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  • Le One Forest Summit c’est notre affaire à tous ! (2/3)

    Écrit par Hilème KOMBILA (Avocate-Présidente de NAAT-Lyon)

    Un rendez-vous manqué pour les droits des peuples autochtones

    C’est à Libreville qu’a été lancé hier le One Forest Summit, sommet de haut niveau sur la protection des forêts tropicales. A l’origine, il était prévu de réunir les représentants des trois principaux bassins forestiers de la planète, mais ce menu a été “allégé” par les organisateurs. 

    C’est au palais présidentiel qu’a eu lieu la rencontre entre les chefs d’État pour la seconde journée du sommet. Toutefois, cette rencontre gouvernementale est marquée par trois absences de taille. Les présidents de la RDC, Félix Tshisekedi, et du Brésil, Luiz Inácio Lula da Silva ne sont pas présents alors que leurs deux pays possèdent le plus de forêts tropicales au monde. L’autre absent est évidemment le peuple qui n’est pas convié à la table des négociations, mais pourra suivre des conférences diffusées sur une chaîne nationale, s’il dispose d’une télévision.   

    Trois axes principaux sont abordés lors des deux journées du sommet et concentrent la réflexion des décideurs politiques. D’abord le manque de connaissance scientifique sur les forêts tropicales. L’idée est de financer des programmes scientifiques qui permettront d’établir des marqueurs et des modélisations de la forêt pour voir son évolution face aux changements climatiques. Ensuite, il s’agit de réfléchir à la mise en place d’une chaîne de valeur durable pour pouvoir vendre plus cher les produits responsables issus des arbres tels que le bois ou le cacao. Enfin et surtout, la question de la rémunération de la protection des forêts tropicales est posée. 

    Combien rapporte et coûte le fait de préserver sa forêt primaire, 3, 5 ou 50 dollars la tonne de CO2? Nous le saurons peut-être à l’issue des débats… En attendant la fin du marchandage, on peut s’interroger sur le choix de la valeur économique et financière de la forêt tropicale comme levier pour assurer sa protection. 

    Le risque d’une préservation de la forêt équatoriale au prix de la valeur humaine

    La quantité de valeur matérielle générée par les produits et services rendus par la forêt doit-elle prévaloir sur la qualité de la valeur humaine? 

    Cette question se pose, notamment quand on voit, parmi d’éminentes personnalités conviées au One Forest Summit,  la présence du WWF comme organisateur de plusieurs événements. En effet, cette organisation est au cœur d’une affaire qui a conduit ses détracteurs à en faire l’exemple d’un “colonialisme vert ». 

    Comme l’indique le journal Le Monde, en janvier 2017, l’ONG Survival International avait porté plainte auprès de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) contre le WWF pour complicité d’abus contre des Pygmées au Cameroun. En avril 2020, l’Union européenne (UE) a décidé de suspendre une partie de ses financements au Fonds mondial pour la nature (WWF), en raison de manquements au respect des droits humains dans le projet de création de l’aire protégée de Messok Dja, au Congo-Brazzaville. 

    Comme le précise le journal : “Cette région abrite de vastes étendues de forêts quasi intactes qui se prolongent au Cameroun et au Gabon, constituant un des derniers sanctuaires pour les éléphants de forêts et les grands singes. A ce titre, elle mobilise depuis longtemps, à travers le projet Tridom, l’attention et l’argent des grands bailleurs de fonds engagés dans la protection des écosystèmes d’Afrique centrale. Une mosaïque d’aires protégées, dont certaines chevauchent les frontières, sanctuarise plusieurs dizaines de milliers de kilomètres carrés. De grandes ONG internationales, à l’instar du WWF, en assurent la gestion en appui aux gouvernements locaux, dont les moyens humains et financiers s’avèrent insuffisants pour faire face à la pression du braconnage de l’ivoire et de la viande de brousse” (source : Le Monde).

    Peuple de chasseurs-cueilleurs, les Pygmées vivent dans les forêts tropicales du bassin du fleuve Congo depuis les temps les plus anciens. Il sont porteurs d’un savoir inestimable relatif aux ressources forestières et à la biodiversité. Ils connaissent les secrets des plantes médicinales qu’ils partagent avec les ethnies locales, en échange de leur protection, depuis des générations. Au Gabon, par exemple, on raconte qu’ils ont ainsi transmis l’Iboga aux Grands Maîtres du Bwiti, permettant ainsi l’initiation et la guérison de milliers de personnes. 

    Le rapport de l’ONG Survival International recensait plus de 200 cas de violations des droits de l’homme, dans trois pays du bassin du Congo, à l’encontre de deux tribus autochtones pygmées: les Baka et les Bayaka. Des gardes forestiers financés par le Fonds mondial pour la nature avaient été accusés de violations des droits de l’homme “systématiques et généralisées” envers les pygmées au Cameroun, en République démocratique du Congo et en Centrafrique. Selon l’ONG, à l’époque des faits, les Pygmées sont “illégalement expulsés de leurs terres ancestrales au nom de la conservation de l’environnement (…) Alors qu’ils chassent à l’intérieur et à l’extérieur de ces zones pour nourrir leurs familles, les Baka et les Bayaka sont accusés de braconnage. Avec leurs voisins, ils font face à toutes sortes de harcèlements, sont frappés, torturés et tués » (source AFP septembre 2017).

    En août 2019, des représentants des Baka avaient expliqué à la Commission européenne que depuis de nombreuses années, les écogardes financés par le WWF leur interdisaient de chasser pour nourrir leurs familles ou d’entrer dans la forêt. Les limites du parc auraient ainsi été instaurées sans le consentement préalable des peuples autochtones. Une plainte a également été déposée auprès du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) par six communautés Baka.

    Pourtant, le projet de parc tel qu’il fut pensé en 2017 impliquait “la conservation et la gestion participative de l’aire protégée de Messok Dja et de sa périphérie”.  Cette gestion “participative” implique le “consentement libre, informé et préalable” des populations pygmées, comme l’indique le contrat liant l’UE et le WWF.

    Malheureusement, la référence formelle à une règle issue de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones n’est pas suffisante pour garantir l’effectivité de leurs droits fondamentaux. La lutte contre la spoliation de terres ou de ressources naturelles doit passer par le contrôle d’une entité indépendante et impartiale. Dans notre cas, suite aux allégations de mauvais traitements, l’UE a mandaté sur le terrain l’Observatoire congolais des droits de l’homme (OCDH) qui a reconnu “des failles” dans le processus de consultation. Du côté du PNUD, qui finançait aussi le projet, les conclusions de l’audit mené par le bureau indépendant chargé du respect des normes sociales et environnementales confirment un ”manque de compréhension” des modalités indispensables à un processus de consentement préalable.

    Le recours à la coutume traditionnelle pour fonder l’exploitation des ressources naturelles participe à un processus de reconnaissance d’un peuple « constituant » ou autonome au sein de l’État. L’accord contractuel est le prétexte à l’expression de rites et de mythes qui font exister le peuple autour d’une identité commune. Par exemple, en 2002 en Nouvelle-Calédonie, les Kanaks, partagés entre l’opposition et le soutien à l’ouverture d’une mine de nickel, se tournèrent vers une procédure coutumière pour aboutir à une position commune de toutes les tribus. L’opposition à la mine fut décidée par un comité Rhéébu Nùù à l’issue de la procédure du « chemin de paille ». Alors que les autorités compétentes étaient favorables au projet, les Kanaks plantèrent à l’emplacement de la future mine un bois tabou, équivalent kanak du moratoire. 

    La cérémonie du bois tabou s’achèvera en 2005 par la rédaction d’une véritable déclaration des droits ayant une nature constituante. La Déclaration solennelle du peuple autochtone kanak, présentée au 1er Congrès mondial des autochtones francophones en 2006, affirme le droit des autochtones mélanésiens sur l’espace et le patrimoine naturel de Kanaky-Nouvelle-Calédonie. En 2008, un pacte pour un développement durable du Grand Sud succède à une période d’affrontements entre la tribu et la direction de l’usine de Goro. En 2014, la multinationale chargée de la mine fut considérée comme responsable d’une fuite d’acide dans la baie de Prony. Cette catastrophe écologique a renouvelé la réflexion sur les impacts environnementaux de l’exploitation minière. La protection de l’environnement, et en particulier la lutte contre le changement climatique, peuvent donc être appréhendées par le biais des droits de l’homme, et notamment ceux liés à la tradition coutumière des peuples autochtones. 

    L’utilisation de la coutume et de la tradition, afin de résoudre un conflit en matière d’exploitation des ressources naturelles, se retrouve au niveau des instances internationales compétentes en matière de propriété intellectuelle. Par exemple, l’Office européen des brevets (OEB) peut remettre en cause les pratiques de développement et de valorisation des innovations obtenues grâce à la coopération des populations autochtones et locales et l’utilisation de leurs savoirs. Selon l’OEB, les inventeurs doivent découvrir une invention nouvelle et faire preuve d’une activité inventive suffisante étant donné les connaissances autochtones à leur disposition. 

    A propos des Pygmées du Gabon, nous pourrions rentrer dans le débat du partage des ressources de la forêt tropicale au profit des peuples autochtones. Ce débat pourrait conduire à s’interroger, par exemple, sur le partage des richesses issues de la propriété intellectuelle de l’Ibogaïne, molécule développée en laboratoire, alors que l’Iboga ou “bois sacré” a été déclaré patrimoine national face à la recrudescence des trafics. 

    Mais ce qui nous intéresse aujourd’hui se trouve dans un ailleurs à la monétisation des ressources forestières : la valeur humaine. 

    Dans le cas des Pygmées, il aurait sans doute été pertinent de systématiser les discussions coutumières et les évaluations préventives afin d’éviter le drame du parc de Messok Djale. Cet exemple tragique de violation des droits fondamentaux au profit de la valorisation de la forêt équatoriale doit permettre de comprendre l’importance non seulement des droits proclamés mais aussi celle de l’élaboration de la norme, des voies de recours, des autorités de contrôle et de la sanction. Les droits d’une personne ou d’un peuple n’existent pas réellement sans des règles et des institutions qui en assurent l’effectivité. 

    Espérons que la valorisation économique et financière de la forêt équatoriale, sans penser et assurer le respect des droits fondamentaux, ne conduira pas à la dévalorisation de l’humain… 

    L’espoir fait vivre notamment quand on apprend que les éco-gardes du Gabon ont entamé hier une grève illimitée. Acteurs incontournables dans la protection et la gestion des parcs nationaux, ils demandent une revalorisation des salaires et de moyens pour assurer leurs missions. Pendant que l’enjeu du One Forest Summit est justement la préservation de la vie sur terre, l’absence de représentation des Pygmées du bassin du Congo ou de prise en compte des droits économiques et sociaux des éco-gardes gabonais est malheureusement symptomatique. Dans la course au verdissement de l’économie et de la finance mondiale, le manque de considération des droits fondamentaux des peuples dans le débat est problématique. 

    Hasard de calendrier, difficultés logistiques ou volonté politique de se dissocier du “business summit” préélectoral, l’absence de Luiz Inácio Lula da Silva est regrettable. Sa présence ou celle des représentants des peuples autochtones brésiliens, notamment ceux de l’Amazonie, plus grand bassin forestier de la planète, aurait permis d’illustrer l’importance de la prise en compte des peuples autochtones dans la démarche de valorisation de la forêt. 

    Le Brésil a par exemple adopté le 20 mai 2015 une loi mettant en œuvre le Protocole de Nagoya signé en 2010 dans le cadre de la Convention sur la diversité biologique. Ce texte présente les conditions d’accès aux ressources génétiques ainsi que les modalités de partage des avantages applicables à l’ensemble des parties opérant sur le territoire brésilien. L’idée est de garantir la protection des ressources et des savoirs traditionnels grâce à un système juridique sui generis qui permet d’assurer la reconnaissance et le renforcement des normes de droit coutumier. Le droit qui réglemente l’accès aux ressources génétiques et savoirs traditionnels, prend directement en compte les peuples. Quand l’accès sollicité concerne des ressources et savoirs de ces derniers, il est subordonné à deux conditions. D’abord, un accord du Conseil de gestion du patrimoine génétique (CGEN) et des communautés autochtones est nécessaire. Ensuite, en cas de perspective commerciale, un contrat doit être conclu avec elles, afin d’organiser la répartition des bénéfices.

    De tels mécanismes pourraient inspirer les décideurs au niveau du bassin forestier du Congo, notamment dans une perspective d’internationalisation de la démarche de préservation des forêts tropicales. Il nous semble donc important de combler les lacunes du One Forest Summit et de prendre appui sur l’exemple brésilien afin de comprendre l’importance de la vision des peuples autochtones dans le débat relatif à cette préservation. 

    Le défi de la garantie et de l’effectivité du droit des peuples autochtones à travers l’exemple brésilien

    Rappelons que le plus grand bassin forestier de la planète se trouve en Amazonie. En effet, cette forêt tropicale repose sur le bassin hydrographique de l’Amazonas d’une superficie d’environ 5 846 100 km². Le fleuve Amazonas, le plus grand et le plus étendu au monde, compte ainsi plus de 1100 affluents. 

    Source https://journals.openedition.org/confins/12568?lang=pt

    Comme l’indique Priscila Fischer, “pour vous donner une idée, c’est environ 140 km de plus que le Nil en longueur, une différence qui équivaut à la distance entre Paris et Reims ”. Cette journaliste et productrice brésilienne, spécialiste des peuples autochtones considère que “l’Amazonie attire l’attention internationale pour sa grandeur, mais au Brésil, nous avons également d’autres biomes tropicaux également touchés ou dans une situation pire que l’Amazonie. Et dans ces biomes vivent aussi des peuples autochtones”.

    Elle explique qu’au Brésil, il existe six biomes : Amazone, Caatinga, Forêt Atlantique, Pantanal, Pampa et Cerrado. Les peuples autochtones sont présents dans chacun d’eux et pâtissent pareillement du “processus de dévastation et de destruction encouragé par l’action de développement de l’Etat, des entreprises et la cupidité des agriculteurs, des bûcherons ou des mineurs”.

    En quelques chiffres, elle nous indique que le biome amazonien est le plus grand biome du Brésil, avec une superficie de 4 196 943 km2 soit 49,29% du territoire national. Il couvre les États d’Amazonas, Roraima, Amapá, Pará, Rondônia, Acre, Mato Grosso et Maranhão. Il compte plus de 2 500 espèces d’arbres et 30 000 espèces de végétaux. Plus de 180  peuples autochtones vivent en Amazonie, en plus d’environ une centaine de groupes isolés.

    Aujourd’hui, 305 peuples autochtones vivent au Brésil, avec un population de près de 900 000 personnes, qui parlent 274 langues différentes. Sur les 1 113 terres autochtones reconnues, en cours de reconnaissance par l’État brésilien ou revendiquées par les collectivités, jusqu’en décembre 2016, seulement 398, soit 35,75% voyaient leurs démarches de reconnaissance administrative aboutir, c’est-à-dire qu’ils avaient été enregistrés par le syndicat. Selon Priscila Fischer, cette situation n’a pas beaucoup changé jusqu’en 2022.

    Pourquoi un tel retard alors qu’il existe une reconnaissance du droits des peuples autochtones en droit international?

    Les droits des peuples autochtones furent, pour la première fois, consacrés dans la convention de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) n° 107 de 1957 relative aux populations aborigènes et tribales [1], révisée et devenue en 1989 la convention n° 169 relative aux peuples indigènes et tribaux [2]. Les deux textes sont centrés sur les questions de non-discrimination et d’autodétermination des droits territoriaux [3]. La préoccupation culturelle n’apparaît que dans le second. Les parties s’engagent à respecter l’importance spéciale que revêt pour la culture et les valeurs spirituelles le lien à la terre. 

    17 ans plus tard, le 29 juin 2006, le Conseil des droits de l’homme adopte la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones » qui sera entérinée par l’Assemblée générale de l’ONU [4]. Cette reconnaissance internationale était en germe dès 1993 dans la Déclaration de Mataatua issue de la conférence sur les droits de propriété intellectuelle et culturelle des peuples autochtones [5] et en 1994 dans le projet de Déclaration sur les droits des peuples autochtones[6]. Toutefois, c’est la Déclaration de 2007 qui établit les droits individuels et collectifs des peuples autochtones, notamment ceux ayant trait à la culture. Il est intéressant de constater que la culture a permis aux droits des peuples autochtones d’être reconnus au niveau international au point de devenir un moyen de protection de leur environnement[7]. 

    La Convention 169 de l’OIT prévoit la protection religieuse et toutes ses valeurs, des peuples des minorités culturelles et raciales. L’article 8 de la Déclaration des Nations Unies sur le droit des peuples autochtones dispose quant à lui que  :

    1- Les peuples et les personnes autochtones ont le droit de ne pas subir l’assimilation forcée ou la destruction de leur culture.

    2- Les Etats mettent en place des mécanismes efficaces de prévention et d’indemnisation :

    1. tout acte qui a pour objet ou pour effet de priver les peuples autochtones de leur intégrité en tant que peuples différents ou de leurs valeurs culturelles ou de leur identité ethnique ;

    2. tout acte ayant pour objet ou conséquence de les priver de leurs terres, territoires ou ressources ;

    3. toute forme de transfert forcé de population ayant pour objet ou conséquence la violation ou la privation de l’un quelconque de ses droits 

    Au niveau national, sur la base d’une lecture combinée de la Déclaration des Nations Unies,  de la Constitution Fédérale Brésilienne (articles 215 et 231) et du décret d’application de la Convention 169 (décret nº 5.051 du 19.04.2004), Priscila Fisher constate que:

    “La liste de droits imposés par les règles nationales a une triple nature juridique. Le premier caractère qui se vérifie est indemnitaire, réparateur et compensatoire. C’est-à-dire que l’État établi dans cette partie de l’Amérique (le Brésil) a assumé le fardeau ou la dette pour les dommages causés aux êtres humains par ces différentes cultures d’origine lorsqu’il s’est établi ici. Il serait inutile d’énumérer les dégâts, mais il faut dire et rappeler que les plus grands dégâts subis ont été l’esclavage, l’extermination de plus de 1 000 peuples de cultures différentes (langues, savoirs et savoirs différents) et l’assimilation imposante de la culture anthropophage qui impliquait ces différents êtres humains. La deuxième nature juridique que l’on peut voir dans les droits de ces êtres humains issus des cultures d’origine est celle de la différence culturelle, c’est-à-dire que ces droits sont exposés en raison de cette différence culturelle. Ce sont des peuples qui ont des connaissances diverses allant de la cosmologie à l’ethno-médecine et, par conséquent, ces droits sont nés de la différenciation culturelle. La troisième nature de ces droits est celle d’origine, c’est-à-dire qui est née avant. Ce droit est antérieur à l’État qui s’est installé ici [dans cette partie de l’Amérique]”.

    Avec un cadre juridique si développé sur le plan externe et interne, seul un défaut institutionnel semble pouvoir freiner la reconnaissance effective du droit des peuples autochtones au Brésil. En effet, seule une volonté politique forte permet d’asseoir les outils de protection des droits fondamentaux au niveau national. 

    A ce titre, comme l’indique le Professeur Fidèle Kombila-Ibouanga, concernant le contrôle du respect des droits de l’homme dans les Etats africains subsahariens : 

    “il ne faut pas faire de fétichisme et considérer que seul le droit international est en mesure de tout régler, car même si les droits de l’homme sont devenus une des composantes importante des relations internationales contemporaines le droit international est secondaire au plan de la protection interne. Le respect des droits de l’homme passe par le respect du droit national”[8]. 

    Au Brésil, menacé par l’orpaillage illégal et la déforestation, le peuple Yanomami pourrait par exemple tout simplement disparaître sans l’intervention assumée du président Lula afin de garantir l’application du droit national. Comme l’indique Jean-Francis Poulet, “Comme tous les territoires amazoniens, celui des Yamonami sort détruit des années Bolsonaro. Contre l’orpaillage illégal qui meurtrit la nature et les peuples autochtones, le gouvernement de Lula agit enfin, mais la tâche demeure immense. (…) Avec Lula l’espoir renaît”.

    Cuiaba,MT,Brazil – Abril 19, 2013: Portrait of a Brazilian indigenous man while watching other tribes perform sports during the celebration of the indigenous day.

    Cet anthropologue et traducteur indique que “le nouveau gouvernement semble avoir pris la mesure de la gravité de la situation. Une opération de grande envergure a été initiée pour apporter une assistance sanitaire et expulser les orpailleurs. L’armée a désormais l’autorisation d’abattre les avions d’orpailleurs qui survolent le territoire Yanomami. C’est un changement radical de politique qui semble porter ses fruits puisqu’ils ont commencé à quitter en masse la région. Il reste encore à s’assurer de ne pas simplement déplacer le problème vers d’autres territoires protégés. On le voit, la tâche est immense”.

    Lire cet article.

    Le silence des peuples autochtones africains et américains est le reflet de l’absence de rencontre entre deux conceptions du monde et de la nature.

    La première qualifie la nature d’objet au service des êtres humains. Selon cette perspective anthropocentrique, la nature est une marchandise soumise aux échanges et la société organise le droit de propriété au sein de l’ordre juridique. La seconde conception est celle d’une nature conçue comme un sujet. Cette perspective éco-centrique fait de la Terre un ensemble vivant qui a une valeur en elle-même, indépendamment de toute utilité pour l’homme. Cette seconde conception se retrouve dans les civilisations ancestrales d’Amérique, d’Afrique, d’Asie ou d’Océanie. 

    Entre ces deux orientations, une tension fondamentale est à l’œuvre entre deux mondes qui cohabitent sur une planète en sursis. D’un côté, le monde occidental, exploitant les matières premières au service de la croissance économique, appuyé par une société de consommation dans un système néolibéral. De l’autre côté, le monde des peuples anciennement colonisés et autochtones, pourvoyeurs de ressources naturelles par le biais d’États peu soumis au droit, au détriment de leur héritage culturel et de l’environnement. 

    La domination d’un monde sur l’autre a entraîné une négation de la conception éco-centrique de la nature au profit de la perspective anthropocentrique. Or, concevoir la nature comme sujet implique une dimension religieuse pour les peuples concernés. En réifiant la nature et en détruisant l’environnement, la prédation économique et financière porte donc en elle une forme d’ethnocide qui accompagne l’écocide. L’anéantissement culturel interagit avec le préjudice écologique. 

    Les peuples autochtones veillent mieux que quiconque à la préservation de leur environnement, car il est à leurs yeux sacré. Il y a une ‘relation particulière, profondément spirituelle, que les populations autochtones ont avec la terre, élément fondamental de leur existence et substrat de toutes leurs croyances”[9]. La valeur humaine de la Terre et des forêts tropicales est supérieure à sa valeur matérielle. Ce n’est qu’en écoutant les Yanomami, les Baka ou les Bayaka, et en protégeant activement leurs droits, que les organisations de protection de la nature ou les gouvernements pourront prévenir et guérir les blessures liées à la démarche de valorisation économique et financière des forêts tropicales. 

    Notes

    [1] Convention C 107 de l’OIT, entrée en vigueur le 2 juin 1959, concernant la protection et l’intégration des populations aborigènes et autres populations tribales et semi-tribales dans les pays indépendants.

    [2] Convention C169 de l’OIT, entrée en vigueur le 5 sept. 1991, concernant les peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants.

    [3]  Sur la reconnaissance des autochtones en tant que sujets de droit international, et l’émergence d’un droit distinct du droit des minorités, N. ROULAND, Le droit des minorités et des peuples autochtones : PU, 1996, spéc. p. 348 et 391.

    [4] Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones,2 oct. 2007, A/RES/61/295. Elle a été adoptée par l’Assemblée générale à une majorité de 144 États avec notamment 4 votes contre (Australie, Canada, États-Unis et Nouvelle Zélande).

    [5] 1ère Conférence internationale sur les droits de propriété intellectuelle et culturelle des peuples autochtones, Whakatane du 12 au 18 juin 1993 Aotearoa, New Zealand.

    [6] Projet de déclaration sur les droits des peuples autochtones de 1994, E/CN.4/SUB.2/1994/2/Add.1(1994).

    [7] G. FILOCHE, Ethno-développement, développement durable et droit en Amazonie, Bruylant, Bruxelles, 2007, 650 p.

    [8]   Le contrôle du respect des droits de l’homme dans les Etats africains subsahariens, Presses de l’UCAC, p. 12

    [9]  C’est ainsi que dès 1986, dans un rapport remis à l’ONU, Martinez Cobo affirmait qu’il est essentiel de connaître et de comprendre cette relation culturelle et religieuse à la terre.

  • CP / Jugement dans l’affaire Tilenga/EACOP concernant les activités  de TotalEnergies en Ouganda et Tanzanie : Notre Affaire à Tous, impliquée dans d’autres contentieux relatifs au devoir de vigilance, déplore cette décision mais demeure confiante sur les chances de succès de ses actions climatiques

    1er MARS 2023, PARIS – Le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a émis un jugement ce mardi 28 février dans une affaire fondée sur la loi sur le devoir de vigilance (NB: les “référés” désignent des procédures accélérées permettant au juge de se saisir de situations d’urgence). Saisi au sujet des risques et atteintes aux droits humains et à l’environnement en Ouganda et Tanzanie liés aux projets pétroliers “Tilenga” et “EACOP” de TotalEnergies, le juge de l’“urgence » a débouté les associations françaises et ougandaises de leurs demandes.

    Notre Affaire à Tous (NAAT) n’est pas impliquée dans ce dossier mais regrette cette décision et affirme son soutien aux associations requérantes et aux communautés affectées en Ouganda et en Tanzanie. Les projets climaticides EACOP et Tilenga remettent dangereusement en cause la faisabilité collective d’atteindre l’objectif de l’Accord de Paris de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C, introduisent des risques écologiques significatifs de marée noire ou autre pour l’environnement local (en particulier l’aire naturelle protégée Murchison Falls, où les forages pétroliers auront lieu) et causent des expropriations des populations locales dont les conditions sont largement contestées par les associations requérantes, dont les Amis de la Terre France. 

    Le tribunal judiciaire de Paris a estimé que le dossier est trop complexe pour être traité dans le cadre d’une procédure d’urgence. Par conséquent, il ne s’est pas prononcé sur le fond, concédant que l’affaire “doit faire l’objet d’un examen en profondeur […] excédant les pouvoirs du juge des référés.” Il faut bien comprendre que ce jugement est dénué de toute autorité de la chose jugée au principal, c’est-à-dire que le juge du fond peut toujours rendre un jugement différent, qui prévaudra auquel cas.  

    De plus, certaines interprétations de la loi relative au devoir de vigilance semblent a priori contestables. En particulier, le tribunal a jugé les demandes des associations irrecevables pour le motif procédural suivant : les griefs et demandes formulés dans la lettre de mise en demeure (ci-après “MED”, il s’agit d’un courrier préalable obligatoire avant l’introduction d’une action en justice sur le fondement de la loi relative au devoir de vigilance) diffèrent trop de ceux soulevés dans les dernières plaidoiries écrites et orales. Les Amis de la Terre et les autres associations parties au litige contestent cette décision dans leur communiqué de presse en expliquant « qu’elles n’ont fait que préciser et consolider leur argumentaire » et renvoient pour se justifier à leur MED [1]. N’ayant pu prendre connaissance de l’ensemble des pièces du dossier, NAAT s’inquiète malgré tout de cette interprétation, qui, si elle devait être confirmée, pourrait entraver les exigences fondamentales de cette loi, à savoir les obligations continues d’identification et de prévention des risques d’atteintes graves aux droits humains et à l’environnement. Paul Mougeolle, juriste à NAAT ajoute : “une fois qu’un contentieux est lancé, il semble absurde de ne pas pouvoir actualiser les demandes en fonction de l’évolution de la situation, si l’entreprise ne remédie toujours pas aux allégations principales indiquées dans la MED. L’hypothèse contraire entraînerait une remise en cause fondamentale du rôle du juge, chargé du contrôle de l’application de la loi.”

    Quoi qu’il en soit, ce jugement ne préjuge en rien des autres affaires relatives au devoir de vigilance, en particulier celles ayant trait à la “vigilance climatique” lancées par NAAT. Les contentieux climatiques en France (Affaire du Siècle, Grande-Synthe, procédures dans lesquelles NAAT est partie) et à l’étranger aboutissent de plus en plus sur des victoires, tant à l’encontre des Etats (Pays-Bas, Allemagne, Irlande, Grande-Bretagne, Belgique, même aux USA dans une certaine mesure dans l’affaire Massachussetts v. EPA), que des entreprises (affaire Shell aux Pays-Bas). 

    Au-delà de ce contexte judiciaire favorable, un rapport d’un groupe d’experts de l’ONU de 2022 expose les mesures que les entreprises doivent mettre en œuvre en matière climatique, tirant les conséquences des rapports scientifiques produits par le GIEC depuis de nombreuses années sur les risques graves associés aux énergies fossiles. Brice Laniyan, juriste chargé de contentieux et de plaidoyer pour NAAT, conclut que : “Nous restons persuadés que ces éléments renforcent le bien-fondé de notre interprétation du devoir de vigilance en matière climatique et que le jugement en référé rendu le 28 février par le Tribunal judiciaire dans l’affaire Tilenga/EACOP ne remet pas en cause nos chances de succès”.  

    Contact presse

    Notre Affaire à Tous : Brice Laniyan, Juriste chargé de contentieux et de plaidoyer  en charge de la responsabilité climatique des multinationales, brice.laniyan@notreaffaireatous.org.

    Notes

    [1] Les associations requérantes rappellent que “les pièces du dossier sont nombreuses et proportionnées aux enjeux, et répondent aux besoins d’actualisations liés à la longueur de la procédure, considérablement rallongée par la bataille procédurale engagée par Total en 2019”.

  • Le One Forest Summit c’est notre affaire à tous ! (1/3)

    Écrit par Hilème KOMBILA (Avocate-Présidente de NAAT-Lyon)

    Aujourd’hui et demain se tient au Gabon le One Forest Summit, annoncé comme le grand forum mondial consacré à la préservation des forêts tropicales. 

    A l’occasion de ce sommet consacré aux enjeux forestiers, Notre Affaire à Tous fait le point sur les enjeux relatifs à la justice climatique qui entourent cet événement. À l’instar des dernières avancées sur les « pertes et préjudices » en matière climatique, l’un des enjeux actuel est d’obtenir de la part des pays « du Nord » des engagements financiers pour contribuer à la préservation des forêts tropicales. Malheureusement, la définition des « parties prenantes » admises à la table des négociations semble comme souvent trop restrictive et écarte en particulier les communautés locales. 

    Un rendez-vous mondial pour la sauvegarde des forêts tropicales

    L’organisation du One Forest Summit au Gabon

    Berceau de l’humanité, l’Afrique trouve en son cœur équatorial un poumon indispensable à la vie sur terre : le bassin du Congo. Au sein de ce bassin forestier, le Gabon contribue à l’effort mondial en matière d’environnement et de lutte contre le réchauffement climatique. Son territoire est recouvert à 88 % par la forêt équatoriale, deuxième puits de carbone de la planète. 

    Photo de forêt tropicale libre de droits.

    Le Gabon a consacré 11% de son territoire à la création de 13 parcs nationaux. Ce “Gabon Vert” est un pilier du Plan Stratégique Gabon Emergent qui décrit les grandes orientations macroéconomiques du pays à l’horizon 2025. Les autorités gabonaises mettent en avant de nombreuses politiques qui ont pour objet la protection de la forêt, de l’océan et de la biodiversité. Toutefois, ce discours peut apparaître comme une stratégie visant à masquer les carences relatives au traitement des atteintes à l’environnement et plus largement celles de l’Etat de droit. 

    A ce titre, le scandal “Perenco” fait figure d’illustration des difficultés franco-gabonaises à sortir de la “France-Afrique”. Malgré la volonté affichée des dirigeants, certains freins semblent les empêcher de lutter efficacement contre les préjudices écologiques subis par la forêt équatoriale, en raison de l’activité de certaines multinationales.  

    Poursuivie en France pour ses atteintes au droit de l’environnement en République démocratique du Congo (RDC), Perenco est une société pétrolière détenue par l’une des familles les plus fortunées de France. Spécialisée dans l’optimisation des puits de pétrole précédemment exploités, elle devient incontournable en Afrique via ses filiales. 

    Dans le cadre des “Perenco files” dévoilés par le média Disclose, la ministre française de la Transition énergétique est éclaboussée par cette affaire. La ministre a en effet omis de déclarer des liens de sa famille proche avec la société française, basée sur des fonds domiciliés en partie dans des paradis fiscaux, dans sa déclaration d’intérêts à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

    Pour en savoir plus lire l’article des Echos.

    L’association Sherpa et les Amis de la Terre France, soutenues par l’ONG Environmental Investigation Agency (EIA-US), ont engagé une procédure afin d’obtenir réparation pour préjudice écologique commis en RDC. 

    « Il s’agit du premier contentieux visant à engager la responsabilité d’une entreprise française pour obtenir réparation de préjudices écologiques survenus à l’étranger », souligne Sherpa.

    Pour en savoir plus sur le recours, consulter le site de Sherpa :

    Dans ce contexte, le lanceur d’alerte sur les activités néfastes de Perenco au Gabon, Bernard Christian Rekoula, dénonce une opération de greenwashing quand on lui demande son avis sur l’organisation du One Forest Summit au Gabon.

    Lire cet article du Point pour approfondir ce sujet.

    Pendant ce temps, surfant sur la vague de la vente de crédits carbone générés par la préservation de sa forêt, le Gabon opère sa transition, dans la perspective d’un épuisement annoncé des ressources pétrolières. Ce “verdissement” de l’économie gabonaise devrait servir de modèle dans la sous-région puisque le président gabonais Ali Bongo Ondimba a été désigné samedi 25 février 2023 à la tête de la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC).

    Organisé avant les élections présidentielles gabonaises, sources inévitables de “perturbations”, le One Forest Summit est une vitrine pour le Gabon mais aussi pour l’Alliance des trois Bassins

    Les États porteurs des trois plus importants bassins forestiers au monde, dont le Brésil, l’Indonésie et le Congo RDC ont, à l’automne dernier en marge du G20 à Bali, officiellement conclu un partenariat pour la préservation de leurs forêts. Après dix ans de pourparlers autour d’ une alliance trilatérale, ce partenariat vise principalement à faire pression sur les pays dits riches pour qu’ils financent la conservation des forêts tropicales.

    Bien conscient de cette réalité économique et de cet agenda politique, à la même période, c’est à Charm el-Cheikh lors de la COP 27, à l’occasion du sommet One Planet sur les réserves vitales de carbone et de biodiversité, que fut actée l’organisation du One Forest Summit à Libreville. Ce rendez-vous apparaît donc comme un défi, en attendant la prochaine rencontre de l’Alliance des trois Bassins, l’été prochain au Congo Brazzaville. Il est crucial sur le plan géopolitique et incontournable pour l’avenir de l’humanité.

    La justice climatique et les forêts tropicales

    Les forêts tropicales sont un maillon essentiel à l’équilibre climatique. Elles concentrent plus du quart du stock de carbone terrestre et 60 % du stock de carbone forestier. Elles jouent donc un rôle décisif dans l’atténuation et l’adaptation aux changements globaux. 

    Les types de forêts (source CIRAD Note sur l’engagement pour la préservation des forêts tropicales)

    Les forêts couvrent environ 4 milliards d’hectares soit un tiers des terres émergées et hébergent 80 % de la biodiversité terrestre. Réserve inestimable en la matière, les forêts tropicales représentent à elles seules la moitié des forêts mondiales et abritent la moitié des espèces terrestres de plantes et d’animaux.

    Forêt tropicales (source CIRAD Note sur l’engagement pour la préservation des forêts tropicales)

    80% de ces forêts tropicales se concentrent autour des trois bassins forestiers que sont l’Amazonie, le bassin du Congo, et le bassin du Bornéo-Mékong. Ils concentrent les deux tiers de la biodiversité terrestre.

    Source RFI Afrique: infographie sur les trois bassins forestiers de la planète.

    Les forêts tropicales assurent la subsistance d’au moins 1,6 milliard de personnes au niveau local et participent à la séquestration du carbone pour l’ensemble de l’humanité.

    Pourtant indispensables à la vie sur terre, les forêts tropicales sont en danger. Elles sont menacées par la déforestation et la dégradation forestière engendrées par les activités humaines. Elles sont aussi confrontées à des défis liés au changement climatique tels que l’évolution rapide des températures et de la pluviométrie qui impliquent l’adaptation des communautés végétales et animales. 

    Dans un contexte de changement global et d’érosion de la biodiversité, de nombreuses questions relatives à la justice climatique se posent concernant les forêts tropicales.

    Comme l’indique le CIRAD :

    Des menaces majeures pèsent sur leurs fonctionnalités à la fois sociales, économiques et écologiques. Les décideurs et les gestionnaires sont confrontés à de nombreux défis relatifs à l’évolution de leur fonctionnement, de leurs usages, des services qu’elles rendent. Ils doivent aussi faire face aux risques accrus auxquels elles sont confrontées. Répondre à ces défis nécessite de sortir des logiques de rente pour des politiques d’aménagement du territoire et de gestion des ressources en faveur à la fois des populations et du bien commun”.

    Le CIRAD, acteur majeur de la recherche relative à l’agroforesterie, a identifié six problématiques qui entourent la lutte contre la déforestation et la dégradation des écosystèmes forestiers :

    • La conversion des forêts tropicales en terres agricoles, en pâturages ou encore en plantations industrielles exige une transition agricole capable de proposer des systèmes agraires alternatifs capables de se maintenir sur des zones déjà déforestées ou s’étendre sur des terres dégradées.
    • L’exploitation forestière pose conjointement la question de la gestion durable des espaces forestiers et celle de leur protection en tant que biens publics.
    • Les dynamiques démographiques et socio-économiques font des activités de subsistance (agriculture, bois énergie etc.) l’une des principales causes de la déforestation dans de nombreux territoires, et des usages de la forêt une problématique centrale.
    • Dans cette droite ligne et en écho aux problématiques internationales, la question de l’alimentation et de la durabilité des systèmes alimentaires est un enjeu majeur pour les populations des régions forestières.
    • Des enjeux sociaux comme la reconnaissance des droits des peuples autochtones ou encore d’égalité et d’équité aussi bien entre les populations qu’entre les pays eux-mêmes se posent.
    • Enfin, un enjeu de santé (au sens de One Health) doit être pris en compte, avec le rôle essentiel des écosystèmes forestiers dans la prévention et la lutte contre l’émergence de nouvelles maladies.

    Comme l’indique Jean-Baptiste Cheneval, responsable du pôle plaidoyer du CIRAD, l’objectif des acteurs concernés doit être de “garantir un continuum entre préservation, exploitation et valorisation, afin d’assurer la durabilité des forêts tropicales”.

    La sauvegarde des forêts tropicales, pour être juste, suppose donc de trouver un équilibre entre préservation, exploitation et valorisation, tant au niveau local qu’à l’échelle globale. Le rôle du droit est ici primordial tant il gouverne les questions de prise de décision, de structure de gouvernance, de contrôle des usages ou encore d’arbitrage des conflits. 

    C’est pour discuter de tout celà que les chefs d’État et de gouvernement se réunissent au Gabon à l’occasion du One Forest Summit (voir le programme). 

    Ces responsables politiques ont choisi de s’entourer de représentants de la société civile et de la communauté scientifique triés sur le volet. Malheureusement les représentants des peuples, à commencer par les parlementaires, ne semblent pas conviés à la table des négociations.

    Cet oubli des peuples doit être mis en perspective avec les 3 axes qui déterminent la feuille de route des négociations: 

    • La progression des connaissances et la promotion de la coopération scientifique sur les écosystèmes forestiers;
    • La promotion de chaînes de valeur durables dans le secteur forestier;
    • Le développement de sources de financement innovantes notamment en explorant les solutions de conservation de la biodiversité fondées sur le marché.

    L’enjeu des débats est donc le suivant: l’exploitation économique et la valorisation financière de la préservation, scientifiquement pensée, des forêts tropicales. Il s’agit d’utiliser le système économique et financier international afin de faire contribuer les pays dits riches à la sauvegarde des forêts par les pays dits pauvres. 

    Même si la dimension culturelle est représentée sous l’égide de l’UNESCO, on peut s’interroger sur la prise en compte des droits fondamentaux dans le cadre de cette feuille de route. L’ambition des organisateurs ne les a malheureusement pas conduit à mettre en avant le droit des peuples autochtones ou celui de la forêt si chère à leur cœur.  

  • CP/ Déjà visée pour ses soutiens financiers au secteur des énergies fossiles, BNP Paribas de nouveau devant la justice française pour son financement d’activités liées à la déforestation

    27 FÉVRIER, PARIS – L’ONG brésilienne Comissão Pastoral da Terra (CPT) et l’association française Notre Affaire À Tous ont déposé une plainte devant le tribunal judiciaire de Paris contre BNP Paribas pour avoir fourni des services financiers à Marfrig, l’un des plus grands producteurs de viande bovine au monde. Les fournisseurs de Marfrig se sont livrés à une déforestation illégale et grave de l’Amazonie, à l’accaparement de terres dans des territoires autochtones protégés et au travail forcé dans des élevages de bétail. Cette action en justice intervient quelques jours après que la BNP ait été assignée en justice pour répondre de son soutien financier à des entreprises développant  de nouveaux projets pétroliers et gaziers. 

    Les associations reprochent à BNP Paribas d’avoir violé la loi française sur le devoir de vigilance qui impose aux multinationales basées en France d’établir un plan qui « comporte des mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement, résultant des activités de la société et de celles des sociétés qu’elle contrôle » en France et à l’étranger.

    Pour Jérémie Suissa, Délégué général de Notre Affaire à Tous : « Malgré ses engagements et ses communications, BNP Paribas ne cherche pas à lutter efficacement contre la déforestation de l’Amazonie. Les preuves accumulées sur le soutien de BNP à Marfrig et le manque de vigilance de Marfrig vis-à-vis de ses fournisseurs révèlent l’insuffisance des mesures prises par la BNP. On ne peut pas fermer les yeux sur la déforestation et le travail forcé et se prétendre acteur du changement et  de la neutralité carbone. La déforestation sur le territoire brésilien est un enjeu d’envergure planétaire : la préservation de l’Amazonie est d’une importance capitale pour notre trajectoire climatique collective et le Brésil reste le premier exportateur mondial de viande bovine”.

    Pour Xavier Plassat, chargé de campagne contre le travail esclave à la CPT : « Pour continuer à générer d’énormes revenus grâce au travail forcé que les militants, les médias et les groupes autochtones ont mis en lumière ces dernières années, Marfrig a réagi en faisant pression pour interdire l’accès aux informations sur ses chaînes d’approvisionnement et en refusant de contrôler les fournisseurs indirects qui commettent des abus.  Une vigilance raisonnable ne devrait pas permettre à la BNP de tolérer une telle situation ! C’est la raison pour laquelle nous nous adressons aux tribunaux français : pour nous assurer que la loi est suffisamment forte pour que ces grandes entreprises ne puissent pas faire de greenwashing pour se soustraire à de graves allégations d’actes répréhensibles. »

    Pour Merel van der Mark de Rainforest Action Network : « Le secteur de la viande bovine est le principal moteur de la déforestation en Amazonie et il fait également partie des principales sources d’émissions de méthane, un gaz à effet de serre très puissant qui aggrave  le changement climatique. Les requérantes considèrent que le plan de devoir de vigilance de la BNP ne fournit pas de garanties assez fortes pour empêcher la déforestation et les violations des droits de l’homme. »

    Selon une analyse réalisée par le Center for Climate Crime Analysis (CCCA), organisme à but non lucratif, portant sur deux usines de conditionnement de viande exploitées par Marfrig entre 2009 et 2020, les exploitations des fournisseurs auraient été responsables de plus de 120 000 hectares de déforestation illégale dans la forêt amazonienne et la savane du Cerrado voisine au cours de cette période. L’année dernière, des scientifiques ont découvert que certaines parties de la forêt amazonienne émettent désormais plus de dioxyde de carbone qu’elle n’est capable d’en absorber, la plupart des émissions étant causées par des incendies, souvent déclenchés délibérément pour défricher des terres destinées à la production de bœuf et de soja.

    Il s’est également avéré que Marfrig s’est directement et indirectement approvisionné en bétail auprès d’éleveurs qui élevaient illégalement des bovins sur des territoires autochtones. Il s’agit notamment d’exploitations situées sur le territoire autochtone d’Apyterewa dans l’État du Pará – l’une des terres autochtones les plus déboisées ces dernières années – et sur le territoire autochtone de Manoki dans l’État du Mato Grosso.

    L’industrie bovine brésilienne est également connue pour ses pratiques de travail forcé. L’Organisation internationale du travail estime qu’elle est responsable de 62 % du travail forcé dans le pays. L’ONG Walk Free a publié en 2018 un index mondial qui estime que 369 000 individus sont victimes de travail forcé au Brésil.

    Contacts Presse :

    Notre Affaire à Tous : Brice Laniyan, Juriste chargé de contentieux et de plaidoyer, brice.laniyan@notreaffaireatous.org.

    Comissao Pastoral da Terra (Commission Pastorale de la Terre) : Fr. Xavier Plassat, Coordinateur de la campagne nationale de la CPT, “Ouvre l’œil pour ne pas devenir un esclave ! », comunicacao@cptnacional.org.br

  • CP / BNP Paribas visée par le premier contentieux climatique au monde contre une banque

    Les Amis de la Terre France, Notre Affaire à Tous et Oxfam France, qui avaient mis en demeure BNP Paribas de se conformer à ses obligations de vigilance le 26 octobre dernier, ont décidé d’assigner la banque en justice. Face à sa contribution significative aux dérèglements climatiques, les associations demandent à BNP Paribas de mettre fin à ses soutiens financiers aux nouveaux projets d’énergies fossiles et d’adopter un plan de sortie du pétrole et du gaz. Il s’agit d’un procès historique : le premier contentieux climatique au monde visant une banque commerciale.

    C’est désormais officiel, BNP Paribas devra répondre devant la justice de sa responsabilité dans la crise climatique. Les trois associations de L’Affaire BNP saisissent la justice par une assignation en cours de signification ce matin à la banque la plus polluante de France [1], pour non-respect de la loi sur le devoir de vigilance des multinationales. Cette assignation a été décidée alors que, mise en demeure depuis octobre 2022 [2], BNP Paribas n’a pas pris la mesure la plus urgente au regard de la science : cesser ses soutiens financiers à l’expansion des énergies fossiles.

    Pour Lorette Philippot, chargée de campagne aux Amis de la Terre France : « Le message urgent porté par la communauté scientifique et l’Agence internationale de l’énergie s’est encore récemment traduit dans des appels répétés des Nations unies : une banque ne peut pas prétendre s’engager pour la neutralité carbone tout en continuant à soutenir de nouveaux projets de pétrole et de gaz [3]. Mais BNP Paribas, premier financeur européen de l’expansion des énergies fossiles [4], continue à brader la science et ne prend pas même la peine de répondre sur ce consensus clair ».

    Sous pression, BNP Paribas a fait le choix de la communication. Elle a ainsi annoncé la réduction de ses encours à l’extraction et à la production de pétrole et de gaz à horizon 2030. Mais ces annonces, et la réponse officielle faite aux avocats des trois associations, sont encore largement insuffisantes et ne répondent en rien aux demandes formulées dans la mise en demeure [5]. La banque n’exige pas de ses clients qu’ils aient un plan de sortie physique et sans nouveaux projets de pétrole et de gaz, quand elle s’est engagée en 2020 à le faire pour le secteur du charbon. Elle souligne même dans ses annonces son intention de miser sur les nouvelles infrastructures et centrales à gaz.

    Pour Alexandre Poidatz, responsable de plaidoyer chez Oxfam France : « BNP Paribas continue de faire des nouveaux chèques en blanc aux plus grandes entreprises d’énergies fossiles sans condition de transition hors des pétrole et gaz. Plutôt que prendre des engagements concrets afin de respecter les demandes scientifiques élémentaires, BNP Paribas communique et contribue à alimenter la fabrique du doute sur le consensus scientifique. Nous rappelons fermement par cette assignation que nos associations sont déterminées à obtenir une décision contraignante du juge ».

    Cette action en justice historique s’inscrit dans un mouvement mondial de contentieux qui visent à mettre les principaux acteurs du chaos climatique face à leurs responsabilités légales [6]. BNP Paribas est notamment le premier financeur mondial des 8 majors pétro-gazières européennes et nord-américaines [7], à elles seules impliquées dans plus de 200 nouveaux projets d’énergies fossiles aux quatre coins du monde [8], dont plusieurs sont elles-mêmes visées par des contentieux climatiques visant à aligner leurs activités avec l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5 C.

    Pour Justine Ripoll, responsable de campagnes pour Notre Affaire à Tous : « La loi française sur le devoir de vigilance impose aux multinationales de tous les secteurs une obligation d’agir pour protéger les droits humains et l’environnement, et ce de manière effective. Or, le secteur financier a une responsabilité énorme dans notre capacité collective à respecter ou non l’Accord de Paris. Ce premier contentieux climatique contre une banque commerciale est sans aucun doute le premier d’une longue série – partout dans le monde ».

    Pour François de Cambiaire, associé du cabinet Seattle Avocats : « Le contrôle judiciaire strict du respect par l’entreprise de son devoir de vigilance et du caractère adapté ou non des mesures est au cœur de la loi française. Le tribunal s’appuiera sur les principes directeurs de l’ONU et de l’OCDE qui définissent les mesures spécifiques de vigilance sur les activités soutenues par la banque, par ses financements et investissements, pouvant aller jusqu’à l’arrêt de l’activité à l’origine du dommage et même le désinvestissement ».

    Il incombe désormais au Tribunal Judiciaire de Paris de fixer un calendrier pour les prochaines étapes de la procédure.

    Les associations appellent à rejoindre les plus de 50 000 personnes qui ont déjà signé la pétition internationale de soutien à l’Affaire BNP pour faire entendre leurs voix dans ce procès inédit et demander la fin des soutiens financiers aux nouveaux projets d’énergies fossiles

    Contacts presse

    Les Amis de la Terre France

    Marion Cubizolles : marion.cubizolles@amisdelaterre.org

    Notre Affaire à Tous

    Justine Ripoll : justine.ripoll@notreaffaireatous.org

    Oxfam France

    Marika Bekier : mbekier@oxfamfrance.org

    Notes

    [1] Oxfam France, 2021. Banques et climat : le désaccord de Paris.
    [2] Les Amis de la Terre France, Notre Affaire à Tous, Oxfam France, 2022. Climat : BNP Paribas mise en demeure de stopper ses soutiens aux nouveaux projets d’énergies fossiles.
    [3] Groupe d’experts de haut niveau des Nations unies, 2022. Credibility and Accountability of Net-Zero Emissions Commitments of Non-State Entities.
    [4] Rainforest Action Network, BankTrack, Indigenous Environmental Network, Oil Change International, Reclaim Finance, Sierra Club, Urgewald, mars 2022, Banking on Climate Chaos – Fossil Fuel Finance Report 2022. Le rapport, ainsi que la base de données désagrégée par acteur financier et entreprise, sont disponibles en ligne.
    [5] Les Amis de la Terre France, Notre Affaire à Tous, Oxfam France, 2023. L’Affaire BNP : Menacée d’une action en justice, BNP Paribas communique mais ne répond pas aux demandes des ONG.
    [6] Voir dans le dossier de presse, pages 14 et 15.
    [7] Ces entreprises sont Total, Chevron, ExxonMobil, Shell, BP, ENI, Repsol, Equinor. Voir les détails ci-dessous. Rainforest Action Network, BankTrack, Indigenous Environmental Network, Oil Change International, Reclaim Finance, Sierra Club, Urgewald, mars 2022, Banking on Climate Chaos – Fossil Fuel Finance Report 2022. Le rapport, ainsi que la base de données désagrégée par acteur financier et entreprise, sont disponibles en ligne.
    [8] Oil Change International, 2022. Big oil Reality Check

  • CP / Procès climatique : Face à Total, les demandes des associations et collectivités dans l’attente du jugement

    Paris, le 10 février 2023 –  Nouvelle étape dans l’action en justice engagée par 6 associations et 16 collectivités territoriales : la coalition répond à la stratégie de l’inaction climatique et aux manœuvres dilatoires de TotalEnergies et demande au juge d’ordonner à la multinationale de prendre des mesures de suspension des nouveaux projets pétroliers et gaziers dans l’attente du jugement du tribunal.

    En janvier 2020, une coalition d’associations et de collectivités a assigné TotalEnergies devant le Tribunal judiciaire de Nanterre. Rejointe en septembre 2022 par trois collectivités supplémentaires et Amnesty International France, la coalition demande que la pétrolière soit contrainte de prendre les mesures nécessaires pour s’aligner avec les objectifs de l’Accord de Paris, conformément à la loi sur le devoir de vigilance(1).

    Des années de retard dues à la multinationale

    La procédure a tout d’abord été retardée par TotalEnergies qui a contesté, sans succès, la compétence du tribunal judiciaire au profit du tribunal de commerce. En 2022, le dossier a été confié à un juge unique du tribunal judiciaire de Paris, chargé de trancher certaines questions de procédure susceptibles de mettre fin au procès avant la décision du tribunal. Poursuivant sa stratégie dilatoire, TotalEnergies a soulevé un très grand nombre de moyens de défense tendant à faire déclarer l’action judiciaire irrecevable sans permettre d’entrer dans le cœur des débats devant le tribunal. 

    Des demandes de mesures concrètes face à l’inaction climatique de la multinationale

    Les demandes de la coalition portent sur la confirmation de la recevabilité de l’action judiciaire et le rejet des moyens de défense soulevés par l’entreprise. Alors que TotalEnergies affiche son “ambition” d’atteindre la neutralité carbone en 2050 (2), la multinationale continue de développer des nouveaux projets pétroliers et gaziers(3) qui conduisent, selon de nombreux rapports(4), tout droit vers la catastrophe climatique(5).

    Face à l’urgence climatique, les associations et collectivités demandent au juge de contraindre l’entreprise à adopter des mesures provisoires dans l’attente de la décision du tribunal sur le fond du dossier qui n’interviendra vraisemblablement pas avant de longs mois, parmi lesquelles : 

    • la suspension des nouveaux projets pétroliers et gaziers, à savoir l’exploration de nouvelles réserves d’hydrocarbures et l’exploitation de nouveaux champs;
    • la mise en place de toutes les mesures nécessaires pour réduire les émissions de gaz à effet de serre liées aux activités mondiales de la pétrolière, afin de conserver une chance de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C, conformément à l’Accord de Paris.

    Contacts presse

    Sherpa

    Théa Bounfour – thea.bounfour@asso-sherpa.org

    Notre Affaire à Tous

    Justine Ripoll – justine.ripoll@notreaffaireatous.org


    (1) Loi du 27 mars 2017 sur le devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordres. L’action judiciaire se fonde également sur la prévention des dommages à l’environnement (art. 1252 Code civil)

    (2) TotalEnergies, Document d’enregistrement universel 2021, p. 19: “Notre ambition climat : zéro émission nette en 2050 ensemble avec la société”.  

    (3) Oil Change International, Big oil reality check, mai 2022 ; Investing in disaster, novembre 2022.  

    (4) UN-HLEG, Integrity matters net zero commitments by businesses financial institutions, cities and region, novembre 2022 ; AIE, Net Zero by 2050, A Roadmap for the Global Energy Sector, mai 2021.

    (5) “Climat : l’ONU dénonce le « grand mensonge » des géants pétroliers et demande des poursuites”, Le Monde avec AFP, 18 janvier 2023.

  • Justice pour le vivant : Bayer-Monsanto vole au secours de l’État pour défendre les pesticides

    Paris, le 07 février 2023 – Bayer a fait parvenir au Tribunal administratif de Paris une demande d’intervention pour soutenir l’Etat français, attaqué en justice pour inaction face à l’effondrement de la biodiversité par 5 ONG. Ce soutien de la part du numéro deux mondial des pesticides, démontre l’intérêt de l’agrochimie à maintenir des procédures d’évaluation défaillantes pour continuer à commercialiser des produits toxiques pour le Vivant. 

    Alors que la clôture de l’instruction du recours « Justice pour le vivant » a été fixée au 10 février, le géant allemand de l’agrochimie Bayer, qui a absorbé Monsanto en  2018, a déposé le 31 janvier une demande d’intervention aux côtés de l’Etat français, attaqué en justice par cinq ONG pour sa défaillance dans la mise en œuvre de procédures d’évaluation et de mise sur le marché des pesticides réellement protectrices de la biodiversité.

    Si elle est acceptée par les juges, l’intervention en défense de Bayer permettrait à l’Etat français de bénéficier des arguments et des moyens du géant allemand de l’agrochimie, face à POLLINIS, Notre Affaire à Tous, ANPER-TOS, Biodiversité sous nos pieds et l’ASPAS. 

    « La demande d’intervention de Bayer montre que les procédures d’évaluation et de mise sur le marché des pesticides répondent aux impératifs économiques des firmes de l’agrochimie, et non à l’obligation de protéger la biodiversité contre ces substances toxiques. Tandis que l’agrochimie se range du côté de l’inaction de l’État, nous continuerons à défendre devant la justice la biodiversité et les intérêts du Vivant » affirment les associations. 

    Attaqué en justice en janvier 2022 par cinq associations de protection de l’environnement, l’État français a opté pour une ligne de défense juridiquement et scientifiquement infondée, en rejetant la responsabilité de l’évaluation des risques des pesticides sur l’Union européenne, et en minimisant la corrélation directe entre cet effondrement et l’usage immodéré des pesticides chimiques en agriculture conventionnelle.

    Face aux nombreuses preuves scientifiques et juridiques rassemblées par les cinq associations requérantes dans leur mémoire complémentaire, puis dans leur mémoire en réplique déposé le 19 janvier 2023, et à quelques jours de la clôture de l’instruction, la demande d’intervention de Bayer vise à défendre les intérêts de l’agrochimie.

    Bayer Crop Science (qui a absorbé Monsanto en 2018), est le deuxième producteur mondial de pesticides chimiques. La division agrochimique du groupe a réalisé en France 414,4 millions de chiffre d’affaires en 2021 et l’entreprise consacre entre 300 000 à 400 000 euros en lobbying auprès des institutions et représentants politiques français

    Mais pour être recevable, une intervention doit remplir plusieurs conditions cumulatives. En particulier, Bayer doit justifier d’un intérêt suffisant et l’intervention ne doit pas retarder le jugement de l’affaire. 

    « Les défaillances dans les procédures d’évaluation et de mise sur le marché sont à l’origine de l’effondrement des populations d’insectes pollinisateurs et de la biodiversité qui en dépend. Ce sont ces mêmes défaillances qui permettent aux firmes comme Bayer de continuer à écouler leurs pesticides toxiques à travers l’Europe et de bloquer toute transition vers un modèle agricole respectueux de l’environnement », dénonce Nicolas Laarman, délégué général de POLLINIS. 

    « Déjà condamné pour son inaction en matière climatique, nous demandons également des comptes à l’Etat français pour sa politique défaillante en matière de pesticides. Il se retrouve aujourd’hui soutenu par une multinationale sulfureuse, éminente représentante du lobby de l’agrochimie, visiblement inquiète face à la solidité de nos demandes » souligne Jérémie Suissa, délégué général de Notre Affaire à Tous. 

    “D’Allemagne aux États-Unis, Bayer est attaquée pour ses atteintes à l’environnement. Ce n’était pas l’objet de notre recours, nous étions dans un contentieux contre l’État pour faire reconnaître sa carence fautive dans l’effondrement de la biodiversité. La demande d’intervention de Bayer nous précipite dans un autre paradigme : nous allons donc peut-être aussi faire face au géant des pesticides, aux côtés de l’État. Là est la preuve de la solidité de notre argumentation, et de la pertinence de notre action contre les impacts destructeurs des produits phytosanitaires, notamment sur les fonctions écologiques de l’eau.”  John Philipot, ANPER-TOS.

    Contacts presse :

    POLLINIS : Cécile Barbière, Directrice de la communication cecileb@pollinis.org

    Notre Affaire à Tous : Justine Ripoll, Responsable de campagnes. justine.ripoll@notreaffaireatous.org  

    ANPER-TOS : Elisabeth Laporte, Juriste. juridique@anper-tos.fr

    Biodiversité Sous Nos Pieds : Dorian Guinard, membre du pôle juridique de BSNP biodiversitesousnospieds@gmail.com

    ASPAS : Cécilia Rinaudo, Responsable Développement cecilia.rinaudo@aspas-nature.org

    Ressources :

    Pour plus d’informations, retrouvez notre dossier de presse.

    LES PHOTOS DU CONGRÈS DE L’UICN – SEPTEMBRE 2021
    (CRÉDIT PHILIPPE BESNARD/POLLINIS)

    LES PHOTOS DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PARIS – JANVIER 2022
    (CRÉDIT LESLIE FAUVEL/POLLINIS)

  • CP – Pesticides : 30 organisations et 28 députés déposent un recours au conseil d’État

    Le 5 octobre 2022, 30 organisations et 28 députés, avaient mis en garde la Première Ministre, Elisabeth Borne, sous la forme d’une demande préalable, contre l’absence de procédures scientifiques permettant de s’assurer de l’innocuité des pesticides commercialisés en France, en particulier pour ce qui concerne l’étude de la toxicité chronique des mélanges de molécules au sein d’un même pesticide – connu également sous le nom d’« effet cocktail ». Cette demande était envoyée dans le cadre de la campagne Secrets Toxiques, portée par plus de 40 organisations. 

    Cette demande préalable n’ayant reçu aucune réponse dans le délai de deux mois dont disposait le gouvernement, les requérants procèdent maintenant au dépôt d’un recours devant le Conseil d’État.

    La réglementation est claire : elle prévoit qu’un pesticide ne peut être autorisé que s’il est démontré qu’il n’a pas d’effet néfaste à court ou à long terme sur la santé humaine ou l’environnement

    Pourtant, dès 2019 la Cour de Justice de l’Union Européenne affirmait dans un arrêt que les « tests sommaires » réclamés par les autorités sanitaires « ne sauraient suffire à mener à bien cette vérification ». Un constat confirmé par de récentes expertises collectives de l’INSERM et de l’INRAE-Ifremer, qui démontrent, sur la base de milliers de publications scientifiques, l’existence de nombreux effets délétères des pesticides, tant sur la santé humaine que sur l’environnement, et cela malgré les exigences réglementaires européennes et nationales. 

    Malgré ces alertes scientifiques, le gouvernement français n’a toujours pas enclenché les réformes nécessaires pour se mettre en conformité avec la loi et protéger les populations. Par le dépôt de ce recours, les associations et parlementaires exigent l’application du règlement européen tel qu’interprété par la CJUE. Le gouvernement doit inclure, dans les dossiers de demande d’autorisation de mise sur le marché des pesticides, des analyses de toxicité à long terme et de cancérogénicité portant sur les formulations complètes – c’est-à-dire sur les pesticides tels qu’ils sont commercialisés. Les requérants demandent également que ces données soient présentées dans les rapports d’évaluation publics.Le dépôt de ce recours s’inscrit dans la continuité des efforts d’investigation de la coalition d’associations Secrets Toxiques depuis 2020, pour améliorer notre connaissance et la transparence des pratiques et processus d’évaluation de la toxicité des pesticides autorisés. Tant au niveau européen que français, cette campagne aura permis de mettre en lumière et démontrer dans le détail l’insuffisance des tests pratiqués par les autorités sanitaires.

    Contacts presse

    Organisations requérantes :

    Agir Pour l’Environnement, Association Nationale pour la Protection des Eaux et Rivières, Alterna’bio, Arthropologia, Campagne glyphosate France, Collectif Alternatives aux Pesticides 66, Collectif anti-OGM 66, Comité Écologique Ariègeois, Confédération paysanne nationale (et ses groupes locaux Aveyron, Lot et Ariège), Environnement et Santé, Foll’avoine, Générations Futures, Halte OGM 07, Le Chabot, Nature & Progrès France (et ses groupes locaux Ardèche, Aveyron et Tarn), Nature Rights, Notre Affaire à Tous, PIG BZH, Santé Environnement Auvergne/Rhône-Alpes, Secrets Toxiques, SOS MCS, Syndicat National d’Apiculture, Terre d’abeilles, Union Nationale de l’Apiculture Française

    Députés requérantes et requérants :

    Gabriel Amard (LFI-NUPES), Ségolène Amiot (LFI-NUPES), Rodrigo Arenas (LFI-NUPES), Julien Bayou (Ecologiste-NUPES), Lisa Belluco (Ecologiste-NUPES), Manuel Bompard (LFI-NUPES), Sylvain Carrière (LFI-NUPES), Cyrielle Chatelain (Ecologiste-NUPES), Sophia Chikirou (LFI-NUPES), Jean-François Coulomme (LFI-NUPES), Catherine Couturier (LFI-NUPES), Alma Dufour (LFI-NUPES), Elsa Faucillon (GDR-NUPES), Marie-Charlotte Garin (Ecologiste-NUPES), Clémence Guetté (LFI-NUPES), Mathilde Hignet (LFI-NUPES), Jérémie Iordanoff (Ecologiste-NUPES), Julie Laernoes (Ecologiste-NUPES), Arnaud Le Gall (LFI-NUPES), Charlotte Leduc (LFI-NUPES), Pascale Martin (LFI-NUPES), Marie Pochon (Ecologiste-NUPES), Loïc Prud’homme (LFI-NUPES), Sandra Regol (Ecologiste-NUPES), Michel Sala (LFI-NUPES), Bénedicte Taurine (LFI-NUPES), Matthias Tavel (LFI-NUPES), Nicolas Thierry (Ecologiste-NUPES)

    Secrets Toxiques est une campagne portée par 47 organisations et 17 groupes locaux.

  • CP – Luttes locales : Deux victoires décisives contre le projet de pôle de santé qui menaçait de détruire une zone littorale de Lacanau

    Par deux jugements du 18 janvier, le tribunal administratif de Bordeaux annule le permis de construire ainsi que  la dérogation “espèces protégées” du projet de pôle de santé “Human’Essence” en bordure du Lac Lacanau, mettant ainsi un coup d’arrêt à un projet qui menace un espace naturel remarquable et de nombreuses espèces protégées.

    La commune de Lacanau ainsi que la société Moutchic avaient lancé un projet de pôle de santé en bordure du Lac Lacanau, prévu sur 12 hectares, entraînant le défrichement de près de 4 hectares de forêt, la destruction et la perturbation d’espèces protégées, et l’urbanisation anarchique d’une zone littorale.

    Figure 5 de l’étude d’impact du projet

    L’association Vive La Forêt ainsi que l’association des riverains du Lac Lacanau, soutenues par Notre Affaire à Tous, ont contesté les trois actes administratifs délivrés nécessaires au projet : l’autorisation de défrichement (qui a été annulée en octobre 2021), le permis de construire, ainsi que la dérogation “espèces protégées”.

    Après une première victoire avec l’annulation de l’autorisation de défrichement en octobre 2021, l’annulation des permis de construire et dérogation “espèces protégées” marquent une étape décisive contre le projet “Human’Essence”. Ces décisions viennent reconnaître le bien fondé de la mobilisation des associations face à un projet d’un autre temps. 

    En annulant ce permis de construire, le tribunal administratif reconnaît, encore une fois, le caractère d’espace naturel remarquable du littoral du terrain sur lequel était prévu ce projet. Cette décision permet ainsi de protéger ce site naturel exceptionnel, et ce en dépit de sa classification en “zone à urbaniser” prévue par la commune dans son PLU.. 

    Le tribunal administratif a également annulé la dérogation espèces protégées, décision visant à permettre de contourner les réglementations de protection des espèces protégées du territoire. Par cette décision, le juge constate que les besoins spécifiques de la commune  de structures de santé d’une telle ampleur n’ont pas été démontrés, et que la recherche de solutions alternatives satisfaisantes n’a pas été sérieusement menée.

    L’association Vive la Forêt rappelle ainsi l’absurdité du projet : “Le choix d’y exiler les aînés jusqu’alors hébergés en centre-ville nous paraissait aller à l’encontre des préconisations favorisant une intégration multigénérationnelle.

    Les tenants du projet ont tenté de faire croire que s’y opposer c’était renoncer à améliorer l’offre de santé en Médoc. En réalité, ce projet, misant sur des effets de concentration et de taille n’a pas apporté la démonstration de sa pertinence par rapport à une offre divisible qui aurait pu se déployer avec plus d’efficacité et moins d’impacts sur un territoire au-delà de Lacanau. En ce sens, Human’Essence fortement soutenu par la commune a été plutôt un frein à des initiatives locales.”

    De son côté, Céline Le Phat Vinh, juriste de Notre Affaire À Tous qui a accompagné le collectif, rappelle que “si les collectivités ont évidemment besoin de proposer une offre de soins et d’accompagnement aux seniors partout sur le territoire, cela ne peut se faire au mépris de la protection de la nature, d’une analyse sérieuse des besoins du territoire, et en ne s’intéressant qu’aux opportunités de rentabilité immobilière”. 

    Les associations requérantes se félicitent de cette victoire, mais regrettent les dommages causés par le démarrage partiel des travaux et des arbres ainsi arrachés définitivement. Elles resteront vigilantes face aux éventuelles suites juridiques et lutteront pour le respect du droit et la préservation du littoral.

    Contacts presse

    Patrick Point – Vive la Forêt – 06 26 97 75 96

    Céline Le phat vinh – Notre Affaire à Tous – 06 88 58 94 73

  • IMPACTS HORS SÉRIE – Bilan de l’été 2022 en France

    Plusieurs journaux sont revenus sur le climat de l’année 2022 et sur l’été particulièrement hors-normes que nous avons connus. Cela était-il prévisible ? Oui, le GIEC alerte depuis les années 90 sur les conséquences du changement climatique.

    Quels impacts ces évènements climatiques extrêmes ont eu concrètement en France ? C’est cette question qui a intéressé le groupe de travail inégalités climatiques qui suit au sein de sa revue IMPACTS les impacts différenciés du changement climatique sur la population et le territoire français. Nous avons eu à cœur de dresser une synthèse à partir des nombreuses données chiffrées qui sont remontées ces dernières semaines afin de dresser un premier bilan de l’été 2022 et de vous le partager.

    Cette synthèse montre que les impacts concernent tout le territoire français et perdurent dans le temps. Ainsi, en décembre, 20 départements étaient encore en alerte sécheresse. Ce bilan fait également apparaître que si toute la France a souffert des évènements climatiques extrêmes survenus pendant l’été, des parties de la population et des territoires ont été plus touché.e.s que d’autres dessinant des vulnérabilités différenciées qui nous permettent de mieux comprendre comment le changement climatique s’ancre en France. Elle met en évidence que des politiques d’adaptation sont à prendre dès maintenant pour limiter et anticiper ces impacts et protéger en priorité les territoires et les populations les plus impactées par le changement climatique pour des raisons d’équité.

    Sommaire

    I. Retour sur les évènements climatiques extrêmes de l’été 2022 en France
    II. Bilan humain de l’été 2022
    III. Les impacts sur les sols et la biodiversité
    IV. Pertes et dommages : les sinistres pour les particuliers
    V. Autres pertes et dommages : les impacts importants sur l’agriculture et
    l’alimentation

    I. Retour sur les évènements climatiques extrêmes de l’été 2022 en France

    Cet été a été marqué par : 

    3 vagues de chaleur intenses.
    • 33 jours de canicule.

    2022 est le deuxième été le plus chaud enregistré après 2003, juste avant celui de 2018 et le mois de juin a été le plus chaud jamais enregistré (maximale à 36,2°C).
    Cet été se classe parmi les 10 étés les plus secs sur la période 1959-2022. Cette sécheresse n’est pas un événement isolé, l’été 2019 et l’été 2020 avaient déjà été particulièrement secs.

    Les orages ont été exceptionnellement nombreux et ont souvent
    été accompagnés de chutes de grêle dévastatrices ou de rafales
    de vent dépassant les 200 km/ heure ou de pluie diluvienne.

    Les orages ont occasionné 23 000 coupures d’électricité, et
    100 communes ont été ravitaillées en eau potable à cause du
    manque d’eau.

    • De très nombreux incendies, dont les feux de Gironde.
    • En France, les feux de l’été sont jusqu’à plus de 7 fois plus importants
    que la moyenne des 15 dernières années.

    Tous les départements français ont été en alerte sécheresse, 57 départements étaient en crise, une vingtaine étaient encore en alerte en décembre.
    • Des ruptures de glacier se sont produits dans les Pyrénées et les Alpes.

    Le saviez-vous ?

    Strasbourg a connu 50 jours de chaleur consécutifs (plus de 25 °C) et Marseille 113 jours de chaleur consécutifs à partir du 9 mai. La température de la mer Méditerranée était de 4 à 5 degrés au-dessus des températures normales, c’est cette hausse des températures qui explique en partie la violence des orages survenus en Corse à la fin de l’été.

    Quels impacts ont eu ces évènements au-delà de leur caractère hors-normes ?

    II. Bilan humain de l’été 2022

    Ces événements ont d’abord eu de graves conséquences sur la vie de nombreuses personnes.

    Le chiffre le plus impressionnant est le nombre de décès suite aux trois vagues de chaleur qui auraient entraîné 10 420 décès supplémentaires entre le 1ᵉʳ juin et le 15 septembre 2022.

    Autre chiffre révélateur de la vulnérabilité des travailleurs en extérieur, 7 personnes auraient été victimes d’accidents du travail mortels liés à la chaleur d’après la Direction générale du travail.

    Suite aux orages et incendies, 7 personnes ont péri dans les orages et incendies, 49personnes ont été blessées, dont de nombreux pompiers, et au moins 45 000 personnes ont été évacuées. (Ces derniers chiffres ont été récoltés en réalisant une veille de plusieurs médias sur tout l’été.

    Enfin, les recours aux soins aux urgences ont été multipliés par deux créant un effet d’engorgement dans les hôpitaux déjà fragilisés par les vagues successives de covid qui ont continué durant l’été.

    Qui a été le plus touché ?

    Les personnes les plus touchées ont été : les pompiers, les touristes, les travailleurs en extérieur et les personnes âgées de plus de 75 ans qui représentent 80 % des mort.e.s des vagues de chaleur.
    Les régions : Bretagne (+ 19,9 %), Grand Est (+ 25,7 %) et Île-de-France (+ 20,8 %) ont les
    excès de mortalité relatifs les plus importants
    Source : https://reporterre.net/Canicule-et-Covid-ont-cause-10-000-morts-en-plus

    III. Les impacts sur les sols et la biodiversité

    Le bilan des incendies

    L’impact le plus saisissant sur les paysages et les écosystèmes est celui laissé par les incendies qui ont été 7 fois plus importants en France que la moyenne des 15 dernières années. Cette augmentation du nombre d’incendies a touché tous les pays d’Europe.

    En plus des vies touchées par les feux de l’été, c’est 61 289 hectares qui ont brûlé, soit 6 fois la taille du département de Paris.

    Par ailleurs, des moyens considérables ont été déployés pour éteindre ces incendies. Le coût de chaque intervention s’élèverait d’après Le Parisien à un chiffre compris entre 750 000 à un million d’euros.

    En juillet 2022, ce sont 3 000 hommes qui ont été mobilisés, 2 000 au plus près du feu et 1000 pour gérer le déroulement des interventions. En termes de matériel, c’est 350 engins de lutte et 200 en appui qui ont été mobilisés, soit un coût global à plus de 100 millions d’euros. En plus de leur coût sur le terrain, l’indemnisation des véhicules défaillants représente un coût
    considérable. À titre d’exemple, les gros camions peuvent coûter jusqu’à 300 000 euros et 50 000 euros pour les 4×4.

    Enfin et surtout, ces interventions ont de lourds impacts en terme de santé, car elles sont génératrices de stress intense comme ont pu l’indiquer les équipes de soin qui suivent les sapeurs-pompiers à la presse.

    Impacts sur les forêts

    Les peuplements forestiers ont été fortement impactés par la sécheresse. De nombreux témoignages ont rapporté l’état dégradé de la végétation qui affichait des couleurs d’automne en plein été.

    Les forêts ont été touchées aussi par les épisodes de grêle du début de l’été durant lesquels de nombreux arbres ont été blessés sur des dizaines voire des centaines d’hectares. Les plus forts dégâts en forêt se sont produits dans les régions de : Bourgogne-Franche-Comté, la Nouvelle-Aquitaine (Dordogne, Gironde, Landes, Deux-Sèvres, Vienne et Creuse), le Centre
    (Loir-et-Cher, Indre, Maine-et Loire) et l’Allier.

    Impacts sur la faune

    Malgré le manque de données chiffrées dont nous disposons pour le moment, la LPO, le CNRS, ou encore Eau de France, ont signalé les vulnérabilités qu’occasionnaient la sécheresse mais aussi les intempéries sur la population animale

    Outre l’impact important de la sécheresse sur le bétail, les chercheur.se.s ont souligné que les milieux aquatiques ont été fortement perturbés par les vagues de canicules qui ont occasionné de faibles étiages ou des assecs, une hausse de la température de l’eau, une baisse de la quantité d’oxygène, et favorisé l’apparition de micro-algues. De nombreux sauvetages de poissons ont ainsi été effectués partout en France et de nombreuses populations de poissons sont mortes, par exemple dans la Loire ou au nord de Pau, sur le lac de Serre-Castets.

    Les chercheur.se.s ont rapporté que les oiseaux, vulnérables à la déshydratation, ont souffert plus particulièrement des intempéries de juin ou du manque d’eau lié à la sécheresse.

    Enfin, les incendies en Bretagne et en Gironde, ont tué ou privé de leur habitat de nombreux animaux sauvages : des insectes, des amphibiens, des reptiles et des mammifères.

    Impacts sur les glaciers

    L’enneigement historiquement bas dans les Écrins cet hiver et les fortes chaleurs persistantes, dès le printemps, ont eu des conséquences sur plusieurs glaciers des Hautes-Alpes, notamment pour le plus vaste glacier des Écrins, le glacier Blanc, dont la fonte a été exceptionnelle. D’autres glaciers sont en danger : les glaciers d’Ailefroide, de la Momie, des Violettes et du Pelvoux.

    IV. Pertes et dommages : les sinistres pour les particuliers

    Le terme « perte et dommage » est utilisé par les Nations Unies pour désigner les dommages causés par le changement climatique. Comme le résume le Réseau Action Climat, les pertes et dommages peuvent être de nature économique et non économique. Ils peuvent être la conséquence de phénomènes météorologiques extrêmes tels que des ouragans violents, ou de phénomènes à occurrence lente comme la montée du niveau des mers. Les populations les plus vulnérables des pays en développement, pourtant les moins responsables du changement climatique, sont les plus durement touchées et ont le moins de moyens pour faire face à ces impacts.

    En 2022, en France, la sécheresse et les intempéries ont causé des millions de sinistres pour un coût total estimé entre 6 et 7 milliards d’euros.

    Les orages de grêle survenus entre le 18 juin et le 4 juillet ont coûté 2,4 milliards d’euros:
    ▪ 624 000 sinistres au total.
    ▪ 267 000 habitations sinistrées.
    ▪ 337 000 automobiles endommagés.
    ▪ 16 000 biens professionnels sinistrés.
    ▪ 4 000 biens agricoles frappés.

    La sécheresse a provoqué de nombreux phénomènes de retrait-gonflement des sols argileux provoquant de nombreuses fissures dans les maisons pour un coût entre 1,9 et 2,8 milliards d’euros.

    Le phénomène de retrait-gonflement des sols argileux :Les terrains argileux superficiels peuvent varier en volume à la suite d’une modification de leur teneur en eau. Ils se rétractent lors des périodes de sécheresse et gonflent au retour des pluies. L’augmentation des sécheresses et des épisodes de pluie violents lié au changement climatique accélère ce type de phénomène.

    Ces chiffres sont à prendre en compte aussi dans le temps long car au total, entre 1990 et 2020, la sécheresse a coûté, selon les assureurs, 14 milliards d’euros

    Entre 2020 et 2050, la sécheresse pourrait coûter sans politique d’adaptation urgente et sérieuse au changement climatique 43 milliards d’euros. Ce sont 10 millions de maisons individuelles françaises concernées à cause notamment du phénomène de retrait-gonflement des sols argileux. 

    V. Autres pertes et dommages : les impacts importants sur l’agriculture et l’alimentation

    Le secteur français le plus fortement impacté par les évènements climatiques extrêmes a été l’agriculture, et donc conséquemment les agriculteur.ice.s mais aussi notre alimentation.

    Concrètement, qu’est-ce que cela signifie pour les agriculteurs ?

    • des récoltes détruites, 
    • une trésorerie dégradée, 
    • une baisse de revenu qui se fait ressentir sur l’année, 
    • des licenciements dans un secteur soumis déjà à de fortes disparités sociales.

    Pour notre alimentation, cela signifie une baisse de production agricole. Ainsi, l’été 2022 a été marqué par une forte baisse de : 

    – production de maïs, -17,1% par rapport à la moyenne 2017-2021, ce qui veut dire que c’est la plus faible récolte de maïs depuis 1990.

    – production d’herbe, – 33 % par rapport à la période de référence (1989-2018). C’est la production la plus faible depuis 2003.

    Ces baisses de rendement peuvent avoir d’autres impacts sur une chaîne d’approvisionnement déjà soumise à une forte tension depuis la guerre en Ukraine, et sur d’autres produits réalisés à partir de maïs. 

    À titre d’exemple, une partie de la production mondiale de maïs est utilisée en alimentation animale mais aussi par les productions industrielles d’éthanol et d’amidon. Les firmes agro-alimentaires utilisent de plus en plus l’amidon du maïs comme substitut du sucre. C’est le cas pour la confiserie, la chocolaterie, la pâtisserie, la biscuiterie, la fabrication de confitures, de conserves de fruits, de crèmes glacées, d’entremets, de plats cuisinés… Le maïs est aussi largement utilisé pour la fabrication de la bière, en complément du malt, ainsi que pour produire du whisky (bourbon).

    Comme le soulignait le Ministère de l’Agriculture, d’autres effets décalés de la sécheresse pourraient se manifester dans les mois à venir, par exemple une baisse de la production laitière ou une décapitalisation du cheptel. 

    Enfin, de nombreux labels alimentaires (AOP, IGP) n’ont pas été en mesure de respecter le cahier des charges annuel faute d’herbe suffisante dans les pâturages ou à cause du manque d’eau  : abondance, reblochon, Munster, fourme d’Ambert, bleu d’Auvergne, beurre Charentes-Poitou, beurre des Charentes, beurre des Deux-Sèvres, IGP Agneau du Quercy, les labels flageolet vert et lingot du Nord. 

    Qui a été le plus touché dans le secteur agro-alimentaire? 

    Les cultures les plus touchées ont été l’arboriculture, les vignes. Les bêtes ont fortement souffert du manque d’herbe. Les maraîchages conventionnels et agroécologiques ont été également durement touchés à l’ouest et dans le sud de la France.
    Pour exemple le plus symbolique, 11 départements victimes de la sécheresse ont été indemnisés au titre des calamités agricoles : l’Ardèche, l’Aveyron, le Cantal, la Drôme, la Loire, la Haute-Loire, le Lot, la Lozère, le Puy-de-Dôme, le Rhône et le Tarn. L’indemnisation prévisionnelle pour ces départements s’élève à 76,3 millions d’euros.

    Mais la sécheresse n’a pas  eu que des impacts sur l’agriculture, elle a eu aussi de forts impacts sur d’autres secteurs économiques :

    – le tourisme, notamment dans les Hautes Alpes et les Alpes de Haute Provence, en Corse et en Gironde. Dans le bassin d’Arcachon, le tourisme aurait enregistré une baisse de chiffre d’affaires de 10 à 50%

    des secteurs essentiels comme le transport fluvial ont été menacés, notamment sur le Rhin qui connaissait son plus faible niveau depuis 15 ans.

    Conclusion

    Ce premier bilan des impacts de l’été 2022 sur la France met en relief des vulnérabilités.

    Pour les personnes :

    – les personnes âgées de plus de 75 ans 

    les travailleurs en extérieur : secteur touristique, construction, pisciculture, agriculture

    –  les pompiers

    En terme de territoires : 

    –  les zones littorales, en particulier la côte ouest et la côté méditerranéenne, marquées par les gros orages de l’été, les incendies et des périodes de canicule très longues ;

    – les zones fluviales du Rhin, de la Loire et du Rhône fortement impactées par la sécheresse ;

    – les départements du sud de la France marqués par de graves problèmes de sécheresse et d’approvisionnement en eau ;

    – des villes comme Nantes ou Saint-Malo qui ont failli manquer d’eau potable ;

    – la région Grand Est, qui compte le plus fort taux de surmortalité lié aux canicules (+ 25,7 %) ;

    – les massifs forestiers exposés aux risques d’incendie, comme on l’a vu en Gironde ;

    – les zones montagneuses soumises à des risques de fonte comme on l’a vu avec le glacier blanc dans les Écrins ;

    – les zones de plateaux, comme la Cantal, la Drôme, le Quercy, sensibles aux sécheresses ;

    – et les zones argileuses exposées au risque de retrait-gonflement des sols argileux.

    D’autres vulnérabilités existantes ont moins été relayées par la presse : les jeunes enfants, les femmes enceintes, les habitant.e.s des centres villes exposés au phénomène de fournaise urbaine en temps de canicule. D’autres personnes ont souffert aussi pendant l’été, notamment les personnes détenu.e.s dans les prisons françaises souvent condamnées pour leur surpopulation carcérale et leurs conditions indignes de détention. 

    Quatre ans après le lancement de l’Affaire du Siècle, et la condamnation de l’État en 2021 par la justice, ce bilan montre que les catastrophes climatiques sont amplifiées par l’inaction de l’État et le manque d’adaptation des territoires français au changement climatique.

    Il montre aussi l’importance de mieux connaître les impacts du changement climatique pour penser et agir collectivement dans un souci d’efficacité et de justice dès aujourd’hui.

    Pour en savoir plus…

    Si vous voulez mieux connaître les inégalités climatiques et environnementales, ou rejoindre le groupe inégalités climatiques pour porter plus fort ce combat, vous pouvez nous écrire ou consulter notre rapport sur les inégalités climatiques et environnementales :  

    Et les combats en justice menés par Notre Affaire à tous