de 2019 :

    « Le changement climatique est de plus en plus largement représenté dans les médias et par les gouvernements d’une manière qui ne le relie pas à la santé humaine [… tandis que] la santé, qui est un domaine majeur d’intérêt individuel, est rarement liée au changement climatique. »[6].

    Cet extrait est révélateur d’une imperméabilité entre ces deux champs que sont le changement climatique et la santé. Dans le présent rapport, la notion de santé sera considérée au sens large en se basant sur la définition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) :

    « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. La possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soient sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale »[7].

    Les premiers liens entre santé et changement climatique ont été établis sous l’impulsion d’organisations internationales spécialisées. En 2000, l’OMS a proposé une approche écosystémique de la santé via le programme « One Health ». Dans le monde universitaire, la santé environnementalea émergé comme un champ à part entière visant à mettre en lumière l’interdépendance entre ces deux notions.

    Pour l’OMS, « La santé environnementale comprend les aspects de la santé humaine, y compris la qualité de la vie, qui sont déterminés par les facteurs physiques, chimiques, biologiques, sociaux, psychosociaux et esthétiques de notre environnement. Elle concerne également la politique et les pratiques de gestion, de résorption, de contrôle et de prévention des facteurs environnementaux susceptibles d’affecter la santé des générations actuelles et futures »[8].

    En droit français, l’impact de l’environnement sur la santé humaine se retrouve à travers le concept d’exposome, défini par l’article L. 1411-1 du Code de la santé publique comme « l’intégration sur la vie entière de l’ensemble des expositions [environnementales] qui peuvent influencer la santé humaine ».

    De façon très concrète, plusieurs rapports mettent en lumière les effets néfastes du changement climatique sur la santé. Pour The Lancet,certainespopulations sont particulièrement concernées par l’augmentation du niveau moyen des températures et des fréquences et intensités des vagues de chaleur : « Un enfant né aujourd’hui vivra dans un monde où il fera plus de quatre degrés de plus que la moyenne de l’ère préindustrielle. Le changement climatique aura un impact sur sa santé, de la petite enfance et l’adolescence à l’âge adulte et à la vieillesse. À travers le monde, les enfants sont parmi les plus touchés par le changement climatique. »[9]. Par ailleurs, la pollution de l’air, qui est principalement liée à l’utilisation d’énergies fossiles et aggravée par le changement climatique, affecte les organes vitaux du corps humain tels que le cœur et les poumons. Sur le long terme, la pollution de l’air affecte le taux de mortalité. En 2016, 7 millions de personnes sont décédées prématurément dans le monde en raison de maladies liées à la pollution de l’air[10]. En France, cela représente environ 48 000 personnes par an[11]. Selon une étude de Harvard, ces chiffres seraient grossièrement sous-estimés[12]. Le risque de malnutrition est un autre exemple qui témoigne de l’interdépendance entre changement climatique et santé puisque les dérèglements climatiques (tempêtes, sécheresses, élévation du niveau de la mer etc.) menacent les productions agricoles et ainsi la sécurité alimentaire.

    Enfin, la crise sanitaire de la Covid-19 a révélé l’ampleur des zoonoses, ces maladies transmises à l’homme par l’intermédiaire d’animaux, pouvant être source de nouvelles pandémies. Selon l’OMS, 60% des maladies infectieuses humaines sont zoonotiques[13]. Bref, les relations entre santé et environnement ont été scientifiquement prouvées, ce qui pousse la revue britannique The Lancet à affirmer que le changement climatique est « la plus grande menace mondiale pour la santé publique au 21ème siècle »[14].

    En parallèle, le présent rapport vise à mettre en lumière les inégalités face au risque climatique. La notion de risque est conventionnellement définie comme la conjonction d’un aléa et d’un enjeu.

    L’aléa étant ici la probabilité qu’un événement climatique se produise tandis que l’enjeu est la vulnérabilité d’une population exposée à cet aléa. Les populations n’ont toutefois pas les mêmes vulnérabilités face aux risques climatiques car elles y sont différemment confrontées. En outre, parmi les personnes exposées, certaines sont plus ou moins fortement impactées selon l’âge, la profession, le sexe, l’état de santé, la situation socio-économique, etc. De plus, certains territoires et certaines activités économiques sont et seront plus impactés par le changement climatique, en particulier les territoires montagneux, littoraux et ultramarins. On observe donc des inégalités face au changement climatique. Selon le Haut Conseil pour le Climat, ces dernières aggravent les chocs externes, en l’occurrence le changement climatique le changement climatique, car elles « augmentent les vulnérabilités [transformant ainsi] la menace en catastrophe »[15].

    Malheureusement, la question des risques sanitaires liés au changement climatique, ainsi que celle des inégalités qui en découlent, reste trop peu prise en compte par les politiques publiques en France. Sur le plan juridique, les spécialistes constatent une trop faible judiciarisation de ces enjeux. Dans un article de 2020[16], la professeure des universités en droit public Christel Cournil montre que les enjeux de santé et d’environnement sont pris en compte par les pouvoirs publics bien que de manière très cloisonnée. On constate toutefois quelques avancées avec la mise en place dès 2004 du premier Plan national de santé environnement (PNSE)[17] qui est élaboré tous les cinq ans et qui est un outil clef de la planification de la santé environnementale. En 2006, la stratégie nationale d’adaptation au changement climatique évoque pour la première fois les enjeux sanitaires liés au changement climatique et le Plan national d’adaptation au changement climatique[18] actuellement en vigueur a affirmé la prise en compte du risque sanitaire.  Mais, dans la pratique, ces outils restent peu nombreux, peu mobilisés et sont critiqués.

    De manière générale, aucune tendance de fond n’est observée dans les politiques publiques françaises concernant la santé environnementale. La question des risques sanitaires liés au changement climatique est largement sous-estimée en France, même par certains spécialistes. Sur le plan législatif, la députée Sandrine Josso déplore le fait que la récente Loi Climat n’ait pas pris en compte les recommandations qu’elle avait faites concernant le volet santé[19].

    Toutefois, le lien entre santé et changement climatique s’inscrit progressivement dans le droit, notamment sous l’impulsion de la société civile via les procès contre l’Etat pour inaction climatique[20]. L’argumentaire santé-environnement s’est ainsi retrouvé dans des affaires  célèbres telle que « Urgenda »[21], dans laquelle l’Etat néerlandais a été accusé de ne pas prendre les mesures nécessaires dans la lutte contre le changement climatique et la protection de la santé des populations. Cet argumentaire s’est retrouvé plus récemment au cours de « l’Affaire du Siècle » en France, menée par quatre associations de défense de l’environnement dont Notre Affaire à Tous (NAAT)[22], qui co-produit le présent rapport. De plus, le droit à un environnement équilibré et respectueux de la santé, mentionné à l’article 1 de la Charte de l’environnement, est un Objectif à Valeur Constitutionnelle depuis 2020[23].

    Face aux réponses insuffisantes des décideurs politiques, il apparaît alors nécessaire d’impulser de nouvelles approches en termes de politiques publiques qui seraient plus transversales afin de considérer la santé au prisme des bouleversements climatiques susceptibles de l’affecter. L’enjeu de ce rapport, proposé conjointement par les étudiants de Sciences Po Toulouse[24] et l’association Notre Affaire à Tous, est donc de décloisonner ces deux notions que sont l’environnement et la santé afin de penser les liens entre les deux. Pour cela, il est nécessaire de montrer que changement climatique, santé et inégalités sont étroitement liés. Ce sera l’objet de la première partie de ce rapport (I). Un tel constat nous permettra ensuite d’analyser comment ces enjeux sont pris en compte en France par les politiques publiques et ce à différentes échelles : nationale (II) et locales (III). L’objectif est de voir ce qui est mis en place par les différents acteurs publics afin de lutter contre les risques sanitaires qui résultent du changement climatique et de s’interroger sur la pertinence de la répartition des compétences entre eux. . Cette analyse nous permettra enfin de dresser des recommandations cohérentes à destination des décideurs politiques mais aussi afin d’appuyer les associations dans leurs plaidoyers visant à mettre la santé environnementale à l’agenda politique.


    [1]  Nick WATTS, et al. “The 2019 Report of The Lancet Countdown on Health and Climate Change: Ensuring That the Health of a Child Born Today Is Not Defined by a Changing Climate”. The Lancet, vol. 394, no 10211, Elsevier, novembre 2019, p. 1836‑78. www.thelancet.com, doi:10.1016/S0140-6736(19)32596-6.

    [2] Ronan DANTEC, Jean-Yves ROUX, Rapport d’information n° 511 fait au nom de la délégation sénatoriale à la prospective sur l’adaptation de la France aux dérèglements climatiques à l’horizon 2050, Paris, Sénat, 2019. http://www.senat.fr/rap/r18-511/r18-511.html

    [3] Ibid.

    [4] Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat

    [5] Responsabilité sociétale des entreprises

    [6] Traduction extraite de :  Nick WATTS, et al. Op. cit., novembre 2019, p. 1836‑78.

    [7] Préambule à la Constitution de l’Organisation mondiale de la Santé, signé le 22 juillet 1946 par les représentants de 61 Etats et entré en vigueur le 7 avril 1948.

    [8] Définition de l’OMS en 1994.

    [9] Nick WATTS, et al. Op. cit., novembre 2019, p. 1836‑78.

    [10] Ibid.

    [11] Santé Publique France

    [12] Leah BURROWS. “Deaths from fossil fuel emissions higher than previously thought”. Harvard University, 9 février 2021, https://www.seas.harvard.edu/news/2021/02/deaths-fossil-fuel-emissions-higher-previously-thought.

    [13] “One Health, Une seule santé”. OIE – World Organisation for Animal Health, https://www.oie.int/fr/pour-les-medias/une-seule-sante/. Consulté le 23 avril 2021.

    [14] The Lancet. “Humanising Health and Climate Change”. The Lancet, vol. 392, no 10162, Elsevier, décembre 2018, p. 2326. www.thelancet.com, doi:10.1016/S0140-6736(18)33016-2.

    [15] Haut Conseil pour le Climat. Climat, santé : mieux prévenir, mieux guérir. Avril 2020, p. 24, https://www.hautconseilclimat.fr/publications/climat-sante-mieux-prevenir-mieux-guerir/

    [16] Christel COURNIL, “L’appréhension juridique des risques sanitaires liés au changement climatique”, Revue juridique de l’environnement, vol. spécial, no. HS20, 2020, pp. 171-188

    [17] Intégré au Code de la Santé (article L. 1311-6) par la loi du 9 août 2004.

    [18] PNACC 2 (2018-2022)

    [19] Sandrine JOSSO (rapporteure), Elisabeth TOUTUT-PICARD (présidente), Rapport fait au nom de la commission d’enquête sur l’évaluation des politiques publiques de santé environnementale, n°3701, Paris, Assemblée nationale, 2020.

    [20] Christel COURNIL, Op. cit., 2020, pp. 171-188.

    [21] Cour du district de La Haye, 24 juin 2015, Urgenda v. Government of the Netherlands

    [22] Site web : https://preprod.notreaffaireatous.org/

    [23] Cecilia RINAUDO. “CP / La décision du Conseil Constitutionnel crée un tournant historique pour la protection de l’environnement et la justice climatique !”,  Notre Affaire à Tous, 31 janvier 2020, https://preprod.notreaffaireatous.org/cp-la-decision-du-conseil-constitutionnel-cree-un-tournant-historique-pour-la-protection-de-lenvironnement-et-la-justice-climatique/

    [24] Étudiant.e.s du Master D3P1 « Risques, Science, Environnement et Santé » de Sciences Po Toulouse.

  • CP / Luttes locales : Une première victoire pour protéger la forêt en bordure du lac Lacanau et ses espèces protégées

    Communiqué de presse

    Mercredi 27 octobre 2021

    Par un jugement du 22 octobre 2021, le juge a fait droit à la demande d’annulation de l’autorisation de défrichement délivrée par la préfète de la Gironde sur la commune de Lacanau, émanant des association Riverains du Lac Lacanau et Vive La Forêt, soutenues par Notre Affaire à Tous. L’Etat est condamné à verser 1.200 euros aux requérantes au titre des frais juridiques. Une pierre de plus dans la lutte contre l’artificialisation des sols et la protection des espaces naturels. 

    La Mairie de Lacanau a engagé un projet de réalisation d’un pôle de santé nommé “Human’Essence”” au Moutchic à Lacanau. Ce projet prévu sur 12 ha se situe dans la proximité immédiate du lac de Lacanau, dans un site exceptionnel. Les associations requérantes, Vive La Forêt et des Riverains du Lac Lacanau ont donc déposé un recours contre l’autorisation de défrichement le 5 février 2021. 

    La préfète de la Gironde avait autorisé le défrichement de parcelles de bois pour une surface totale de 3,3883 hectares en bordure du littoral au profit du projet “Human’Essence”, ignorant la protection du littoral ! 

    Selon l’association Vive la Forêt (VLF) :“Le site est exceptionnel. Il faut le conserver comme espace remarquable. Après d’autres projets auxquels VLF s’était opposée, la Mairie vend le terrain à un promoteur immobilier pour un projet de pôle médical aux contours flous. Le projet très surdimensionné n’est pas lié à une nécessaire proximité de l’eau.Il pourrait être situé ailleurs. Pour le promoteur, par contre, l’opération immobilière en bordure de lac ouvre de gratifiantes perspectives…” 

    Le jugement reconnaît la qualification d’espace littoral remarquable du terrain, ce qui empêche la préfête d’y autoriser légalement un défrichement. En effet, le site enchâssé dans des espaces déjà identifiés comme remarquables, se trouve en bordure immédiate du plan d’eau qui est site classé,, et constitue une unité paysagère d’ensemble depuis la zone littorale du lac Lacanau jusqu’à la dune boisée. Le site abrite également des espèces protégées, telles que le Milan Noir. C’est une satisfaction pour les requérantes, qui vont pouvoir s’appuyer sur ce jugement dans le cadre de leur recours contre le permis de construire du même projet ! 

    Cette victoire offre de bonnes perspectives pour la lutte juridique menée par les associations qui souhaitent protéger cet espace naturel exceptionnel et qui, avec le soutien de NAAT, restent attentives aux éventuelles suites qui seront données à ce jugement et aux autres procédures en cours.  

    Contacts presse :

    • Patrick Point – Vive la Forêt – 06 26 97 75 96
    • Céline Le phat vinh – Notre Affaire à Tous – 06 88 58 94 73
  • Décryptage : la responsabilité des investisseurs dans la déforestation

    Article écrit par Anne Bernardeau, Amélie Champy et Maëlle Lassus, étudiantes en Master 1 Risques, Science, Environnement et Santé à Sciences Po Toulouse, dans le cadre de l’atelier organisé entre l’école et Notre Affaire à Tous en 2021.


    Dans son rapport publié en 2020 sur la situation des forêts dans le monde, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, estime que “la superficie forestière mondiale a diminué de 178 millions d’hectares » entre 1990 et 2020. Cela représente une baisse de plus de 4% de la superficie forestière mondiale qui est de 4,06 milliards d’hectares, soit la perte d’une surface équivalente à plus de trois fois la superficie de la France [1].

    La déforestation mondiale est principalement imputable à l’agriculture au travers de plusieurs éléments :  l’huile de palme, le bois, le soja et l’élevage notamment bovin. Ces matières sont massivement utilisées par les entreprises du secteur agro-alimentaire qui participent ainsi activement à la déforestation [2]. À titre d’exemple, en étant à l’origine de 14 % de la déforestation annuelle de la planète, l’élevage bovin en Amazonie brésilienne est le premier facteur mondial de la déforestation [3]. Outre des conséquences désastreuses sur la biodiversité et la protection des sols, la déforestation joue un rôle crucial dans le dérèglement climatique car les forêts constituent des puits de carbone qui stockent de grandes quantités de CO2 – les puits naturels végétaux (tourbières et forêts) représentant en effet 25% du CO2 stocké.

    Au sein de cet article, nous nous intéresserons au rôle des investisseurs institutionnels et des banques qui contribuent, par leur action, à la déforestation. Ces organismes effectuent des placements pour leur compte ou pour le compte de tiers, à une grande échelle, dans l’attente d’un retour sur investissement. Ce sont des banques, des compagnies d’assurance, des fonds de multiples natures ou des entreprises. Par souci de clarté, nous les appellerons les investisseurs.

    En effet, la déforestation est un problème à la fois environnemental, social et de gouvernance. Alors que les deux premières problématiques (sociale et environnementale) sont facilement envisageables car la déforestation a un impact direct sur la nature et les droits humains, le troisième angle est plus complexe. On peut à première vue et à juste titre s’accorder sur le fait que la déforestation résulte d’un problème de gouvernance des entreprises agro-industrielles. Mais cet angle est-il toujours légitime lorsque l’on sait aussi que les entreprises qui participent le plus à la déforestation bénéficient du financement d’investisseurs institutionnels et de banques ignorant volontairement cette problématique malgré leurs engagements prétendument « responsables » ou « durables »? En effet,  Global Witness révèle ainsi que les activités de 6 entreprises agro-industrielles parmi les plus nocives pour l’environnement, ont été financées par plus de 300 banques et investisseurs, à hauteur de 44 milliards de dollars américains sur la période 2013-2019. Le poids du secteur financier dans l’activité des grandes sociétés agro-industrielles interroge nécessairement la responsabilité des investisseurs institutionnels et des banques quant aux projets des entreprises et organismes qu’ils financent. En droit, la notion de responsabilité désigne l’obligation faite à une personne (physique ou morale) de répondre de ses actes et d’en réparer les conséquences (article 1240 du code civil, 121-1 du code pénal) [4]. Le comportement des acteurs du secteur financier ayant un impact direct sur la déforestation, il apparaît indispensable de s’intéresser à la responsabilité des investisseurs dans la déforestation en Amérique Latine, qui est le principal lieu de la déforestation. En effet, cet enjeu mondial recoupe différentes responsabilités nationales et notamment celle de la France en raison de la présence internationale de ses banques et entreprises.

    Plus précisément, dans quelle mesure les investisseurs français sont-ils responsables de la déforestation en Amérique Latine ? Pour y répondre il est nécessaire tout d’abord d’établir un état des lieux critique des instruments pour une “finance responsable”. Puis, nous avons analysé les raisons de la faible efficacité de ces instruments, pour finir par l’étude de pistes de solutions afin de sortir du cadre normatif actuel.

    I. Etat des lieux critique des instruments pour une finance responsable

    La déforestation est une problématique traitée aussi bien par les multinationales que par les populations directement concernées par ce sujet, ou par les ONG spécialisées dans la protection de l’environnement. Les investisseurs sont également sensibilisés à cette thématique grâce à des instruments globaux volontaires ou législatifs en France et à l’étranger.

    La majeure partie de ces instruments relève de ce qui est communément appelé l’Investissement Socialement Responsable (ISR). L’ISR rassemble toutes les démarches mises en œuvre par les investisseurs pour intégrer des critères extra-financiers concernant l’environnement, des questions sociales, éthiques et de gouvernance dans leurs placements et leur gestion de portefeuilles. Autrement dit, l’ISR consiste pour les investisseurs en l’évaluation et la sélection des entreprises les plus vertueuses de leurs secteurs dans leurs portefeuilles  selon des critères Environnementaux Sociaux et de Gouvernance, appelés « critères ESG ».

    L’ISR peut prendre trois formes [5] :

    • Les fonds socialement responsables ou de développement durable prennent en compte des critères financiers, sociaux et environnementaux pour sélectionner dans leurs portefeuilles les entreprises les plus performantes dans tous les domaines ;
    • Les fonds d’exclusion (ou « placements éthiques ») excluent de leurs portefeuilles certains secteurs pour des raisons environnementales, sociales, morales ou religieuses (armement, tabac, nucléaire) ;
    • L’engagement actionnarial ou activisme actionnarial exige la mise en place d’une politique exigeante en matière de RSE au sein des entreprises qui seront incluses dans leurs portefeuilles.

    L’ISR, à l’instar de la plupart des instruments existants, est mis en place à une échelle globale qui vise à prendre en compte tous les dommages environnementaux. Cet instrument transversal, ne portant pas uniquement sur la déforestation, permet aux investisseurs de porter davantage d’attention à leur responsabilité environnementale.  L’ISR peut être mis en place à la fois par des instruments contraignants ou non contraignants, cependant des éléments structurants concernant la certification de ces investissements, le suivi de leurs engagements  et leur enforcement restent en question.

    1. Les instruments législatifs en France

    En France, il existe plusieurs instruments législatifs qui intègrent progressivement les thématiques liées au changement climatique dans les processus d’analyse et de décision des investisseurs. Ils n’obligent pas directement  les investisseurs à faire de l’ISR mais favorisent sa visibilité et son développement.

    On pourra ainsi citer, l’article 224 de la loi Grenelle II ou loi nᵒ 2010-788 du 12 juillet 2010 qui oblige ainsi les sociétés de gestion à déclarer la manière dont elles prennent en compte les critères ESG dans leurs décisions d’investissement  :

    « Les sociétés d’investissement à capital variable et les sociétés de gestion mentionnent dans leur rapport annuel […] les modalités de prise en compte dans leur politique d’investissement des critères relatifs au respect d’objectifs sociaux, environnementaux et de qualité de gouvernance. » [6]

    Dans le même esprit, l’article 173 de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte de 2015 [7], a instauré de nouvelles obligations pour les investisseurs listés par la loi. L’article impose aux investisseurs de communiquer notamment l’impact de leurs portefeuilles sur le climat. À cette fin, ils doivent évaluer la part “verte” de leurs investissements et définir une stratégie bas carbone visant à atteindre les objectifs climatiques fixés par la loi.

    Bien que novatrices quant aux futures décisions de financement des investisseurs, la mise en place de ces deux articles reste tout de même limitée. Les quelques contraintes imposées peuvent être facilement évitées notamment grâce à l’approche “Comply or Explain utilisée dans l’article 173-VI selon laquelle l’investisseur n’a pas l’obligation d’établir un reporting, mais doit, s’il ne le fait pas, préciser et justifier pourquoi une telle décision a été prise. Les investisseurs peuvent alors prôner d’une part la complexité et rareté des données à acquérir ainsi que les compétences nécessaires pour répondre aux contraintes imposées, impactant alors la faisabilité d’un bilan carbone ou d’un reporting annuel.

    Ces dernières années, l’instrument le plus marquant a été incarné par la législation relative au devoir de vigilance. Cette loi, adoptée en 2017 après validation partielle par le Conseil constitutionnel est une obligation faite aux entreprises donneuses d’ordre de prévenir les risques sociaux, environnementaux et de gouvernance liés à leurs opérations, mais qui peut aussi s’étendre aux activités, celles de leurs filiales et, de leurs partenaires commerciaux (sous-traitants et de leurs fournisseurs) en matière de santé et sécurité des personnes, de droits humains, et d’environnement. La question de savoir si cette loi peut s’appliquer aux investisseurs reste ouverte.

    2. Les instruments internationaux volontaires, à l’initiative des banques ou de grands organismes

    Afin de réguler leurs activités, les acteurs du secteur financier, opérant le plus souvent dans de nombreux pays, ont pris des engagements volontaires à l’échelle internationale.

    En 2003, les banques internationales ont signé les Principes de l’Equateur [8], avec pour objectif d’intégrer l’environnement et les droits humains dans leurs décisions de financement de grands projets grâce à 10 principes fondamentaux. À travers ces principes, chaque institution financière a adopté un système de gestion qui inclut une norme minimale interne de diligence raisonnable et une évaluation financière responsable des projets. On compte aujourd’hui 116 signataires (dans 37 pays) dont les banques françaises BNP Paribas, Crédit Agricole Corporate and Investment Bank , La Banque Postale, LBO France, Natixis et la Société Générale. 

    Tous les signataires s’engagent aussi à rédiger chacun un rapport annuel avec une division en 3 catégories (A, B et C) de leurs projets selon leurs risques en matière environnementale et sociale.

    A = projets présentant des risques potentiels importants en matière environnementale et sociale et/ou des impacts graves

    B = projets présentant des risques potentiels limités en matière environnementale et sociale et/ou des impacts moins graves

    C = risques considérés comme minimes et projets conformes à la législation du pays d’exécution

    Cependant, cet engagement est volontaire et non contraignant, ce qui limite son efficacité. De plus, les principes d’Equateur ne s’appliquent qu’à des projets de financement et pas à l’organisation financière en elle-même. C’est ainsi que des banques telles que la Société Générale peuvent se revendiquer signataires des principes d’Equateur et mener 46 projets en accord avec ceux-ci alors même que ces principes ne s’appliquent que pour les Bridges Loan, les project finance et les project-related corporate loans, et pas du tout aux émissions d’obligations ou d’actions, et toutes formes de flux boursiers (qui représentent 50% des financements pour les énergies fossiles). Dans ce cas, les investisseurs peuvent alors se forger une image de banque responsable à travers cet engagement sans mettre en œuvre de mesures concrètes pour limiter réellement leur impact environnemental et social, tout en continuant à financer les activités des industries en question au jour-le-jour.

    D’autres initiatives ont peu à peu vu le jour. En 2006, l’ONU a développé les Principes pour l’Investissement Responsable (PRI). C’est un réseau international d’investisseurs travaillant ensemble pour mettre en œuvre six principes ambitieux, souvent appelés « les Principes ». Ils ont réunis 2191 signataires dont 186 établissements en France [9]. Parmi eux, on retrouve deux grandes banques françaises : la BNP Paribas et le Crédit Agricole. Les principes offrent plusieurs actions possibles pour intégrer les questions environnementales, sociales et de gouvernance d’entreprise dans les pratiques d’investissement. Dans le même esprit, le Soft Commodities Compact [10] est une initiative de lutte contre la déforestation signée par 12 banques en 2010. Dans ce cadre, les banques ont entrepris de réduire la déforestation dans les chaînes d’approvisionnement de leur clientèle dans quatre filières : l’huile de palme, les produits du bois, le soja et le bœuf. Mais le rapport de Banktrack de 2020 [11] démontre l’échec des banques qui n’ont pas réussi à atteindre les objectifs fixés. Il reproche une initiative pas suffisamment ambitieuse (certification pour les clients des banques qui respectent les règles mais pas de mesures contraignantes ou sanctions) ainsi qu’un nombre trop faible de signataires parmi les banques. Plus récemment, certaines institutions financières ont pris des mesures pour respecter les objectifs de l’Accord de Paris signés en 2016. Ainsi, en 2018 lors de la COP 24 à Katowice en Pologne, des banques telles que BBVA, BNP Paribas, ING, Société Générale et Standard Chartered se sont réunies pour se mettre d’accord sur l’engagement de Katowice [12]. Elles se sont alors engagées à développer une méthodologie open source qui permettra de garantir l’alignement de leurs activités avec les objectifs de l’Accord de Paris.

    De nombreuses initiatives ont été et sont encore mises en place par les investisseurs pour s’engager dans une démarche plus responsable de leur mode de financement. Elles montrent une certaine volonté d’agir de la part des investisseurs depuis maintenant plusieurs années. Or, malgré tous les engagements qui ont été pris, très peu de changements ont pu être constatés, car la déforestation continue d’augmenter dans le monde. C’est pourquoi dans cette deuxième partie, nous verrons les raisons de l’échec des politiques d’investissement responsables mises en place par les investisseurs.

    II. La mise en échec des politiques de responsabilisation des investisseurs

    A. Le problème de la base volontaire des politiques : entre investissement insuffisant et manque de contrainte

    Tout d’abord, le caractère volontaire, et donc non contraignant, des initiatives mises en œuvre est un obstacle à leur efficacité. Ces dernières, pour être efficaces, doivent être appliquées par le plus grand nombre d’acteurs du secteur. Or ceux-ci n’y adhèrent pas systématiquement, à l’instar de la banque LCL par exemple dans le cas des Principes de l’Équateur. Il faut compter alors sur l’effet de réseau afin que la majorité des acteurs financiers intègre les principes de RSE et lutte contre la déforestation, dans un effet d’entraînement. L’effort doit être collectif, en incluant les plus grands investisseurs, et ce dans le monde entier.

    La législation pionnière du devoir de vigilance en France ainsi que les autres dispositifs législatifs existant sont en ce sens une avancée encore trop marginale, bien que l’Union Européenne [13] et l’Allemagne [14] légifèrent sur le sujet . Le fait que la plupart des instruments soient mis en place par les investisseurs eux-mêmes questionne sur leur neutralité et leur efficacité, étant donné qu’ils prioriseront généralement leurs propres intérêts, dans un contexte d’absence d’un cadre méthodologique unifié et crédible.

    De fait, l’échec du Soft Commodities Compact exposé auparavant cristallise ces difficultés et témoigne de leur incapacité à concilier poursuite du profit et ambitions écologistes.

    Les engagements pris par les investisseurs et notamment les grandes banques internationales posent un autre problème majeur : l’absence de contrainte. En effet, ces engagements consistent en des dispositifs d’information, de reporting, avec des contraintes qu’ils imposent aux entités qu’ils financent, sans mettre en place de dispositifs de sanction a posteriori. De plus, le fait que les investisseurs fassent leurs propres reportings est problématique, car cela pose à nouveau la question de la neutralité : il serait essentiel d’avoir des contrôles externes et indépendants. Qui plus est, selon l’approche “Comply or Explain” de l’article 173-VI de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, l’établissement d’un reporting n’est pas nécessaire, à condition de donner une justification suffisante.

    Enfin, les engagements ne couvrent souvent pas la totalité de leur activité, comme on l’a vu avec les principes de l’Equateur qui ne s’appliquent qu’aux projets de financement. Ceux-ci ne sont d’ailleurs pas rétroactifs, ce qui empêche d’agir sur des projets déjà en place. Et même lorsque des engagements sont pris, les investisseurs continuent de financer des projets de déforestation. En effet, l’ONG Global Witness a prouvé dans une enquête que BNP Paribas, Crédit Agricole (CNCI) ainsi que Natixis [15], pourtant tous trois membres des Principes de l’Equateur, financent encore la déforestation.

    B. Les complexités induites par les successions d’acteurs : l’exemple de la chaîne du boeuf en Amérique latine

    À l’instar de l’alimentation bio ou de la culture du chocolat, de plus en plus d’accords et de labels environnementaux sont signés par les différents acteurs de la chaîne d’approvisionnement (transformateurs et distributeurs).

    « Dans son rapport de 2018, l’association Imazon stipule qu’environ 70% de la viande bovine issue d’élevages situés en Amazonie légale serait transformée par des abattoirs ayant signé des accords afin de lutter contre la déforestation (Barreto and Pereira, 2017). Parmi ces derniers figurent principalement, l’Accord d’Ajustement de Conduite (TAC) avec le Ministère Public Fédéral (MPF) et l’accord avec Greenpeace sur les critères minimum pour les opérations industrielles de bœuf en Amazonie brésilienne (Greenpeace, 2009). » [16]

    Pourtant, cela ne suffit pas à limiter l’impact en matière de déforestation des entreprises de ce secteur, comme nous l’avons vu avec la poursuite de la déforestation malgré le nombre d’initiatives croissantes. Comment expliquer ce paradoxe ? Deux explications liées à la complexité de la chaîne d’élevage, de production et de distribution de viande bovine peuvent être avancées [17].

    Afin de montrer la complexité des chaînes d’acteurs liant investisseurs et déforestation, nous prendrons pour exemple du groupe Casino et de sa chaîne d’approvisionnement en bœuf en Amérique latine. Le groupe français, accusé de participer à la déforestation en Amérique latine au travers de sa filiale Pao de Açucar (GPA), a été assigné en justice le 3 mars 2021 par un collectif regroupant onze associations de défense de l’environnement et des peuples autochtones, sur la base du devoir de vigilance pour lequel la France est pionnière.

    Tout d’abord, les éleveurs mettent en place des systèmes de dissimulation pour contourner les restrictions imposées par les engagements pris par les abattoirs et les groupes de distribution. Ils consistent en , ce qui constitue une forme de blanchiment de bœuf illégal. Cela explique que des viandes issues d’élevage provoquant de la déforestation se retrouvent produites dans des abattoirs et vendues par des distributeurs ayant adhéré à des pactes « responsables ».

    De plus, le recours à fournisseurs dits indirects dans le processus d’élevage, de l’insémination à la vente de viande, complexifie le traçage de la viande. En 2020 « la National Wildlife Federation déclare que 59% de la déforestation dans la chaîne du bœuf brésilien est causée par les fermes indirectes» [18]. Comme on peut le voir sur l’infographie suivante, plus de la moitié de la déforestation est imputable à des fermes de reproduction et d’élevage participant à la chaîne d’approvisionnement en viande bovine : le problème réside donc dans la traçabilité et le contrôle de ces engagements.

    Afin de garantir la traçabilité entière de la chaîne d’approvisionnement et prévenir le risque de déforestation, la traçabilité individuelle des animaux avec des équipements comme des étiquettes d’oreille est une solution (Gibbs et al., 2016, p.39) [19]. Visipec est un outil gratuit mais non obligatoire (l’absence de contraintes est là-aussi un problème) qui permet la traçabilité des fournisseurs indirects. Cela est permis en croisant des données qui n’étaient pas corrélées et en les liant avec les systèmes déjà existants de traçage [20]. Il existe plusieurs autres solutions de ce type : on peut citer Global Forest Watch [21], PRODES [22] ou encore un système d’alerte faisant le lien entre déforestation et abattoirs de Mighty Earth. Cependant, leur mise en place peut prendre du temps et dépend de la bonne volonté des acteurs clés de la chaîne du bœuf, qui ne mobilisent pas toujours ces solutions.

    Dès lors, quelles solutions peut-on imaginer pour pallier les défauts des politiques de responsabilisation des investisseurs ?

    III. Sortir du cadre normatif pour envisager des solutions innovantes

    A. Un cadre normatif français à compléter

    Le cadre normatif en matière de déforestation est aujourd’hui très limité et ne permet pas de contraindre les acteurs clés à respecter des standards nécessaires pour limiter l’impact sur la forêt amazonienne et ses populations. La loi française prévoit des obligations en matière de transparence, à travers des instruments de reporting comme la DPEF (déclaration de performances extra-financières), mais celles-ci ne concernent que les grosses entreprises. Si le devoir de vigilance marque un tournant dans la législation française, peu d’actions ont encore été initiées sur ce fondement [23].

    De même, les instruments volontaristes, tels que les labels et les engagements pris par les grandes entreprises, semblent relever davantage d’une stratégie de greenwashing que d’un réel engagement pour mettre en œuvre des mécanismes de financement assurant la préservation des forêts. Les entreprises privilégiant leurs intérêts économiques , un cadre normatif plus contraignant est nécessaire. S‘il est difficile d’agir à la source en ce qui concerne la déforestation en la rendant illégale dans les pays où elle s’exerce, étant donné que les produits issus de la déforestation illégale parviennent tout de même à rentrer dans les circuits légaux, il peut être intéressant d’agir directement sur la demande de ces produits, notamment dans le cadre européen [24] [25].

    Compte tenu des limites des engagements volontaires des entreprises, on peut alors se tourner vers l’Union européenne pour une meilleure responsabilisation des entreprises face à un enjeu aussi important qu’est la déforestation et mettre en place une législation contraignante qui agisse sur la demande. Sur ce point, une avancée notable pourrait voir le jour au niveau européen. Le 22 novembre 2020, le Parlement européen a chargé la Commission européenne de rédiger un projet de loi visant à interdire la mise sur le marché européen de produits issus ou contribuant à la déforestation (importation d’huile de palme, de soja, de viande…). L’UE entend ainsi réduire son impact environnemental du fait de sa responsabilité à hauteur de 16% dans la déforestation liée au commerce mondial [26].

    Actuellement, aucune norme de l’UE n’interdit la mise sur le marché européen de produits ayant contribué à la destruction des forêts ni oblige les entreprises à informer les consommateurs à ce sujet. Les députés européens entendent créer un cadre juridique contraignant créant des obligations pour les entreprises en matière de diligence raisonnable, d’information, de divulgation et de participation de tiers. Ils demandent que des sanctions soient introduites contre les entreprises qui mettent sur le marché européen des produits dérivés de matières premières mettant en danger les forêts et les écosystèmes. Pour inverser la tendance, il est important que la loi européenne prévoit des sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives. Tous les opérateurs sur le marché de l’UE devront alors assurer la traçabilité de leurs produits afin de pouvoir en identifier l’origine et garantir l’application de ces règles. Les investisseurs qui opèrent dans l’UE et proposent des financements, des investissements, des assurances ou d’autres services aux opérateurs, tels que définis dans la réglementation, seront également soumis à une obligation de diligence raisonnable.

    Une telle loi constituerait une avancée importante dans la lutte contre la déforestation. Cependant, comme le détaille le rapport de la WWF « Quand les Européens consomment, la forêt se consume », l’UE doit mettre en place des mesures complémentaires pour maximiser l’efficacité de cette loi en adoptant un régime fiscal dissuasif à destination des entreprises non transparentes. Cette loi n’est encore qu’à l’état de projet et aucune date de vote du projet de loi au Parlement européen n’a été fixée. On ne peut qu’espérer que le projet sera à la hauteur de l’enjeu et qu’il recevra l’appui des pays membres.

    Dans l’attente, il peut être nécessaire de se tourner vers des solutions innovantes  qui internalisent le coût de la déforestation directement dans le financement des projets et ainsi encourager ceux ayant un impact écologique positif.

    B. Quelques pistes de solutions non réglementaires

    Si l’instrument normatif ne parvient pas à montrer des résultats, ou tarde à entrer en vigueur, il est dès à présent possible de mettre en place des systèmes de taxation, par exemple, pour internaliser les externalités négatives liées à la déforestation. Ainsi, le Costa Rica et la Colombie ont tous deux adopté une taxe sur le carbone tropical et ont constaté non seulement une baisse des taux de déforestation, mais aussi un regain d’efforts pour restaurer les forêts précédemment dégradées qui généraient des revenus pour leurs économies. Depuis 1997, le Costa Rica perçoit une taxe de 3,5 % sur les combustibles fossiles. Cette taxe génère 26,5 millions de dollars de recettes chaque année, qui sont versées au Fonds forestier national du Costa Rica (FONAFIFO). Les ressources du fonds ont été investies dans des projets visant à protéger 1 million d’hectares de forêt mature et 71 000 hectares en cours de reboisement. L’utilisation des ressources a contribué de manière significative à l’acceptation de la taxe par le public. Une enquête auprès des utilisateurs de combustibles fossiles a indiqué qu’ils ne s’opposaient pas à la taxe parce que les recettes étaient affectées à la conservation des forêts. La transparence et la responsabilité des opérations du fonds sont également essentielles à son succès et à sa popularité continue.

    La Colombie a déployé une taxe sur le carbone en 2016 dans le cadre de vastes réformes fiscales dans le contexte du processus de paix du pays. La taxe carbone a été élaborée par le ministère des Finances et le ministère de l’Environnement et du Développement durable et est collectée auprès des entreprises produisant ou important des combustibles fossiles. La taxe colombienne de 5 USD par tonne de carbone émis a généré plus de 250 millions USD de recettes au cours des trois dernières années. Ces fonds sont versés au Fonds colombien pour la paix (Fondo Colombia en Paz), dont 25 % sont affectés à la gestion de l’érosion côtière, à la réduction et au suivi de la déforestation, à la conservation des sources d’eau, à la protection des écosystèmes stratégiques et à la lutte contre le changement climatique. Un autre 5% est utilisé pour renforcer le système national des zones protégées de Colombie.

    D’autres instruments financiers peuvent également être mis en œuvre afin de réduire la déforestation, ou en tout cas de ralentir la tendance actuelle. Ces solutions pourraient utiliser les mécanismes de la finance pour intégrer des mécanismes contraignants qui responsabilisent les entreprises envers leurs investisseurs quant à leur impact environnemental. Certains outils, bien qu’imparfaits, existent déjà sans être encore généralisés, comme par exemple les Green bonds ou “obligations vertes”, ou encore les Transition bonds ou “obligations de transition”. Les Green bonds sont des emprunts obligataires (non bancaires) émis sur les marchés financiers, par une entreprise ou une entité publique (collectivité, agence internationale, etc.) pour financer des projets contribuant à la transition écologique. La différence par rapport aux obligations classiques tient dans les engagements pris par l’émetteur d’une part, sur l’usage précis des fonds récoltés qui doit porter sur des projets ayant un impact favorable sur l’environnement, et, d’autre part, sur la publication, chaque année, d’un rapport rendant compte aux investisseurs de la vie de ces projets. Les Green bonds reposent sur des grands principes volontaires, les « Green Bond Principles », rédigés en 2013 par quatre grandes banques internationales, Bank of America Merrill Lynch, Citigroup, JP Morgan Chase et le français Crédit Agricole CIB. Pour être qualifiées de Green bonds, les obligations sont certifiées par des experts indépendants, eux-mêmes certifiés par l’organisation internationale Climate Bonds Initiative (CBI), une organisation à but non lucratif. Ces obligations ont cependant des inconvénients, le caractère contraignant et complexe des Green bonds en termes de reporting et de transparence peuvent être un frein pour certains émetteurs. De plus, l’insuffisance de projets éligibles à financer limite leur généralisation.

    De même, les Transition bonds sont des obligations lancées par le groupe AXA dans le cadre de sa stratégie climatique globale ; comme leur nom l’indique il s’agit « d’obligations de transition » s’adressant aux acteurs économiques utilisateurs de carbone engagés dans le processus de « décarbonation », mais qui ne sont pas éligibles aux Green bonds (obligations vertes). Ces nouveaux instruments financiers ont pour but de favoriser les investissements orientés vers la transition énergétique, conformément aux objectifs de l’Accord de Paris, en permettant à un plus grand nombre de sociétés d’évoluer progressivement vers des modèles de développement plus sobres en carbone. Les Transition bonds visent donc à accompagner les industries dans leur processus de transition écologique et climatique. Par exemple, l’entreprise Marfrig, filière de GPA appartenant au groupe Casino en Amérique du Sud, a émis 500 M$ de Transition bonds afin d’améliorer la traçabilité de leurs chaînes d’approvisionnement en bétail afin d’atténuer le risque de déforestation. Si ces obligations manquent encore de transparence et d’impact environnemental positif réel du fait de leur absence de supervision, on peut espérer qu’à l’avenir, elles seront une solution viable.

    Conclusion

    On peut aujourd’hui affirmer que le droit français n’est pas bien armé pour lutter contre la législation. Les législations encore balbutiantes ne parviennent pas à ralentir la tendance, et les engagements des investisseurs relèvent plus du greenwashing que de réelles prises de position avec des mesures efficaces pour lutter contre la déforestation. Les investissements dans le domaine sont encore insuffisants pour parvenir à un changement dans les modes de production qui ont conduit à la disparition de 11 000 km2 de forêt amazonienne en 2020 selon les données publiées par l’Institut national de recherches spatiales brésilien (INPE). Si une démarche de transparence commence à émerger chez les investisseurs, elle n’a pas encore abouti à un système de responsabilité qui pourrait avoir un effet considérable sur les activités impliquant une atteinte aux surfaces boisées protégées. C’est là que les instruments volontaristes trouvent leurs limites. Il convient donc de trouver de nouvelles solutions pour assurer que les investisseurs soient responsabilisés devant leur impact en termes de déforestation. Que ces solutions passent par un cadre normatif plus contraignant ou de nouveaux moyens d’internaliser la responsabilité des acteurs financiers, il est urgent que ces solutions entrent en action. Il est aujourd’hui urgent que tous les secteurs d’investissement assument leur part dans un effort commun pour réduire l’impact humain sur la planète, au moment où l’Amazonie et le Cerrado approchent un point de basculement écologique où les forêts ne seraient plus en capacité d’assurer leur rôle de puits de carbone.

    Références

    1. Rapport de la FAO : Global Forest Resource Assessment 2020 (p. 2 du rapport)
    2. Rapport WWF : Les fronts de déforestation. Moteurs et réponses dans un monde en mutation. 2020 (p.7 du rapport)
    3. Rapport de GreenPeace “Le massacre en Amazonie”. Juin 2009
    4. Site Legifrance
    5. L’investissement socialement responsable | economie.gouv.fr
    6. Site Legifrance
    7. Site Legifrance
    8. equator-principles.com
    9. Liste entière des signataires des PRI
    10. Implementation of the ‘Soft Commodities’ Compact — Cambridge Institute for Sustainability Leadership
    11. 201130_scc_report_3.pdf (banktrack.org)
    12. Principes pour des institutions financières alignées avec l’Accord de Paris
    13. Résolution du Parlement européen du 10 mars 2021 contenant des recommandations à la Commission sur le devoir de vigilance et la responsabilité des entreprises (2020/2129(INL))
    14. Projet de loi sur la diligence raisonnable des entreprises dans les chaînes d’approvisionnement adopté le 3 mars 2021
    15. Global Witness, Le rôle des banques françaises dans la destruction des forêts mondiales
    16. Envol vert, Rapport Casino, 2020, pp.18-19.
    17. Barreto, P., Pereira, R., 2017. Will meat-packing plants help halt deforestation in the Amazon?, p. 162.
    18. Envol Vert, Rapport Casino, op. cit. p.20
    19. Gibbs, H. K., Munger, J., L’Roe, J., Barreto, P., Pereira, R., Christie, M., Amaral, T., Walker, N. F., 2016. Did Ranchers and Slaughterhouses Respond to Zero-Deforestation Agreements in the Brazilian Amazon?, Conservation Letters, 9, 1, pp. 32–42.
    20. Site internet Visipec
    21. Forest Monitoring, Land Use & Deforestation Trends | Global Forest Watch
    22. PRODES – Coordination générale de l’observation de la Terre (inpe.br)
    23. Il est convoqué pour la première fois le 12 décembre 2019 contre Total pour ses projets en Ouganda et en Tanzanie, ce qui s’est soldé par un renvoi devant le tribunal de commerce.
    24. GIEC (SR 15, p 41)
    25. Lambin, E.F., Gibbs, H.K., Heilmayr, R. et al. The role of supply-chain initiatives in reducing deforestation. Nature Clim Change 8, 109–116 (2018). https://doi.org/10.1038/s41558-017-0061-1
    26. Rapport de la WWF “Quand les Européens consomment, la forêt se consume », publié le 14 avril 2021
  • Devoir de vigilance des multinationales : ne pas brader les droits humains au tribunal de commerce

    Jeudi 21 octobre, député·e·s et sénateur·ice·s débattront du Projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire. 26 organisations de défense des droits humains et de l’environnement alertent sur l’article 34, relatif à la compétence des tribunaux dans les affaires fondées sur le devoir de vigilance. Donner compétence au Tribunal de commerce de Paris porterait atteinte à l’effectivité de cette loi. La compétence des tribunaux judiciaires doit être maintenue !

    Ce jeudi 21 octobre 2021, député·e·s, sénateurs et sénatrices débattront en Commission Mixte Paritaire du Projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire. Dans une lettre ouverte, 26 organisations de défense des droits humains et de l’environnement alertent sur son article 34, relatif à la compétence des tribunaux dans les affaires fondées sur le devoir de vigilance. Donner compétence au Tribunal de commerce de Paris, comme le propose le Sénat, porterait gravement atteinte à la raison d’être et à l’effectivité de cette loi qui vise à assurer le respect des droits humains et de l’environnement par les multinationales. La compétence des tribunaux judiciaires doit être maintenue !


    Mesdames les Députées, Messieurs les Députés,
    Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs,

    Alors que vous serez amené-e-s prochainement à vous prononcer en Commission mixte paritaire sur le Projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, nos organisations de défense des droits humains et de l’environnement attirent votre attention sur son article 34, portant sur les juridictions compétentes pour connaître des contentieux fondés sur la loi du 27 mars 2017 sur le devoir de vigilance des sociétés-mères et entreprises donneuses d’ordre.

    Cet article, tel que présenté par le gouvernement et adopté en première lecture par l’Assemblée nationale, prévoyait la compétence d’un ou plusieurs tribunaux judiciaires spécialement désignés. Le 30 septembre dernier, le Sénat a adopté un amendement inverse, donnant compétence au tribunal de commerce de Paris. 

    Pour nos organisations qui ont soutenu depuis de nombreuses années la loi sur le devoir de vigilance, cet amendement du Sénat porte gravement atteinte à la raison d’être et aux objectifs de cette loi, au détriment de l’intérêt général, de la planète et des populations.

    La loi sur le devoir de vigilancea pour objet de s’assurer que les grandes entreprises françaises respectent les droits humains et l’environnement tout au long de leurs chaînes de valeur. Elle permet à des victimes, associations ou syndicats affectés d’engager la responsabilité de ces entreprises devant les tribunaux français lorsqu’elles manquent à leurs obligations. Les premiers contentieuxportent ainsi sur des allégations de graves violations du droit à l’alimentation causées par des expropriations massives ainsi que des risques de dommages environnementaux irréversibles liés à un projet pétrolier de Total en Ouganda, de déforestation et d’invasion de territoires autochtones par des fournisseurs de Casino au Brésil ou encore de contamination d’un réseau d’eau potable par une filiale de Suez au Chili.

    Confier à un tribunal de commerce le soin de trancher de tels litiges est une aberration. Composés de juges élus par leur pairs parmi les commerçants et chefs d’entreprises et non de magistrats professionnels, les tribunaux de commerce n’ont ni la légitimité, ni l’expertise pour décider si les mesures prises par une entreprise sont adaptées pour prévenir de telles atteintes. 

    Le Garde des Sceaux l’a rappelé en séance publique« Le devoir de vigilance a pour objet de prévenir et réparer les atteintes graves aux droits humains, aux libertés fondamentales, à la santé, à la sécurité des personnes et à l’environnement – sujets qui relèvent par essence du tribunal judiciaire », avant d’ajouter :« On ne peut pas – j’utilise à dessein ce verbe – “brader” les droits humains au tribunal de commerce. C’est une incongruité qui n’est pas supportable ».

    De même, rien ne justifie de contraindre des victimes, salariés, associations ou syndicats qui cherchent à prévenir des violations imminentes de leurs droits ou à obtenir réparation d’attendre l’instance d’appel pour voir leurs demandes tranchées par des magistrats compétents.

    En séance, la majorité sénatoriale a cherché à relativiser les enjeux. Elle n’a pas caché l’influence des lobbies économiques, justifiant son changement de position soudain par le fait que le sénateur ayant proposé cet amendement était « en lien direct avec les entreprises auxquelles s’impose le devoir de vigilance».

    La désignation de tribunaux compétents pour traiter de ces litiges n’est pas une question procédurale dont la solution pourrait être soufflée par les entreprises susceptibles d’être mises en cause. Alors que la France s’apprête à prendre la présidence de l’Union européenne et que la Commission européenne est sur le point de publier une proposition de directive inspirée de la loi française sur le devoir de vigilance, confier ces contentieux à un tribunal de commerce serait un recul inexplicable et un non-sens historique.

    Mesdames les Députées et Sénatrices, Messieurs les Députés et Sénateurs, nous espérons pouvoir compter sur votre soutien.

    Signataires

    ActionAid France
    Amis de la Terre France
    Aitec
    Alofa Tuvalu
    Amnesty International France
    Attac France
    BLOOM
    CADTM France
    CCFD-Terre Solidaire
    Collectif Ethique sur l’étiquette
    Emmaüs international
    Envol Vert
    Fédération Artisans du Monde 
    Fédération Internationale pour les Droits Humains (FIDH)
    Foodwatch France 
    France Nature Environnement
    Greenpeace France 
    Institut Veblen
    Ligue des droits de l’Homme (LDH)
    Max Havelaar France
    Mighty Earth
    Notre Affaire à Tous
    ReAct Transnational
    Sherpa
    SumOfUs
    Survie

  • L’Affaire du Siècle : la justice donne raison à 2,3 millions de personnes face à l’Etat !

    C’est un grand jour pour le climat ! ⚖️

    La décision de l’Affaire du Siècle est tombée : après 3 ans de travail, l’Etat est condamné à réparer les dommages causés par son inaction climatique, d’ici 14 mois ! Les responsables politiques sont désormais contraints de respecter les engagements climatiques de la France. A partir de maintenant, chaque sortie de route sur la trajectoire climatique constitue une faute et doit être réparée. En effet, la justice a ordonné à l’Etat de prendre “toutes les mesures utiles” pour réparer le préjudice écologique causé par la dépassement illégal des budgets carbone entre 2015 et 2018, d’ici au 31 décembre 2022.

    La justice climatique à l’agenda politique 🌏 

    Le prochain quinquennat est celui de la dernière chance. Nous n’avons plus le temps d’attendre 5 ans de plus : l’action pour le climat doit s’effectuer maintenant. Après les citoyen-nes et les scientifiques, ce sont les juges qui exigent désormais de l’État une action d’envergure et immédiate. 

    Dans les mois à venir, nous serons au rendez-vous pour nous assurer que l’État respecte la décision du tribunal administratif et du Conseil d’Etat dans l’affaire de Grande-Synthe, et pour faire en sorte que le-a prochain prochain-e Président-e ne puisse s’exonérer d’agir pour le climat sous peine de mettre l’Etat hors la loi !

    Un immense MERCI pour votre mobilisation !

    Cette décision est le fruit de 3 ans de procédure, du travail de 4 ONG – Greenpeace, Oxfam, la Fondation pour la Nature et l’Homme et Notre Affaire à Tous – de 19 avocat-es, et de la mobilisation de millions de personnes pour qu’enfin l’Etat soit contraint à agir. 

    Alors MERCI aux 2,3 millions de personnes qui ont embarqué dans l’aventure de l’Affaire du Siècle avec nous et qui ont demandé la fin de l’inaction climatique de l’Etat ! Cette victoire est partagée et marque le début d’une nouvelle ère pour la politique climatique de la France. 

    La décision est un signal fort que l’outil juridique est une arme pour forcer l’Etat à respecter ses obligations et aller même encore plus loin pour garantir notre droit à un environnement sain et notre avenir à toutes et tous ! 

    C’est un grand jour pour Notre Affaire à Tous qui s’est créé en 2015 pour faire advenir la responsabilité de l’Etat en matière climatique, dans la lignée de la victoire d’Urgenda aux Pays-Bas, l’ONG qui nous a montré le chemin et nous a convaincu que rien n’était impossible !

    Les points juridiques essentiels

    Entre 2015 et 2018, la France a émis 15 millions de tonnes de gaz à effet de serre en trop par rapport aux engagements fixés dans les textes. Les juges affirment que c’est une faute qui a mis l’Etat dans l’illégalité et que les dirigeants sont maintenant contraints de réparer avant la fin de l’année 2022. 15 millions de tonnes de GES devront ainsi être retranchées du “budget carbone” de la France pour 2022. Cette décision impose à l’Etat de doubler les réductions d’émissions prévues entre 2021 et 2022. 

    Ce jugement crée, avec les victoires déjà obtenues dans ce recours et dans celui de Grande-Synthe au Conseil d’État, une jurisprudence essentielle pour l’avenir. Les responsables politiques sont pris dans l’étau d’une double obligation juridique : d’une part l’État a désormais l’obligation stricte de respecter ses engagements climatiques et d’autre part toute sortie de route sera condamnée et devra être réparée rapidement.

    Partagez la nouvelle pour rendre le sujet incontournable !

    Pour continuer à faire pression et exiger de réelles actions pour le climat dès maintenant et pour le futur quinquennat, partagez la nouvelle dans vos réseaux ! 

    Nous voulons faire des obligations climatiques de la France un sujet incontournable de la campagne présidentielle. C’est pourquoi nous lançons le mot d’ordre #PasDeClimatPasDeMandat. Vous nous aidez à faire passer le message en relayant ces contenus dans vos réseaux ?

  • CP / Décision dans l’Affaire du Siècle : le(s) prochain(s) quinquennat(s) sous la contrainte judiciaire

    Communiqué de presse, 14 octobre 2021

    Crédit photo : Nicolas Chauveau

    Le tribunal administratif de Paris a donné raison à l’Affaire du Siècle : les gouvernements successifs sont désormais obligés de faire leurs preuves et de respecter strictement les engagements climatiques de la France. L’Etat français est également sommé de réparer les dommages à l’environnement causés par son inaction, avant le 31 décembre 2022. Ce jugement inédit oblige le gouvernement actuel, mais aussi le ou la futur·e locataire de l’Élysée. Cette décision marque une nouvelle ère pour les politiques climatiques de la France : plus aucun.e Président.e ne pourra s’exonérer d’agir pour le climat sous peine de mettre l’Etat hors la loi.

    La justice climatique s’impose à l’agenda politique

    Pour les organisations de l’Affaire du Siècle : “Désormais, le-la Président-e qui ne respecterait pas les engagements climatiques de la France la condamnerait deux fois : d’abord en exposant  sa population aux impacts de plus en plus dévastateurs et coûteux du changement climatiques, ensuite en l’exposant à une nouvelle condamnation par les juges.

    Le prochain quinquennat est celui de la dernière chance et les élections à venir sont décisives. Les organisations Notre Affaire à Tous, la Fondation Nicolas Hulot, Greenpeace France et Oxfam France, appellent donc les candidats et candidates à démontrer, chiffres à l’appui, comment ils comptent sortir l’Etat de l’illégalité et respecter les objectifs climatiques. Les organisations évalueront ces feuilles de route avant l’élection présidentielle.

    14 mois pour réparer le retard climatique accumulé pendant 3 ans

    Entre 2015 et 2018, la France a émis 15 millions de tonnes de gaz à effet de serre en trop par rapport aux engagements fixés dans les textes. Une faute qui a mis l’Etat dans l’illégalité et que les dirigeants sont maintenant contraints de réparer avant la fin de l’année prochaine. 15 millions de tonnes de GES devront ainsi être retranchées du “budget carbone” de la France pour 2022.  Cette décision impose donc à l’Etat de doubler les réductions d’émissions prévues entre 2021 et 2022.  

    Pour les organisations de l’Affaire du Siècle : “A partir d’aujourd’hui, tout dérapage sur la trajectoire de réduction des gaz à effet de serre pourra être sanctionné par la justice en cas de nouveau retard. L’Etat a désormais une obligation de résultats pour le climat. Cette rupture nécessaire avec la politique climatique telle qu’elle est actuellement nous la devons aux juges qui se sont saisis de la question climatique et à la mobilisation sans précédent des 2,3 millions de personnes qui ont soutenu l’Affaire du Siècle.

    C’est dans cette perspective que l’Affaire du Siècle s’est déplacée sur le parvis du Trocadéro à Paris ce matin, pour déployer deux messages en lettres géantes : « Climat : la justice est avec nous ! » et « Candidat·es : pas de climat, pas de mandat »

    Contacts presse

    • Notre Affaire à Tous : Cécilia Rinaudo – 06 86 41 71 81
    • Oxfam France : Élise Naccarato – 06 17 34 85 68
    • Greenpeace France : Kim Dallet – 06 33 58 39 46
    • Fondation Nicolas Hulot : Paula Torrente – 07 87 50 74 90

  • 2è audience de l’Affaire du Siècle : “nous devons faire plus et beaucoup plus vite” en matière de climat

    Huit mois après la victoire historique de l’Affaire du Siècle, où l’Etat a été condamné pour inaction climatique, les juges doivent à présent déterminer “les mesures qui doivent être ordonnées à l’Etat”. Il s’agit de réparer le préjudice écologique, c’est-à-dire les dommages à l’environnement, causé par l’inaction climatique de la France, en réduisant d’autant les émissions illégales de gaz à effet de serre de la France.

    L’Affaire du Siècle touche au but : obliger l’État à agir pour le climat

    Lors de cette audience, la rapporteure publique du tribunal administratif de Paris a donné raison à l’Affaire du Siècle ! Elle a conseillé aux juges d’ordonner à l’État de prendre “toutes les mesures utiles” pour réparer le préjudice écologique causé par son inaction climatique.

    Nous espérons que les juges suivent ses recommandations et que l’Etat sera contraint de prendre des actions concrètes et très rapides de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans les secteurs les plus émetteurs (transports, bâtiments, agriculture) pour réparer les graves dommages causés à l’environnement, d’ici au 31 décembre 2022.

    Un point que nous regrettons : le raisonnement retenu par la rapporteure publique, qui considère que le préjudice écologique a déjà été en partie réparé… compte-tenu des baisses d’émissions de gaz à effet de serre induites par la crise sanitaire du Covid-19.

    Nous avons donc souligné aux juges, lors de l’audience que cette logique arithmétique et conjoncturelle ne répond pas à la nécessité de mettre en place sans délai des politiques structurelles de transition écologique.

    Nous espérons que la décision du tribunal, qui devrait être rendue dans deux à trois semaines, soit plus ambitieuse.

    La décision pourrait envoyer un signal fort à l’Etat : sur la trajectoire climatique, chaque sortie de route constitue une faute et doit être réparée. Voir le récapitulatif de nos avocat-es en vidéo :

    L’étau se resserre autour de l’Etat, coupable d’inaction climatique

    Les juges devraient rendre leur décision mi-octobre. Une décision qui pourrait envoyer un signal fort à l’Etat : sur la trajectoire climatique, chaque sortie de route constitue une faute et doit être réparée.

    Ce serait alors la première fois qu’un grand pays comme la France serait condamné à réparer son inaction climatique !

    Après le jugement de l’Affaire du Siècle en février dernier et celui du Conseil d’État dans l’affaire Grande-Synthe en juilletl’étau se resserre autour de la procrastination climatique des dirigeantes et dirigeants successifs.

    C’est un message clair qui sera adressé aux futurs gouvernements : c’est désormais sous la stricte vigilance de la justice que la France devra suivre sa trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre, et réparer tout manquement à ses engagements.

  • Une nouvelle boîte à outils pratique sur la justice climatique !

    Après la parution d’une première boîte à outils pédagogique sur la justice climatique en 2020, Notre Affaire à Tous et Savanturiers – Ecole de la Recherche dévoilent une nouvelle boîte à outils, davantage axée sur le côté pratique, sur le thème de la justice climatique et du droit de l’environnement !

    Ce support ludique et pédagogique ambitionne de répondre aux lacunes des programmes scolaires de l’enseignement secondaire sur les questions environnementales et climatiques, pourtant si essentielles à l’heure des crises climatique et environnementale. Il est urgent d’agir avec la jeunesse à travers l’éducation : les études récentes indiquent que près de 60% des jeunes de 16 à 25 ans se disent très inquiets ou extrêmement inquiets face au changement climatique.

    Face à ce double-constat accablant, nous avons ressenti la nécessité d’offrir de nouvelles clés d’enseignements aux professeurs de collège et de lycée. Il est urgent de repenser, voire de penser tout court, l’enseignement que nous donnons aux collégiens et aux lycéens vis-à-vis des questions qui ne manqueront pas d’impacter profondément leur avenir.

    Au-delà de la nécessité de les informer, nous avons la conviction qu’il est tout aussi urgent de créer un discours qui se veut rassurant, porteur de solutions et d’espoir, dans un monde où l’actualité environnementale peut-être déroutante, notamment pour les jeunes générations qui souffrent de plus en plus d’éco-anxiété. 

    C’est pourquoi Notre Affaire à Tous et les Savanturiers ont élaboré cette nouvelle boîte à outils pédagogique, composée de cinq fiches d’activités ludiques et informatives :

    • Le débat mouvant
    • La mise en situation d’inégalités climatiques et environnementales
    • Le théâtre d’improvisation : simulation d’une négociation internationale et d’un procès environnemental
    • La charte de l’environnement des collèges et des lycées
    • Le concours d’éloquence

    Ce nouveau dossier vise à offrir la possibilité d’un travail en toute autonomie pour les enseignant-es, afin que ces derniers puissent permettre aux jeunes générations de s’emparer au mieux des enjeux climatiques et environnementaux du XXIème siècle !

  • CP / Affaire du Siècle : la rapporteure publique recommande la réparation rapide du préjudice écologique

    Communiqué de presse – 30 septembre 2021

    Lors de la deuxième audience de l’Affaire du Siècle aujourd’hui, la rapporteure publique du tribunal administratif de Paris a conclu que l’État doit réparer, par des actions concrètes et très rapides de réduction des émissions de gaz à effet de serre, les graves dommages causés à l’environnement par son inaction climatique. 

    Cette audience intervient huit mois après une première victoire historique remportée par les quatre organisations à l’origine du recours : les juges avaient alors déclaré illégale l’inaction climatique de l’État, et affirmé la responsabilité de celui-ci dans la crise climatique. Le tribunal avait ensuite rouvert l’instruction, pour “déterminer les mesures qui doivent être ordonnées à l’État” pour réparer le préjudice écologique causé par les surplus d’émissions entre 2015 et 2018.

    L’Affaire du Siècle touche au but : obliger l’État à agir pour le climat

    Nous nous félicitons des conclusions de la rapporteure publique, pour qui l’État, au 31 décembre 2022, aura dû réparer, par des mesures concrètes et effectives, les conséquences de son inaction climatique. C’est dans ce but, et pour créer un précédent historique, que nous avons lancé l’Affaire du siècle il y a 3 ans, et que tant de personnes nous ont rejoint, déclarent les organisations de l’Affaire du Siècle (Notre Affaire à Tous, la Fondation Nicolas Hulot, Greenpeace France et Oxfam France). 

    Nous sommes confiantes sur nos chances d’obtenir une décision avec laquelle la justice dirait à l’État : sur la trajectoire climatique, chaque sortie de route constitue une faute qui doit être réparée. Nous regrettons cependant le raisonnement retenu par la magistrate qui considère qu’une réparation partielle du préjudice a déjà eu lieu compte-tenu des baisses d’émissions de gaz à effet de serre induites par la crise sanitaire du Covid-19 : ce qui relève d’une logique arithmétique et conjoncturelle, alors qu’il est indispensable que la France mette en place sans délai des politiques structurelles de transition écologique. Nous espérons que la décision du tribunal, qui devrait être rendue dans deux à trois semaines, soit plus ambitieuse.”

    La décision à venir s’inscrit dans la droite ligne du jugement de l’Affaire du Siècle en février dernier et la solution retenue par le Conseil d’État dans l’affaire Grande-Synthe en juillet. Toutes resserrent l’étau autour de la procrastination climatique des dirigeantes et dirigeants successifs. C’est un message clair qui sera adressé aux futurs gouvernements : c’est désormais sous la stricte vigilance de la justice que la France devra suivre sa trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre, et réparer tout manquement à ses engagements.

    Contacts presse

    • Notre Affaire à Tous, Cécilia Rinaudo, cecilia.rinaudo@notreaffaireatous.org, 06 86 41 71 81
    • Fondation Nicolas Hulot, Paula Torrente, p.torrente@fnh.org, 07 87 50 74 90
    • Greenpeace France, Kim Dallet, kim.dallet@greenpeace.org, 06 33 58 39 46
    • Oxfam France, Elise Naccarato, enaccarato@oxfamfrance.org, 06 17 34 85 68
  • Ecocide : l’occasion manquée

    Article écrit par Julia Thibord, avocate au Barreau de Paris et membre de Notre Affaire à Tous

    « Le temps est dépassé où la recherche d’un équilibre entre la croissance économique et la défense écologique posait problème : les populations ont pris conscience qu’il est indispensable, pour la survie des espèces, de ménager l’espace et les matières premières essentielles c’est-à-dire le sol, l’eau, l’air. (…) La législation existante doit être complétée afin que le non-respect des règles protectrices de l’environnement soit considéré comme un comportement social dangereux. Du point de vue pénal, nous avons une mosaïque de textes hétéroclites dont la mise en œuvre est relativement complexe. Il importe donc de dégager un texte de portée générale – à insérer dans le Code pénal – qui protège l’équilibre du milieu naturel, la santé de l’homme, des animaux et des plantes contre les actes directs et indirects de pollution, quels qu’en soient les motifs et les moyens. De même que le droit pénal, en punissant le meurtre ou le vol, affirme le droit à la vie ou à la propriété, de même il doit proclamer la valeur du milieu naturel, en punissant toutes les pollutions » (1).

    Ces propos, d’une brûlante actualité, ont été prononcés au Sénat il y a plus de 40 ans. Le constat, aujourd’hui, reste le même : le droit pénal de l’environnement, morcelé, inappliqué, n’est pas dissuasif. Plus que jamais, il importe de repenser ce droit, alors qu’il est crucial et urgent de préserver notre environnement et la sûreté de la planète. Dans cette perspective, la reconnaissance du crime d’écocide, au plan national comme au plan international, permettrait de « s’engager sur une voie responsable pour protéger les grands écosystèmes de la planète » (2) et d’envoyer un signal fort à tous ceux qui, le plus souvent pour des raisons économiques, obèrent notre avenir et celui de de la Terre dans une quasi-impunité.

    Au niveau international, la réflexion sur l’écocide est née lors de la guerre du Vietnam, en lien avec l’utilisation délibérée et massive par l’armée américaine de défoliants extrêmement toxiques, dont le tristement célèbre « agent orange », en vue de détruire la végétation et neutraliser les groupes armés du Vietcong (3). La criminalisation des atteintes graves à l’environnement fut un temps envisagée puis finalement écartée, pour des raisons politiques, lors de la création de la Cour pénale internationale (4). Seules les atteintes à l’environnement commises en tant que crime de guerre (et seulement lorsqu’il s’agit d’un conflit armé international) y figurent (5). 

    Lors de la dix-huitième session de l’Assemblée des États parties au Statut de Rome, en 2019, les Maldives et le Vanuatu – dont la survie est directement menacée par le réchauffement climatique – ont plaidé pour l’insertion du crime d’écocide dans le statut de la Cour, estimant que la justice pénale internationale a un rôle à jouer pour prévenir la catastrophe environnementale qui nous attend (6). Cette demande a été rejointe par la Belgique en décembre 2020 (7). Cette année, le Parlement européen a voté divers textes appelant à la reconnaissance du crime d’écocide dans le Statut de la Cour pénale internationale (8). 

    Enfin, le 22 juin dernier, un panel international d’experts institué par la Fondation Stop Ecocide, composé de douze juristes de différents pays, reconnus pour leur expertise en droit pénal, en droit de l’environnement et/ou en droit international, a rendu publique une proposition d’amendement au Statut de la Cour pénale internationale pour y intégrer le crime d’écocide (9). Cette proposition, qui fait suite à six mois de travaux, montre qu’une définition de l’écocide à la fois réaliste, ambitieuse et juridiquement solide est possible.

    Au niveau national, une résolution adoptée par l’Union Interparlementaire au mois de mai invite les parlements nationaux à « renforcer le droit pénal pour prévenir et punir les dommages étendus, durables et graves causés à l’environnement » et à « examiner la possibilité de reconnaître le crime d’écocide afin de prévenir les menaces et les conflits résultant des catastrophes liées au climat et à leurs conséquences » (10).

    En France, deux propositions de loi portant reconnaissance du crime d’écocide ont été successivement examinées et rejetées par le Sénat puis l’Assemblée nationale en 2019 (11). Parmi les 149 propositions figurant dans son rapport, la convention citoyenne pour le climat appelait à l’adoption d’une loi qui pénalise le crime d’écocide, afin de « sauvegarder les écosystèmes » (12).

    La loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (ci-après la « loi climat »), censée traduire dans l’ordre juridique les propositions de la convention citoyenne pour le climat, aurait pu être l’occasion d’une réflexion ambitieuse sur la notion d’écocide et d’un premier pas, au sein de l’Union européenne, pour la reconnaissance de ce crime. 

    Malheureusement, le nouvel article L. 231-3 du code de l’environnement consacrant un délit d’écocide n’est pas, de loin, à la hauteur des attentes. 

    En faisant de l’écocide un simple délit, la France a manqué l’occasion de montrer la voie en Europe et à l’international et contribue à une banalisation dangereuse de l’écocide (1). De plus, le délit d’écocide est défini par renvoi à d’autres infractions, ce qui nuit à sa clarté et à sa lisibilité, ajoutant à la complexité du droit pénal de l’environnement (2). Enfin, le législateur a manqué d’ambition en retenant une définition restrictive et inadaptée de l’écocide, qui devrait limiter fortement son application (3).  

    1. L’occasion manquée de l’exemplarité : le refus de faire de l’écocide un crime

    Alors que la convention citoyenne demandait la création d’un crime d’écocide, la loi climat n’institue qu’un simple délit. Aucun des arguments invoqués, à savoir privilégier une telle reconnaissance au niveau international (13), ou le respect du principe de proportionnalité (14), ne justifie ce refus. 

    1.1. L’absence de reconnaissance du crime d’écocide en droit international n’exclut pas et au contraire justifie sa reconnaissance en droit national

    Il est vrai que, dans la littérature juridique, l’écocide renvoie plutôt à un crime reconnu à l’échelle internationale (15). Comme le souligne la juriste Valérie Cabanes (16), dès lors qu’il s’agit de protéger des communs naturels dont nous dépendons tous, comme l’Amazonie, les océans, le climat, le droit international pénal paraît la meilleure manière de reconnaître le crime d’écocide – voire même la seule efficace. Les difficultés rencontrées, malgré des décennies de procès, pour engager la responsabilité du géant pétrolier Chevron Texaco dans la destruction de l’environnement et l’empoisonnement consécutif de dizaines de milliers de personnes en Equateur (17), ou la fin de non-recevoir opposée à la plainte déposée contre 26 laboratoires pharmaceutiques américains pour leur rôle dans l’utilisation de l’agent orange pendant la guerre du Vietnam (18) l’illustrent : sans règles à l’échelle internationale, de tels crimes ne pourront pas être jugés comme il se doit. 

    Pour autant, la reconnaissance de l’écocide en droit international n’est pas exclusive de sa reconnaissance dans le droit national ; au contraire, l’un et l’autre sont complémentaires. Rien n’empêche le droit interne – et la France en particulier – de prendre les devants. 

    Tout d’abord, si l’écocide en tant que crime de droit international doit être réservé aux atteintes environnementales les plus graves, portées aux communs naturels ou mettant en péril les conditions d’existence de populations entières, la reconnaissance du crime d’écocide au niveau national permettrait de poursuivre les atteintes particulièrement graves à l’environnement mais qui n’ont pas forcément de portée trans- ou internationale. Cela pourrait d’ailleurs justifier une définition de l’écocide potentiellement plus large qu’au niveau international. 

    Une telle reconnaissance dans notre droit pénal est d’autant plus justifiée que la France n’est pas à l’abri d’un écocide. Marées noires, exposition à l’amiante, pollution de l’air, des sols, de l’eau, accidents industriels, déchets radioactifs, réchauffement climatique : les exemples et risques d’atteintes graves portées à l’environnement ou à la santé humaine, en conséquence du non-respect de la réglementation environnementale, de négligences et/ou de prises de risques inconsidérées ne manquent pas. Sans compter les dommages causés par des sociétés françaises et leurs filiales à l’étranger. La juste reconnaissance de l’écocide en droit interne permettrait de punir à la hauteur de leur gravité les atteintes les plus graves susceptibles d’être portées, en connaissance de cause, à l’environnement sur le territoire français et/ou par des dirigeants et entreprises français (et de dissuader la commission de telles atteintes). 

    Ensuite, le droit international se crée grâce aux précédents du droit interne. Certains États, d’ailleurs, comme le Vietnam ou des pays de l’ancien bloc soviétique ont déjà incriminé l’écocide dans leur droit pénal (19). Aucune initiative à l’échelon européen ou international n’ayant, à ce jour, abouti, ce sont précisément « aux États les plus diligents de prendre le relais à l’échelon national » (20) et de montrer l’exemple. « La multiplication des incriminations de l’écocide au niveau national, en particulier parmi les États membres de l’Union européenne, constituerait en effet la voie la plus rapide pour la construction d’un consensus ou, a minima, d’une tendance notable qui, à terme, s’imposera d’autant plus facilement en droit international et européen » (21).

    En reconnaissant le crime d’écocide, la France aurait pu participer de ce mouvement et se positionner en pionnière sur le sujet, entraînant dans son sillage le reste de l’Europe et de la communauté internationale (22).

    1.2. L’écocide, un crime disproportionné ?

    Le crime d’écocide souhaité par la Convention citoyenne n’a pas été retenu pour des raisons notamment de « proportionnalité [risquant] de rendre le processus inconstitutionnel », a justifié Barbara Pompili (23).

    On peine à comprendre une telle justification. L’écocide est, de par son étymologie – la destruction (caedere, tuer) de notre maison (oikos), nos écosystèmes, notre terre –, un crime d’une gravité extrême. D’une certaine manière, il est même le « crime premier » (24), le plus grave d’entre tous, puisqu’il met en péril les conditions de vie sur terre. 

    La catastrophe de Bhopal en 1984, qui a exposé des centaines de milliers de personnes à des produits chimiques toxiques à la suite de l’explosion de l’usine de fabrication de pesticides d’Union Carbide (aujourd’hui Dow Chemicals) a provoqué, officiellement, près de 7 500 décès (20 000 selon les associations de victimes) (25). Dans l’affaire du Probo Koala, les déchets hautement toxiques déchargés en toute illégalité dans le port d’Abidjan ont provoqué la mort de 17 personnes (plus selon les associations) et l’intoxication de dizaines de milliers de personnes, sans compter les impacts sur l’environnement (26). En Équateur, entre 1965 et 1992, les activités pétrolières de Chevron-Texaco ont dévasté les territoires indigènes et empoisonné plus de 30 000 de ses habitants, qui vivent désormais dans la zone au taux de cancer le plus élevé d’Amérique latine (27). L’explosion de la plate-forme pétrolière Deepwater Horizon, en 2010, a eu pour conséquence la mort de onze personnes et une marée noire exceptionnelle (780 millions de litres de pétrole), entraînant un désastre écologique sans précédent (28). Quant à Monsanto, « l’écocide persistant, réitéré » (29), l’avis consultatif rendu par le tribunal international citoyen Monsanto en 2016 a conclu que l’entreprise américaine avait causé, via notamment la production, l’utilisation et la commercialisation à l’échelle mondiale de produits hautement toxiques comme le Roundup, le PCB ou le 2,4,5 T (l’un des composants de l’agent orange), des « dommages importants et durables à la biodiversité et aux écosystèmes » et affecté la vie et la santé de populations humaines entières (30). En mars 2019, deux cyclones très rapprochés ont ravagé la côte de l’océan Indien d’Afrique australe, provoquant plus de 600 décès et des centaines de milliers de sans-abri et faisant de Beira, la deuxième ville du Mozambique, la « première ville au monde détruite par les changements climatiques » (31). Le dernier rapport du GIEC, rendu en août 2021, montre que les émissions de gaz à effet de serre dues aux activités humaines ont élevé les  températures  d’environ  1,1 °C  depuis  la  période  1850-1900 (32). Or les quelques 25 multinationales des énergies fossiles qui ont, en toute connaissance de cause, poursuivi et développé leurs activités charbonnières, gazières et pétrolières, seraient à l’origine de 51 % des émissions de gaz à effet de serre entre 1988 et 2015 (33). 

    Plus près de nous, en France, la pollution de l’air serait responsable de près de 100 000 décès par an (34). Lors du naufrage de l’Erika, 20 000 tonnes de fioul lourd se sont retrouvées dans l’océan, souillant les côtes françaises sur près de 400 km, tuant entre 150 000 et 300 000 oiseaux et rejetant près de 250 000 tonnes de déchets – sans compter un préjudice économique estimé à un milliard d’euros (35). La société Total, affréteur du navire n’a été condamnée, au pénal, qu’à une amende de 375 000 euros, dérisoire au regard à la fois de l’étendue du désastre et du chiffre d’affaires du groupe. Aux Antilles, le chlordécone, cet insecticide utilisé pendant plus de vingt ans dans les bananeraies de Guadeloupe et de Martinique, a, selon certains experts, empoisonné les sols, les rivières et la mer pour des siècles, sans compter les conséquences sanitaires sur la population dont les scientifiques commencent peu à peu à mesurer la gravité, plus de 90 % des adultes en Martinique et en Guadeloupe étant contaminés (36). Malgré cela, la plainte déposée en 2006 pour empoisonnement et mise en danger de la vie d’autrui devrait déboucher sur un non-lieu pour des questions de prescription (37). En matière de réchauffement climatique, le tribunal administratif de Paris a récemment jugé, dans l’Affaire du siècle, qu’ « en  France,  l’augmentation  de  la température moyenne, qui s’élève pour la décennie 2000-2009, à 1,14°C par rapport à la période 1960-1990, provoque notamment l’accélération de la perte de masse des glaciers, en particulier depuis 2003, l’aggravation de l’érosion côtière, qui affecte un quart des côtes françaises, et des risques de submersion, fait peser de graves menaces sur la biodiversité des glaciers et du littoral, entraîne  l’augmentation  des  phénomènes  climatiques  extrêmes,  tels  que  les  canicules,  les sécheresses, les incendies de forêts, les précipitations extrêmes, les inondations et les ouragans, risques auxquels sont exposés de manière forte 62 % de la population française, et contribue à l’augmentation  de  la  pollution  à  l’ozone  et  à  l’expansion  des  insectes  vecteurs  d’agents infectieux tels que ceux de la dengue ou du chikungunya » (38).

    Si disproportion il y a, elle résulte de l’impunité qui règne en la matière et, quand il y a condamnation, de la faiblesse des peines prononcées.  

    La qualification de crime, au-delà de sa dimension symbolique et des peines qui s’y attachent, a aussi des conséquences procédurales non-négligeables, en termes de pouvoirs d’enquête, de prescription (vingt ans minimum pour les crimes vs six ans pour les délits), et de règles de compétence, de poursuites, d’instruction et de jugement, adaptées à la gravité de l’infraction. 

    La criminalisation de l’écocide apparaît, dès lors, nécessaire pour assurer le respect de droits fondamentaux comme le droit à la vie ou le droit à un environnement sain. La Cour européenne des droits de l’homme rappelle ainsi qu’incombe à l’État « le devoir primordial d’assurer le droit à la vie en mettant en place une législation pénale concrète dissuadant de commettre des atteintes contre la personne et s’appuyant sur un mécanisme d’application conçu pour en prévenir, réprimer et sanctionner les violations » (39). 

    A tous ces égards, la reconnaissance d’un simple « délit d’écocide » est un contresens, une expression « théoriquement contradictoire et pratiquement inappropriée » (40). En réalité, comme l’a relevé à juste titre la commission des lois du Sénat, « l’écocide sembl[e] avoir été mentionné uniquement à des fins politiques, pour donner l’impression que le projet de loi répondait à la demande formulée par la Convention citoyenne à ce sujet » (41). 

    Une nécessaire hiérarchie

    Il ne fait pas de doute, en revanche, et en vertu notamment du principe de proportionnalité, que le crime d’écocide doit être réservé aux infractions les plus graves. Mais c’est précisément la définition des éléments de l’écocide, et notamment la délimitation du seuil de gravité permettant de distinguer un délit de pollution d’un écocide, qui doit assurer cela.  

    Une hiérarchie est nécessaire, une échelle de gravité entre les différentes infractions environnementales. La juriste Coralie Courtaigne-Deslandes identifiait en 2015 trois échelons dans la commission des atteintes à l’environnement : la « délinquance occasionnelle et opportuniste » (délits de chasse, abandons de déchets ou petites pollutions agricoles) ; la « stratégie d’entreprise », « planifiée et récurrente », s’inscrivant dans le cadre d’activités autorisées ; et la criminalité organisée, souvent transfrontalière, liée au trafic de déchets ou d’espèces protégées (42). A l’évidence, seuls les deux derniers échelons devraient être (potentiellement) concernés par l’écocide. Le but de l’écocide est de « viser les personnes ayant du pouvoir, une influence sur le cours des événements telles que les multinationales qui agissent en connaissance des conséquences de leurs activités, décisions et choix d’investissements » (43). Le rapport remis à la garde des sceaux le 11 février 2015 proposait, quant à lui, une classification des infractions environnementales, en distinguant les infractions administratives, les « écocrimes » et l’écocide (44), en fonction notamment de la gravité de l’atteinte, des valeurs protégées et du type de faute. 

    Les nouvelles incriminations ne permettent pas une telle rationalisation. Au contraire, en refusant de faire de l’écocide un crime, la loi climat crée une confusion dangereuse, qui tend à mettre l’écocide au même rang que la délinquance environnementale et à banaliser celui-ci. Confusion renforcée par la présentation qui en a été faite par le gouvernement dans la presse, insistant sur le « banditisme » environnemental, affirmant que le délit d’écocide viserait tout le monde y compris les particuliers, et passant complètement sous silence, en revanche, la question du dérèglement climatique (45). 

    ***

    En refusant de reconnaître l’écocide, le législateur français a manqué l’occasion de donner l’exemple et d’ouvrir la voie vers une reconnaissance universelle de ce crime. Relégué au rang de simple délit, banalisé, l’écocide est, de surcroît, fragilisé par une définition complexe, inadaptée et indûment restrictive.

    2. L’occasion manquée de la clarté : une incrimination de l’écocide par renvoi à d’autres textes, qui nuit à sa lisibilité

    Les propositions de loi de 2019 ainsi que la proposition de la convention citoyenne pour le climat relatives au crime d’écocide, ont été écartées au motif principalement de l’imprécision des définitions proposées et du risque de contrariété au principe de légalité des crimes et des délits (46). Ce principe, qui a valeur législative, conventionnelle et constitutionnelle (47), impose au législateur de fixer lui-même le champ d’application de la loi pénale et de « définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire » (48). 

    A cet égard, la définition du délit d’écocide, technique, complexe, renvoyant successivement à de nombreux textes, paraît contestable. Pour bien comprendre le délit d’écocide, il convient de revenir à la fois sur le droit existant et sur les nouveaux délits de pollution prévus par la loi climat (2.1), le délit d’écocide n’étant qu’une forme aggravée de ces derniers, définie par renvois successifs à différents textes (2.2).

    2.1. Le contexte : les infractions existantes et les nouveaux délits de pollution créés par la loi climat

    Le droit existant

    Le droit pénal de l’environnement – entendu comme l’ensemble des infractions relatives à la protection de la nature, des ressources naturelles, des sites et paysages ainsi que celles relatives à la lutte contre les pollutions et les nuisances –, se compose de quelques 2000 infractions en vigueur, disséminées au travers de dispositions éparses du code pénal, du code de l’environnement, du code rural et de la pêche maritime, du code forestier et du code minier (49). Cet éclatement du droit pénal de l’environnement et le recours fréquent à l’incrimination par renvoi participent de l’« inefficacité chronique » (50) du droit pénal de l’environnement, régulièrement décriée (51). 

    Parmi les infractions existantes, on trouve notamment : 

    • un délit général de pollution des eaux, puni de deux ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende (52) ; 
    • des délits de pollution maritime (53), dont un certain nombre sont définis par renvoi à des conventions internationales. Parmi les plus graves, on trouve le rejet volontaire d’hydrocarbures par les pétroliers (dix ans d’emprisonnement et 15 millions d’euros) (54) et le rejet de substances chimiques en colis (sept ans d’emprisonnement et 1 million d’euros) (55) ; 
    • des dispositions sanctionnant l’exploitation, sans l’autorisation requise ou en violation des prescriptions applicables, d’une activité réglementée (ex : installations classées pour la protection de l’environnement, activités à l’intérieur de réserves naturelles, dérogations en matière d’atteintes aux espèces protégées). Ces infractions sont punies d’un à deux ans d’emprisonnement et de 15 000 € à 100 000 € d’amende en fonction des activités et faits en cause (56). En cas d’atteinte grave à la santé ou la sécurité ou de dégradation substantielle de la faune et de la flore ou de la qualité de l’air, du sol ou de l’eau, les peines encourues peuvent aller jusqu’à trois ans de prison et 150 000 € d’amende et, pour certaines activités, jusqu’à cinq ans et 300 000 € d’amende (57) ;
    • le non-respect, après cessation d’activité d’une installation, des obligations de remise en état, puni de deux ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende (58) ; 
    • Le non-respect de la réglementation applicable aux déchets, puni de deux ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende (59) ;
    • en matière d’émissions atmosphériques, le non-respect des prescriptions du règlement CE n° 1005/2009 relatif à des substances qui appauvrissent la couche d’ozone, ainsi que le non-respect d’une mise en demeure en matière d’émissions polluantes, sont punis de deux ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende (60). 

    On mentionnera, enfin, puisque c’est l’infraction environnementale la plus grave du droit français – et la seule élevée au rang de crime –, le terrorisme écologique, puni de vingt ans de réclusion et de 350 000 € d’amende (61). 

    Les nouveaux délits de la loi climat en matière de pollution

    La loi climat créé deux nouveaux délits de pollution : 

    • un délit de pollution de l’air et de l’eau, défini comme « le fait, en violation manifestement délibérée d’une obligation  particulière  de  prudence  ou  de  sécurité prévue par la loi ou le règlement, d’émettre dans l’air, de jeter, de déverser ou de laisser s’écouler dans les eaux superficielles ou souterraines ou dans les eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales, directement ou indirectement, une ou plusieurs substances  dont  l’action  ou  les réactions  entraînent  des  effets  nuisibles graves et durables sur la santé, la flore, la faune […] ou des modifications graves du régime normal d’alimentation en eau » (nouvel article L. 231-1 du code de l’environnement). L’alinéa 2 précise que cette définition ne s’applique, s’agissant des émissions ou rejets autorisés, qu’en cas de dépassement des valeurs limites d’émission ou de non-respect des prescriptions fixées par l’autorité administrative compétente. Ce nouveau délit est puni de 5 ans d’emprisonnement et d’un million d’euros d’amende.
    • un délit de pollution liée au non-respect de la réglementation sur les déchets, défini comme « le fait d’abandonner, de déposer ou de faire déposer des déchets, dans  des  conditions contraires  au  chapitre Ier du  titre IV du livre V, et le fait de gérer des déchets, au sens de l’article L. 541-1-1, sans satisfaire aux prescriptions concernant les caractéristiques, les quantités, les conditions techniques de  prise  en  charge  des  déchets  et  les  procédés  de traitement mis  en  œuvre fixées en application des articles L. 541-2, L. 541-2-1, L. 541-7-2, L. 541-21-1 et L. 541-22, lorsqu’ils provoquent une dégradation substantielle de la faune et de la flore ou de la qualité de l’air, du sol ou de l’eau » (nouvel article L. 231-2 du code de l’environnement). Ce nouveau délit est puni de trois ans d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende.

    L’écocide

    L’écocide est prévu par le nouvel article L. 231-3 du code de l’environnement. En vertu de ces dispositions, constituent un écocide : 

    • l’infraction prévue à l’article L. 231-1 lorsque les faits sont commis de manière intentionnelle ;
    • les infractions prévues à l’article L. 231-2, « commises de façon intentionnelle, lorsqu’elles entraînent des atteintes graves et durables à la santé, à la flore, à la faune ou à la qualité de l’air, du sol ou de l’eau ».

    L’écocide est puni de dix ans d’emprisonnement et de 4,5 millions d’euros d’amende, ce montant pouvant être porté jusqu’au décuple de l’avantage tiré de la commission de l’infraction.

    2.2. Une infraction définie par renvois successifs 

    Sous le terme d’écocide, la loi climat institue non pas un délit autonome mais plutôt une forme aggravée des délits de pollution prévus par les nouveaux articles L. 231-1 et L. 231-2 du code de l’environnement. L’écocide est défini par renvoi à ces délits, qui sont eux-mêmes définis par renvoi à d’autres dispositions. 

    Pour ce qui est du délit de l’article L.231-1, celui-ci est caractérisé par (notamment) la violation d’une obligation particulière de  prudence ou de sécurité prévue  par  la  loi  ou  le règlement. Cela  suppose (i) d’identifier le texte légal ou réglementaire source de l’obligation particulière de prudence ou de sécurité et (ii) d’établir que cette obligation présente un caractère particulier et non général, ce qui dépend du contenu précis du texte qui l’édicte (62).

    Par ailleurs, l’article L.231-1 exclut expressément les pollutions « autorisées », c’est à dire les émissions ou rejets réalisés dans le respect des prescriptions et seuils fixés par l’autorité administrative compétente (63). La caractérisation de l’infraction dépendra donc des seuils et normes fixés par l’autorité administrative, ce qui revient à conférer aux prescriptions préfectorales un rôle central dans la caractérisation de l’élément légal de l’infraction (64). 

    Enfin, l’article L.231-1 exclut de son application les « dommages mentionnés aux articles L. 218-73 et L. 432-2 », réprimant respectivement le rejet dans les eaux salées, de substances ou organismes nuisibles pour la faune ou la flore marine (puni de 22 500 € d’amende), et les pollutions qui affectent les poissons en eaux douces (deux ans de prison et 18 000 € d’amende ). Cette exclusion, directement inspirée de l’article L.216-6 réprimant la pollution des eaux, crée une confusion inopportune. En effet, si les dommages visés remplissent les conditions propres à l’article L.231-1 (ou au délit d’écocide), en termes de gravité notamment, rien ne justifie de les exclure des nouvelles incriminations (65).

    Quant au délit prévu à l’article L.231-2, celui-ci nécessite une méconnaissance des dispositions applicables en matière de déchets et plus précisément : 

    • un manquement aux dispositions relatives à l’abandon ou au dépôt de déchets prévues « au chapitre I du titre IV du livre V du code de l’environnement » soit plus de 130 articles (sans compter le renvoi à des dispositions réglementaires), aux contenus divers, en lien ou pas avec l’abandon ou le dépôt de déchets, et à la rédaction plus ou moins précise ;
    • des faits de gestion de déchets (tels que définis à l’article L.541-1-1 du code de l’environnement) en méconnaissance des « prescriptions concernant les caractéristiques, les quantités, les conditions techniques de  prise  en  charge  des  déchets  et  les  procédés de traitement mis  en  œuvre fixées en application des articles L. 541-2, L. 541-2-1, L. 541-7-2, L. 541-21-1 et L. 541-22 » du code de l’environnement. 

    Le renvoi à ces multiples dispositions du code de l’environnement brouille d’autant plus la lisibilité que celles-ci peuvent être modifiées, supprimées ou complétées au fil du temps et des évolutions législatives et réglementaires. 

    Outre une « dépossession par le législateur de sa propre compétence au moyen d’un transfert plus ou moins maîtrisé du pouvoir d’écriture pénale à d’autres autorités » (66), l’incrimination de l’écocide ressort fragilisée de ces renvois successifs. Il faut consulter plusieurs textes pour comprendre le contenu du délit, et la rédaction même de ces différents textes ne permet pas toujours de satisfaire à l’exigence de clarté et de précision attendue de la norme pénale. Tout cela nuit à la lisibilité et à l’accessibilité du délit d’écocide. 

    ***

    « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires » (Montesquieu). La reconnaissance de l’écocide aurait pu être l’occasion d’une simplification et d’une clarification du droit pénal de l’environnement, à travers notamment la création tant attendue d’infractions claires, génériques et autonomes. Au lieu de cela, la loi climat superpose aux multiples infractions existantes de nouveaux délits, eux-mêmes définis par renvois successifs à d’autres textes de rang variable dans la hiérarchie des normes. 

    A cela s’ajoute une définition restrictive, inadaptée et lacunaire de l’écocide, qui ne rend pas compte de la spécificité de celui-ci et qui rend son application peu probable. 

    3. L’occasion manquée de l’effectivité : une définition inadaptée et restrictive de l’écocide, qui limite fortement son application

    « L’objectif du crime d’écocide doit être de répondre à la crise écologique et climatique en cours en permettant de poser un cadre normatif de ce qui est tolérable pour préserver un écosystème terrestre habitable pour le plus grand nombre » (67). Force est de constater que la définition retenue par le législateur ne répond pas à ces enjeux. 

    3.1. Une définition inadaptée et restrictive 

    Une définition parcellaire et lacunaire

    Tout d’abord, la définition par renvoi à d’autres infractions (elles-mêmes inspirées d’infractions anciennes), en faisant de l’écocide une forme aggravée d’autres délits « communs » de pollution, contribue à sa banalisation. 

    Ensuite, cette définition reste parcellaire, segmentée, aussi bien quant à la réglementation dont il faut prouver la violation (obligation particulière de prudence ou de sécurité ou règle issue de certaines dispositions du code de l’environnement relatives aux déchets) que quant à la liste des éléments protégés (santé, flore, faune et alimentation en eau pour l’écocide au titre de l’article L.231-1 ; flore, faune et qualité de l’air, du sol ou de l’eau pour l’écocide au titre de l’article L.231-2). 

    De fait, toutes les atteintes graves et durables à l’environnement ne sont pas couvertes par le délit d’écocide. Sont notamment exclues les pollutions des sols autres que celles résultant d’une violation du droit des déchets. Cela est d’autant plus regrettable que, depuis la transposition de la directive cadre sur les déchets, les sols non excavés ne sont plus considérés comme des déchets (68). 

    Plus généralement, cette manière de procéder, et la terminologie utilisée, échouent à rendre compte de la spécificité et de la gravité de l’écocide. Il manque une « approche écosystémique » (69), similaire à celle qu’on retrouve dans la formulation du préjudice écologique de l’article 1247 du code civil. On peut déplorer, notamment, l’absence de référence aux écosystèmes ou au climat. Sur ce point, le législateur aurait gagné à s’inspirer de la définition adoptée par le groupe d’experts international qui réprime les atteintes à l’environnement entendu comme « la Terre, sa biosphère, sa cryosphère, sa lithosphère, son hydrosphère et son atmosphère [et] l’espace extra-atmosphérique ».

    La condition de l’illicéité, critère indispensable ?

    Le délit d’écocide est caractérisé par un manquement à la loi ou à la réglementation, donc une pollution illicite. 

    Ce critère, en soi, n’apparaît pas déraisonnable. La création d’une infraction autonome, protégeant l’environnement pour lui-même, sans référence au respect de la réglementation, pourrait faire « peser sur les acteurs économiques un risque pénal pour une activité qui était autorisée au moment des faits » (70). C’était d’ailleurs l’une des critiques adressées à la définition de l’écocide proposée par la convention citoyenne. 

    Pour autant, la condition de l’illicéité perd de son sens dès lors que sont en jeu les atteintes les plus graves à l’environnement, voire à la sûreté de la planète elle-même. Ce d’autant plus que les entreprises (et leurs dirigeants) dont les activités sont susceptibles de provoquer des pollutions graves sont le plus souvent bien entourées et bien conseillées ; elles savent les risques qu’elles prennent (quand elles ne cherchent pas délibérément à profiter des zones grises ou des failles de la réglementation applicable, ou du « dumping » environnemental). Elles font délibérément le choix de privilégier la recherche du profit sur la préservation de l’environnement et de la santé. C’est précisément ce mépris pour l’environnement et la vie humaine que l’écocide devrait pouvoir sanctionner. C’est pourquoi certains auteurs plaident pour « un abandon de l’exigence d’illicéité en cas d’atteinte à la santé humaine ou à la sûreté de la planète » (71).

    Le groupe d’experts international a choisi de conserver ce critère de l’illicéité, mais en l’atténuant quelque peu puisque sont exigés des actes « illicites ou arbitraires », soit une définition sensiblement plus ouverte à cet égard. Le terme « arbitraire » est entendu comme « de manière imprudente et sans faire cas des dommages qui seraient manifestement excessifs par rapport aux avantages sociaux et économiques attendus ». 

    Au demeurant, la référence, plus générale, dans la définition proposée, à toute atteinte « illicite » permet de couvrir tout manquement à la législation ou à la réglementation, notamment environnementale. Ce qui n’est pas le cas de la définition française, qui exige spécifiquement la violation soit d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement soit de la réglementation déchets. 

    L’exigence d’atteintes graves à l’environnement susceptibles de durer au moins sept ans, un critère indûment restrictif

    Pour caractériser l’écocide, les atteintes à l’environnement doivent être à la fois graves et durables. Cette double exigence n’apparaît pas, en soi, déraisonnable. On retrouve d’ailleurs les mêmes critères, sous des formulations plus ou moins similaires, dans la plupart des définitions proposées, au plan international ou national (72). La définition retenue par le groupe d’experts international, quant à elle, requiert des dommages  « graves qui soient étendus ou durables » (soit un double critère un peu moins exigeant, puisque l’atteinte doit être grave et durable ou grave et étendue) (73). 

    Là où la loi française s’avère indûment restrictive, c’est qu’elle définit comme « durables » les effets nuisibles « susceptibles de durer au moins sept ans ». 

    Fixé à dix ans dans la version initiale du projet de loi, ce seuil a été abaissé à sept ans par le Sénat, prenant acte de « la complexité de démontrer, y compris au terme d’une expertise poussée, que la prise d’un risque peut potentiellement causer des atteintes susceptibles de durer sur une telle période » (74). 

    Même abaissée à sept ans, il sera difficile de caractériser une atteinte grave et durable à l’environnement sur une telle durée. L’évolution des connaissances scientifiques sur le fonctionnement des écosystèmes, le caractère plus ou moins sensible du milieu récepteur, les différences de réaction des diverses composantes d’un même milieu, la conjonction des risques pour l’environnement et pour la santé rendent une telle démonstration – et son appréciation par le juge – particulièrement complexe (75). Cette exigence, disproportionnée, fait peser sur les autorités de poursuite (et sur les associations de protection de l’environnement) une preuve qui pourrait s’avérer impossible (76). Et risque de rendre inapplicable le délit d’écocide. 

    A titre de comparaison, la proposition d’amendement du groupe d’experts international définit comme « durables » les dommages « irréversibles » ou qui « ne peuvent être corrigés par régénération naturelle dans un délai raisonnable ». La définition proposée au niveau international paraît donc, à cet égard également, sensiblement moins rigide que la définition française, laissant le soin aux juges d’apprécier, en fonction des circonstances de l’espèce, ce qui constitue une atteinte durable. 

    3.2. Des incertitudes quant à l’intention exigée

    L’élément moral en droit pénal de l’environnement

    « [L]e droit pénal de l’environnement est le siège de la réflexion juridique la plus poussée et de la jurisprudence la plus compliquée qui soient sur l’élément moral de l’infraction » (77). Depuis la réforme du code pénal de 1994, les crimes et délits sont, par principe, intentionnels. Aux termes de l’article 121-3 du code pénal, il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, « en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ». 

    En droit pénal de l’environnement, toutefois, la distinction entre délit intentionnel et délit non-intentionnel n’est pas toujours évidente en pratique. Certains délits environnementaux, comme celui de pollution de l’eau (article L.216-6 du code de l’environnement) ou celui de rejets polluants en mer (article L. 218-19) sont des infractions d’imprudence. Pour le reste, la plupart sont des délits intentionnels. Or la chambre criminelle de la Cour de cassation recourt fréquemment, pour déterminer l’intention, à la formule selon laquelle « la seule constatation de la violation en connaissance de cause d’une prescription légale ou réglementaire implique de la part de son auteur l’intention coupable exigée par l’article 121-3, alinéa 1er, du Code pénal » (78). Avec la conséquence qu’il peut s’avérer plus aisé de caractériser l’intention, celle-ci étant déduite du constat de la violation de la règle en cause et de la qualité de professionnel du prévenu, que l’imprudence ou la négligence, qui oblige à décrire le comportement du prévenu, à le comparer à ce qu’aurait fait un homme normalement prudent et avisé et à démontrer que cette imprudence ou négligence a causé la situation délictuelle (79). 

    L’écocide, un délit intentionnel

    Le caractère intentionnel du délit d’écocide est expressément précisé dans le texte de l’article L. 231-3 (à deux reprises, y compris pour l’écocide défini en référence à l’article L. 231-2, qui est pourtant déjà une infraction intentionnelle).   

    En soi, l’exigence d’une intention n’apparaît pas excessive et semble faire consensus (80). Tout dépendra de l’intention (et de sa preuve) qui sera exigée. L’élément matériel de l’écocide étant  défini à la fois par des faits (des rejets ou émissions en méconnaissance des prescriptions applicables) et par un résultat (une atteinte grave et durable à l’environnement), l’intention devrait porter à la fois sur les actes et sur le résultat.  Cela ne signifie pas pour autant une intention de nuire, mais plutôt la commission desdits faits en connaissance de cause, c’est à dire en ayant conscience de violer la réglementation mais aussi du risque d’atteinte grave et durable à l’environnement (81). 

    L’intention ainsi entendue rejoint la définition proposée par la convention citoyenne pour le climat (« en connaissance des conséquences qui allaient en résulter et qui ne pouvaient être ignorées ») (82). Dans le même sens, l’amendement au statut de la CPI proposé par le groupe d’experts international précise que les actes d’écocide doivent être commis « en connaissance de la réelle probabilité que ces actes causent à l’environnement des dommages graves qui soient étendus ou durables ». 

    Néanmoins, la définition restrictive du terme durable pourrait rejaillir sur l’intention exigée – s’il devait être prouvé plus spécifiquement que l’auteur des faits avait conscience que l’atteinte à l’environnement était susceptible de durer plus de sept ans.  

    Par ailleurs, le délit d’écocide étant défini, au titre du premier alinéa de l’article L. 231-3, en tant que forme aggravée du délit « non-intentionnel » de pollution de l’article L.231-1, l’articulation entre les deux délits n’est pas sans soulever certaines interrogations quant à l’intention exigée. 

    Intention vs violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité

    La notion de « violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement » se situe à mi-chemin entre l’intention et l’imprudence. Elle requiert, une violation « manifestement délibérée » de l’obligation en cause, c’est-à-dire commise volontairement, avec la conscience de méconnaître la règle en cause. « L’infraction reste cependant non intentionnelle parce que le résultat consécutif aux actes de l’agent n’est pas voulu ni même envisagé et parce que l’attitude de l’agent se limite à la violation en connaissance de cause d’une règle de sécurité ou de prudence sans qu’existe chez lui une véritable conscience de commettre une infraction » (83). 

    Cette notion est notamment utilisée pour caractériser le délit de mise en danger d’autrui ou ceux d’atteintes involontaires à l’intégrité ou la vie humaine (84) . Il existe des précédents dans lesquels une telle violation a été reconnue du fait du non-respect de la réglementation ICPE (85). 

    On peut néanmoins douter de l’opportunité d’utiliser cette notion en matière environnementale. En effet, compte tenu de la finalité de la réglementation environnementale, toute méconnaissance emporte, par voie de conséquence, un risque pour l’environnement. Et comme sont généralement en cause des professionnels, censés connaître – et respecter – la réglementation applicable, le non-respect de celle-ci est généralement fait en connaissance de cause du risque pour l’environnement.  Finalement, « la preuve d’une faute délibérée est rendue plus facile dans un domaine technique comme le droit de l’environnement en raison de l’abondance des réglementations techniques très précises que le professionnel est présumé connaître » (86). Et la frontière avec l’intention paraît alors bien mince.  

    Selon le rapport de la commission de l’aménagement du territoire du Sénat sur le projet de loi, « [u]ne atteinte est considérée comme intentionnelle si elle résulte de la violation d’une réglementation environnementale. Elle est non-intentionnelle si elle résulte par exemple du non-respect de règles générales de sécurité aboutissant à des rejets dans l’environnement » (87). Une telle distinction, toutefois, qui fait dépendre l’intention de l’objet de la règle méconnue, paraît artificielle et ne permet pas d’expliquer la différence de peines entre les deux délits. 

    On peine, dès lors, à discerner ce qui permettra de différencier, concrètement, le délit non-intentionnel de l’article L. 231-1 de l’écocide. 

    Si ce qui les distingue est la conscience de l’atteinte grave et durable à l’environnement, le délit de l’article L.231-1 devrait viser les cas de violation d’une obligation de prudence ou de sécurité, quelle qu’elle soit, sans la conscience du risque pour l’environnement (par exemple quand l’auteur est un non-professionnel, ou quand le lien de causalité entre la règle ou l’obligation violée et le risque pour l’environnement n’est pas évident). 

    Le risque est que, pour mieux la distinguer de la violation manifestement délibérée, il soit exigé une intention particulière pour caractériser l’écocide, qui pourrait aboutir à restreindre encore davantage le champ d’application de celui-ci.   

    Au final, et de manière pour le moins surprenante, la définition française du délit d’écocide apparaît, à plus d’un égard, davantage restrictive que la définition du crime d’écocide que le groupe d’experts international propose d’insérer dans le statut de la Cour pénale internationale. Outre l’incohérence d’une telle situation, le risque est élevé que l’écocide soit, en raison d’une définition inadaptée et indûment restrictive, peu ou mal (voire pas du tout) appliqué. Et que, malgré des peines significatives, la création du délit d’écocide ne s’avère aucunement dissuasive. 

    ***

    « Le génocide et le crime contre l’humanité ont marqué le XXe siècle. L’écocide est le combat du XXIe siècle » (88). Le 29 juin 2020, le président de la République, recevant la Convention citoyenne pour le climat, s’est engagé à porter le combat, au nom de la France, pour inscrire le crime d’écocide dans le droit international (89). Les occasions ne devraient pas manquer dans les prochains mois : Assemblée générale des Nations-Unies en septembre dédiée notamment à la reconnaissance du droit universel à un environnement sain, Sommet mondial pour la biodiversité à Kunming en octobre, Sommet climat en novembre à Glasgow, Assemblée des États parties au statut de la Cour pénale internationale en décembre (90). 

    Le traitement réservé à l’écocide dans la loi climat permet, toutefois, de douter des intentions françaises. En refusant de reconnaître le crime d’écocide dans son droit pénal, la France a manqué l’occasion d’être force motrice d’un mouvement qui finira par s’imposer comme inéluctable. Pire, en réduisant l’écocide à un délit obscur et inadapté, elle crée un précédent qui pourrait niveler par le bas les futures discussions au sein de l’Union européenne et à l’international. 

    Face à l’urgence environnementale, l’indolence française rend d’autant plus indispensables et salutaires le rôle des organismes internationaux et de la société civile, ainsi que des initiatives telles que la proposition de résolution du groupe Ecolo-Groen, au Parlement belge, visant à inclure le crime d’écocide à la fois dans le droit pénal belge et dans le statut de la Cour pénale internationale (91). 

    En attendant, les nouveaux délits créés par la loi climat, pour décevants qu’ils soient, ont le mérite d’exister. Il importe, à la société civile notamment, de s’en emparer, de les éprouver, d’utiliser cette arme puissante qu’est le système judiciaire pour en explorer les failles et les limites, les exploiter, les faire évoluer. Au pire, cela permettra de gagner en expertise, de mieux identifier les obstacles et d’être à même de faire des propositions crédibles de transformation du droit. Au mieux, qui sait, grâce à une démonstration rigoureuse mais néanmoins ambitieuse, de premières condamnations pourraient être obtenues (92). 

    Julia Thibord

    Avocate au Barreau de Paris

    Cabinet Vigo


    Notes

    1. Proposition de loi instituant le délit de pollution, Sénat, n° 292, seconde session ordinaire de 1977-1978, annexe au procès verbal de la séance du 6 avril 1978, exposé des motifs, pp. 2-3.
    2. Valérie Cabanes, citée in Communiqué de Presse de la Fondation Stop Ecocide, 23 novembre 2020, « Le gouvernement français trahit les demandes de la Convention Citoyenne pour le Climat en utilisant faiblement le terme ‘écocide’ ».
    3. Cf. notamment sur le sujet le podcast de l’émission C’est pas du vent, « Agent orange au Vietnam: un écocide en quête de reconnaissance », France Inter, 28 janvier 2021. 
    4. Cf. les travaux de la commission du droit international et notamment les versions du Projet de Code des crimes contre  la paix  et la sécurité de l’humanité de 1986 et 1991 : Annuaires de la Commission du droit international 1986 (volume 2, première partie, doc. A/CN.4/398, p.61) et 1991 (volume 2, deuxième partie, doc. A/46/10, p.111). Cf. aussi A. Gauger, M.P. Rabatel-Fernel, L. Kulbicki, D. Short & Polly Higgins, « Ecocide is the fifth missing crime », Human Rights Consortium, Université de Londres, 2012 (mis à jour en 2013), §§8-12. 
    5. Article 8.2(b)(iv) du statut de la Cour pénale internationale. 
    6. https://asp.icc-cpi.int/iccdocs/asp_docs/ASP18/GD.MDV.3.12.pdf; https://asp.icc-cpi.int/iccdocs/asp_docs/ASP18/GD.VAN.2.12.pdf
    7. https://asp.icc-cpi.int/iccdocs/asp_docs/ASP19/GD.BEL.14.12.pdf
    8. Résolution du Parlement européen du 20 janvier 2021 sur les droits de l’homme et la démocratie dans le monde et la politique de l’Union européenne en la matière – rapport annuel 2019 (2020/2208(INI)) ; Résolution du Parlement européen du 19 mai 2021 sur les effets du changement climatique sur les droits de l’homme et le rôle des défenseurs de l’environnement en la matière (2020/2134(INI)) ; Recommandation du Parlement européen du 9 juin 2021 à l’intention du Conseil concernant les 75e et 76e sessions de l’Assemblée générale des Nations unies (2020/2128(INI)). 
    9. Stop Ecocide Foundation, Groupe d’experts indépendants pour la définition juridique de l’écocide, Commentaire de la définition, juin 2021, disponible sur le site Internet de la fondation : https://www.stopecocide.earth/legal-definition. Le crime d’écocide y est défini comme « des actes illicites ou arbitraires commis en connaissance de la réelle probabilité que ces actes causent à l’environnement des dommages graves qui soient étendus ou durables ».
    10. « Stratégies parlementaires pour renforcer la paix et la sécurité face aux menaces et aux conflits résultant des catastrophes liées au climat et à leurs conséquences », Résolution adoptée le 27 mai 2021, disponible sur le site de l’UIP : https://www.ipu.org/fr/event/142e-assemblee-de-luip#event-sub-page-23958/
    11. Rapport fait au nom de la commission des lois du Sénat sur la proposition de loi portant reconnaissance du crime d’écocide, n°446, 10 avril 2019 ; Rapport de la commission des lois de l’Assemblée nationale sur la proposition de loi portant reconnaissance du crime d’écocide (n° 2353), 27 novembre 2019.
    12. https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Convention/ccc-rapport-final.pdf
    13. « Convention citoyenne pour le climat : la réponse de l’Elysée », Actu Editions législatives, 2 juillet 2020 ; Avis de la commission des lois du Sénat sur le projet de loi climat, 26 mai 2021, p.85 ; interview de Barbara Pompili sur France TV info, 23 novembre 2020, « Délit d’écocide: « Le glaive de la justice va s’abattre enfin sur les bandits de l’environnement » ».
    14. Étude d’impact du projet de loi climat, 10 février 2021, p.639. Cf. aussi l’interview de Barbara Pompili et Eric Dupont-Moretti, Journal du Dimanche, 21 novembre 2020 et l’interview de Barbara Pompili sur France TV info du 23 novembre 2020, « Délit d’écocide: « Le glaive de la justice va s’abattre enfin sur les bandits de l’environnement ».  
    15. Avis de la Commission des lois du Sénat sur le projet de loi climat, 26 mai 2021, p. 85.
    16. Podcast « Réfléchir l’écocide avec Valérie Cabanes », France Inter, 15 juillet 2020. 
    17.     https://preprod.notreaffaireatous.org/wp-content/uploads/2019/11/Chevron-c.-Equateur.pdf. Cf. aussi Marie Toussaint, « L’écocide : vers une reconnaissance internationale », Les Possibles, n° 25, Automne 2020, p.6
    18. Le nombre des défendeurs a ultérieurement été réduit à 13. Cf. Bernard Haftel, « Affaire de « l’agent orange » : les juges français peuvent-ils juger des sociétés commerciales étrangères pour écocide de guerre ? » Recueil Dalloz 2021 p. 1549.
    19. Cf.https://ecocidelaw.com/existing-ecocide-laws/. Sur l’écocide en droit russe, cf. Nadine Marie-Schwartzenberg in Antonio Cassese et al., Juridictions nationales et crimes internationaux, PUF, 2002, chapitre 8, p.267.
    20. Edouard Delattre, « Il faut reconnaître le crime d’écocide », Tribune, Libération, 29 juin 2020. 
    21. Marie Toussaint, « L’écocide : vers une reconnaissance internationale », Les Possibles, n° 25, Automne 2020, p.6. 
    22. https://preprod.notreaffaireatous.org/decryptage-sur-lecocide-et-la-reforme-de-la-constitution-portees-par-la-convention-citoyenne-pour-le-climat/
    23. Interview sur France TV info, 23 novembre 2020. 
    24. Valérie Cabanes, citant le philosophe Dominique Bourg, in Podcast « Réfléchir l’écocide avec Valérie Cabanes », France Inter, 15 juillet 2020.
    25. « Vivre et mourir avec le risque industriel. Bhopal, l’infinie catastrophe », Le Monde diplomatique, décembre 2004. 
    26. Amnesty International, « Une vérité toxique. A propos de Trafigura, du Probo Koala et du déversement de déchets toxiques en Côte d’Ivoire, AFR 31/002/2012, Septembre 2012.
    27. https://www.rtbf.be/tendance/green/detail_le-combat-de-l-avocat-pablo-fajardo-contre-une-compagnie-petroliere-d-equateur?id=10187906, cité in M. Toussaint, op.cit. 
    28. Chambre des représentants de Belgique, proposition de résolution visant à inclure le crime d’écocide dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale et le droit pénal belge, n° 1429/001, 8 juillet 2020, p.6.
    29. Marie Toussaint, « L’écocide : vers une reconnaissance internationale », Les Possibles, n° 25, Automne 2020, p.3. 
    30. https://fr.monsantotribunal.org/upload/asset_cache/180671266.pdf
    31. https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/03/28/au-mozambique-beira-premiere-ville-au-monde-detruite-par-les-changements-climatiques_5442723_3212.html
    32. Communiqué de presse du 9 août 2021, https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2021/08/IPCC_WGI-AR6-Press-Release_fr.pdf
    33. Marie Toussaint, « L’écocide : vers une reconnaissance internationale », Les Possibles, n° 25, Automne 2020, p.3. 
    34. https://www.lefigaro.fr/sciences/la-pollution-de-l-air-provoquerait-pres-de-100-000-morts-prematurees-par-an-en-france-20210209
    35. https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/12/12/il-y-a-vingt-ans-le-naufrage-du-petrolier-erika-provoquait-la-catastrophe_6022671_3244.html
    36. https://la1ere.francetvinfo.fr/chlordecone-scandale-etat-grand-dossier-836440.html
    37. « Le scandale du chlordécone n’est pas un accident, c’est un crime hors norme », Le Monde, 28 mars 2021.
    38. TA Paris, 3 février 2021, requêtes n° 1904967, 1904968, 1904972, 1904976/4-1.
    39. CEDH, Mahmut Kaya c. Turquie, Requête n° 22535/93, 28 mars 2000, §85.
    40. « Délit d’écocide : les faux-semblants de la pénalisation du « banditisme environnemental » Tribune, Le Monde, 2 décembre 2020. 
    41. Avis de la Commission des lois du Sénat sur le projet de loi climat, 26 mai 2021, p.10. Le terme d’écocide, supprimé par le Sénat en première lecture, a été réintroduit lors de l’examen en commission mixte paritaire.
    42. Citée in Sébastien Mabile & Emmanuel Tordjman, « Le droit pénal de l’environnement à la croisée des chemins », La Semaine du droit – Edition générale, n° 47, 16 novembre 2020, p. 1293. 
    43. https://preprod.notreaffaireatous.org/decryptage-sur-lecocide-et-la-reforme-de-la-constitution-portees-par-la-convention-citoyenne-pour-le-climat/
    44. « 35 propositions pour mieux sanctionner les crimes contre l’environnement », op.cit., pp. 26 et s.   
    45. Interview de Barbara Pompili sur France TV info, le 23 novembre 2020. Cf. aussi l’interview de Barbara Pompili et Eric Dupont-Moretti, Journal du Dimanche, 21 novembre 2020.
    46. Cf. Rapport fait au nom de la commission des lois du Sénat sur la proposition de loi portant reconnaissance du crime d’écocide, n°446, 10 avril 2019, p.15 ; Interview de Barbara Pompili et Eric Dupont-Moretti, Journal du Dimanche, 21 novembre 2020 ; Étude d’impact du projet de loi climat, 10 février 2021, p.639.
    47. Articles 111-2 et 111-3 du code pénal ; article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme ; article 49 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ; article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et article 34 de la Constitution. 
    48. Décision n°80-127 DC du 20 janvier 1981, Loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes, §7. Pour une application récente : Décision n° 2021-817 DC du 20 mai 2021, Loi pour une sécurité globale préservant les libertés, §163 (censurant, pour manque de précision, le délit de provocation à l’identification d’un agent de police).
    49. Cf. Étude d’impact du projet de loi climat, pp. 625 et s. ; Rapport fait au nom de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi climat, n° 3995, 19 mars 2021, pp. 465-468 ; Rapport fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire du Sénat, n° 666, 2 juin 2021, pp. 249-253. 
    50. D. Chilstein, « L’efficacité du droit pénal de l’environnement », in L’efficacité du droit de l’environnement, Paris, Dalloz, 2010, p. 72, cité in Isabelle Fouchard & Laurent Neyret, « 35 propositions pour mieux sanctionner les crimes contre l’environnement », Rapport remis à la garde des sceaux le 11 février 2015, p.14.
    51. Marie-Odile Bertella-Geffroy, « L’ineffectivité du droit pénal dans les domaines de la sécurité sanitaire et des atteintes à l’environnement », Environnement n° 11, Novembre 2002, chron. 19 ; « 35 propositions pour mieux sanctionner les crimes contre l’environnement », op.cit., pp.14 et s. ;  Juliette Tricot, « Les infractions environnementales face au renouvellement des stratégies et techniques d’incrimination », Revue Energie Environnement Infrastructures n°12, décembre 2017 ; Sébastien Mabile & Emmanuel Tordjman, « Le droit pénal de l’environnement à la croisée des chemins », La Semaine du droit – Edition générale, n° 47, 16 novembre 2020.
    52. Code de l’environnement, article L. 216-6.
    53. Code de l’environnement, articles L.218-10 à L.218-25 (rejets polluants des navires), L.218-34 (pollution due aux opérations d’exploration ou d’exploitation du fond de la mer ou de son sous-sol), L.218-48 (pollution par immersion de déchets) et L. 218-64 (pollution par incinération en mer).
    54. Code de l’environnement, articles L. 218-12 et L. 218-13.
    55. Code de l’environnement, article L. 218-14.
    56. Code de l’environnement, articles L. 173-1, I et II et L. 173-2 .
    57. Code de l’environnement, article L.173-3. 
    58. Code de l’environnement, article L.173-1, III. 
    59. Code de l’environnement, article L. 541-46.
    60. Code de l’environnement, articles L. 521-21,9°  et L.226-9.
    61. Code pénal, articles 421-2 et 421-4.
    62. Jean-Yves Maréchal, « Elément moral de l’infraction », JurisClasseur Pénal Code, art.121-3, fasc.20, §71 et §86. 
    63. Code de l’environnement, article L. 231-1, deuxième alinéa : « Le premier alinéa du présent article ne s’applique : 1° S’agissant des émissions dans l’air, qu’en cas de dépassement des valeurs limites d’émission fixées par décision de l’autorité administrative compétente ; 2° S’agissant des opérations de rejet autorisées et de l’utilisation de substances autorisées, qu’en cas de non-respect des prescriptions fixées par l’autorité administrative compétente. » 
    64. V. sur cette question Jean-Nicolas Citti & Manuel Pennaforte, « Les délits environnementaux prévus par le projet de loi Climat », Actu Editions législatives, 26 avril 2021.
    65. La Cour de cassation a récemment jugé que les incriminations des articles L.216-6 et L.432-2 n’étaient pas exclusives l’une de l’autre,  la seconde tendant à la protection spécifique du poisson exclue par la première : Cass. crim., 16 avr. 2019, n° 18-84.073. Commentaire de Jacques-Henri Robert, Droit pénal n° 6, Juin 2019, comm. 109.  
    66. Juliette Tricot, « Les infractions environnementales face au renouvellement des stratégies et techniques d’incrimination », Revue Energie Environnement Infrastructures n°12, décembre 2017, 31, p. 3.
    67. https://preprod.notreaffaireatous.org/decryptage-sur-lecocide-et-la-reforme-de-la-constitution-portees-par-la-convention-citoyenne-pour-le-climat/
    68. Code de l’environnement, article L. 541-4-1. 
    69. Notre Affaire à Tous, « Analyse des dispositions du titre VI du projet de loi climat et résilience », https://preprod.notreaffaireatous.org/wp-content/uploads/2021/04/PJL-LOI-CLIMAT-De%CC%81cryptage-e%CC%81cocide-V4.docx-1-1-1.pdf
    70. Étude d’impact du projet de loi climat, p. 640. 
    71. Cf. par ex. Isabelle Foucard & Laurent Neyret, « 35 propositions pour mieux sanctionner les crimes contre l’environnement », 2015, p.35.
    72. Cf. le site de la fondation Stop Ecocide pour un panorama des différentes propositions de définitions https://ecocidelaw.com/selected-previous-drafts/. V. également les propositions de loi précitées examinées par l’Assemblée nationale (« dommages étendus, irréversibles et irréparables ») et le Sénat (« atteinte grave et durable ») en 2019 ainsi que le rapport remis à la garde des sceaux en 2015, qui préconise de subordonner l’écocide  à un dommage « particulièrement grave », c’est-à-dire « soit à la réalisation d’une dégradation étendue, durable et grave des équilibres écologiques, soit à la mort, des infirmités graves ou des maladies incurables graves à une population, soit à la dépossession durable de certaines populations de leurs territoires ou ressources » (« 35 propositions pour mieux sanctionner les crimes contre l’environnement »,op.cit, p.31). Enfin, pour un panorama des définitions existantes en droit interne :  https://ecocidelaw.com/existing-ecocide-laws/ 
    73. Le texte précise  : par « étendu », on entend que les dommages s’étendent au-delà d’une zone géographique limitée, qu’ils traversent des frontières nationales, ou qu’ils touchent un écosystème entier ou une espèce entière ou un nombre important d’êtres humains ; par « durable », on entend que les dommages sont irréversibles ou qu’ils ne peuvent être corrigés par régénération naturelle dans un délai raisonnable.
    74. Rapport fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire du Sénat, n° 666, 2 juin 2021, p. 255.
    75. Ibid.
    76. Corinne Lepage, « Le délit d’écocide : une « avancée » qui ne répond que très partiellement au droit européen », Dalloz Actualité, 17 février 2021 (sur la durée de 10 ans exigée par le projet de loi initial). 
    77. Propos de l’ancien conseiller à la Cour de cassation Thierry Fossier cités in Sébastien Mabile & Emmanuel Tordjman, « Le droit pénal de l’environnement à la croisée des chemins », La Semaine du droit – Edition générale, n° 47, 16 novembre 2020, §33. 
    78. Jean-Yves Maréchal, « Elément moral de l’infraction », JurisClasseur Pénal Code, art.121-3, fasc.20, §34. Cf. aussi Patricia Savin, « Contentieux répressif des installations classées », JurisClasseur Environnement et Développement durable, fasc. unique, §§160 et s. Pour des illustrations en matière environnementale : Cass.crim., 2 oct. 2007, n° 07-81.194 et Cass. crim., 16 juin 2009, n° 08-87.911 (infractions à la législation ICPE); Cass. crim., 22 mars 2016, n° 15-84.949 et  Cass. crim., 22 mars 2016, n° 15-84.950 (article L.173-1 du code de l’environnement).
    79. Jacques-Henri Robert, « L’élément moral des infractions contre l’environnement », RSC 1995, p.356.
    80. Cf. notamment l’analyse d’Isabelle Foucard et Laurent Neyret, qui préconisent de limiter le crime d’écocide aux seuls actes intentionnels in « 35 propositions pour mieux sanctionner les crimes contre l’environnement », op.cit., p.40. Voir a contrario, Valérie Cabanes, « Reconnaître le crime d’écocide », C.E.R.A.S., Revue projet, 2016/4, n°° 353, p.72 : « lever l’exigence d’une intention pour qualifier ce type de crime permettrait d’imposer par le droit pénal le principe de précaution énoncé à l’article 15 de la Déclaration de Rio, avec une obligation de vigilance environnementale et sanitaire à l’échelle globale ».  
    81. Dans sa version initiale, le projet de loi précisait d’ailleurs que l’écocide était commis « en ayant connaissance du caractère grave et durable des dommages (…) susceptibles d’être induits par les faits » (Article 68 du projet de loi déposé le 21 février 2021).  Mais la rédaction de l’ensemble du texte, qui aboutissait à des peines différentes pour des faits identiques, a été critiquée par le Conseil d’État comme contraire au principe d’égalité, et modifiée par le Sénat en première lecture, supprimant notamment cette précision concernant l’intention. Le Conseil d’État a, à cette occasion, rappelé que « la connaissance du risque d’atteinte à l’environnement à raison du non-respect de cette réglementation est déjà incluse dans les éléments constitutifs de ces infractions, au titre du dol général » : Avis sur un projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et ses effets, 10 février 2021, §77.
    82. Cf. aussi « 35 propositions pour mieux sanctionner les crimes contre l’environnement », op.cit., p.40, préconisant « une définition adaptée de l’intention, qui serait caractérisée lorsque l’auteur savait ou aurait dû savoir qu’il existait une haute probabilité que [ses actes] portent atteinte à la sûreté de la planète ». 
    83. Jean-Yves Maréchal, « Elément moral de l’infraction », Jurisclasseur pénal code, art.121-3, fasc.20, §86. 
    84. Articles 221-6 (homicide involontaire), 222-19 et s. (violences involontaires) et 223-1 (mise en danger de la vie d’autrui) du code pénal. Cf. aussi article 121-4 du code pénal en matière de responsabilité indirecte. 
    85. Cass. Crim., 22 Novembre 2005, n° 05-80.282 (homicide involontaire résultant de la violation d’un arrêté de mise en demeure) ; Cass. Crim., 16 Octobre 2012, n° 11-87.369 (mise en danger d’autrui résultant du défaut de déclaration d’une ICPE, en violation de l’article L. 512-8 du Code de l’environnement et de l’article 8 de l’arrêté préfectoral du 20 août 2000) ; Cass crim., 11 juill. 2017, n° 11-83.864, 14-86.985, Sté Noroxo et M.X (non-respect des prescriptions de l’arrêté préfectoral d’autorisation) ; CA Paris, 11 oct. 2019, n°18-04919, incinérateur de Vaux le Pénil (mise en danger d’autrui résultant du non-respect des taux de rejets dans l’atmosphère, en violation de mises en demeure), commenté in Corinne Lepage, Benoit Denis & Valérie Saintaman, « Condamnation pénale pour mise en danger des populations exposées aux dioxines d’un incinérateur », Énergie – Environnement – Infrastructures n° 12, Décembre 2019, comm. 60. 
    86. « 35 propositions pour mieux sanctionner les crimes contre l’environnement », op.cit., p. 38.
    87. Rapport fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire du Sénat, n° 666, 2 juin 2021, p.269.
    88. Christophe Bouillon, rapporteur et auteur de la proposition de loi portant reconnaissance du crime d’écocide, Rapport de la commission des lois de l’Assemblée nationale sur la proposition de loi portant reconnaissance du crime d’écocide (n° 2353), 27 novembre 2019, p.37.
    89. « Le gouvernement transforme l’écocide en délit environnemental », Le Monde, 24 novembre 2020. Cf. aussi Emmanuel Macron sur Twitter 29 juin 2020.
    90. Cecilia Rinaudo, « Définition internationale de l’écocide : une proposition solide qui impose à la France d’agir », communiqué de presse Notre Affaire à Tous, 22 juin 2021.
    91. Chambre des représentants de Belgique, Proposition de résolution visant à inclure le crime d’écocide dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale et le droit pénal belge, n° 1429/001, 8 juillet 2020. 
    92. Sur l’utilisation du système judiciaire pour faire évoluer le droit, cf. Frédéric Amiel et Marie-Laure Guislain, « Le néo-libéralisme va-t-il mourir ? », Les Editions de l’Atelier, 2020.