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  • Éthique environnementale et droits : réflexions autour d’une évolution de la perception du droit

    Par Xavier Idziak, membre de Notre Affaire à Tous

    Au-delà d’une rigidité souvent contestée, le droit de l’environnement s’entoure parfois de concepts et de notions plus philosophiques recherchant à répondre à des finalités spécifiques. Les éthiques environnementales proposent une vision de la perception de l’Homme au regard de son environnement, le droit considéré comme un droit de raison cherche à y répondre et à s’inscrire dans les courants des trois éthiques environnementales.

    Le droit de l’environnement invite régulièrement au travers de l’évolution des enjeux sociaux et environnementaux à repenser la place de l’Homme au sein de l’environnement. Aussi, ce droit et sa construction ont été largement influencés par des notions, concepts et principes ayant favorisé sa construction depuis les années 1960,  le droit existant auparavant ne répondant pas à la même logique (1). Ce dernier a été fortement influencé par plusieurs mouvements issus de l’éthique environnementale résultant bien souvent de courants philosophiques cherchant à percer l’armure difficilement perméable du droit. L’éthique environnementale peut être considérée comme « une réflexion philosophique qui a su associer les questions morales classiques (qu’est-ce que la valeur ? comment distinguer le bien et le mal ? le pluralisme est-il nécessaire ?) et les problèmes contemporains qui font de la nature l’objet d’un débat philosophique » (2).

    Ces courants transcrivent à la fois l’évolution des enjeux sociaux, et aussi de la perception de l’Homme à son environnement naturel (3). L’actualité juridique récente en matière de droit de la Nature (4) invite à s’interroger sur la hiérarchie Homme-environnement. Une présentation successive de ces éthiques permettra de mieux percevoir le carcan juridique entourant le droit de l’environnement et sa perception de la nature. Il sera dès lors procédé à une analyse synthétique de l’anthropocentrisme, du biocentrisme et de l’écocentrisme. Le choix du synthétique ne doit pas être apparenté à l’absence de volonté démonstrative ; elle se fait au contraire dans une volonté pédagogique visant à présenter simplement les courants de l’éthique environnementale sans prendre un parti pris. 

    Le premier des courants de l’éthique environnementale correspond à l’anthropocentrisme. Le droit de l’environnement n’échappe pas au classicisme juridique qui fait que le droit reste, en tout et pour tout, un instrument de domination de l’Humain sur ce qui l’environne (5). Le droit est dans ce contexte généralement conçu de façon à être anthropocentrique, cela signifie que l’Homme reste au cœur des préoccupations, et il n’a qu’une vision utilitariste de la nature (6). Le droit reste « binaire » (7) en incluant l’Homme d’une part et des choses d’autre part ; les Hommes sont « maîtres et possesseurs de la nature » (8). La vision anthropocentrée induit un vocable qui place dans un rapport hiérarchique l’Homme au-dessus de la nature (9). Les éléments de l’environnement sont dans cette éthique, qui reste souvent d’actualité, régis par des définitions donnant un rapport de force permettant d’utiliser librement et sans considération morale. L’environnement n’est dans ce cas perçu que comme une ressource ayant essentiellement une valeur marchande (10). La relation avec l’environnement et ses composantes existe bien, mais l’aspect mercantile et utilitariste prend le pas sur la protection de l’environnement. Si cette protection par le droit existe dans ce courant, elle ne s’organise qu’autour de l’intérêt Humain. L’environnement n’est protégé que lorsque le péril à son encontre affecte directement et durablement l’Homme (11). Pour ce faire, nous utiliserons une série d’exemples. Historiquement, les textes perçoivent l’environnement sous l’aspect d’une propriété où un droit d’usage est souvent conféré (12). Aussi, la Charte de l’environnement vectrice de lourds débats doctrinaux (13) est toujours perçue comme anthropocentrée ; l’environnement étant « le patrimoine commun des êtres humains » (14). Le professeur Fombaustier rappelle à juste titre que dans la Charte « ce n’est donc pas l’homme qui est pour l’environnement, mais bien l’environnement qui est pour l’homme » (15). À ce titre, si l’on s’en tient à réduire la nature ou l’environnement à une simple désignation de composantes, le Code de l’environnement est d’ailleurs particulièrement révélateur de cette vision. Celui-ci dénomme en effet largement l’environnement sous des composantes de ressources naturelles (16), faunistiques (17), génétiques (18) et même marines (19). Le recensement de ces éléments pourrait être opéré sur d’autres points, mais il ne convient pas au travers de ce billet de blog de développer davantage ce point. En droit international, l’environnement est reconnu comme assurant un bienfait à l’Humain. Ainsi, la très célèbre Déclaration de Stockholm de 1972 énonce en son préambule que « l’homme est à la fois créature et créateur de son environnement, qui assure sa subsistance physique et lui offre la possibilité d’un développement intellectuel, moral, social et spirituel. Dans la longue et laborieuse évolution de la race humaine sur la terre, le moment est venu où, grâce aux progrès toujours plus rapides de la science et de la technique, l’Homme a acquis le pouvoir de transformer son environnement d’innombrables manières et à une échelle sans précédent. Les deux éléments de son environnement, l’élément naturel et celui qu’il a lui-même créé, sont indispensables à son bien-être et à la pleine jouissance de ses droits fondamentaux, y compris le droit à la vie même » (20). La dimension anthropocentrée ressort particulièrement de la Convention par un intérêt qui est celui de l’Humanité (21).

    Au travers de ces exemples, il est possible de constater l’utilitarisme omniprésent de la nature en tant que ressource. La nature n’a pas de valeur intrinsèque dans le courant anthropocentrique (22). Pour autant, d’autres éthiques environnementales prennent en considération la valeur intrinsèque de l’environnement et de la nature et tendent à accorder une meilleure protection juridique. 

    Le biocentrisme, s’il n’est pas à contre-courant de l’anthropocentrisme, propose de revisiter la valeur accordée à l’environnement. Cette conception récente, issue de la philosophie, longuement défendue outre-Atlantique (23), fait preuve d’une perception intrinsèque donnant à l’environnement une fin en soi (24). La présente éthique accorde à l’ensemble des êtres vivants une considération morale (25). Le biocentrisme en rompant avec la vision Kantienne du droit, n’accorde plus uniquement une valeur à l’être humain, il considère l’Humain et l’environnement comme une multitude par le respect de la valeur intrinsèque (26). Cette éthique n’a pas fait pour autant totalement mouche au sein du droit national, elle s’intègre bien plus en droit international (27). Les exemples du droit international sont particulièrement révélateurs d’un changement de paradigme dans la recherche d’une volonté textuelle de transcrire un certain biocentrisme. La valeur intrinsèque de la diversité biologique a ainsi pu être reconnue dans la Convention sur la diversité biologique de 1992 (28). Le droit international s’est déjà saisi de la conception biocentrique en adéquation avec les changements sociaux et la perception de l’environnement. Dans ce cadre, les conventions mettent en avant la valeur intrinsèque dans leur préambule ou corps de texte (29). La valeur exprimée au sein des conventions est ainsi changeante ; l’environnement a donc été perçu d’une valeur irremplaçable (30) à une valeur intrinsèque (31) considérant de facto l’environnement pour ce qu’il est. Les conventions internationales relatives à la reconnaissance de cette valeur sont réservées à la protection des espèces et milieux de vie.  Si le biocentrisme semble trouver sa place au sein des textes nationaux (32) et internationaux (33), il faut toutefois noter le faible intérêt de la doctrine sur ce point. L’essentiel des travaux doctrinaux en la matière reste philosophique. 

    Le biocentrisme par la valeur intrinsèque qu’il donne à la nature introduit un changement de regard sur l’environnement. Pour autant, cette éthique souffre de sa condition. En effet, la protection accordée à l’environnement et à la nature, n’existe ici que par un utilitarisme toujours présent. Si une protection existe, elle s’exerce que dans la finalité de l’utilisation de cet environnement, de la nature (34). La protection est dans ce cas duale, à la fois pour l’humain et à la fois envers l’environnement, en ce qu’elle reste une source d’activité marchande ou non. La critique semble acerbe, mais le biocentrisme a le mérite d’octroyer et de percevoir l’environnement en dehors d’une ressource librement exploitable sans en percevoir les conséquences. L’application de cette éthique pose des questions relatives à l’individualisme, mais aussi quant à l’application de droits pour l’environnement et la nature (35).  

    Pour finir, cette courte étude synthétique s’intéressera à l’écocentrisme. Celui-ci perçoit l’environnement d’une façon totalement opposée à l’anthropocentrisme défini précédemment. L’opposition entre les deux éthiques repose sur l’appréciation faite de la nature. Dans l’éthique écocentrique, l’humain n’est pas le seul sujet moral (36). La valeur attribuée est bien plus globale, elle permet par celle-ci d’étendre le champ des possibles juridiques, en accordant une certaine dignité à l’environnement (37). Dans l’écocentrisme, le curseur de la valeur des membres concourant à l’environnement est déplacé, la valeur correspond à un ensemble (38). Les membres de cette approche plus globale se voient octroyer non seulement des droits, mais aussi des devoirs (39). Les détracteurs d’une vision écocentrique du droit pointent du doigt, bien souvent, la contrepartie des devoirs face aux droits accordés (40). Aussi, ces derniers considèrent souvent que l’écocentrisme n’existe peu ou prou, compte tenu de la confusion souvent opéré entre l’écocentrisme et le biocentrisme (41-42). Or, rien n‘est plus faux, l’élargissement de cette éthique par le droit se construit par l’intervention du droit international (43) qui, une fois de plus, est pionnier en matière d’éthique environnementale. La Charte mondiale de la nature en est un bon exemple, elle énonce notamment que « l’humanité fait partie de la nature et la vie dépend du fonctionnement ininterrompu des systèmes naturels qui sont la source d’énergie et de matières nutritives » (44), mais aussi que « toute forme de vie est unique et mérite d’être respectée, quelle que soit son utilité pour l’homme » (45). Les exemples en sont aujourd’hui plus nombreux (46), les juridictions étrangères relevant parfois cet écocentrisme (47). Les propositions multiples à l’extérieur  du droit national s’exportent et dépassent bien souvent le stade politique et philosophique. 

    Finalement, à l’heure de la globalisation des enjeux environnementaux, doit-on encore opposer les trois éthiques environnementales au sein du droit de l’environnement ? (48) Une conciliation syncrétique entre ces éthiques ne mériterait-elle pas d’être trouvée ? Un changement de paradigme à l’heure de l’anthropocène serait bien plus opportun qu’un débat orienté par la philosophie, le politique, au détriment de l’argument juridique de protection et de raison. Le rapport de l’Homme au-dessus de l’environnement se transforme, par le gré du juridique, à l’image de l’évolution des perceptions de la Nature (49).  

    Notes

    1.  Le droit « était pour l’essentiel attaché à la destruction de la nature » ; J. UNTERMAIER, « Le droit de l’environnement, réflexions pour un premier bilan », in Année de l’environnement, Revue du centre d’études et de recherches sur le droit de l’environnement, Université de Nice, PUF, vol. 1, 1980, p. 105. 
    2.  C. LARRĖRE,« Éthiques de l’environnement », Multitudes, n°24, 2006, p. 76. 
    3.  Pour un résumé des débats philosophiques, mais qui s’inscrivent dans le droit soit par le contrat, soit par le procès v J.-P.,PIERRON« Qu’est-ce que les relations entre droit et environnement disent de nous ? », Les cahiers de la justice, 2019, p.417.
    4.  Ici en tant que sujet de droit possédant une personnalité juridique. 
    5.  Cette tautologie relève de l’évidence, pour autant elle fait écho aux longs débats sur la définition de l’environnement dans le domaine juridique. Dans le cadre de cette présentation, la définition retenue sera celle-ci : « le droit de l’environnement peut se définir comme le droit qui s’occupe des rapports entre l’homme et la nature » ; v. A. PAPAUX,« De la nature au « milieu » : l’homme plongé dans l’environnement », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 2008, Vol. 60, p. 31.
    6.  J. RIVERO, Préface, in F. CABALLERO, Essai sur la notion juridique de nuisance, Thèse, LGDJ, Paris, 1981, p. VIII. 
    7.  Expression empruntée à P. BILLET, « L’animal, prétexte d’une analyse renouvelée des relations juridiques entre l’homme et l’environnement », Les cahiers de la justice, 2019, p. 695 ; « L’appréhension du monde par le droit est binaire. Banalement, mais fondamentalement binaire : d’un côté, les personnes ; de l’autre, les choses ».
    8.  R. DESCARTES, Discours de la méthode, p. 38 [En ligne], https://philosophie.cegeptr.qc.ca/wp-content/documents/Discours-de-la-m%C3%A9thode.pdf
    9.  Pour synthétiser, « Pour simplifier, on se souvient que lors d’une longue période, héritière de Bacon et Descartes, et dans une certaine mesure prolongée par Kant, une idée dominait selon laquelle l’homme, être de raison, jouissait dans le monde d’une position spécifique et partagée, l’autorisant à soumettre et à domestiquer par tous les moyens la nature » ; v. L. FONBAUSTIER, « Environnement et pacte écologique – Remarques sur la philosophie d’un nouveau « droit à » », Les cahiers du conseil constitutionnel, n° 15, 2004, p. 140.
    10.  En ce sens, il serait possible de relever l’exemple de la vente des émissions de CO2.
    11.  Pour une critique de l’anthropocentrisme, voir C. LARRÈRE, R. LARRÈRE, Du bon usage de la nature, pour une philosophie de l’environnement, France, Flammarion, 2009, 355 p.
    12.  En ce sens, nous prenons les écrits de J. FROMAGEAU, « Les principes de la Révolution française ont-ils eu un impact sur les droits d’usage de la nature ? », « pour mémoire », Actes de la journée, des officiers des eaux et forêts aux inspecteurs de l’environnement, hors-série, 2014, pp. 15-17.
    13.  Le professeur Morrand-Deviller, relève dans l’absence de débats relatifs en partie aux débats anthropocentrés, biocentrés et écocentrés ; v. J. MORAND-DEVILLER, « La Charte de l’environnement et le débat idéologique », RJE, n° spécial La Charte constitutionnelle de l’environnement., 2005 spec. p. 105.
    14.  A. VAN LANG, « Entre la chauve-souris et le pangolin ? La place du droit dans la science du « monde d’après » (le Covid-19) », Recueil Dalloz, 2020, p. 1044. 
    15.  L. FONBAUSTIER,« Environnement et pacte écologique – Remarques sur la philosophie d’un nouveau « droit à » », art. cit..
    16.  En ce sens v. Art. L. 110-1 C.env. ; « Les espaces, ressources et milieux naturels ».
    17.  Par ex. L. 141-3 C.env, L. 411-1 A C.env, ou encore R. 334-4.
    18.  L’article L. 412-4 C.env peut être utilisé à titre d’exemple.
    19.  Par ex. L. 219-1 et L. 219-5-1 C.env. 
    20.  V. A/CONF.48/14/Rev.1 p. 3 ; disponible sur https://undocs.org/fr/A/CONF.48/14/Rev.1
    21.  Le principe 5 de la Déclaration de Stockholm précise que « Les ressources non renouvelables du globe doivent être exploitées de telle façon qu’elles ne risquent pas de s’épuiser et que les avantages retirés de leur utilisation soient partagés par toute l’humanité ».
    22.  Elle ne dispose ainsi pas de valeur intrinsèque. En ce sens, v. I. DOUSSAN, « Les services écologiques un nouveau concept pour le droit de l’environnement ? », in C. CANS(dir.), La responsabilité environnementale, prévention, imputation, réparation, Actes de colloque SFDE, Dalloz Coll. Thèmes et commentaires, 2009, p. 133.
    23.  V ; C. LARRÈRE, « La valeur intrinsèque in Les philosophies de l’environnement » in Les philosophies de l’environnement, PUF, 1997, pp.18-38. 
    24.  Tout être vivant est considéré « comme l’équivalent fonctionnel d’un ensemble d’actes intentionnels, comme une « fin en soi » » ; v. LARRÈRE (C.) « Éthique et philosophie de l’environnement », p. 48-49, in A. EUZEN (et al.), Le développement durable à découvert https://books.openedition.org/editionscnrs/10590?lang=fr#:~:text=Il%20y%20a%20donc%20des,une%20%C2%AB%20fin%20en%20soi%20%C2%BB.
    25.  « Elle instrumentalise son environnement à son profit, pour elle-même, c’est une fin, qui comme telle, mérite le respect. Comme cette éthique accorde une valeur morale à chaque entité vivante, on l’a dit biocentrique » ; v. C. LARRÈRE, « Éthiques de l’environnement », art. cit., p. 82
    26.  « Le biocentrisme, quant à lui, fonde son éthique sur le respect de la valeur intrinsèque que posséderait tout être vivant en tant qu’il manifeste des buts vitaux fondamentaux » ; J. DELORD,« La sauvageté », un principe de réconciliation entre l’homme et la biosphère », Natures sciences sociétés, n° 13, 2005, p. 317.
    27.  En ce sens, la valeur intrinsèque est souvent accordée à l’animal de façon générale. 
    28.  « Conscientes de la valeur intrinsèque de la diversité biologique et de la valeur de la diversité et de ses éléments constitutifs sur les plans environnemental, génétique, social, économique, scientifique, éducatif, culturel, récréatif et esthétique » ; Convention sur la diversité Biologique, 5 juin 1992.
    29.  En ce sens, voir les exemples cités par A. MEYNIER, Réflexions sur les conceptions en droit de l’environnement, Paris, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit de l’urbanisme et de l’environnement, tome 16, 2020, pp. 58-89. 
    30.  V. le préambule de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction« Reconnaissant que la faune et la flore sauvages constituent de par leur beauté et leur variété un élément irremplaçable des systèmes naturels, qui doit être protégé par les générations présentes et futures ». V. aussi Convention sur la conservation des espèces migratrices appartenant En ce sens, le biocentrisme semble, pour certains auteurs, prendre forme en Colombie v. V. BERNAUD, F. CALDERON-VALENCIA, « Un exemple de constitutionnalisme vert : la Colombie », Revue française de droit constitutionnel, 2020, n° 123, spec. pp. 332-333.  à la faune sauvage, 1979.
    31.  La Convention de Berne de 1979 et la Convention sur la diversité écologique de 1992 mentionnent toutes deux la valeur intrinsèque d’une part de la flore et la faune sauvages et d’autre part de la diversité biologique.
    32.  Les textes nationaux français sont plus pauvres, dans ce cas il faut s’intéresser aux textes reconnaissants une dignité à l’animal, les textes relatifs au bien-être animal indépendamment des considérations humaines peuvent être symptomatiques d’un changement en devenir. 
    33.  En ce sens, le biocentrisme semble, pour certains auteurs, prendre forme en Colombie v. V. BERNAUD, F. CALDERON-VALENCIA, « Un exemple de constitutionnalisme vert : la Colombie », Revue française de droit constitutionnel, 2020, n° 123, spec. pp. 332-333. 
    34.  En ce sens qu’on ne peut disposer de l’environnement ou de la nature de façon arbitraire v. C. LARRÈRE, « Les éthiques environnementales », Natures Sciences Sociétés, 2010, n° 18, p. 407  ; « Reconnaître une valeur intrinsèque à chaque entité vivante, c’est admettre qu’elle existe d’une façon telle que l’on ne peut en disposer de façon arbitraire, qu’elle ne peut être à volonté remplacée par un équivalent. Cela ne conduit pas à s’interdire toute intervention dans la nature qui risquerait de tuer des êtres vivants (ce serait impossible), mais à en rendre nécessaire la justification ». 
    35.  Elle « empêcherait la vie en général, car celle-ci est avant tout faite de prédation, de parasitisme, de luttes et d’expériences parfois cruelles » ; J. DELORD, « La « sauvageté », un principe de réconciliation entre l’homme et la biosphère », art. cit..
    36.  Ibidem. 
    37.  Pour autant conférer une dignité à la Nature (en tant qu’entité ou l’environnement peut se rapprocher de la dignité octroyée aux animaux. Cependant dans le cas de l’animal, des limites sont évoquées, notamment du fait que les droits accordés dans ce cadre sont anthropocentrés, en ce qu’il existe un choix dans les animaux auxquels ils sont accordés. En ce sens v. P. BILLET, « L’animal, prétexte d’une analyse renouvelée des relations juridiques entre l’homme et l’environnement », art. cit..
    38.  « L’écocentrisme holiste, courant de pensée des éthiques environnementales, repense notre rapport éthique et politique aux non-humains dans le but d’assurer leur maintien et le nôtre » ; v. C. GUIMONT, « L’euphémisation des interdépendances entre humains et non-humains. Étude de cas à partir d’une sociologie politique écocentrée », VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement, [En ligne], Hors-série 32 | avril 2020, mis en ligne le 17 avril 2020, consulté le 17 juillet 2020. URL : http://journals.openedition.org/vertigo/26868.
    39.  C. LARRÈRE, « Les éthiques environnementales », op.cit., p. 408.
    40.  En ce sens, il s’agit de critiques générales contre l’octroi d’une personnalité juridique à d’autres objets juridiques ; par exemple « Si la dignité est un attribut essentiel de la personne humaine, elle n’est pas nécessairement le critère de la personne juridique. […] L’éthique écocentrée, tout en accordant une place privilégiée à l’espèce humaine, insiste sur les liens entre l’homme et son milieu naturel, lequel mériterait également d’être considéré avec une certaine dignité. La démarche est sujette à caution ; elle risque en effet d’introduire une dose de relativité dans la notion de dignité et réduit la spécificité humaine à une simple question de degré » ;M. HUNTER-HENIN, « Droit des personnes et droits de l’homme : combinaison ou confrontation ? », Revue critique de droit international privé, 2006 p.743 
    41.  Pour une critique de l’écocentrisme v. L. FERRY, Le Nouvel ordre écologique, Grasset, 1992.
    42.  D’autres relèvent que l’écocentrisme, est parfois réducteur par exemple dans le cas de la compensation écologique ; « la compensation écologique souffre d’un déficit social, humain et culturel. Focalisée sur le stock de biodiversité, elle verse trop dans l’écocentrisme. Ne tenir compte que des seules logiques écosystémiques est en effet réducteur, l’environnement ayant une dimension infiniment plus complexe. À titre d’exemple, l’implantation d’une ferme solaire peut être bénéfique du point de vue global pour la lutte contre le réchauffement climatique, mais négative au plan local, pour la biodiversité présente, les terres cultivées, les paysages… » ; v. B. GRIMONPREZ, « Réparer le vivant : éthique de la compensation », RJE, 2017, n°4, vol. 42, p. 689.
    43.  Relevé not. par Y. PETIT, « Environnement », Répertoire de droit international, janv. 2010 (act. janvier 2020), §10.
    44.  V. A/RES/37/7, 28 oct. 1982, p. 19-21.
    45.  Ibid.
    46.  V. en ce sens les décisions juridiques mentionnées par V. CABANES, Reconnaitre la valeur intrinsèque de la nature [en ligne] https://valeriecabanes.eu/reconnaitre-la-valeur-intrinseque-de-la-nature/. En ce sens Marie-Angèle Hermitte s’exprime sur le partage des territoires avec des non-humains, cela rentrerait dans des objectifs de l’Union européenne, qu’ils soient politiques ou non ; M.-A. HERMITTE, « La Nature, sujet de droit? », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2011, n°1, spec. pp. 173-189. 
    47.  Notamment la Cour constitutionnelle colombienne ; « L’approche écocentrique part de l’idée de base que la terre n’appartient pas à l’Homme et suppose au contraire que l’Homme est celui qui appartient à la Terre, comme toute autre espèce. Selon cette interprétation, l’espèce humaine n’est qu’un élément de plus dans une longue chaîne d’évolution qui dure depuis des milliards d’années et ne possède donc en aucun cas les autres espèces, la biodiversité ou les ressources naturelles, ainsi que le destin de la planète. Par conséquent, cette théorie conçoit la nature comme un véritable sujet de droits qui doit être reconnu par les États et exercé sous la tutelle de leurs représentants légaux, par exemple, par les communautés qui l’habitent ou qui entretiennent une relation privilégiée avec elle » ; cité par F.-L. MACIAS GOMEZ, « La nature, une personne morale : l’exemple de la Colombie », Revues des Juristes de Sciences Po, n° 18, Janvier 2020, p. 14, §44.
    48.  En ce sens, « Un intérêt général planétaire qui intègre finalement dans un même objectif approche anthropocentrée et approche écocentrée » ;C. LEPAGE, « Préface », in C. HULGO, F. PICOD, La Déclaration universelle des droits de l’Humanité, Bruylant, 2018 cité par A. ROUSSO LAVOISIER, « Le principe de solidarité écologique ou l’irruption de la science dans le droit », RJE, Vol. 44, p. 497. Le constat d’un dépassement du clivage des approches anthropocentrées et écocentrées est aussi énoncé par J. DELORD, « Du droit et de la considération morale des espèces » in : L’extinction d’espèce : Histoire d’un concept & enjeux éthiques, § 49-55 [en ligne] Disponible sur : http://books.openedition.org/mnhn/2560
    49.  Ici en tant qu’entité légalement consacrée mais aussi ressource.
  • La confrontation des droits de la nature et des droits humains

    Par Amina Medgoud, membre de Notre Affaire à Tous

    Introduction

    « Our challenge is to create a new language, even a new sense of what it is to be human. It is to transcend not only national limitations, but even our species isolation, to enter into the larger community of living species. This brings about a completely new sense of reality and value » (1)

    Reconnaître des droits à la Nature interroge notre rapport au monde. En effet, l’Homme moderne occidental, « maître et possesseur de la nature » (2) l’apprivoise et la soumet pour l’exploiter. A cet état de fait, le droit de l’environnement oppose une autre vision du rapport de l’Homme à la Nature qui permet de corriger les abus de son exploitation par des garanties et protections. En France, l’intégration de la Charte de l’environnement dans le bloc de constitutionnalité en 2004 (3) et la création du préjudice écologique dans le Code civil (4) reflètent cette « préoccupation environnementale ». Par ailleurs, la qualification juridique des biens environnementaux (5) nourrit les réflexions doctrinales. Objet extérieur aux personnes (6), les entités naturelles ne sont pas non plus des choses (7). Leur qualification semble donc changer selon la façon dont l’Homme souhaite en disposer. S’il peut exercer son droit de propriété sur certaines choses, il en va différemment lorsque ces entités sont « protégées » par le droit de l’environnement. Dans la perspective française, les « biens communs » bénéficient ainsi d’une protection disparate, non unifiée. Ils ne sont qu’une partie d’un tout, jamais envisagés en tant que détenteurs de droits liés à leur valeur intrinsèque (8).

    Pourtant, le dérèglement climatique, les catastrophes environnementales répétées, les conséquences manifestes de la surproduction et la surconsommation sont autant de signaux qui incitent à repenser cette construction juridique anthropo-centrée. Aussi, l’émergence de droits de la nature compris comme un « ensemble de règles reconnaissant et protégeant, au titre leur valeur intrinsèque, les entités naturelles et écosystèmes en tant que membres interdépendants de la communauté indivisible de la vie » (9) révèle-t-elle ce changement de paradigme. Ainsi, il ne s’agit plus de considérer la Nature comme objet mais bien comme sujet de droit autonome, au-delà de ce que permet aujourd’hui le droit de l’environnement. Cette modification radicale de notre relation au monde sape la conception jusnaturaliste du droit qui sacralise l’universalité et l’inaliénabilité des droits humains. En effet, les droits humains sont des droits naturels qui font de l’Homme le fondement et le sujet primordial de notre système de droits et de garanties des droits. Cet édifice juridique ne peut être détaché d’une certaine dimension politique et économique des rapports de l’Homme en société et dans son environnement. 

    La confrontation entre ce bloc de droits et celui des droits de la nature apparaît alors pour certains comme le résultat inéluctable d’un rééquilibrage nécessaire afin de mieux protéger l’Homme et son environnement. Pour d’autres, a contrario, elle porte en elle les germes d’une dangereuse déconstruction juridique qui pourrait aboutir à créer « des droits sans l’homme » (10).

    Si la création de droits de la nature semble induire le glissement d’un système juridique anthropo-centré au profit d’un droit bio-centré (I), ce changement de paradigme n’implique pas nécessairement une incompatibilité entre droits humains et droits de la nature (II). 

    Droits de la nature et droits humains : passage d’un droit anthropo-centré à un droit bio-centré

    Les premières mentions du droit de la nature apparaissent dans l’ouvrage de Christopher Stone en 1972, « Should trees have standing ? » (11). D’autres auteurs, à l’instar de Thomas Berry, contribuent à conceptualiser une théorie « écologique » du droit dont la portée remet en cause la légitimité de notre système juridique anthropo-centré qui assujettit la planète à l’économie (12). Cette théorie juridique se nourrit, en premier lieu, des idées de communauté et de renforcement mutuel (« mutual-enhancement ») qui fondent la Jurisprudence de la Terre (« Earth Jurisprudence ») :

    « The basic orientation of the common law tradition is toward personal rights and toward the natural world as existing for human use. There is no provision for recognition of nonhuman beings as subjects having legal rights … the naive assumption that the natural world exists solely to be possessed and used by humans for their unlimited advantage cannot be accepted … To achieve a viable human-Earth community, a new legal system must take as its primary task to articulate the conditions for the integral functioning of the Earth process, with special reference to a mutually enhancing human-Earth relationship » (13)

    En ce sens, la « communauté de la Terre » est un prérequis à l’existence humaine qui hisse la loi primordiale, « Great law », au rang des droits naturels (14). Cette idée prend corps à travers la définition de la loi primordiale que donne Cormac Cullinan, c’est-à-dire un ensemble de droits ou principes qui gouvernent le fonctionnement de l’univers (15). La Jurisprudence de la Terre assimile les droits de la nature à des droits naturels et, ce faisant, admet la diversité et l’entièreté de la nature et reconnaît sa valeur intrinsèque et immuable. Ainsi, selon Thomas Berry, la Jurisprudence de la Terre reposent sur plusieurs principes fondamentaux : la valeur intrinsèque de toutes les composantes du vivant ; la reconnaissance des caractères primordial et premier des droits de la nature ; l’indivisibilité de la nature, chaque entité du vivant appartenant à un tout interdépendant, l’Homme y compris (16).

    Cette conception renverse la théorie des droits de l’Homme. En effet, le caractère fondamental des droits de l’Homme repose sur le principe de la dignité humaine. Le préambule de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme adoptée le 10 décembre 1948 traduit cette idée : « Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde » (17). Par ailleurs, en droit français, l’article 16 du Code civil dispose : « La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie » (18). Aussi, est-ce toujours l’Homme, dans ses interactions avec autrui, avec l’État et avec son environnement, qui est au cœur du système occidental de droits et de protections mis en place depuis la fin du XVIIIème siècle. 

    La première difficulté qui découle de ce changement paradigmatique a trait à la perte de sens du caractère fondamental à tout système juridique des droits humains. C’est ainsi que la hiérarchie des droits conçue par certains auteurs aboutit à placer les droits de la nature au coeur du système des droits fondamentaux et ce, au détriment des droits de l’Homme qui deviennent « un sous-système des droits de la nature » (19). La seconde renvoie aux critiques formulées à l’encontre du système de droit bio-centré : est identifié un risque élevé de contradictions entre droits humains et droits de la nature qui pourraient engendrer le recul des premiers au profit des seconds (20). Pour nombre d’auteurs, cette difficulté s’illustre concrètement sur le terrain de la liberté individuelle : la conciliation de cette dernière avec la préservation d’entités naturelles n’est possible qu’après la limitation de cette liberté fondamentale (21). D’autres critiques tendent à démontrer le fait que la perspective bio-centrée des droits, en modifiant les rapports des Hommes à la Terre, bat en brèche les droits de propriété. Finalement, un système bio-centré exclurait de facto certains droits humains fondamentaux. 

    Pourtant, malgré les difficultés, ce changement de paradigme se traduit déjà en droit positif dans certains pays et met en évidence l’interdépendance évidente entre droits de la nature et droits humains.

    Droits de la nature et droits humains : entre autonomie et interdépendance

    À ce jour, plus de vingt pays ont reconnu des droits à la Nature. Cette reconnaissance peut être constitutionnelle, législative ou juridictionnelle. 

    La reconnaissance constitutionnelle des droits de la nature induit la prise en considération de la valeur préexistante du vivant et de la nature, comme un écho à la théorie de la jurisprudence de la Terre. La Constitution Équatorienne de 2008 (22), premier texte national à valeur contraignante, reconnaît la nature comme sujet de droits dans son article 10. L’article 71 de cette même Constitution reconnaît que « La nature, ou Pacha Mama, où la vie est reproduite et se produit, a droit au respect intégral de son existence et au maintien et à la régénération de ses cycles de vie, de sa structure, de ses fonctions et de ses processus évolutifs ». En outre, la Loi sur la Terre Mère de la Charte Bolivienne de 2010 (23) fait de la Pacha Mama un « sujet collectif d’intérêt général » et la décrit comme « une communauté indivisible ». À ce titre, des droits sont octroyés à la Pacha Mama, au premier rang desquels le « droit à la perpétuation de l’intégrité des écosystèmes et des processus naturels qui les soutiennent ». 

    D’autres pays ont reconnu, via une loi ou une jurisprudence, la personnalité juridique à des entités naturelles. À titre d’exemples, les lois Néo-zélandaises ont reconnu la personnalité juridique au Parc naturel Te Urewera en 2014, puis au fleuve Wahanganui en 2017 (24). En Inde, la Haute Cour de l’Etat Uttarakhand, par deux jugements des 20 et 30 mars 2017, reconnaît le bénéfice de la personnalité juridique à deux fleuves, le Gange et la Yamuna. Puis, dans un second jugement, aux ensembles naturels les englobant, et à deux glaciers au sein desquels ils prennent leur source (25). Ces décisions ont été depuis annulées (26). En Colombie, dans un jugement de 2016, la Cour constitutionnelle a conféré la personnalité juridique au fleuve Atrato (27). Enfin, l’octroi de la personnalité juridique à un écosystème ou entité naturelle suppose la mise en place d’un système de protection. En Inde, le Gange a ainsi été placé sous la tutelle de plusieurs personnalités dont des avocats et un président d’université. En Nouvelle-Zélande, le Fleuve Whanganui est sous la protection de la communauté maorie et d’un représentant de l’État. 

    Ce changement de paradigme s’exprime également au niveau international. C’est ainsi qu’a été instituée une journée internationale de la Terre lors de la 63e session de l’Assemblée générale des Nations Unies, qu’un document intitulé « L’avenir que nous voulons » qui mentionne les droits de la nature (28), a été préparé à l’issu de la conférence des Nations Unies sur le développement durable en 2019 ou encore que des objectifs visant à « garantir les droits de la nature » ont été inclus dans le programme de travail de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) 2017-2020 (29). Enfin, en 2018 et 2019, l’ONU a publié sa 10e Résolution sur l’harmonie avec la nature (30). D’autres initiatives internationales ont aussi profondément marqué le développement des droits de la Nature telle la création du Tribunal International des Droits de la Nature lors de la COP21.  Prévu par la Déclaration Universelle des Droits de la Terre mère (DUDTM) (31), il a pour mission d’enquêter et juger les violations de la DUDTM, de développer la Jurisprudence de la Terre et de promouvoir le respect des droits et devoirs de la DUDTM.

    L’effectivité de ces droits est démontrée dans certaines juridictions à l’instar de l’Équateur : les cours se sont elles-mêmes imputées la responsabilité de la mise en oeuvre des droits constitutionnellement garantis à la nature : 

    « It is an obligation to this Court as guardian of the enforcement of constitutional mandates, to materialize the will of the constituent in granting rights to nature » et d’ajouter « whereas in case of doubt about its scope, legal principles and rules shall be applied in the meaning most favorable to the protection of nature » (32)

    Pourtant, malgré les réels points d’achoppement conceptuels engendrés par la reconnaissance des droits de la nature, il est possible de transcender ces difficultés grâce à l’évidente interdépendance qui lie ces droits aux nôtres. Ainsi, la prise en compte des « générations futures » (33) permet-elle d’envisager la préservation de la nature comme condition sine qua non à la survie de l’humanité. En outre, le développement des droits bio-culturels, concept fondé par Kabir Bavikatte, a pour objectif de protéger les peuples autochtones et communautés locales puisque leurs activités et leurs existences sont intrinsèquement liées à la protection de l’environnement. Ce lien essentiel s’exprime aussi à travers la lettre de l’article 8 de la Convention sur la diversité biologique (34) qui dispose que chaque partie contractante « préserve et maintient les connaissances, innovations et pratiques des communautés autochtones  locales qui incarnent des modes de vie traditionnels présentant un intérêt pour la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique » (35).

    Dès lors, dans cette perspective, les droits de la nature ne remettent pas en cause les droits humains mais, au contraire, les renforcent et les protègent. La personnalisation de la nature apparaît alors comme une nécessité qui met en évidence l’interdépendance essentielle entre l’Homme et la Nature. Comme le disait Klaus Töpher, ancien directeur du Programme des Nations Unies pour l’environnement : « Human rights cannot be secured in a degraded or polluted environment » (36).  

    Notes

    1. Thomas Berry, « The Ecological Age »,dans « The Dream of the Earth  », (1982), 42
    2.  Descartes, « Discours de la Méthode », Sixième Partie
    3.  Conseil Constitutionnel, «La charte de l’environnement »
    4.  C.civ., article 1246 à 1252
    5.  C. De Klemm, G. J. Martin, M. Prieur et J. Untermaier, « Les qualifications des éléments de l’environnement », dans  « L’écologie, et la loi » , L’Harmattan, (1989), 53
    6.  W. Dross, Droit civil, « Les choses », LGDJ, (2012), no 1
    7.  C.civ, Art. 714
    8.  G. J. Martin, « Les “biens-environnements” : une approche par les catégories juridiques », RIDE (2015), 139
    9.  Droit de la nature, « Définition et principaux droits de la nature », https://droitsdelanature.com/definition-principaux-droits-de-la-nature 
    10.  Expression de Manon Altwegg-Boussac dans « Les droits de la nature, des droits sans l’homme ? Quelques observations sur des emprunts au langage du constitutionnalisme », Revue des droits de l’homme, n°17 2020
    11.  Christopher Stone, « Should trees have standing – toward legal rights for natural objects », Southern California Law Review 45 (1972), 450-501
    12.  Thomas Berry, « Legal Conditions for Earth’s Survival » dans ed. Mary Evelyn Tucker, Evening Thoughts: Reflecting on Earth as a Sacred Community, (2006), 107
    13.  Thomas Berry, « The Viable Human »,  dans The Great Work, (1999), 5-6
    14.  Ibid, 20 : « supremacy of the already existing Earth governance of the planet as a single, interconnected Community »
    15.  Cormac Cullinan, « Wild Law: A Manifesto for Earth Justice », (2003), 84
    16.  Thomas Berry, « The Origin, Differentiation and Role of Rights », 2001
    17.  ONU, « Déclaration universelle des droits de l’homme », préambule, https://www.un.org/fr/universal-declaration-human-rights/ 
    18.  C.civ, art.16
    19. Gaia presse, «Droits de la nature, un nouveau paradigme pour la protection de l’environnement », (2017), http://www.gaiapresse.ca/2017/11/les-droits-de-la-nature-un-nouveau-paradigme-pour-la-protection-de-lenvironnement/ 
    20.  Hugo Echeverria, « Rights of nature : “the Ecuadorian case”», (2017), http://esmat.tjto.jus.br/publicacoes/index.php/revista_esmat/article/view/192/178 
    21.  James L. Huffman, « Do species and nature have rights », Public law and Resources Law Review 13, (1992), 63
    22. Constitution de la république de l’Equateur, (2008), https://www.silene.ong/wp-content/uploads/2018/10/Constitucion_del_Ecuador_2008.pdf
    23.   Rio+20, « Déclaration Universelle des Droits de la Terre mère », (2012), http://rio20.net/fr/propuestas/declaration-universelle-des-droits-de-la-terre-mere/ 
    24.  Australian Earth Law Alliance,  «  New Zealand – legal rights for forests and rivers » https://www.earthlaws.org.au/what-is-earth-jurisprudence/rights-of-nature/new-zealand/ 
    25.  AFP, « Inde : le Gange doté d’une personnalité juridique », Geo, (21 mars 2017), https://www.geo.fr/environnement/inde-le-gange-dote-d-une-personnalite-juridique-172052 
    26. Thomas Saintourens, « Gange : pourquoi le fleuve sacré a-t-il été déchu de ses droits ? », Geo, (2018), https://www.geo.fr/voyage/video-pourquoi-le-gange-a-t-il-ete-dechu-de-ses-droits-188964 
    27.  Notre Affaire à Tous, « Cour constitutionnelle de Colombie, 10 novembre 2016, ​Centro de Estudios para la  Justicia Sociale “Tierra Digna”​, T-622 de 2016 » https://preprod.notreaffaireatous.org/wp-content/uploads/2019/05/Tierra-Digna.pdf 
    28.  ONU, « L’avenir que nous voulons», paragraphe 39 sur l’harmonie avec la nature
    29.  UICN, « Programme de l’UICN 2017-2020 » , https://www.iucn.org/fr/a-propos/programme 
    30.  Assemblée générale des Nations Unies, résolution 66/204, « Harmonie avec la nature », (22 décembre 2011)
    31.  Rio+20, « Déclaration Universelle des Droits de la Terre mère », (2012), http://rio20.net/fr/propuestas/declaration-universelle-des-droits-de-la-terre-mere/ 
    32. Corte Constitucional del Ecuador, Resolución No. 0567-08-RA.
    33.  La Déclaration de Rio sur la biodiversité en 1992, L’article 33 de la Constitution bolivienne
    34. ONU, « Convention sur la diversité biologique », (1992), https://www.cbd.int/doc/legal/cbd-fr.pdf 
    35.  Fabien Girard, « Communs et droits fondamentaux : la catégorie naissance des droits bioculturels », RDLF 2019, Chron. n°28, http://www.revuedlf.com/droit-fondamentaux/communs-et-droits-fondamentaux-la-categorie-naissante-des-droits-bioculturels/ 
    36.  Déclaration de Klaus Töpher lors de la 57ème session de la Commission des droits de l’Homme en 2001

     

  • L’application du « droit à un environnement sain » par la CJUE : une stratégie cohérente à amplifier

    Par James Corne, membre de Notre Affaire à Tous

    PARTIE I

    Résumé

    Cet article ne vise pas, à travers la notion indéterminée de « droit à un environnement sain », un champ du droit de l’Union, à savoir le droit environnemental de l’Union. Il n’étudiera donc ni l’ensemble, ni une partie du droit dérivé. Il comprend cette notion comme un possible principe, de valeur constitutionnelle, permettant de contrôler l’ensemble des actes des institutions et des États membres. Dans un premier temps, il est question de savoir si un tel principe existe. La réponse est loin d’être claire. Il est néanmoins possible de répondre positivement, bien qu’il faille aussitôt ajouter que sa force normative est extrêmement faible. Dans un second temps, il est question de savoir si la CJUE n’a pas cherché à mettre en œuvre une stratégie qui permettrait de dépasser les faiblesses de ce principe. Autrement dit, dans l’impossibilité de l’invoquer efficacement de façon directe, n’est-il pas possible de l’invoquer de façon indirecte ? Il est finalement question, dans l’ensemble de cet article, de la manière dont la Cour met en œuvre le droit à un environnement sain : en ne le reconnaissant pas directement comme un véritable principe de droit, mais en lui garantissant indirectement une certaine effectivité. Il s’agit donc de rechercher, au travers d’arrêts variés et disparates de la Cour, cette stratégie.

    Pour un résumé plus précis, voir les derniers alinéas, en italique, de cette introduction

    La première partie de cet article est à lire ci-dessous. Elle concerne l’absence d’un principe, doté d’une véritable force normative, en droit de l’Union garantissant un droit à un environnement sain : un droit en manque de principes. Une seconde partie paraîtra dans le prochain numéro de la newsletter des affaires climatiques de Notre Affaire à Tous, en février 2021. Elle concerne la manière dont la CJUE cherche néanmoins, de façon indirecte, à garantir l’application de ce principe sans réelle force juridique : un principe en manque de droit.

    Introduction

    L’un des objectifs de l’Union est de garantir « un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement » (article 3, §3, TUE) (1). En outre, « les exigences de la protection de l’environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de l’Union, en particulier afin de promouvoir le développement durable » (article 11 TFUE) (2). La politique de protection de l’environnement de l’Union est constituée aujourd’hui d’un droit dérivé foisonnant (3).

    Afin de mettre en œuvre cette politique de protection de l’environnement, l’Union dispose d’une compétence partagée (4) avec les Etats membres (article 4, §2, e) TFUE). Le législateur, statuant conformément à la procédure législative ordinaire (5), décide « des actions à entreprendre par l’Union en vue de réaliser les objectifs visés à l’article 191 » (article 192, §2, TFUE). L’Union étant une organisation internationale, elle ne peut agir que sur le fondement d’une compétence et seulement pour mettre en œuvre les objectifs qui lui sont assignés. Concernant le domaine en cause, ces objectifs sont « la préservation, la protection et l’amélioration de la qualité de l’environnement », « la protection de la santé des personnes », « l’utilisation prudente et rationnelle des ressources naturelles » ainsi que « la promotion, sur le plan international, de mesures destinées à faire face aux problèmes régionaux ou planétaires de l’environnement, et en particulier la lutte contre le changement climatique. » La base juridique définie par l’article 192 TFUE a permis l’adoption d’instruments variés et importants, obligeant, pour ne citer que quelques exemples, les États membres à procéder à des analyses d’impact avant l’adoption de mesures pouvant affecter l’environnement (6), ou, mettant en place le réseau « Natura 2000 » (7), ou, garantissant l’accès à l’information en matière environnementale (8), ou, établissant un label écologique (9), ou, concernant la responsabilité environnementale (10) ou la réduction des émissions polluantes (11). 

    Des mesures garantissant plus indirectement la protection de l’environnement peuvent aussi être adoptées sur le fondement d’autres bases juridiques, telles que celles concernant la santé publique. Si, en principe, l’Union dispose d’une compétence d’appui (12) en matière de santé (article 6, a) TFUE), le traité prévoit certaines exceptions lui permettant d’adopter aussi dans ce domaine des actes d’harmonisation (article 4, §2, k) TFUE). Cette dérogation concerne, en particulier, les mesures dans les domaines vétérinaire et phytosanitaire ayant directement pour objectif la protection de la santé publique (article 168, §4, b) TFUE).  Sur le triple fondement des bases juridiques concernant la santé publique, l’établissement, le fonctionnement du marché intérieur (article 114 TFUE) et la politique agricole commune (article 43 TFUE), le législateur de l’UE a adopté le règlement 1107/2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques. Il constitue l’instrument qui permet à des substances actives, telles que le glyphosate, d’être autorisées dans l’Union. Son prédécesseur avait permis la mise sur le marché des néonicotinoïdes et du fipronil, dont la dangerosité pour la santé des abeilles semble aujourd’hui avérée (13). 

    Cependant, cette somme d’instruments ne constitue pas, en tant que telle, un droit à un environnement sain ». Elle permet de former un champ d’étude, rassemblant un ensemble de règles disparates. Elle n’en constitue pas pour autant un droit ou un principe, entendu comme une norme  dotée à la fois d’un degré suffisant de généralité et de complétude pour pouvoir emporter par elle-même des conséquences juridiques. En outre, la somme de ces instruments semble seulement manifester la constance de la volonté politique du législateur de l’Union – aussi heureuse qu’elle puisse être. Elle n’en manifeste pas pour autant le respect d’une obligation constitutionnelle qui s’imposerait à lui. La volonté politique semble dépasser le droit. Elle apparaît alors réfractaire à un réel contrôle juridique.

    Certaines normes inscrites dans les traités semblent pouvoir garantir ce droit à un environnement sain. Par exemple, la Cour a accepté, ce qui n’était pas évident, que les objectifs qui définissent la politique que peut mettre en œuvre le législateur de l’Union, listés à l’article 191 TFUE, puissent aussi servir à juger de la légalité des actes qu’il adopte. Cependant, l’article 191 TFUE accorde une large marge d’appréciation au politique (14), privant cet article d’une grande part de son effectivité. Les traités auraient pu limiter cette marge d’appréciation en précisant cet article, voire en créant de nouvelles dispositions. Néanmoins, en 2007, lors de l’adoption du Traité de Lisbonne, l’article 191 TFUE est demeuré essentiellement identique à l’ex-article 174 TCE. De même, la clause transversale, imposant que les exigences de la protection de l’environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de l’Union, demeure inchangée entre l’article 6 TCE et l’article 11 TFUE. La seule nouvelle disposition est constituée par la Charte des droits fondamentaux de l’Union, qui a acquis valeur de droit primaire avec le Traité de Lisbonne (article 6, §1, TUE). Son article 37 exige qu’ un niveau élevé de protection de l’environnement et l’amélioration de sa qualité doivent être intégrés dans les politiques de l’Union et assurés conformément au principe du développement durable. » Cependant, sa valeur juridique est limitée. Enfin, la Cour n’a pas créé, de sa propre initiative, un principe suffisamment substantiel pour contraindre le politique à protéger davantage l’environnement. La faiblesse de ces règles s’illustre dans le fait que la Cour semble n’avoir encore jamais eu à constater une violation, par une institution de l’Union ou par un Etat membre, d’un des articles listés ci-dessus.

    Ni les traités, ni la Cour ne semblent avoir élaboré un véritable droit à un environnement sain. Cette proposition mérite néanmoins d’être précisée. Premièrement et ainsi qu’énoncé ci-dessus, l’objet recherché concerne l’existence d’un véritable principe juridique, c’est-à-dire d’une norme dotée d’une généralité suffisante, créatrice de droits et d’obligations, justiciable devant le juge et disposant d’une certaine effectivité. Ce principe se distingue donc d’un « droit à un environnement sain », comme synonyme de « droit de l’environnement », champ du droit étudiant un ensemble de normes plus ou moins disparates. Cette conclusion ne conduit pas à nier les louables efforts accomplis par le politique pour adopter une série d’instruments protecteurs de l’environnement. Elle se contente de remarquer l’absence d’une norme, à la fois, dotée d’une force juridique suffisante et suffisamment exigeante quant au niveau de protection de l’environnement qu’elle impose, afin de pouvoir réellement contrôler la qualité du droit dérivé. Secondement, il importe de distinguer plusieurs manières dont un tel droit pourrait être conçu. S’il est assez certain qu’il n’existe pas en droit de l’Union un véritable droit substantiel à un environnement sain, cela ne suffit pas à clore la discussion. Un tel droit peut encore exister en tant que principe d’interprétation, conduisant à choisir parmi toutes les interprétations possibles la plus protectrice de l’environnement. Il peut aussi exister en tant que source de règles procédurales, conduisant la Cour à imposer aux institutions et aux États membres des obligations exclusivement procédurales.

    Eu égard à l’absence d’un principe garantissant de façon claire « un droit à un environnement sain » et donc, à l’impossibilité de commenter son champ d’application et son régime, il faut se tourner vers la jurisprudence de la Cour. Celle-ci a pu développer une stratégie permettant précisément de surmonter la faiblesse apparente des articles 11 et 191 TFUE, et, de l’article 37 de la Charte. Il faut même, à titre d’hypothèse, supposer qu’une telle stratégie existe et qu’elle vise à mettre en œuvre le « droit à un environnement sain. » Le dilemme de cette stratégie semble être de réussir à mettre en œuvre ledit droit, sans pourtant en faire un principe doté d’une véritable force normative. En l’absence d’une telle nouvelle norme venant redéfinir la marge d’appréciation du politique, cette dernière apparaît quasiment inchangée. La principale difficulté à laquelle se heurte donc le juge semble être ce pouvoir discrétionnaire, qu’il ne souhaite pas directement réduire. Toute sa stratégie semble consister à répondre à ce dilemme.  Le juge doit amener le politique à protéger l’environnement, sans néanmoins diminuer sa marge d’appréciation. Les lignes de combat qui dessinent la stratégie de la Cour et la portée du droit à un environnement sain ne semblent donc pas être déterminées par les exigences environnementales elles-mêmes, mais par une notion qui est étrangère à l’environnement — à savoir le pouvoir discrétionnaire du politique.

    La stratégie de la Cour, pour garantir le droit à un environnement sain, comprend un plan en cinq parties. Elles reposent toutes sur un objectif de prudence et de déférence, bien qu’à des degrés variés. Les deux premières parties manifestent la plus haute prudence et déférence. Premièrement, le juge ne souhaite pas affronter directement le politique, en condamnant une mesure parce qu’elle ne protègerait pas suffisamment l’environnement, ou en lui imposant directement de protéger davantage l’environnement. La Cour a donc choisi de ne pas développer un véritable droit à un environnement sain, doté d’une réelle force juridique (§§1-6 et 9-10). La deuxième partie de la stratégie conduit le juge à refuser que ce droit permette de déroger aux normes instituées par le législateur (§§12-16), ce qui reviendrait au même que de les déclarer partiellement illégales. Dès lors, elle préfère interpréter les textes de façon conforme au droit à un environnement sain que de relever une illégalité sur son fondement. (§§7-8). Cependant, la troisième à la cinquième partie de cette stratégie permettent de nuancer cette lecture. La Cour s’autorise à affronter de façon indirecte le pouvoir discrétionnaire du politique. Elle ne lui impose directement aucun choix, mais l’encadre par des normes procédurales qui sont censées empêcher le politique d’ignorer les exigences du droit à un environnement sain. Troisièmement, elle impose au politique de respecter une rationalité procédurale, c’est-à-dire, d’une part, de respecter pleinement les procédures qui sont censées garantir le respect du droit à un environnement sain (§17) et de prendre en compte l’ensemble des données pertinentes du cas d’espèce (§18). Quatrièmement, la Cour semble chercher à étendre le champ d’application des textes de droit de l’Union qui définissent les règles encadrant la mise sur le marché de produits dangereux. Par son interprétation, elle y soumet des produits qui n’y entrent pas nécessairement (§§25-26). Cinquièmement et dernièrement, la Cour cherche à faciliter l’accès au juge national pour les associations qui estiment que le droit environnemental de l’Union est violé (§§27-28).

    Cette stratégie est-elle viable et efficace ? Au regard du seul objectif de protéger l’environnement, cette stratégie apparaît limitée. En revanche, au regard de la fragilité de la Cour, la réponse est globalement positive. Néanmoins, il peut être reproché au juge, d’une part, d’oublier parfois de son raisonnement les exigences du droit à un environnement sain (§§9 et 30) et, d’autre part, de ne pas approfondir l’approche procédurale constituée par la troisième partie du plan. La Cour pourrait se permettre de créer des normes procédurales encadrant mieux les institutions et agences qui participent à la protection du droit de l’environnement (§§21-24). La Cour n’aurait pas à enfreindre les principes directeurs de sa stratégie. Elle n’affronterait pas directement le politique, mais se limiterait à l’encadrer.

    Le droit de l’Union est donc d’abord un droit en manque d’un ou d’un ensemble de véritables principes garantissant un droit à un environnement sain (I). Peu semble donc pouvoir être obtenu du côté de la définition de ce droit. Il faut donc étudier, dans un second temps, la mise en œuvre de ce droit pourtant impossible à définir. Même si la Cour a cherché à garantir la protection de ce droit de façon indirecte, celle-ci demeure fragile. Ce droit peut donc être dit « en manque de droit », en ce que son application est fuyante et indirecte, au contraire de ce qu’une véritable norme de droit doit être (II). Il dispose d’une force normative faible et la Cour doit parfois s’affranchir d’un strict respect de la légalité afin de le mettre en œuvre.

    Un droit en manque de principes

    Le droit de l’Union manque de principes disposant d’une force normative suffisante afin de contraindre le politique à renforcer sa politique de protection de l’environnement. Pourtant, à Lisbonne, l’article 37 de la Charte, consacrant la protection de l’environnement comme un droit fondamental, a acquis le statut de droit primaire. Cela n’a néanmoins rien changé, l’article 37 n’ayant aucune portée ni aucune autonomie propre (A). Le droit à un environnement sain, qu’il est possible de dégager du droit de l’Union, apparaît très faiblement normatif. En outre, sa fragilité est renforcée, car ses exigences doivent être pondérées avec d’autres objectifs de l’Union, tels que ceux économiques (B).

    A. La faible portée de l’article 37 de la Charte

    Par l’introduction de l’article 37 de la Charte en droit de l’Union, le constituant ne semblait pas chercher à développer un véritable droit invocable. La Cour s’est conformée à cette volonté et n’a accordé aucune autonomie à cet article. Il apparaît seulement comme la répétition d’autres dispositions du traité, auxquelles il convient dès lors de se référer (1). Cependant, sur le fondement de ces dispositions, la Cour n’a soumis le politique qu’à un contrôle extrêmement souple, évitant toute confrontation frontale (2). 

    1. Un principe sans apport

    α. Une simple répétition de l’article 191 TFUE

    §1. Un principe non autonome

    Afin de dénier une pleine valeur à l’article 37 de la Charte, la Cour semble s’être alignée sur la distinction établie par le constituant entre « droits » et « principes ». Les premiers disposent d’une pleine normativité. Ils sont d’effet direct et la légalité des textes adoptés par les institutions et les États membres peut être jugée à l’aune de ceux-ci. Les seconds ne disposent pas de ces qualités. L’article 52, §5, de la Charte précise que leur invocation devant le juge n’est admise que pour l’interprétation et le contrôle de la légalité des actes qui les mettent en œuvre. La Cour a interprété de façon restrictive cette condition, estimant que ces articles ne disposaient pas d’effet direct. Ils laissent un trop large pouvoir d’appréciation aux institutions et aux États membres pour servir de fondement à un contrôle de légalité. L’arrêt Glatzel souligne ainsi que « le principe consacré à cet article n’implique pas, en revanche, que le législateur de l’Union soit tenu d’adopter telle ou telle mesure particulière » (15).

    Cette absence d’effectivité se retrouve également au niveau des États membres. Premièrement, un tel principe ne peut permettre d’apprécier la légalité d’une mesure étatique. Secondement, il ne permet pas non plus de contrôler la légalité du comportement de personnes privées. En se fondant sur un raisonnement a fortiori, la Cour a tiré implicitement l’inférence suivante : si les principes ne disposent pas d’un effet direct  vertical (16) (pour contrôler les actions et abstentions des institutions et des États membres), ils ne disposent pas non plus d’un effet direct horizontal (17).

    Une interprétation constructive de l’article 52, §5, de la Charte aurait pu permettre de renforcer le statut des principes. Ainsi, l’Avocat général Cruz Villalón proposait que la combinaison d’un principe et d’une directive le mettant en œuvre permettait d’accorder au premier, sur le fondement des précisions apportées par le second texte, une clarté, une précision et une inconditionnalité suffisantes pour acquérir un effet direct. Dans l’espèce en cause, cette solution aurait permis de pallier l’absence d’effet direct horizontal d’une directive non correctement transposée par un État membre (18). L’Avocat général estimait ainsi que les actes de droit de l’Union qui concrétisent de façon essentielle et immédiate un « principe » ont vocation à « s’intégrer au critère de validité des autres actes qui appliquent ledit ‘‘principe’’ au sens de cette disposition » (19). Cela signifie que ces normes de droit dérivé acquièrent, à la fois, une valeur de droit primaire et le statut normatif d’une disposition du traité, ce qui leur permet premièrement de contrôler la législation de l’Union et les actes nationaux et, secondement, de disposer d’un effet direct horizontal. La Cour a expressément rejeté une telle interprétation (20). L’article 37 de la Charte n’accorde donc aucun droit directement invocable (21).

    La situation de l’article 37 connaît néanmoins une situation différente de celle des autres principes. L’article 52, §2, de la Charte dispose que les droits reconnus par celle-ci et qui font l’objet de dispositions dans les traités s’exercent dans les conditions et les limites définies par ces derniers. Tel est le cas de cet article qui constitue essentiellement un renvoi à l’article 191 TFUE. Malgré un langage ambigu, la Cour semble dès lors en conclure qu’il acquiert un effet direct et une véritable force normative. Cependant, le gain ainsi acquis semble aussitôt perdu. En effet, « il s’ensuit que, dès lors que, […] l’article 3 […] n’a laissé apparaître aucun élément de nature à affecter sa validité au regard de l’article 191 TFUE, cette disposition ne laisse pas non plus apparaître d’élément de nature à affecter sa validité au regard de l’article 37 de la Charte » (22). Dès lors que les articles 191 TFUE et 37 de la Charte pourraient également fonder un contrôle de légalité et que leur contenu normatif est strictement équivalent, le juge continue à se fonder seulement sur le premier (23).

    §2 Un champ d’application limité

    Le champ d’application de l’article 37 de la Charte demeure des plus incertains. Premièrement, l’invocabilité de la Charte au niveau des États membres est limitée par son champ d’application. Il correspond strictement au champ d’application du droit de l’Union. Elle s’applique quand les États membres mettent en œuvre le droit de l’Union, en exécution d’obligations de droit primaire ou de droit dérivé. Il ne suffit pas que la mesure étatique puisse affecter indirectement une norme de droit de l’Union (24). L’article 37 de la Charte ne semble donc pouvoir payer de retour l’article 191 TFUE et offrir à ce dernier, en échange de la force normative qu’il lui prodigue, une extension de son champ d’application. Le champ d’application de l’article 191 TFUE continue donc à être limité au champ d’application du droit de l’Union.

    Une deuxième et une troisième extension auraient pu être envisageables. L’article 191 TFUE ne semble pas s’appliquer directement à l’encontre des États membres, ni à l’encontre des personnes privées. En revanche, les droits de la Charte, dotés d’effet direct, en général le peuvent. Faut-il penser que l’article 37 de la Charte puisse devenir un vecteur permettant d’élargir le champ d’application de l’article 191 TFUE ? La Cour n’a pas encore répondu à cette question. Même si une réponse positive pourrait s’intégrer assez logiquement dans sa jurisprudence actuelle sur les droits fondamentaux, il semble qu’elle ne souhaite néanmoins pas créer un véritable droit à un environnement sain doté d’une pleine force normative.

    La Cour est demeurée ambiguë sur les conséquences de l’article 191 TFUE sur les États membres. En 1994, l’arrêt Peralta apparaissait incertain sur les raisons justifiant de rejeter le moyen d’une violation de l’article 191 TFUE par un Etat membre : était-ce car cet article leur reconnaîtrait un large pouvoir d’appréciation ou bien, parce qu’il ne s’adresserait qu’aux institutions de l’Union ? (25) La solution apparaît plus claire en 2010, quand la Cour a semblé affirmer que l’ex-article 174 TCE (actuel article 191 TFUE) ne dispose pas d’un effet direct, permettant de lui reconnaître une invocabilité d’exclusion à l’encontre des normes nationales qui lui seraient contraires. L’invocabilité d’exclusion étant une des qualités intrinsèques à l’effet direct, l’absence de la première permet de supposer l’absence du second. Par une lecture a contrario, il est possible de conclure que cet article ne dispose d’aucun effet direct autonome à l’encontre des actions des Etats membres. Il peut seulement être invoqué en combinaison avec une réglementation de l’UE adoptée sur le fondement de l’ex-article 175 CE (actuel article 192 TFUE) couvrant spécifiquement l’action concernée (26). Son rôle est alors purement interprétatif. A ce jour, il semble donc qu’aucune obligation ne puisse, indépendamment du droit dérivé, être imposée aux États membres sur le fondement de l’article 191 TFUE. La doctrine a pu en conclure que cet article ne disposait pas d’un effet direct (27). A fortiori, il ne semble donc pas disposer d’un effet direct horizontal ou descendant vertical (28). La Cour a ainsi constaté que le principe du pollueur-payeur, consacré à l’article 191, § 2, « ne saurait être invoqué par les autorités compétentes en matière d’environnement pour imposer, en l’absence de fondement juridique national, des mesures de prévention et de réparation » (29).

    Cette dernière conclusion doit néanmoins être pondérée et précisée, au risque d’être fausse et imprécise. Premièrement, ainsi qu’il a déjà été énoncé, l’article 191 TFUE permet de contrôler des actes de droit dérivé adoptés par les institutions de l’Union. Il est donc doté d’un « effet direct ». La Cour semble lui reconnaître, au moins pour certaines de ses dispositions, une clarté, une précision et une inconditionnalité suffisantes pour acquérir ce statut. Les limitations qui l’entravent ne sont donc pas dues à sa qualité intrinsèque, c’est-à-dire à sa conformité aux trois critères de l’effet direct, mais à son champ d’application ratione personae. Secondement, cet article dispose d’une invocabilité indirecte d’interprétation conforme dans les Etats membres. Lorsque ces derniers mettent en œuvre les normes de droit dérivé adoptées sur le fondement de l’article 192 TFUE, « ils doivent aussi veiller à ce que les objectifs de la politique de l’Union dans le domaine de l’environnement soient atteints, conformément aux exigences de l’article 191, paragraphes 1 et 2, TFUE » (30).

    Cette dernière obligation d’interprétation conforme est extrêmement claire en ce qui concerne le principe de précaution, tel que consacré à l’article 191. Celui-ci permet d’adopter une mesure de protection sans avoir à attendre que la réalité et la gravité des risques soient pleinement démontrées (31). Premièrement, ce principe permet à un Etat membre de renforcer les exigences d’une directive concernant la protection de l’environnement. Par exemple, la législation concernant les déchets prévoit que la Commission établit les critères spécifiques qui permettent de déterminer quels déchets cessent d’être des déchets, lorsqu’ils ont subi une opération de valorisation ou de recyclage (32). Si aucun critère harmonisé n’a été défini, les États membres peuvent décider, au cas par cas, si certains déchets ont cessé d’être des déchets (33). Pareillement que la Commission, ces derniers doivent tenir compte de tout effet nocif possible de la substance ou de l’objet concerné sur l’environnement et la santé humaine (34). Ils doivent aussi veiller à ne pas faire obstacle à la réalisation des objectifs de la directive, tels que l’encouragement à la valorisation des déchets (35). Ainsi, si l’Italie souhaite refuser qu’une l’huile végétale recyclée soit utilisée en tant que combustible dans une installation de cogénération, elle doit justifier de l’existence d’un risque raisonnable pour l’environnement et la santé humaine (36). L’existence d’un certain degré d’incertitude scientifique relative aux risques environnementaux peut conduire un État membre, compte tenu du principe de précaution, à décider de ne pas faire figurer une substance sur la liste des combustibles autorisés (37).

    Secondement, le principe de précaution peut aussi limiter la marge d’appréciation d’un Etat membre. Un exemple est offert par la directive « habitats ». Cette dernière permet aux États membres, dans des conditions strictement encadrées, d’autoriser le prélèvement d’espèces protégées. Une telle dérogation ne doit pas nuire au maintien ou au rétablissement des populations d’une espèce menacée d’extinction dans un état de conservation favorable. Si l’examen des meilleures données scientifiques disponibles laisse subsister une incertitude sur le point de savoir si tel est le cas, le principe de précaution impose à l’État membre de s’abstenir d’adopter ou de mettre en œuvre une telle mesure (38).

    En l’état actuel du droit, l’article 37 de la Charte, lu à la lumière de l’article 191 TFUE, semble donc pouvoir disposer d’une faible force normative à l’encontre des États membres, limitée à l’obligation d’interprétation conforme. Il ne dispose d’aucune véritable autonomie et permet seulement à la Cour de jouer sur les marges de l’interprétation des instruments adoptés par le législateur de l’Union. L’œuvre jurisprudentielle a ainsi permis de renforcer les obligations prévues par ces instruments, en choisissant, parmi les diverses interprétations possibles, la plus protectrice de l’environnement. Elle n’a néanmoins pas encore accordé à l’article 191 TFUE, sur le fondement de l’article 37 de la Charte, une invocabilité à l’encontre des Etats membres et des personnes privées. 

    β. Un choix de politique jurisprudentielle 

    §3 Une stratégie non nécessaire

    Si la non reconnaissance d’un effet direct à l’encontre des États membres et d’un effet direct horizontal à l’encontre des personnes privées des articles 37 de la Charte et 191 TFUE devait être confirmée, cette double limitation constituerait un choix volontaire, par nature non nécessaire. La Cour a choisi de modifier le statut originel de l’article 191 TFUE. Celui-ci semble, prima facie, définir les objectifs que la politique de l’Union doit mettre en œuvre sur le fondement de la base juridique définie par l’article 192 TFUE. Il ne devrait donc permettre qu’un contrôle de la légalité limitée aux questions de compétence. Pour le reste, eu égard à la généralité des principes qui y sont invoqués, cet article aurait seulement pu servir à interpréter le droit de l’Union. La Cour en a pourtant fait la source de principes de droit de l’environnement qui peuvent généralement être invoqués à l’encontre des institutions de l’Union. Dès lors, c’est elle-même et elle seule, qui a décidé d’accorder un effet direct à l’article 191 TFUE, mais aussi de le limiter à ces seules institutions.

    L’article 191 TFUE semblait devoir, à l’origine, uniquement participer à définir les compétences de l’Union. Cette dernière est soumise au principe d’attribution, qui lui impose de n’agir que sur le fondement d’une compétence attribuée, afin d’atteindre les objectifs que les traités définissent (article 5, §2, du TUE). L’article 191, §1, énonce les objectifs de la politique environnementale de l’Union. Son paragraphe 2 précise que celle-ci « vise un niveau de protection élevé », tient « compte de la diversité des situations dans les différentes régions de l’Union » et est fondée sur divers principes, tels que le principe de précaution ou le principe du pollueur-payeur. La Cour aurait très bien pu estimer que ces deux paragraphes ne disposent que d’une justiciabilité limitée, ainsi que le supposait l’Avocat général Darmon (39) et l’un des premiers commentaires de cette disposition (40). Il aurait été possible de penser que le paragraphe 1, lu avec l’article 192 TFUE, ne concernait que les contentieux de base juridique (41). Le paragraphe 2 aurait pu être considéré trop imprécis pour disposer d’un effet direct pour imposer davantage qu’une obligation d’interprétation conforme. Il aurait alors essentiellement servi à interpréter les principes de subsidiarité et de proportionnalité, qui doivent être respectés par les institutions de l’Union quand elles exercent leurs compétences (article 5, §1 TUE). 

    Bien que la Cour ait choisi d’accorder une certaine force normative à l’article 191 TFUE (§§6 et 7), son autonomie, en particulier de son paragraphe 2, apparaît loin d’être complète. Un certain nombre d’exemples illustrent qu’il se limite encore bien souvent à une simple obligation d’interprétation conforme. Par exemple, le Tribunal a pu désigner globalement l’article 191 TFUE comme une disposition fixant les objectifs de la politique de l’environnement (42). Il a aussi pu explicitement préciser que le principe de précaution n’imposait aucune action particulière et qu’il constituait un simple principe directeur, n’imposant aucune mesure déterminée (43). Ensuite, le paragraphe 2 de cet article a pu parfois être utilisé comme simple source d’interprétation du principe de proportionnalité par les moyens des États membres (44) ou par la Cour. Cette dernière a  ainsi déclaré explicitement  que « […] le principe du pollueur-payeur apparaît comme l’expression du principe de proportionnalité […] [et qu’] il en est de même en ce qui concerne la violation du principe de correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement […] » (45). L’Avocate générale Kokott a écrit que « le principe de précaution trouve surtout à s’appliquer dans le cadre de l’examen du principe de proportionnalité » (46). De même, dans le cadre du contrôle de proportionnalité et en se référant aux objectifs de l’article 191, la Cour a jugé de façon constante que l’importance des objectifs de protection de l’environnement est de nature à justifier des conséquences économiques négatives, mêmes considérables, pour certains opérateurs (47).

    La Cour ne semblait pas juridiquement contrainte à limiter le champ d’application ratione personae de l’article 191 TFUE aux institutions de l’Union. Premièrement, son article §2 ne vise pas les institutions de l’Union, mais « la politique de l’Union dans le domaine de l’environnement […]. » L’entame de cette disposition pourrait très bien être interprétée comme visant, plus généralement, le champ d’application du droit de l’Union. Dès lors que le droit de l’Union s’applique, les principes mentionnés à l’article 191 pourraient s’appliquer. Cet argument est renforcé par le constat que « le fait que certaines dispositions du traité sont formellement adressées aux États membres n’exclut pas que des droits puissent être conférés en même temps à tout particulier intéressé à l’observation des obligations ainsi définies » (48). La Cour s’est implicitement fondée sur une telle interprétation pour consacrer, dans l’arrêt Van Gend en Loos, l’effet direct du droit primaire. Des normes qui semblent formellement constituer un simple engagement interétatique peuvent aussi créer des droits que les particuliers peuvent directement invoquer à l’encontre des États membres (49). L’arrêt Defrenne poursuit plus avant cette logique, en reconnaissant l’effet direct horizontal du principe de non discrimination salariale à raison du sexe. Cette norme qui semblait, elle aussi, constituer seulement un simple engagement interétatique, a  ainsi acquis un effet direct horizontal. Il faut donc en conclure qu’il importe peu qu’une norme soit formellement adressée aux institutions de l’Union afin de savoir si les Etats membres et les particuliers en sont aussi les débiteurs. 

    §4. Une stratégie prudente

    La Cour semble essentiellement guidée par la prudence. A la différence des libertés de circulation ou du principe d’égalité à raison de l’âge ou de la religion, l’environnement ne semble pas disposer du même soutien politique de la part des États membres et du législateur de l’Union. Alors qu’elle a pu progressivement reconnaître aux premières un véritable effet direct, puis un effet direct horizontal (50), un tel processus semble impossible concernant les principes du droit de l’environnement. La thèse de K. Lenaerts et J. A. Gutierrez-Fons, au moins dans le domaine en cause, semble trouver confirmation. L’interprétation des principes par la Cour serait limitée par l’exigence de respecter les compétences du législateur et la répartition des pouvoirs (51). Elle trouvera d’autant plus confirmation par la suite, à la lumière de la faible normativité de l’article 191 TFUE. Il apparaît donc que la notion fondamentale, autour de laquelle un possible droit à un environnement sain semble se dessiner, est la notion de pouvoir discrétionnaire.

    2. L’évitement d’un contrôle frontal

    §6. Un large pouvoir d’appréciation discrétionnaire. 

    Le pouvoir d’appréciation discrétionnaire des institutions de l’Union est renforcé par la faiblesse des obligations qu’impose l’article 191 TFUE. Le législateur doit chercher à réaliser un niveau élevé de protection de l’environnement, non celui techniquement le plus élevé (52). La justification de cette interprétation de la Cour apparaît fragile. Elle découlerait de la possibilité accordée aux Etats membres de maintenir ou d’établir des mesures de protection renforcées (53), ainsi qu’en dispose l’article 193 TFUE. Cet article prévoit uniquement que les Etats membres ont la possibilité d’adopter des mesures de protection de l’environnement plus strictes que celles résultant des normes de l’Union. L’inférence, que la Cour cherche à établir, est difficile à saisir. En réalité, cette possibilité interdit uniquement que les normes de droit dérivé constituent des harmonisations maximales qui ne laissent aucune autonomie aux États membres. 

    L’arrêt Safety Hi-Tech, qui dégage pour la première fois cette limitation de la portée de l’article 191 TFUE, illustre pourtant la situation où le niveau de protection le plus élevé possible avait été adopté. L’Union avait pris des mesures pour lutter contre l’appauvrissement de la couche d’ozone. Une interdiction de principe avait été édictée à l’encontre des hydrochlorofluorocarbures (HCFC), sans qu’une exception ne leur fût accordée pour la lutte contre les incendies. En revanche, d’autres substances, qui seraient plus néfastes pour l’environnement que les HCFC, pouvaient continuer à être utilisées pour la lutte contre les incendies. La Cour constate d’abord qu’il existait du point de vue scientifique, « des solutions de rechange à l’utilisation des HCFC par l’emploi de produits moins nocifs pour la couche d’ozone, tels que l’eau, la poudre et les gaz inertes » (54). Elle note ensuite, qu’une des substances bénéficiant d’une dérogation présente « une capacité d’extinction irremplaçable, notamment pour faire face à des incendies dans des espaces réduits, avec des effets toxiques extrêmement faibles, alors que, pour avoir le même résultat, une quantité plus importante de HCFC, avec un impact toxique plus important, serait nécessaire » (55). Compte tenu de cette situation, il ne semble pas que l’introduction de cette restriction au droit à un environnement sain était en l’espèce inutile.

    Ainsi que ce qui suit doit permettre de l’illustrer, en droit de l’environnement, le pouvoir discrétionnaire emporte davantage qu’une simple modulation de l’intensité du contrôle du juge. Il peut apparaître comme une négation même de ce contrôle. L’article 191 TFUE apparaît trop programmatique et trop politique pour être facilement manié par le juge. Afin d’échapper à ces difficultés, ce dernier semble avoir cherché à procéduraliser son contrôle (§§17 et 18) ou à renforcer les normes existantes grâce à une interprétation constructive (§§ 8, 25-28). S’il ne peut être lui-même à l’origine d’une politique de l’environnement au niveau de l’Union, ni définir le cadre dans lequel celle-ci sera mise en œuvre, il peut avoir un rôle amplificateur. Si un droit à un environnement sain existe, l’effectivité de celui-ci ne se révèlerait donc pas au stade d’un contrôle frontal de la légalité.

    §7. L’évitement d’un contrôle frontal par le recours à d’autres normes

    Tout l’enseignement de l’arrêt Safety Hi-Tech ne ressort pas du paragraphe précédent (§6). Le plus important semble, en réalité, résider dans le raisonnement de la Cour. Il lui est posé trois fois une question similaire: est-ce que la distinction établie par le législateur entre plusieurs types de produit est légale ? Elle refuse quasiment de répondre à cette question sur le fondement du paragraphe 2 de l’article 191, TFUE, imposant un niveau de protection de l’environnement élevé. Eu égard à la marge d’appréciation dont jouissent les institutions de l’Union, il ne peut leur être reproché de ne pas avoir atteint le niveau le plus élevé possible de protection (§6). En revanche, la Cour accepte de répondre à cette même question sur le fondement du paragraphe 3, premier tiret, du même article. Il dispose que les politiques de l’Union sont fondées sur les données scientifiques et techniques disponibles. Il consacre le principe de diligence, qui appartient au principe plus général de bonne administration (§18). La Cour accepte alors d’étudier si, afin d’établir une telle distinction, le législateur disposait d’informations objectives lors de l’adoption de la mesure. 

    Enfin, la Cour accepte aussi de répondre à cette même question sur le fondement du principe de proportionnalité (56). Son usage de ce principe, dans cet arrêt, n’est pas très clair. D’un côté, il semble se confondre en partie avec un test du caractère cohérent et systématique de la mesure, qui relève de l’appréciation de son aptitude. En n’adoptant pas une mesure davantage protectrice, l’Union n’a-t-elle pas adopté une mesure incohérente ? D’un autre côté, il est aussi possible que ce soit la proportionnalité au sens strict qui soit concernée. Il pourrait être pertinent, au niveau de la mise en balance entre un droit économique et la protection de l’environnement, de vérifier si le législateur n’a pas été arbitraire dans son action. Si la Cour, grâce à un système de vases communicants, a donc réussi à préserver l’effectivité de son contrôle en l’espèce, il ne semble pas que le principe de diligence et le principe de proportionnalité puissent être, dans toutes les circonstances, suffisants pour se substituer à l’article 191, §2.

    De même, il importe de mentionner que l’article 191 TFUE ne semble jamais avoir permis de contrôler directement des normes réglementaires adoptées sur le fondement de normes législatives adoptées par les institutions de l’Union. La Cour semble préférer contrôler ces normes  réglementaires uniquement au regard des normes législatives qui leur servent de fondement juridique et qui sont censées être la concrétisation des objectifs fixés à l’article 191 TFUE. Le droit à un environnement sain n’a donc pas le même statut que les autres droits fondamentaux qui peuvent permettre de contrôler la légalité des normes de nature législative et de nature réglementaire.

    § 8. L’évitement d’un contrôle frontal par l’interprétation

    La Cour évite de se prononcer de façon frontale sur la légalité du droit dérivé. Dès qu’il lui est possible, elle semble chercher à interpréter ces normes de façon conforme aux exigences d’une protection élevée de l’environnement. Elle assure ainsi une pleine légalité à la norme et renforce la protection de l’environnement assurée par l’instrument contrôlé. L’arrêt Associazione Italia Nostra Onlus portait sur la dérogation instituée par l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2001/42. Cette directive impose la réalisation d’une évaluation environnementale de tous les plans et programmes qui, au titre des articles 6 et 7 de la directive « habitats », devraient être soumis à une évaluation de leurs incidences sur l’environnement. Elle institue une exception à l’égard de ceux concernant de petites zones et des modifications mineures. Ces derniers sont soumis à une telle évaluation « que lorsque les États membres établissent qu’ils sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement. » La Cour rappelle d’abord que cette exception « vise ainsi à ne soustraire à l’évaluation environnementale aucun plan ou programme susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement » (57). La marge d’appréciation des Etats membres est strictement limitée. Ils doivent procéder à un examen préalable pour vérifier si des incidences notables sur l’environnement sont susceptibles de se produire. Dans le cas échéant, une évaluation doit obligatoirement être poursuivie. La Cour rappelle ainsi l’interprétation extensive qu’elle a donnée de cette directive. L’importance des intérêts protégés impose que son champ d’application soit interprété d’une manière large (58). Eu égard à ces constatations, il apparaît difficile d’estimer que la directive puisse d’une quelconque façon violer l’obligation d’un niveau élevé de protection de l’environnement. Elle conclut enfin que le seul risque est que les autorités nationales, sur le fondement de cette exception, puissent éluder l’application de la directive 2001/42, n’est pas de nature à entraîner l’invalidité de l’article 3, § 3, de cette directive (59). La Cour évite de se prononcer de façon frontale sur cette dérogation. Elle n’étudie pas l’usage réel qui en est fait par les Etats membres. Elle se limite à l’interpréter de façon à la rendre pleinement conforme à un niveau élevé de protection de l’environnement.

    L’arrêt Mathieu Blaise (§23) fait suite à la prolongation de l’autorisation de la mise sur le marché du glyphosate dans l’Union. La question préjudicielle en appréciation de validité renvoyée par le juge national ne portait pas directement sur cette autorisation, mais sur le règlement fixant le cadre procédural permettant d’obtenir une telle autorisation (60). Eu égard aux défaillances qui ont pu se produire sur son fondement lors du processus décisionnel concernant le glyphosate, le règlement violait-il le principe de précaution ? La Cour relève d’abord que le législateur, lorsqu’il adopte des règles encadrant la mise sur le marché de substances ou produits dangereux, doit se conformer au principe de précaution (61). Le règlement ne doit pas seulement le mentionner, mais établir un cadre qui assure concrètement qu’il soit correctement mis en œuvre (62). En revanche, l’appréciation de la légalité du règlement ne saurait dépendre des circonstances particulières d’un cas d’espèce donné. En conséquence, le « déroulement de la procédure ayant conduit à l’approbation du glyphosate ne saurait, pris isolément, permettre d’établir l’illégalité des règles générales régissant une telle procédure » (63). Alors que l’EFSA n’a pas tenu compte des effets cumulés (§23), la Cour estime qu’ une telle évaluation ne saurait, par nature, être menée à bien de manière objective en ne tenant pas compte des effets résultant du cumul éventuel des divers composants d’un produit phytopharmaceutique » (64). Cette interprétation apparaît justifiée. L’article 2, §2 et §3, du règlement, qui fixe les conditions d’approbation d’un produit, dispose que le produit et ses résidus, compte tenu des effets cumulés et synergiques, n’ont pas d’effet nocif sur la santé humaine.

    Afin de ne pas s’affronter directement aux institutions de l’Union, la Cour vise « la prémisse sur laquelle se fonde le doute de la juridiction de renvoi » (65), qui elle-même visait la manière dont avait été autorisé le glyphosate. Le règlement apparaît dès lors légal. Le juge de l’Union, encore une fois, évite d’affronter directement le règlement législatif. Il ne vérifie pas si, concrètement, le règlement ne pouvait pas être détourné ou s’il n’encadrait pas suffisamment le pouvoir réglementaire de la Commission. Au lieu de prendre en compte ces défaillances comme prémisses de son raisonnement, la Cour préfère renforcer le cadre normatif grâce à une interprétation fondée sur l’objectif d’un niveau élevé de protection de l’environnement.

    Le premier axe de la stratégie de la Cour semble constitué par un principe de prudence. La Cour n’a pas cherché à développer un véritable droit à un environnement sain sur le fondement des articles 37 de la Charte ou 191 TFUE. Elle a en outre cherché à éviter de contrôler de façon frontale l’action des institutions de l’Union. En plus d’avoir une force normative faible, les exigences du droit à un environnement sain doivent être mises en pondération avec celles des autres objectifs de l’Union.

    B. Un droit soumis à la conciliation d’intérêts divergents

    Deux types de pondération doivent être distingués, s’exerçant à deux niveaux différents. Au niveau constitutionnel, une pondération souple s’effectue entre différentes normes ou valeurs du droit primaire (1). Le droit dérivé de l’Union ou les États membres peuvent chercher à limiter un principe en se fondant sur un autre principe ayant aussi valeur de droit primaire. En revanche, une seconde pondération est moins souple. Elle s’accomplit quand un État membre cherche à déroger,  non pas à une norme de droit primaire, mais à une norme de droit dérivé. Ces dernières prévoient les conditions, extrêmement restrictives, permettant une telle dérogation. Le droit à un environnement sain ne permet pas de les assouplir (2).

    1. Une pondération souple au niveau du contrôle constitutionnel

    Le droit à un environnement sain, quand il heurte un autre intérêt légitime de l’Union, ne semble pas prévaloir dans leur mise en balance. Il ne permet pas de remettre en cause l’équilibre souhaité par le détenteur du pouvoir discrétionnaire. En revanche, il permet de justifier la légalité d’un tel équilibre quand celui-ci est en faveur de la protection de l’environnement et limite des intérêts économiques.

    α. Une mise en balance par les institutions de l’UE

    § 9. Un principe cédant devant le pouvoir discrétionnaire

    L’arrêt Association Kokopelli (66) concernait une question en appréciation de validité de la directive législative 2002/55/CE du Conseil, concernant la commercialisation des semences de légumes, et, de la directive réglementaire 2009/145/CE de la Commission, prises en application de la première. La directive du Conseil a pour conséquence, en subordonnant la commercialisation des semences à une triple condition de distinction (67), de stabilité (68) et d’homogénéité (69), d’interdire à Kokopelli la vente des variétés de légumes « anciennes ». Les « variétés anciennes » commercialisées par cette association ont un patrimoine génétique moins uniforme que celui des variétés admises. En principe, elles auront donc plus de difficulté à remplir le critère de la distinction. Ensuite, elles peuvent évoluer différemment en fonction des conditions environnementales, ne les rendant pas stables. Enfin, les différents individus dans les populations considérées se ressemblent moins et ne sont pas aussi homogènes que les variétés admises (70). La directive de la Commission a introduit une dérogation extrêmement limitée, tant du point de vue de la nature des semences, que du cadre géographique dans lequel elle peut être mise en œuvre, que des risques qui doivent peser sur lesdites semences. Celle-ci ne concerne que les semences de races primitives et de variétés qui sont traditionnellement cultivées dans des localités et régions particulières et qui sont menacées d’érosion génétique. En outre, s’y ajoute une restriction quantitative, imposant que la production et la commercialisation annuelle de ces semences soient limitées à ce qui est nécessaire pour cultiver une surface de 10 à 40 hectares. En l’espèce, il est constant que cette dérogation est trop rigide pour permettre à Kokopelli de vendre ses semences (71). Kokopelli opposait que cette réglementation était disproportionnée et qu’elle restreignait de façon injustifiée son droit à exercer librement une activité économique. La Cour constate d’abord que la mesure est apte à atteindre son objectif et relève de ceux fixés par la politique agricole commune (PAC), à savoir permettre une productivité accrue de l’agriculture, fondée sur la fiabilité des caractéristiques desdites semences (72). Ensuite, elle est apte à assurer une réglementation harmonisée au niveau de l’Union et la libre circulation des variétés (73). Enfin, l’exception introduite par la directive de la Commission est apte à garantir la conservation des ressources génétiques des plantes (74).

       La nécessité de la mesure est ensuite appréciée au regard de l’alternative proposée par Kokopelli : une simple obligation d’étiquetage permettrait d’atteindre le même résultat, tout en étant moins restrictive. La Cour retient alors, comme seuls objectifs de la mesure, une productivité fiable et de qualité en termes de rendement (75). Le critère de la distinction permet aux agriculteurs « d’effectuer un choix leur garantissant un rendement optimal ». Les critères de la stabilité et de l’homogénéité assurent que les caractéristiques qualitatives propres d’une semence admise restent constantes au fil des années et que « les semences vendues sous un nom donné présentent toutes les mêmes caractéristiques génétiques, favorise un rendement optimal ». Sans justifier plus avant, la Cour estime que la mesure est nécessaire et qu’une obligation d’étiquetage ne constitue pas une alternative efficace, « puisqu’elle permettrait la vente et, par voie de conséquence, la mise en terre de semences potentiellement nuisibles ou ne permettant pas une production agricole optimale » (76). La Cour conclut donc que « ce faisant, le législateur de l’Union n’a pas violé le principe de proportionnalité » (77). Cette conclusion apparaît définitive.

    Le test de proportionnalité ne comprend donc aucune référence au droit à un environnement sain, ou à l’une de ses possibles déclinaisons,  telles que la biodiversité. Pourtant, la restriction dont se plaint Kokopelli peut apparaître comme une mise en balance des objectifs de la PAC avec le droit à un environnement sain, au détriment de ce dernier. La faiblesse normative de ce dernier semble donc permettre, non seulement de déroger facilement à ses exigences, mais en outre que le juge n’ait pas à contrôler expressément cette dérogation. Cette absence est d’autant plus étonnante que l’article 11 TFUE et l’article 37 de la Charte imposent de façon transversale l’obligation de garantir un niveau élevé de protection de l’environnement. Le raisonnement du juge (et cette étude s’arrête à ce niveau, non aux conclusions retenues) apparaît défaillant, d’autant plus que les risques entraînés par la perte de biodiversité sont connus (78) et que l’Avocate générale les rappelait (79).

    Les exigences liées à la protection de l’environnement apparaissent ensuite, mais de façon extrêmement limitée. La Cour constate que les deux directives prennent en compte les intérêts économiques des opérateurs, tels que Kokopelli, en ce qu’elles n’excluent pas totalement la commercialisation des « variétés anciennes. » Elle conclut, aux termes d’un raisonnement ramassé, que les restrictions auxquelles ces dernières sont soumises pour pouvoir bénéficier de ce régime dérogatoire « s’inscrivent dans le contexte de la conservation des ressources phytogénétiques » (80). Il semble falloir comprendre que la dérogation est apte et nécessaire, car elle permet de garantir la conservation de la biodiversité, sans remettre en cause l’interdiction jugée précédemment proportionnée. L’exception permet la stricte conservation de certaines semences. Il apparaît étrange de restreindre la prise en compte de l’exigence de biodiversité seulement à ce second temps de l’analyse, alors que l’essentiel de la conclusion est déjà obtenu. Logiquement, car il ne pouvait plus être question que d’une exception au principe, celle-ci ne pouvait être que restrictive.

    La Cour se distingue ainsi clairement de l’Avocate générale qui avait conclu au caractère non proportionné et donc illégal de la mesure. Elles soulignait, en particulier, qu’il « appartient en principe aux agriculteurs de décider des variétés qu’ils cultivent » (81), qu’il n’y a pas de risque avéré à ce qu’une telle autorisation produise l’éviction des semences de haute qualité (82), et que l’interdiction en cause « réduit enfin la diversité génétique dans les champs européens, étant donné que moins de variétés sont cultivées et que les populations de ces variétés présentent des différences génétiques moins importantes entre chaque individu » (83). 

      A l’aune de la problématique de la présente recherche, ce qui apparaît insatisfaisant est le raisonnement de la Cour. En l’espèce, l’exigence d’un niveau élevé de protection de l’environnement ne peut quasiment jouer aucune fonction déterminante. Elle n’entre pas vraiment en pondération avec les intérêts économiques de la PAC, à rebours de la jurisprudence traditionnelle (84). Enfin, la Cour ne répond pas à des arguments assez convaincants étudiés par son Avocate générale. Cet arrêt confirme l’existence d’une véritable stratégie de prudence de la part de la Cour. L’Avocate générale Kokott a ainsi écrit dans un article de doctrine, cinq années plus tard : « […] and perhaps the Opinion really entered too far into a heated political debate » (85).

    § 10. Un principe renforçant le pouvoir discrétionnaire

    L’arrêt Fedesa illustre la situation inverse de la précédente. Dans le cadre de la politique de la PAC, le Conseil avait interdit l’utilisation de cinq hormones par les élevages du bétail. Aux termes d’un contrôle de la proportionnalité très léger, la Cour note que la mesure est proportionnée. Premièrement, une autorisation partielle ne pourrait pas constituer une mesure viable, car elle estime qu’il serait extrêmement difficile d’opérer un contrôle de son respect. Secondement, la protection de la santé « est de nature à justifier des conséquences économiques négatives, même considérables, pour certains opérateurs » (86). Au regard du niveau de contrainte qu’est en droit d’imposer le législateur, il sera extrêmement difficile de remettre directement en cause son choix. A moins qu’il existe une réelle alternative aussi efficace et moins restrictive, celui-ci dispose d’un pouvoir discrétionnaire quasiment illimité pour mettre en œuvre les objectifs de protection de la santé et de protection de l’environnement. 

    Cette interprétation n’est pas propre au droit de l’environnement (87). Il se retrouve dans le domaine de la santé publique, dont les exigences sont connexes à celles de l’environnement, mais aussi en matière de protection du consommateur (88). Bien que cette marge apparaisse parfois liée à l’importance de l’intérêt protégé, elle apparaît d’autres fois seulement comme la simple conséquence du pouvoir discrétionnaire dont jouit l’institution (89). Cette constatation renforce encore la conclusion que le droit à un environnement sain n’a qu’un faible apport, le large pouvoir d’appréciation discrétionnaire permettant de limiter des intérêts économiques n’étant pas la conséquence de l’importance accordée à celui-ci.

    β.  Une mise en balance par les Etats membres  

    § 11. Une réelle mise en balance

    Un procès en illégitimité a souvent été effectué à l’encontre de la Cour, consistant à affirmer que, de façon arbitraire, elle appliquerait un niveau d’intensité de contrôle moindre lorsqu’est concernée une mesure de l’Union par rapport à une mesure étatique. En réalité, cette différence, bien réelle, est liée au contexte normatif différent dans lequel s’insèrent ces deux contrôles. Au contraire des Etats membres, quand l’Union adopte une mesure, celle-ci est en principe conforme à l’objectif primordial d’assurer l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur. Au contraire, le simple fait qu’un État membre adopte une réglementation conduit à une fragmentation du marché intérieur. L’obligation de laisser librement circuler les marchandises entre les Etats membres, telle que garantie par les articles 34 à 36 TFUE, est donc infiniment plus difficile à respecter pour les États membres que pour l’Union. Il est impossible d’étudier avec précision le régime juridique qui s’attache au droit de la libre circulation (90). Il suffit de noter certains éléments du raisonnement du juge. Premièrement, les considérations environnementales peuvent permettre de restreindre une liberté fondamentale, même lorsque celle-ci est discriminatoire. Cependant, et secondement, elle ne permet pas d’anéantir le contenu essentiel du droit en cause.

    Avant qu’un titre spécifique soit consacré à l’environnement dans les traités européens, la Cour avait déjà déclaré, dans le contexte de la libre circulation, que l’environnement constituait « un des objectifs essentiels de la Communauté » (91). L’Avocat général Fennelly a noté justement qu’« il est important de souligner cette affirmation vigoureuse de la Cour qui a devancé » le constituant (92). Les politiques dans le domaine des énergies renouvelables des États membres fournissent un exemple intéressant. L’arrêt PreussenElektra concernait une obligation d’achat, imposant aux entreprises d’approvisionnement en électricité d’acheter le courant produit à partir d’énergies renouvelables dans leur zone d’approvisionnement. Cette dernière était définie dans les limites du territoire national. Une telle disposition a pour effet, au moins potentiellement, de restreindre la libre circulation de l’électricité (93), en protégeant de toute concurrence intra-communautaire celle produite en Allemagne, en rendant son achat prioritaire par rapport à toute autre source d’approvisionnement. La Cour estime tout d’abord que l’objectif de la réglementation est légitime. Elle vise à protéger l’environnement, en réduisant les émissions de gaz à effet de serre (94). Elle est conforme aux engagements internationaux de l’Union, souscrits à Kyoto le 11 décembre 1997 et à la clause d’intégration de l’ex-article 130 R TCEE (actuel article 11 TFUE). Elle est en outre nécessaire. Les particularités du marché de l’électricité rendent aussi nécessaires cette mesure, car « la nature de l’électricité est telle que, une fois admise dans le réseau de transport ou de distribution, il est difficile d’en déterminer l’origine et notamment la source d’énergie à partir de laquelle elle a été produite » (95). Il aurait dès lors été plus difficile de mettre en place et de contrôler le respect d’une telle obligation d’achat. La Cour a plus tard confirmé, sur conclusions contraires de son Avocat général, aux termes d’un contrôle serré, que la promotion des sources d’énergie renouvelables dans la production d’électricité peut justifier une limitation territoriale (96). 

    La Cour a véritablement pris au sérieux les exigences environnementales, ce qui l’a conduit à réviser, de façon implicite mais certaine, les traités. Alors que les entraves (limitation à la libre circulation) non discriminatoires peuvent être justifiées par une simple raison objective poursuivant un intérêt général, celles qui sont discriminatoires ne peuvent l’être que par un des motifs expressément visés par l’article 36 TFUE. La protection de l’environnement n’y est pas prévue. Les exceptions étant d’interprétation stricte, il est difficile de rattacher cette dernière à un des motifs listés, tels que la « protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux » ou la « préservation des végétaux ». Dans l’arrêt PreussenElektra, la Cour avait maintenu une certaine ambiguïté. La mesure était discriminatoire, car elle s’appliquait uniquement à l’électricité produite sur le territoire national. Dans un premier temps, la protection de l’environnement était apparue comme une justification légitime et suffisante. La Cour avait, néanmoins, ensuite ajouté, de façon cursive, qu’ « il y a lieu d’observer que cette politique vise également la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ainsi que la préservation des végétaux » (97). Elle n’avait cependant pas justifié le rapport direct entre la réduction des émissions de gaz à effet de serre et ces motifs.

    En 2011, la Cour a eu à connaître une mesure autrichienne prévoyant une interdiction sectorielle de la circulation des camions de plus de 7,5 tonnes transportant certaines marchandises sur un tronçon de l’autoroute A 12 dans la vallée de l’Inn. La mesure permettait de limiter la pollution due au trafic routier, ayant déjà donné lieu à un contentieux important sur le fondement de l’article 34 TFUE (98). L’interdiction était discriminatoire, car elle comprenait une dérogation pour le trafic local et régional. La Cour déclare que « l’objectif de la protection de la santé se trouve ainsi déjà, en principe, englobé dans l’objectif de protection de l’environnement » (99). Sans dire clairement qu’elle effectue une révision jurisprudentielle des traités, en pratique elle renverse l’ordre des valeurs, en subordonnant un motif écrit permettant de justifier une discrimination, à un simple motif non écrit, qui ne permet pas de justifier une discrimination. Ainsi que l’écrit l’Avocat général Bot, « la poursuite d’un objectif environnemental peut donc avoir pour conséquence soit de neutraliser le caractère discriminatoire, pourtant avéré, d’une mesure nationale, soit de dispenser purement et simplement de rechercher si la mesure est discriminatoire ou non » (100).

    § 12. Le respect du contenu essentiel du droit à la libre circulation

    La Cour a implicitement modifié les traités afin de permettre aux États membres d’exercer leur pouvoir d’appréciation discrétionnaire. Si ceux-ci souhaitent mettre en place des mesures raisonnables protégeant l’environnement, même si celles-ci sont discriminatoires, elles peuvent être justifiées. Cependant, la compréhension dont peut faire preuve la Cour pour les motifs environnementaux s’achève dès lors qu’est atteint le contenu essentiel de la liberté de circulation. La plupart des droits fondamentaux et toutes les libertés fondamentales peuvent connaître une limitation, mais ils ne peuvent jamais être complètement niés. L’exemple le plus clair est offert par un ancien arrêt, dit, bouteilles danoises. Le Danemark avait institué un système obligatoire de reprise des emballages de bières et de boissons rafraîchissantes. Afin que ce système soit viable, la commercialisation devait se faire uniquement dans des emballages susceptibles d’être réutilisés, limités à une trentaine en tout. Une agence nationale validait les contenants qui répondaient à cette condition. Elle pouvait refuser un agrément, entre autres, si un emballage d’égal volume, accessible et adapté à la même utilisation, avait déjà été agréé. Une dérogation existait pour une commercialisation de boisson limitée à 3 000 hl par producteur et par an, dont les emballages étaient néanmoins soumis à un système de consigne et reprise.

    La Cour rappelle d’abord que l’environnement permet de justifier une mesure restrictive. En ce qui concerne un gros importateur, la Cour constate seulement que cette mesure « entraînerait pour lui des frais supplémentaires importants et rendrait donc très difficile l’importation de ses produits dans le pays » (101). Elle conclut donc qu’elle ne peut pas être justifiée. La dérogation n’est pas suffisante pour renverser cette appréciation. Elle supposait en effet, pour qu’un système de consigne et de reprise existât, que les emballages fussent « rendus uniquement chez le détaillant qui a vendu les boissons » (102). Celui-ci ayant un effet extrêmement restrictif sur les échanges, alors qu’il permet une protection effective de l’environnement, il n’aurait pu être proportionné que s’il n’avait pas prévu de limitation quantitative (103).

    Cet arrêt a souvent été interprété comme l’une des plus claires utilisations en droit de l’Union du test de proportionnalité au sens strict (troisième niveau du test, après l’aptitude et la nécessité) (104). Cette interprétation semble erronée. Si l’Avocat général raisonne bien explicitement ainsi (105), ce ne semble pas être le cas de la Cour. Premièrement, cette dernière ne traite pas explicitement le test de la nécessité, qui précède le test de la proportionnalité au sens strict. L’extrait souvent cité (106) ne concerne pas l’existence d’une mesure moins restrictive et tout aussi efficace à l’interdiction principale, mais l’évaluation de la restriction particulièrement forte qui pèse sur les importateurs qui souhaitent bénéficier de la dérogation. Secondement, la proportionnalité au sens strict suppose la mise en balance de deux valeurs reconnues par l’Union. En l’espèce, la Cour ne met pas expressément en balance l’environnement et la libre circulation. Elle constate d’abord que l’interdiction principale rend très difficile les importations (pt. 17), puis ensuite confirme cette conclusion après avoir souligné l’insuffisance de la dérogation (pt. 21). Il semble donc possible de conclure que la mesure est disproportionnée, car elle ne respecte pas le contenu essentiel de la liberté restreinte – un critère qui précède les critères de l’aptitude, de la nécessité et de la proportionnalité stricto sensu.

    La Cour semble admettre la légalité d’une restriction à la libre circulation sur le fondement de l’objectif de protection de l’environnement, pour autant que celle-ci ne soit pas tout à fait annihilée. Si les États membres souhaitent maintenir une telle mesure, ils doivent dès lors proposer des alternatives efficaces et viables aux importateurs. Le contrôle est alors extrêmement intensif, ainsi que l’illustre l’arrêt susmentionné sur l’interdiction sectorielle de circulation des camions (§11). Son cadre dogmatique demeure néanmoins flou. L’Autriche constitue la principale voie transalpine de circulation des marchandises (107). Y restreindre la circulation des camions revient à élever une barrière très difficilement franchissable pour le commerce entre des Etats comme l’Italie et l’Allemagne. Même si une dérogation permet aux produits européens d’atteindre les localités autrichiennes, pris dans son ensemble, cette mesure empêche radicalement la formation d’un marché unique sans frontière. La Cour a été extrêmement stricte dans son contrôle et a estimé que les alternatives possibles n’avaient pas été suffisamment étudiées. Elle a, en conséquence, déclaré la mesure non nécessaire. Il est difficile de ne pas être critique à la lecture de l’arrêt (108), en particulier parce que le principe de diligence sur lequel la Cour se fonde pour déclarer la mesure illégale est difficilement acceptable (109/110). Ensuite, la véritable question qui semble juridiquement se poser à ce moment de l’analyse est la mise en balance de deux valeurs, l’environnement et la libre circulation. En effet, l’alternative que propose la Commission est moins protectrice que la mesure adoptée par l’Autriche. Autrement dit, la libre circulation impose-t-elle une diminution des exigences environnementales ? (111) La Cour semble échapper à cette question en utilisant le principe de diligence. Sa nature procédurale permet de ne pas prendre position sur le fond d’un problème — au moins en apparence. Il aurait certainement été préférable de retenir que le contenu essentiel du droit de libre circulation était violé.

    Ce dernier arrêt permet de confirmer que le pouvoir discrétionnaire demeure la clef de compréhension du droit à un environnement sain, en droit de l’Union. Par le développement de ce droit, la Cour a permis aux Etats membres d’exercer un pouvoir normatif important. Celui-ci est néanmoins limité par l’obligation de respecter le contenu essentiel du droit à la libre circulation. Dans le cas échéant, l’État membre doit proposer des alternatives crédibles, afin de permettre aux opérateurs économiques de continuer à exercer leur liberté de circulation. Si la question demeure trop politique, la Cour semble chercher à ne pas intervenir au fond. Si l’Autriche est une voie de transit essentielle du marché intérieur et que cela entraîne des externalités négatives pour les citoyens de l’Union qui habitent dans les zones concernées, des choix politiques s’imposent, tels que le développement du rail. La Cour a légitimement pu estimer que ces choix relevaient des institutions politiques de l’Autriche et de l’Union. Elle a donc, encore une fois, essayé d’échapper à une prise de position politique. Néanmoins, son absence de choix a pu apparaître comme un choix en faveur de la libre circulation, au détriment de la protection de l’environnement. 

    2. Une pondération contrainte par le droit dérivé

    Le droit dérivé restreint la marge d’appréciation des Etats membres. L’harmonisation suppose une discipline commune. Il ne peut donc y être dérogé que dans les conditions établies par le texte de droit dérivé. Celles-ci sont, le plus souvent, précises et rigoureuses. La Cour n’a pas cherché, par sa jurisprudence, à assouplir ces normes adoptées par les représentants des citoyens de l’Union et par les États membres. L’objectif d’un marché intérieur uni, ayant dépassé la fragmentation réglementaire, trouve alors souvent préséance sur les objectifs environnementaux. La réglementation sur les OGM offre un bon exemple de cette situation.

    § 13. L’article 114, §5 et §6, TFUE

    L’article 114, §5, TFUE permet à un État membre, après l’adoption d’une mesure d’harmonisation, d’introduire des dispositions nationales qu’il estime nécessaires. Cette dérogation est soumise à des conditions rigoureuses. Les mesures étatiques doivent être « basées sur des preuves scientifiques nouvelles relatives à la protection de l’environnement ou du milieu de travail ». Ensuite, elles doivent concerner « un problème spécifique de cet État membre » qui a surgi « après l’adoption de la mesure d’harmonisation ». Enfin, les mesures doivent être notifiées à la Commission pour approbation. Cette dernière dispose de six mois en principe, prorogeable jusqu’à six mois à raison de la complexité d’un problème donné, pour vérifier si les conditions du paragraphe 5 sont remplies (112) et si la mesure ne crée pas une entrave injustifiée (article 114, §6, TFUE). En l’absence de réponse dans ces délais, la mesure est présumée acceptée (113).

    L’Autriche a cherché à bénéficier de cette dérogation, afin d’échapper aux obligations de la directive 2001/18/CE relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement. Cet État a notifié à la Commission une mesure visant à prohiber la culture de semences et de plants composés d’OGM ou en contenant. Cette dernière a consulté l’EFSA sur le caractère probant des éléments scientifiques invoqués. L’avis rendu a conclu que ceux-ci ne contenaient aucune preuve scientifique nouvelle et ne concernaient pas un problème spécifique à une région autrichienne. La Commission a donc refusé le bénéfice de la dérogation. 

    Le Tribunal commence par rappeler que la charge de la preuve pèse sur l’Autriche. Il lui incombait « de démontrer, sur la base de preuves scientifiques nouvelles, que le niveau de protection de l’environnement assuré par la directive 2001/18 n’était pas acceptable compte tenu d’un problème spécifique à cet État membre et ayant surgi après l’adoption » (114) de celle-ci. En l’espèce, la petite taille des exploitations agricoles et l’importance de l’agriculture biologique ne peuvent pas constituer des éléments spécifiques au Land Oberösterreich, étant des caractéristiques communes, présentes dans tous les États membres (115). La Commission a fait siennes les conclusions de l’EFSA, ayant estimé que rien ne permettait d’établir que cette région possédait « des écosystèmes particuliers ou exceptionnels, nécessitant une évaluation des risques distincte de celles menées pour l’Autriche dans son ensemble ou pour d’autres régions similaires d’Europe » (116). Les conditions posées par l’article 114, §5, étant cumulatives, le Tribunal a jugé qu’il y avait lieu de rejeter le recours. La Cour a confirmé cet arrêt (117).

    Peu d’arrêts concernent l’application de cette clause dérogatoire. N. de Sadeleer estime que la Commission doit respecter le principe de précaution lorsqu’elle évalue le respect des conditions de cet article (118). Il se fonde, premièrement, sur le fait que le principe de précaution constitue une obligation transversale. Secondement, la Cour semble estimer que l’analyse des risques fournie par l’Etat doit être scientifiquement solide, mais non nécessairement fondée sur un consensus. Elle justifie cette position sur le fondement de « l’incertitude inhérente à l’évaluation des risques posés à la santé publique […] » (119). La Cour n’a pas pris position sur cette question dans le cadre d’un litige concernant l’application de l’article 114 TFUE. Elle a confirmé cette interprétation, tout en la précisant dans le cadre des mesures d’urgence fondées sur la réglementation OGM de l’Union.

    § 14. Les clauses de sauvegarde

    Une clause de sauvegarde permet de déroger à l’application d’un texte de droit dérivé dans des conditions précises. Certaines dispositions de la directive 2001/18 auraient pu permettre de contourner les conditions de la clause de sauvegarde qu’elle contient. La Cour a néanmoins fait une interprétation rigoureuse des dispositions en cause. L’article 26 bis, §1, de la directive prévoit que les Etats membres peuvent prendre des mesures nécessaires à assurer la coexistence des cultures, afin d’éviter la présence accidentelle d’OGM dans d’autres produits. Il semble impossible d’utiliser cette disposition pour interdire de façon absolue la mise en culture d’OGM, car il ne serait alors plus question d’assurer une coexistence entre différentes cultures. De même, la Cour a jugé qu’il est impossible d’interdire toute cultivation d’OGM en attendant l’adoption des plans régionaux devant assurer la coexistence des cultures, car cette attente « pourrait se prolonger indéfiniment dans le temps et constituer un moyen de contournement des procédures prévues » par les clauses de sauvegarde pertinentes (120).

    L’article 23 de la directive 2001/18, concernant la mise en culture d’OGM, prévoit une clause de sauvegarde assez proche, de par ses conditions, de l’article 114, §5, TFUE. La différence essentielle est que la Commission ne décide pas seule, mais est encadrée par une procédure comitologie (121). Cette disposition a, en outre, peu d’utilité, étant donné qu’elle cède le pas devant la procédure d’urgence prévue à l’article 34 du règlement 1829/2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés. Tel est le cas si un OGM a d’abord été autorisé sur le fondement de la directive afin d’être mis en culture, puis a été notifié sur le fondement du règlement en tant que produit existant, afin de pouvoir être commercialisé en tant qu’aliment (122). La Cour, par une interprétation stricte de l’article 20, paragraphe 5, du règlement n° 1829/2003 (123), empêche les Etats membres de recourir à la clause de sauvegarde de la directive. Une telle dérogation ne peut donc plus être obtenue que sur le fondement de l’article 34 du règlement n° 1829/2003, assurant quasiment la même protection. 

    En principe, l’article 34 a vocation à permettre une information rapide de la Commission et des autres États membres sur l’existence d’un risque, afin de suspendre ou de modifier d’urgence une autorisation. Elle vise donc à adopter une mesure qui s’applique au niveau de tous les États membres, au contraire de la clause de sauvegarde de la directive qui concerne uniquement le seul État membre qui l’adopte. Cependant, cet article 34 renvoie aux articles 53 et 54 du règlement 178/2002 (124) pour sa mise en œuvre. L’article 54, §1, permet à un État membre d’adopter des mesures conservatoires en attendant l’existence d’une décision commune au niveau de l’Union ou l’interdiction par la Commission de maintenir cette mesure conservatoire (125). L’article 34 du règlement n° 1829/2003 exige un niveau de preuve élevé. 

    Par décision du 22 avril 1998, la Commission a autorisé la mise sur le marché du maïs MON 810. Le 11 avril 2013, le gouvernement italien a demandé à la Commission de prendre les mesures d’urgence prévues à l’article 34 visant à interdire la culture de ce maïs. Il a utilisé le bénéfice de l’article 54 du règlement 178/2002 afin d’appliquer immédiatement une mesure de sauvegarde sur son territoire. Le problème de droit concernait le niveau de preuve. Lorsque l’État membre adopte une mesure conservatoire sur le fondement de l’article 54 du règlement 178/2002, doit-il prouver que les critères établis par l’article 34 du règlement sont remplis ou peut-il se fonder seulement sur le principe de précaution, consacré à l’article 7 du règlement 178/2002 ? La Cour constate d’abord que le principe de précaution est bien applicable (126). Elle ajoute cependant immédiatement après, que « ce principe ne saurait être interprété en ce sens qu’il permet d’écarter ou de modifier, en particulier en les assouplissant, les dispositions prévues à l’article 34 du règlement n° 1829/2003 » (127). Le niveau de preuve, nettement plus élevé, de l’article 34 s’applique donc. Alors que le principe de précaution se suffit de la possibilité d’effets nocifs, l’article 34 suppose que le produit soit « de toute évidence » susceptible de présenter un risque « grave » pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement (128). En outre, ce risque doit être constaté sur la base d’éléments nouveaux reposant sur des données scientifiques fiables (129). Il demeure encore assez difficile d’interpréter les critères posés par la Cour. 

    Comment respecter à la fois le principe de précaution, tout en soumettant les clauses de sauvegarde à la preuve qu’un produit met « en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l’environnement » (130) ? Le raisonnement de la Cour repose sur une présomption de légalité. Premièrement, à moins de prouver la violation du principe de précaution par une disposition de droit dérivé, ce dernier principe ne permet pas de s’affranchir du droit existant. Secondement, l’article 34 est censé intervenir seulement après qu’une procédure d’autorisation d’un OGM a été accomplie à son terme et a conduit à autoriser ce dernier. L’Union devant respecter le principe de précaution lorsqu’elle adopte les règles établissant la procédure de mise sur le marché d’un produit (§§8 et 23), dès lors qu’un tel produit à été autorisé aux termes d’une telle procédure, il doit en principe être supposé que cette autorisation a été délivrée conformément au principe de précaution (131). La Cour semble confirmer une telle lecture (132).

    §§15-16

    La stratégie de la Cour semble donc premièrement viser à respecter le pouvoir d’appréciation discrétionnaire des institutions de l’Union en ne contrôlant pas de façon frontale celui-ci. Elle a ainsi évité d’élaborer un droit à un environnement sain doté d’une véritable force normative. De même, elle cherche à respecter le pouvoir d’appréciation des Etats membres, bien que ceux-ci ne disposent pas de la même liberté que les institutions de l’Union, étant étroitement limités par les libertés de circulation. Le second élément de sa stratégie semble être caractérisé par la volonté de ne pas permettre de déroger aux textes applicables sur le fondement d’un principe environnemental. Il constitue une conséquence du précédent. Faire respecter le droit primaire et le droit dérivé, même aux États membres, représente la seule application du pouvoir d’appréciation qu’ils ont exercé. Cependant, si la Cour ne se permet pas d’écarter l’application du droit dérivé, elle se permet de l’amplifier, par une interprétation constructive. En outre, elle impose certaines obligations procédurales aux institutions de l’Union, afin d’assurer la protection de l’environnement. Si un activisme de la Cour devait être caractérisé dans le domaine en cause, celui-ci serait indirect. Il conduirait à imposer des obligations procédurales qui participeraient seulement indirectement à la protection de l’environnement et renforceraient seulement des obligations prévues par des actes de droit dérivé.

    Article rédigé par James Corne, membre de Notre Affaire à Tous (133)

    Notes

    1.  Traité sur l’Union européenne
    2.  Traité sur le fonctionnement de l’UE
    3.  Le droit dérivé, par opposition au droit primaire qui désigne les traités sur lesquels est fondée l’UE (l’équivalent du droit constitutionnel national), désigne les normes législatives et réglementaires adoptées par les institutions.
    4.  Cela signifie que les États membres sont compétents pour adopter des normes pour autant et aussi longtemps que l’UE n’est pas intervenue en adoptant des normes de droit dérivé spécifique. Les Etats membres doivent, dans ce cas, respecter ces normes et ne peuvent donc plus intervenir.
    5.  L’UE ne peut adopter une norme législative que si elle dispose d’une compétence. La base juridique définit les objectifs que doit poursuivre l’UE pour mettre en œuvre sa compétence. Elle définit aussi la procédure (procédure législative ordinaire ou spéciale) et l’instrument (directive ou règlement) que le législateur doit utiliser.
    6.   Directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement ; Directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement
    7.  Directive 92/43/CEE du Conseil concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages 
    8.  Directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement et abrogeant la directive 90/313/CEE du Conseil ; Règlement (CE) n° 1367/2006 du Parlement européen et du Conseil du 6 septembre 2006 concernant l’application aux institutions et organes de la Communauté européenne des dispositions de la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement
    9.  Règlement (CE) n° 66/2010 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 établissant le label écologique de l’UE
    10.  Directive 2004/35/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux
    11.  Directive 2003/87/CE établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans l’Union européenne (UE) ; Directive 2010/75/UE du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2010 relative aux émissions industrielles (prévention et réduction intégrées de la pollution)  ; Directive (EU) 2016/2284 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2016 concernant la réduction des émissions nationales de certains polluants atmosphériques ; 
    12.  En présence d’une telle nature de compétence, les actes adoptés par l’UE « ne peuvent pas comporter d’harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres. » (article 2, §5, second alinéa TFUE)
    13.  Voir, par ex., S. Foucart, Et le monde devint silencieux, Seuil, 2019
    14.  Par ex. CJCE, grande chambre, 14 juillet 1998, Safety Hi-Tech Srl, aff. C-284/95, pt. 37
    15.  CJUE, 22 mai 2014, Glatzel, aff. C‑356/12, pt. 78
    16.  Une norme ne peut être invoquée devant le juge de l’Union que si elle est dotée d’une clarté, d’une précision et d’une inconditionnalité suffisante.
    17.  Désigne l’invocation, par un particulier, de l’effet direct d’une norme à l’encontre d’un autre particulier.
    18.  Un État membre qui n’a pas transposé dans les délais une directive de l’Union a violé ses obligations. S’il est débiteur des droits prévus par la directive et que ceux-ci sont suffisamment précis, des particuliers pourront exiger leur mise en œuvre immédiate. En revanche, un particulier ne peut demander à un autre particulier de respecter une directive qui n’est pas transposée, même si le délai de transposition est échu.
    19.  Conclusions sous CJUE, grande chambre, 15 janvier 2014, Association de médiation sociale, aff. C‑176/12, pt. 71
    20.  CJUE, grande chambre, 15 janvier 2014, Association de médiation sociale, aff. C‑176/12, pt. 49
    21.  Ordonnance du Tribunal, 28 septembre 2016, PAN Europe, aff. T‑600/15,  pts. 47-48
    22.  CJUE, 21 décembre 2016, Associazione Italia Nostra Onlus, aff. C‑444/15, pt. 63
    23.  CJUE, 13 mars 2019, Pologne c. Parlement européen et Conseil, aff. C-128/17, pts. 130-131
    24.  CJUE, grande chambre, 26 février 2013, Åkerberg Fransson, aff. C-617/10, pts. 16-31 ; CJUE, 6 mars 2014, Cruciano Siragusa, aff. C‑206/13, pts. 25 et 29
    25.  CJCE, 14 juillet 1994, Matteo Peralta, aff. C-379/92, pt. 57
    26.  CJUE, grande chambre, 9 mars 2010, Raffinerie Méditerranée (ERG) SpA, aff. C‑378/08, pt. 46 ; CJUE, grande chambre, 9 mars 2010, Raffinerie Méditerranée (ERG) SpA, aff. Jointes C‑379/08 et C‑380/08, pt. 39 ; CJUE, 13 juillet 2017, Túrkevei Tejtermelő Kft, aff. C-129/16, pts. 37-38
    27.  Par ex. V. Michel, « […] C-378/08, ERG SpA […] », Europe n° 5, Mai 2010, comm. 178 
    28.  C’est-à-dire, une obligation imposée par l’Etat sur un particulier.
    29.  CJUE, 4 mars 2015, Fipa Group Srl e.a., aff. C-534/13, pt. 41
    30.  Conclusions de l’Avocate générale Kokott, sous CJUE, 3 octobre 2019, Wasserleitungsverband Nördliches Burgenland e.a., aff. C-197/18, pt. 98
    31.  CJUE, grande chambre, 1er octobre 2019, Mathieu Blaise, aff. C-616/17, pt. 43
    32.  Article 6, §2, de la directive 2008/98
    33.  Article 6, §4, de la directive 2008/98
    34.  CJUE, 24 octobre 2019, Prato Nevoso Termo Energy Srl, aff. C‑212/18, pt. 34
    35.  Idem, pt. 42
    36.  La Cour précise qu’il convient, en outre, de comparer les risques que font peser la substance en cause en tant que déchet ou en tant que produit recyclé pour un autre usage. Si le bilan est positif et que les risques apparaissent raisonnables, il peut perdre son statut de déchet. En revanche, le fait que d’autres produits utilisés en tant qu’incinérateur soient plus polluants que le déchet recyclé en cause n’est pas pertinent. Idem, pts. 54-55
    37.  Idem, pts. 57-58
    38.  CJUE, 10 octobre 2019, Luonnonsuojeluyhdistys Tapiola, aff. C‑674/17, pt. 66 ; voir aussi la note 23 des conclusions de l’Avocat général Saugmandsgaard Øe sous cet arrêt.
    39.  Conclusions, au-dessus de CJCE, 31 mars 1992, Hamlin Electronics GmbH, aff. C-338/90, Rec. p. 2347, 2346, pt. 29
    40.  « Commentaire de l’Acte unique européen en matière d’environnement », Revue Juridique de l’Environnement, n°1, 1988, pp.75-90, pp. 79-80. Texte élaboré à Bonn le 19 mars 1987 par la Conseil européen du droit de l’environnement.
    41.  C’est-à-dire de compétence. 
    42.  Tribunal, 7 mars 2013, Pologne c. Commission, aff. T-370/11, pt. 109
    43.  Tribunal, 4 avril 2019, ClientEarth c. Commission, aff. T‑108/17, pt. 284 : « Or, premièrement, il y a lieu de relever que le principe de précaution, tel que prévu à l’article 191, paragraphe 2, TFUE, s’adresse à l’action de l’Union et qu’il ne peut être interprété en ce sens qu’une institution de l’Union est tenue, sur le fondement de ce principe, d’adopter une mesure précise, telle que le refus d’une autorisation envisagé par la requérante. En effet, cette disposition se borne à définir les objectifs généraux de l’Union en matière d’environnement dans la mesure où l’article 192 TFUE confie au Parlement européen et au Conseil de l’Union européenne, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, le soin de décider de l’action à entreprendre en vue de réaliser ces objectifs. De plus, s’il est vrai que ce principe peut justifier l’adoption d’une mesure restrictive par une institution, il n’en reste pas moins qu’il ne l’impose pas. » Cette expression est très proche de celle utilisée dans l’arrêt Glatzel (§1), concernant la distinction entre les « droits » et les « principes » de la Charte.
    44.  Voir implicitement l’argumentation de la Pologne, dans CJUE, 13 mars 2019, Pologne c. Parlement européen et Conseil, aff. C‑128/17, pts. 119-148, concernant le  principe de proportionnalité lu à la lumière de l’objectif d’un développement équilibré des régions de l’Union.
    45.  CJCE, 29 avril 1999, Standley e.a. et Metson e.a., aff. C-293/97, pts. 52-53. La juridiction de renvoi demander à la Cour si une directive était légale au regard du principe de proportionnalité, celui du pollueur-payeur, ainsi que le droit fondamental de propriété des agriculteurs concernés.
    46.  Conclusions, sous CJUE, 8 juillet 2010, Afton Chemical Limited, aff. C-343/09, pt. 54 ; Voir aussi les conclusions de l’Avocate générale Sharpston, sous CJUE, grande chambre, 1er octobre 2019, Mathieu Blaise, aff. C-616/17, pt. 49
    47.  Par ex. CJCE, 13 novembre 1990, Fedesa e.a., aff. C-331/88,  Rec. pp. 4057, 4064, pt. 17 ; CJCE, 15 décembre 2005, République hellénique c. Commission, aff. C-86/03, pt. 96 ; CJCE, grande chambre, 16 décembre 2008, Société Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., affaire C‑127/07, pt. 59
    48.  CJCE, grande chambre, 8 avril 1976, Defrenne, 43/75, Rec. p. 456, 475-476
    49.  CJCE, grande chambre, 5 février 1963, van Gend & Loos, 26/62, Rec p. 7, 23
    50.  Par exemple, CJCE, grande chambre, 22 novembre 2005, Mangold, aff. C-144/04 ; CJUE, grande chambre, 11 décembre 2007, Viking Line, aff. C‑438/05 ; CJUE, grande chambre, 22 janvier 2019, Cresco Investigation, aff. C-193/17
    51.  K. Lenaerts & J. A. Gutierrez-Fons, « The constitutional allocation of powers and general principles of EU law »,  Common Market Law Review, vol. 47, n° 6, 2010, pp. 1629-1669, sp. pp. 1649, 1662-1666
    52.  CJCE, grande chambre, 14 juillet 1998, Safety Hi-Tech Srl, aff. C-284/95, pt. 49 ; CJUE, 21 décembre 2016, Associazione Italia Nostra Onlus, aff. C‑444/15, pt. 44 ; CJUE, 13 mars 2019, Pologne c. Parlement européen et Conseil, aff. C-128/17, pt. 132
    53.  Ibidem
    54.  CJCE, grande chambre, 14 juillet 1998, Safety Hi-Tech Srl, aff. C-284/95, pt. 54
    55.  Idem, pt. 59
    56.  Pour rappel, ce principe est composé de trois tests : aptitude, nécessité et proportionnalité au sens strict ou stricto sensu.
    57.  CJUE, 21 décembre 2016, Associazione Italia Nostra Onlus, aff. C‑444/15, pt. 54
    58.  CJUE, 27 octobre 2016, Patrice D’Oultremont e.a., affaire C-290/15, pt. 40 ; CJUE, 7 juin 2018, Inter-Environnement Bruxelles e.a., Affaire C-671/16, pt. 34
    59.  CJUE, 21 décembre 2016, Associazione Italia Nostra Onlus, aff. C‑444/15, pt. 59
    60.  Règlement (CE) no 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques
    61.  CJUE, grande chambre, 1er octobre 2019, Mathieu Blaise, aff. C-616/17, pt. 42 
    62.  Idem, sp. pt. 45
    63.  Idem, pt. 49
    64.  Idem, pt. 68 
    65.  Idem, pt. 75
    66.  Par exigence de neutralité, je me permets de renvoyer à une critique de cette association, faite par des anciens employés. Le Grimm,  Nous n’irons plus pointer chez Gaïa, Édt du Bout De La Ville, 2017
    67.  Elle se distingue nettement par un ou plusieurs caractères importants de toute autre variété connue dans l’Union.
    68.  Une variété est stable si, à la suite de ses reproductions ou multiplications successives ou à la fin de chaque cycle, lorsque l’obtenteur a défini un cycle particulier de reproductions ou de multiplications, elle reste conforme à la définition de ses caractères essentiels.
    69.  Les plantes qui composent une variété sont, compte tenu des particularités du système de reproduction des plantes, semblables ou génétiquement identiques pour l’ensemble des caractères retenus à cet effet.
    70.  Conclusions de l’Avocate générale Kokott, sous CJUE, 12 juillet 2012, Association Kokopelli, aff. C‑59/11, pt. 45
    71.  Idem, pts. 99-102
    72.  CJUE, 12 juillet 2012, Association Kokopelli, aff. C‑59/11, pt. 45
    73.  Idem, pt. 47
    74.  Idem, pt. 49
    75.  Idem, pts. 54-57
    76.  Idem, pt. 60
    77.  Idem, pt. 61
    78.  Voir par exemple, M. H. Semedo, Directrice générale adjointe de la FAO, « La perte de la biodiversité compromet la capacité de l’homme à se nourrir par lui-même », LeMonde, publié le 29 mars 2019 ; J. Bélanger & D. Pilling (eds.), The State of the World’s Biodiversity for Food and Agriculture, FAO Commission on Genetic Resources for Food and Agriculture Assessments, 2019
    79.  Conclusions, pts. 2 et 84
    80.  CJUE, idem, pt. 64
    81.  Conclusions,  pt. 92
    82.  Idem, pt. 90
    83.  Idem, pt. 84
    84.  Y. Petit écrit ainsi « On ne peut qu’être sceptique face à cette affirmation quelque peu surannée, d’autant plus que laCour a su développer une jurisprudence beaucoup plus progressiste relative aux objectifs de la P.A.C., notamment dans l’affaire des hormones et à l’occasion du contentieux lié à l’embargo sur la viande bovine britannique, à la suite de la crise de la ‘‘vache folle.’’ » Il se réfère à CJCE, 23 février 1988, Royaume-Uni c. Conseil, aff. 66/86, Rec. p. 855 et à CJCE, 5 mai 1998, Royaume-Uni c. Conseil, C-180/96, Rec. p. I-2265. Y. Petit, « Arrêt « Kokopelli« : la commercialisation des semences de légumes traditionnels et la préservation de la biodiversité », Journal de droit européen 2012, nº 194 pp. 297-298
    85.  J. Kokott et Ch. Sobotta, « The Evolution of the Principle of Proportionality in EU Law-Towards an Anticipative Understanding? », in : S. Vogenauer et S. Weatherill (dir.), General Principles of Law – European and Comparative Perspectives, Hart Publishing, 2017, pp. 167-177, p. 171
    86.  CJCE, 13 novembre 1990, Fedesa e.a., aff. C-331/88,  Rec. pp. 4057, 4064, pt. 17
    87.  CJCE, 15 décembre 2005, République hellénique c. Commission, aff. C-86/03, pt. 96
    88.  CJUE, grande chambre, 23 octobre 2012, Nelson, aff. jointes C‑581/10 et C‑629/10, pt. 81
    89.  CJCE, grande chambre, 8 juin 2010, Vodafone, aff. C‑58/08, pt. 53 ; CJUE, 4 mai 2016, République de Pologne c. Parlement et Conseil, aff. C‑358/14, pt. 57
    90.  Sur cette question voir N. de Sadeleer, Environmental Law Internal Market, OUP, 2015. Voir aussi les thèses de Cl. Vial, Protection de l’environnement et libre circulation des marchandises, Bruylant, 2006 et J. Nowag, Environmental integration in competition and free-movement laws, OUP, 2016
    91.  CJCE, grande chambre, 7 février 1985, Association de défense des brûleurs d’huiles usagées (ADBHU), aff. 240/83, Rec. p. 538, 549
    92.  Conclusions, sous CJCE, 11 juillet 1996, Royal Society for the Protection of Birds, aff. C-44/95, pt. 44
    93.  La Cour qualifie l’électricité de marchandise et non de service.
    94.  CJCE, grande chambre, 13 mars 2001, PreussenElektra AG, aff. C-379/98, pt. 73
    95.  Idem, pt. 79
    96.  CJUE, grande chambre, 1er juillet 2014, Ålands Vindkraft AB, aff. C-573/12, pt. 92
    97.  CJCE, grande chambre, 13 mars 2001, PreussenElektra AG, aff. C-379/98, pt. 75
    98.  CJCE, grande chambre, 12 juin 2003, Schmidberger, aff. C-112/00 ; CJCE, grande chambre, 15 novembre 2005  Commission c. République d’Autriche, aff. C-320/03. La question de la pollution due aux camions transitant par son territoire avait fait l’objet d’un protocole lors de l’adhésion de l’Autriche en 1995. Cet État espérait qu’en 2004 les mesures de l’Union seraient suffisantes pour assurer aux populations riveraines une protection élevée. Sur cette question, voir H.-C. Ignaz Seidl-Hohenveldern, « L’Union européenne et le transit de marchandises par rail et par route à travers l’Autriche », Revue du Marché commun et de l’Union européenne, 1995, p. 380 
    99.  CJUE, grande chambre, 21 décembre 2011, Commission c. République d’Autriche, aff. C‑28/09, pt. 122
    100.  Conclusions, sous CJUE, 11 septembre 2014, Essent Belgium, aff. jointes C-204/12 à C-208/12, pt. 91. Voir aussi les conclusions de l’Avocate générale Trstenjak, sous CJUE, grande chambre, 21 décembre 2011, Commission c. République d’Autriche, aff. C‑28/09, pts. 82-91, qui, tout en acceptant la justification d’une mesure discriminatoire par un objectif de protection de l’environnement, note néanmoins qu’« il y a lieu de considérer que le caractère discriminatoire d’une mesure restreignant la libre circulation des marchandises peut être pris en compte dans le cadre de l’examen de la proportionnalité, ces mesures pouvant faire l’objet d’un examen plus strict au regard de leur nécessité et de leur adéquation en particulier. » (pt. 91)
    101.  CJCE, grande chambre, 20 septembre 1988, Commission c. Danemark, aff. 302/86, Rec. p. 4627, 4631, pt. 17
    102.  Idem, Rec. p. 4632, pt. 20
    103.  Idem, pt. 21
    104.  Par ex. J. Snell, « True Proportionality and free Movement of goods and services », European Business Law Review, vol.11, n° 1,2000, pp. 50-57, p. 53
    105.  « Toutefois, il ne nous semble pas que le Danemark doive l’emporter dans cette affaire si la Commissionne peut pas démontrer que le même degré peut être atteint par d’autres moyens spécifiques. Il doit y avoir une pondération d’intérêts entre la libre circulation des marchandises et la protection de l’environnement, même si, pour atteindre le point d’équilibre, le degré élevé de protection recherché doit être réduit. » Conclusions de l’Avocat général Slynn, publiées au-dessus de CJCE, grande chambre, 20 septembre 1988, Commission c. Danemark, aff. 302/86, Rec. p. 4627, 4625
    106.  « A cet égard, il y a lieu d’observer que, certes, le système de reprise existant pour les emballages agréés garantit un taux maximal de réutilisation, et donc une protection très sensible de l’environnement, du fait que les emballages vides peuvent être rendus chez n’importe quel détaillant de boissons, alors que les emballages non agréés, compte tenu de l’impossibilité de mettre en place pour eux aussi une organisation aussi complète, peuvent être rendus uniquement chez le détaillant qui a vendu les boissons. » (Rec. p. 4632, pt. 20)
    107.  DG MOVE  de la Commission européenne et Office fédéral des transports de la Confédération suisse, « Observation et analyse des flux de transports de marchandises transalpins — Rapport annuel 2017 », mai 2019 En 1999 : 80 millions de tonnes pour l’Autriche,  40 millions pour la France, 20 millions pour le Suisse et  en 1999. Alors que pour ces deux derniers États, les chiffres sont restés stables, en 2017, près de 140 millions de tonnes de marchandises circulaient par l’Autriche (p. 17). Il est à noter que le rail n’a quasiment pas augmenté en tonnes de marchandises transportées, alors qu’il est moins polluant (p. i).
    108.  E. Spaventa, « Drinking Away Our Sorrows? », in : F. Amtenbrink, G. Davies, D. Kochenov, J. Lindeboom (edt.), The Internal Market and the Future of European Integration – Essays in Honour of Laurence W. Gormley, Cambridge University Press, 2019, pp. 188-199, ppt. 193-196
    109.  Plus généralement sur le principe de diligence, voir ma publication à venir « L’application du principe de diligence au législateur et aux personnes privées : principe transversal ou erreur de catégorie ? — Étude sur le principe de bonne administration en droit de l’UE. »
    110.  Premièrement, la mesure alternative était moins protectrice, ce que semble masquer la Cour en s’attachant uniquement à l’obligation de diligence. La mesure alternative qui n’a pas suffisamment été étudiée ne permettait qu’ « une réduction annuelle supplémentaire de 1,1 % des émissions de dioxyde d’azote dans la zone concernée, tandis que pour l’interdiction sectorielle de circuler une réduction de 1,5 % desdites émissions est avancée. » CJUE, grande chambre, 21 décembre 2011, Commission c. République d’Autriche, aff. C‑28/09, pt. 144 Secondement, le principe de diligence s’applique normalement antérieurement à l’examen des trois tests de la proportionnalité. Au contraire, la Cour l’utilise ici au stade de la nécessité.
    111.  Ce qui relève davantage de la nécessité au sens strict.
    112.  Elle doit examiner avec soin et impartialité l’ensemble des éléments pertinents. CJCE, grande chambre, 20 mars 2003, Royaume de Danemark c. Commission, aff. C-3/00, pt. 114 ; CJCE, 6 novembre 2008, Royaume des Pays-Bas c. Commission, aff. C‑405/07 P, pts. 55s
    113.  La décision doit être adoptée et communiquée dans ce délai : Tribunal, 9 décembre 2010, Pologne c. Commission, aff. T-69/08
    114.  Tribunal, 5 octobre 2005, Land Oberösterreich et Autriche c. Commission, aff. jointes T‑366/03 et T‑235/04, pt. 64
    115.  Idem, pt. 65 et 66
    116.  Idem, pt. 65
    117.  CJCE, 13 septembre 2007, Land Oberösterreich et Autriche c. Commission, aff. jointes C‑439/05 P et C‑454/05 P. La Cour a précisé qu’un problème spécifique ne devait pas nécessairement être « unique. » Malgré l’utilisation malencontreuse de ce terme par l’EFSA et la décision de la Commission, celles-ci l’ayant utilisé comme un synonyme de spécifique, aucune erreur de droit n’est à constater.
    118.  N. de Sadeleer, Environmental Law Internal Market, OUP, 2015, p. 368
    119.  Une telle procédure prévoit que les États membres décident. La Commission décide de la décision finale si les États membres n’ont réussi à adopter aucune décision. Voir le règlement n° 182/2011 du Parlement Européen et du Conseil du 16 février 2011 établissant les règles et principes généraux relatifs aux modalités de contrôle par les États membres de l’exercice des compétences d’exécution par la Commission
    120.  CJUE, 6 septembre 2012, Pioneer Hi Bred Italia Srl c. Ministero delle Politiche agricole alimentari e forestali, aff. C-36/11, pt. 73
    121.  Une telle procédure prévoit que les États membres décident. La Commission décide de la décision finale si les États membres n’ont réussi à adopter aucune décision. Voir le règlement n° 182/2011 du Parlement Européen et du Conseil du 16 février 2011 établissant les règles et principes généraux relatifs aux modalités de contrôle par les États membres de l’exercice des compétences d’exécution par la Commission
    122.  CJUE, 8 septembre 2011, Monsanto SAS c. Ministre de l’Agriculture et de la Pêche, aff. jointes C‑58/10 à C‑68/10, pts. 43-63
    123.  Idem, pt. 59
    124.  Règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires
    125.  CJUE, 13 septembre 2017, Fidenato, aff. C-111/16, pts. 31-42
    126.  Idem, pt. 48
    127.  Idem, pt. 50
    128.  Idem, pt. 50
    129.  Idem, pt. 51
    130.  Cette interprétation de la Cour est conforme à la volonté des Etats membres, lorsqu’ils ont adopté la réglementation communautaire en matière d’OGM. Néanmoins, une réserve peut être certainement émise à l’encontre du critère du « manifeste », pour les raisons énoncés. 
    131.  CJUE, 13 septembre 2017, Fidenato, aff. C-111/16, pt. 52 : « Il convient en outre de relever que, ainsi que l’a indiqué M. l’avocat général aux points 74 à 76 de ses conclusions, la différence entre le niveau de risque requis par l’article 34 du règlement n° 1829/2003, d’une part, et par l’article 7 du règlement n° 178/2002, d’autre part, doit être appréhendée compte tenu de la mise en œuvre procédurale de ces dispositions, à savoir l’application de l’article 34 du règlement n° 1829/2003 aux produits autorisés par celui-ci et de l’article 7 du règlement n° 178/2002 à l’ensemble du domaine de la législation alimentaire, y compris aux produits qui n’ont jamais été soumis à une procédure d’autorisation. »
    132.  CJUE, 13 septembre 2017, Fidenato, aff. C-111/16, pt. 52 : « Il convient en outre de relever que, ainsi que l’a indiqué M. l’avocat général aux points 74 à 76 de ses conclusions, la différence entre le niveau de risque requis par l’article 34 du règlement n° 1829/2003, d’une part, et par l’article 7 du règlement n° 178/2002, d’autre part, doit être appréhendée compte tenu de la mise en œuvre procédurale de ces dispositions, à savoir l’application de l’article 34 du règlement n° 1829/2003 aux produits autorisés par celui-ci et de l’article 7 du règlement n° 178/2002 à l’ensemble du domaine de la législation alimentaire, y compris aux produits qui n’ont jamais été soumis à une procédure d’autorisation. »
    133.  Pour toute remarque ou critique : jamescorne@gmail.com
  • La Décision FIE contre Irlande : un important précédent pour la lutte contre le changement climatique ?

    Par Pauline Greiner, membre de Notre Affaire à Tous

    Introduction

    « Cette décision mémorable reconnaît le besoin pressant de répondre à l’urgence climatique et crée un précédent à suivre pour toutes les cours dans le monde » (1). 

    C’est ainsi que David R. Boyd, Rapporteur Spécial de l’ONU sur les droits de l’Homme et l’environnement qualifie la décision rendue le 31 juillet 2020 par la Cour Suprême d’Irlande, annulant le plan national d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre (GES) du gouvernement irlandais (2) et contraignant celui-ci à en adopter un nouveau. 

    Ce plan, adopté en 2017 en application de la loi de 2015 sur l’Action Climatique et le Développement Bas Carbone (3) (ci-après « loi de 2015 »), est censé décrire les politiques mises en œuvre par le gouvernement sur la période 2017-2022 pour atteindre son « objectif national de transition » (ONT). Le plan est contesté après sa publication par l’association de protection environnementale Friends of the Irish Environment (FIE), qui le considère insuffisant et invoque la violation de droits constitutionnels tels que le droit à la vie, ainsi que d’un droit implicite à un environnement « compatible avec la dignité humaine », reconnu par la Haute Cour irlandaise un an auparavant (4). Plusieurs fois qualifiée « d’historique » (5), la victoire de FIE dans cette affaire est vue comme extrêmement encourageante pour l’évolution du contentieux climatique dans le monde. Pourtant, la décision ne reconnaît aucune violation des droits de l’Homme résultant de l’inaction climatique de l’État et écarte l’idée de l’existence du droit à un environnement sain. 

    Si la décision de la Cour Suprême dans l’affaire FIE contre Irlande crée indéniablement un important précédent, particulièrement à l’échelle de l’Irlande (I), elle conserve néanmoins quelques limites (II).

    L’annulation de l’acte administratif : un important précédent pour l’évolution du contentieux climatique

    La « justiciabilité » de l’acte était un point très contesté par l’État en première instance : l’acte administratif que constitue l’adoption du plan par le ministre est-il examinable par le juge ? En effet, en vertu du principe de séparation des pouvoirs, qui en droit irlandais comme en droit français est un principe à valeur constitutionnelle, le juge ne peut s’immiscer dans les décisions de politiques publiques du gouvernement sous prétexte que celles-ci ne sont « pas adaptées ». En première instance, le défendeur (l’État) avait souligné que le plan d’atténuation ne créait de droits ni n’imposait d’obligations et qu’il constituait donc un simple énoncé de politique gouvernementale non susceptible d’être examiné par le juge (6). La Haute Cour avait également conclu que la marge de discrétion laissée au gouvernement par la loi de 2015 pour la mise en œuvre de ses politiques de réduction des émissions de GES ne permettait pas au juge d’estimer que le plan était insuffisant au regard de cette même loi (7). Cependant, les juges de la Cour Suprême ont adopté une autre approche. En effet, l’article 4 de la loi de 2015 énonce quelques conditions précises que doit satisfaire un plan d’atténuation pour être valable. Ainsi, le respect de ces règles relève de l’obligation légale et non de la discrétion du ministre. Les juges estiment donc que le plan est « justiciable » et peut être examiné au regard de la loi de 2015 (8).

    Ce passage de la décision est important puisque désormais, en Irlande, il sera admis que les actes du gouvernement pris conformément à la loi de 2015 sur l’action climatique sont examinables par le juge. Il convient cependant de noter que cette loi ne pose pas d’exigences quant à la forme que devront prendre les politiques climatiques mises en place. 

    Puisqu’il s’agit d’évaluer le respect d’une obligation légale et non les choix politiques du gouvernement, les juges peuvent soumettre le plan à leur examen. L’article 4 de la loi de 2015 exige que le plan fournisse des détails quant à la manière dont le gouvernement se propose d’atteindre l’ONT sur la période donnée. La Cour Suprême utilise dans son analyse le standard, habituel en common law, de la « personne raisonnable » (9) pour évaluer la compatibilité du plan avec cette exigence de détail. Pour la Cour, le plan doit permettre à « une personne raisonnable et intéressée de juger de si le plan en question est réaliste et de savoir si elle approuve les choix de politiques mises en place pour atteindre l’Objectif National de Transition » (10). Elle constate alors que le plan d’atténuation se trouve « excessivement vague ou ambitieux » par endroits (11), l’empêchant d’atteindre le niveau de spécificité requis par la loi. C’est pour cette raison que la Cour Suprême décide de l’annuler.  

    Cette décision établit un important précédent, au moins au niveau national. Un plan d’action climatique, pour être valable, doit être suffisamment transparent et détaillé, car c’est ce qui permet au public d’évaluer concrètement l’efficacité des politiques mises en place par le gouvernement et éventuellement de chercher à engager sa responsabilité. Cette décision clarifie l’obligation qu’a l’État irlandais d’atteindre un niveau satisfaisant de spécificité et de transparence dans ses futurs plans d’atténuation. Il sera désormais impossible pour le gouvernement de n’émettre que des objectifs de long-terme vagues sans détailler les mesures qui permettront de les atteindre, tout en invoquant la marge de discrétion pour éviter l’annulation de l’acte.    

    La décision FIE constitue donc une première étape importante pour l’évolution du contentieux climatique en Irlande. En revanche, contrairement à ce que les requérants avaient pu espérer, elle ne passe pas le cap de la reconnaissance de la responsabilité de l’État pour violation des droits humains. Il convient donc d’examiner les limites de cette décision, qualifiée par beaucoup « d’historique ».

    Les limites de la décision FIE contre Irlande

    Malgré l’annulation de l’acte, la Cour Suprême a refusé de reconnaître la violation des droits humains protégés par la Constitution irlandaise et la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH), pour des raisons d’ordre purement procédural. En ce qui concerne les droits explicitement reconnus par la Constitution, FIE invoque la violation du droit à la vie (12) et du droit à l’intégrité physique (13). La Cour a bien reconnu que puisque l’acte était ultra vires (14) et allait être annulé, la question d’une potentielle violation des droits humains par ce même acte pouvait être examinée. Cependant, le fait que l’association FIE soit une personne morale ne bénéficiant pas elle-même de ces droits l’empêche de les invoquer puisqu’elle n’a alors pas intérêt à agir, même au nom de la population au sens large. En effet, ce mode d’action (l’actio populi) n’existe pas en droit constitutionnel irlandais. 

    En décembre 2019, dans la très similaire affaire Urgenda contre Pays-Bas (15), la Cour d’appel de la Haye avait reconnu que l’État, en adoptant une politique climatique ne respectant pas les recommandations du GIEC (16), agissait illégalement en violation des articles 2 (droit à la vie) et 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la CEDH, ainsi que du « devoir de protection » (17) qui en découle (18). FIE s’est aussi vu refuser sa demande de reconnaître une violation de ces mêmes droits protégés par la CEDH puisque, là encore, les juges ont considéré qu’une personne morale ne pouvait revendiquer la violation de droits dont elle ne jouit pas. Cet aspect est donc vite écarté et la Cour n’évoque pas l’existence d’un « devoir de protection » de l’État contre le changement climatique qui découlerait de la CEDH. Les requérants se sont donc heurtés à un problème purement procédural, empêchant ces questions d’être abordées.

    Si la Cour Suprême semble là avoir « fermé la porte (…) aux ONG (…) revendiquant des droits constitutionnels personnels et des droits humains » (19), elle a en revanche indiqué qu’elle pourrait examiner de futurs recours similaires, portés par des personnes physiques qui estimeraient que leur droit à la vie, à l’intégrité physique ou même à la propriété privée (20) sont menacés (21). Ce passage est extrêmement important puisqu’il ouvre la voie à des contentieux de ce type en Irlande. Il faudra donc attendre de futurs litiges pour savoir si la responsabilité de l’État irlandais peut être engagée dans le cadre d’une politique climatique entraînant la violation de droits constitutionnels. En cela, l’arrêt FIE ne représente qu’une première étape pour l’évolution du contentieux climatique en Irlande.

    Dans l’affaire FIE, il n’a jamais été retenu par les juges que l’État agissait illégalement en violation d’un devoir ou de droits humains. La Cour n’enjoint pas non plus l’État à adopter des mesures spécifiques plus ambitieuses mais seulement à se soumettre à l’exigence de détail requis par la loi. De même, cette décision a été prise dans un contexte législatif et constitutionnel spécifique à l’Irlande et ne concerne qu’un plan visant la période 2017-2022, dont la durée de vie est donc désormais de moins de deux ans. Bien qu’il ne faille pas ignorer la notion de « dialogue des juges » et reconnaître l’influence que pourrait avoir cette décision sur de futurs contentieux climatiques dans le monde, notamment sur l’exigence de transparence dans l’élaboration de politiques climatiques, elle aura tout de même une portée limitée à l’international.

    En conclusion, cette décision est retentissante pour plusieurs raisons : pour la deuxième fois seulement, un gouvernement se voit contraint de modifier son plan d’action climatique à la suite d’une décision judiciaire. À l’échelle nationale, le précédent ainsi créé est extrêmement important puisque cette décision confirme la possibilité pour les juges irlandais d’examiner la validité de tout futur plan d’atténuation au regard de la loi sur l’action climatique de 2015. De même, il est désormais clair que ces plans devront contenir un niveau de détail permettant à la population de comprendre et d’évaluer les politiques mises en place pour atteindre l’ONT. Cette décision ayant prouvé qu’il est possible de contester, avec succès, un plan d’action climatique en raison de son manque de transparence, d’autres contentieux pourraient suivre dans le monde. En cela, la décision FIE est susceptible d’avoir une influence dépassant largement les frontières de l’Irlande.

    Cependant, bien qu’elle n’en écarte pas la possibilité dans un futur contentieux plus adapté, la décision ne reconnaît aucune violation des droits de l’Homme ni aucun devoir de protection de l’État contre le changement climatique, contrairement à ce qui avait été le cas aux Pays-Bas avec l’affaire Urgenda. Elle n’enjoint pas non plus l’État à adopter une politique climatique plus ambitieuse mais simplement à adopter un plan d’atténuation plus détaillé, dans le contexte spécifique de la loi sur l’action climatique de 2015. Si cette décision est extrêmement encourageante et représente une première étape indispensable pour l’évolution du contentieux climatique en Irlande, vu de l’étranger elle est principalement une victoire symbolique et une source d’inspiration pour les contentieux en cours et à venir.  

    Notes

    1.  « This landmark decision recognizes the urgency of responding to the climate emergency and sets a precedent for courts around the world to follow », Climate Case Ireland, ‘Amidst A Climate And Biodiversity Crisis, Hope Emerges: Friends Of The Irish Environment Win Historic ‘Climate Case Ireland’ In The Irish Supreme Court’ (2020) < https://www.climatecaseireland.ie/amidst-a-climate-and-biodiversity-crisis-hope-emerges-friends-of-the-irish-environment-win-historic-climate-case-ireland-in-the-irish-supreme-court/> (consulté le 19 septembre 2020)
    2.  Department of Communications, Climate Action & Environment, National Mitigation Plan (juillet 2020) 
    3.  House of the Oireachtais, Climate Action and Low Carbon Development Act, act 46 of 2015 (10 décembre 2015) 
    4.  Haute Cour, 21 novembre 2017, Merriman v Fingal County Council; Friends of the Irish Environment Clg v Fingal County Council, IEHC 695 
    5.  Voir par exemple Green News, « ‘It was just an incredible moment’ – reactions to the historic climate case ruling », 7 août 2020 [En ligne] https://greennews.ie/climate-case-win-reactions/ (consulté le 20 septembre 2020) ; Greta Thunberg, publication sur Twitter, 31 juillet 2020 [En ligne] https://twitter.com/gretathunberg/status/1289273895816531968 (consulté le 20 septembre 2020)
    6.  Haute Cour d’Irlande, 19 septembre 2019, Friends of the Irish Environment Clg v The Government of Ireland, Ireland and the Attorney General, IEHC 747, 42
    7.  Ibid, 97, 112, 113
    8.  Cour Suprême d’Irlande, 31 juillet 2020, Friends of the Irish Environment Clg v The Government of Ireland, Ireland and the Attorney General, 205/19, 8.15
    9.  Reasonable person
    10.  Supra (n 8) 9.2 
    11.  Ibid, 6.43
    12.  Constitution de l’Irlande, article 40
    13.  Ibid
    14.  C’est-à-dire en dehors des pouvoirs du ministre ayant pris l’acte
    15.  Cour Suprême des Pays-Bas, 20 décembre 2019, The State of the Netherlands v Stichting Urgenda, 19/00135
    16.  Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat 
    17.  Duty of care
    18.  Arnaud Gossement, « [Contentieux climatique] Affaire Urgenda c. État des Pays-Bas : la décsion de la Cour Suprême des Pays-Bas est-elle historique ou symbolique ? », 26 décembre 2019 [En ligne] http://www.arnaudgossement.com/archive/2019/12/23/contentieux-climatique-decision-de-la-cour-supreme-des-pays-6200354.html (consulté le 19 septembre 2020)
    19.  Tony Lowes, ‘Why Climate Decision is Important’, The Irish Time (7 August 2020) [En ligne] http://www.arnaudgossement.com/archive/2019/12/23/contentieux-climatique-decision-de-la-cour-supreme-des-pays-6200354.html (consulté le 19 septembre 2020)
    20.  Supra (n 12) article 43
    21.  Supra (n 8) 8.17 

     

  • L’Insuffisante protection européenne du droit à un environnement sain

    Par Salomé Cohen, membre de Notre Affaire à Tous

    Introduction

    « Beaucoup d’autres combats sont à mener mais si celui-ci échoue, plus aucun autre ne pourra être entrepris» (1).

    Tout au long de son ouvrage, Aurélien Barrau place l’Humanité face à ses contradictions. L’une d’entre elles consiste à défendre les droits humains sans y inclure celui d’évoluer dans un environnement sain.

    Aujourd’hui, près de 9 millions de décès prématurés dans le monde sont dus à la pollution atmosphérique. Cette dernière réduirait davantage l’espérance de vie que l’alcool, le tabac ou les violences (2), sans parler de la dégradation de la biodiversité et de son habitat, à l’origine de la crise sanitaire que nous traversons. Au vu de ce constat, des droits aussi fondamentaux que le droit à la vie et le droit à la santé ne peuvent qu’être bafoués. 

    Il est aujourd’hui évident que les atteintes à l’environnement – comprenant l’inaction face à la crise écologique – violent les droits humains, pourtant reconnus par toutes les nations. Mais rien n’y fait, la répression supranationale des infractions écologiques est au point mort.

    Le vendredi 24 mai 2019, la protection effective d’un droit individuel à l’environnement se heurtait à un nouvel obstacle : l’échec des négociations pour l’adoption du Pacte mondial pour l’environnement. Alors que des juristes du monde entier appelaient les Nations Unies à voter en faveur d’un texte juridiquement contraignant, c’est une simple déclaration politique qui fut acceptée. Pourtant, ce projet se contentait de rendre obligatoire des principes depuis longtemps reconnus par les États. A première vue, la situation ne semble pas plus favorable au niveau régional ; seule la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples consacre le droit des peuples à un « environnement satisfaisant et global, propice à leur développement » (3). 

    La lettre de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (ci-après CEDH) ne mentionne aucun droit à la protection de l’environnement ou à la préservation de la nature (4). Cet instrument a été amendé plusieurs fois, sans jamais que ne soit ajouté le droit à un environnement sain. Ce dernier vise pourtant le droit dont dispose chaque être humain de vivre et évoluer dans un milieu équilibré et respectueux de sa santé, de son bien-être et de sa dignité. 

    Bien que ce droit à l’environnement soit dépourvu de valeur conventionnelle, la Cour européenne des droits de l’homme joue un rôle dans sa promotion à l’égard des 47 membres du Conseil de l’Europe. Le contentieux européen de l’environnement représente en effet quelque 300 décisions, oscillant entre interprétation extensive de la CEDH et affirmation de la marge nationale d’appréciation.

    UNE INTERPRETATION EXTENSIVE DES DROITS DE L’HOMME AU SERVICE DE L’ENVIRONNEMENT

    Les jurisprudences de la Cour européenne et de la Cour interaméricaine des droits de l’Homme sont sources d’espoir. Une approche par l’entremise des droits humains existants, conventionnellement garantis, est adoptée afin d’inciter les États à protéger le droit à un environnement sain. 

    L’inexistence conventionnelle du droit individuel à l’environnement

    A l’époque où la CEDH fut adoptée, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les préoccupations environnementales n’étaient pas au cœur des débats. Il est donc compréhensible que le texte européen, dans sa première version, ne mentionne pas de droit individuel à l’environnement. Même si de nombreux protocoles sont venus modifier le texte d’origine, aucun d’entre eux n’ajoute mention d’un droit à l’environnement. Dans sa Résolution 1614, l’Assemblée parlementaire avait pourtant recommandé au Comité des Ministres « d’élaborer un protocole additionnel à la Convention européenne des Droits de l’Homme, concernant la reconnaissance de droits procéduraux individuels, destinés à renforcer la protection de l’environnement, tels qu’ils sont définis dans la Convention d’Aarhus (5) » (6).

    Faute de fondement conventionnel, les requêtes relatives à l’environnement furent systématiquement rejetées par la Commission européenne en raison de leur incompatibilité avec la compétence matérielle de la CEDH (7). Ce n’est qu’à partir des années 1980 que la Commission a progressé dans le traitement des requêtes environnementales (8).

    Ces avancées sont à nuancer. Face à l’afflux des requêtes, le système de tri en amont de l’examen de la recevabilité devient de plus en plus exigeant. Lorsque les conditions ne sont pas remplies, la requête est définitivement rejetée. L’absence conventionnelle du droit à un environnement sain ne place évidemment pas les requêtes qui y sont relatives en priorité.

    La consécration prétorienne d’un droit d’accès à la justice environnementale

    Afin de favoriser l’accès à la justice environnementale, la Cour européenne passe notamment par une substantialisation des droits procéduraux. Dans sa logique de prééminence du droit, elle examine l’effectivité réelle et concrète des droits procéduraux tels que le droit à un procès équitable (9) et à un recours effectif (10). Le respect de ces derniers sont essentiels à la protection des droits substantiels garantis par la CEDH et donc à la protection par ricochet du droit à l’environnement.

    Dans cette dynamique, la Cour a affirmé que l’impossibilité pour les requérants d’obtenir le contrôle d’une décision gouvernementale relative à leur droit environnemental constituait une violation de l’article 6 de la CEDH (11). Cependant, elle précise que le droit invoqué doit avoir un caractère civil et qu’un lien suffisamment direct avec le problème environnemental doit être établi. Or, en matière environnementale, établir ce lien est une difficulté de taille. Elle le reconnaîtra cependant dans des affaires où la célérité, le coût ou encore la disponibilité des procédures judiciaires posent difficulté (12).

    L’article 34 de la CEDH précise que la requête peut émaner de « toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime (…) ». En matière environnementale, la Cour étend cet accès aux associations environnementales qui jouent, selon elle, le rôle de « chien de garde », essentiel pour une société démocratique (13). Cependant, la Cour limite cet accès aux associations qui défendent un intérêt public général (14).

    L’accès à la justice environnementale se lit également à travers la liberté d’expression de l’article 10§1 de la CEDH. La Cour a affirmé « un net intérêt général à autoriser de tels groupes et les particuliers en dehors du courant dominant à contribuer au débat public par la diffusion d’informations et d’opinions sur des sujets d’intérêt général comme la santé et l’environnement ». Elle a soulevé la nécessité de permettre aux groupes militants de “mener leurs activités de manière effective” (15). 

    Le droit d’accès à l’information est la clé de voûte de la protection environnementale européenne. Il peut découler de l’article 2 et de l’article 8de la CEDH (16) dont la Cour dégage deux obligations positives incombant aux États : garantir le droit d’accès à l’information, d’une part, et informer le public de toute situation pouvant mettre la vie en danger, y compris dans le cas de catastrophes naturelles, d’autre part. L’accès effectif du public aux conclusions des rapports d’experts et aux informations essentielles à l’évaluation des risques auxquels il s’expose est indispensable (17).

    La Cour s’est notamment reposée sur la Convention d’Aarhus (18) ayant entériné le droit d’accès à l’information et a rappelé que la Résolution 1430 (2005) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (19) renforce le devoir des États d’optimiser l’accès et la diffusion des informations dans le domaine des risques industriels. 

    Cependant, le respect de l’obligation d’informer n’exempte pas l’État de ses responsabilités. Ce dernier doit en effet prendre toutes les mesures possibles afin de prévenir les risques dont il a connaissance (20).

    La protection indirecte du droit à un environnement sain

    Au-delà d’un accès facilité à la justice environnementale, la Cour européenne, afin de poursuivre son objet – la protection effective des droits en concordance avec les besoins des sociétés actuelles – interprète certains droits conventionnels comme protégeant le droit à l’environnement. 

    Source de tous les autres droits fondamentaux, le droit à la vie est largement mis à mal par la dégradation de notre planète. Universellement reconnu, il est notamment consacré par l’article 2 de la CEDH. Ce dernier impose à l’État de prendre toutes les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de leur juridiction, même si les dommages émanent d’acteurs privés sans lien direct avec l’État. La Cour a rappelé plusieurs fois que l’article 2 s’applique en cas d’activités à caractère industriel dangereuses, qu’elles soient publiques ou privées. Elle y inclut l’exploitation de sites de stockage de déchets (21), l’incidence des émissions nocives émanant d’une usine de fertilisants (22) ou les essais nucléaires (23). 

    Les catastrophes naturelles peuvent également conduire à une violation de l’article 2, notamment lorsque les autorités n’ont pas adopté des mesures réglementaires et informé le public de manière adéquate (24) ou lorsqu’aucune enquête judiciaire sur la catastrophe n’est menée (25).

    L’article 8 de la CEDH est le plus significatif en la matière. C’est en effet par le prisme de la vie privée et familiale que la Cour a initialement reconnu le droit à un environnement sain. Cet article comprend le droit, pour une personne, d’être protégée contre des atteintes à son environnement, comme les pollutions sonores (26) ou les pollutions olfactives (27). Ces pollutions ont été interprétées comme affectant le bien-être de la personne et mettant en péril le respect de son domicile et de sa vie privée, même en l’absence de risques graves sur la santé, voire en l’absence totale de risque (28). L’article 8 est également mobilisé pour protéger le droit à la santé (29).

    Le droit à l’environnement sain passe parfois par le droit à l’alimentation ou encore par le droit à l’eau. Ces derniers ne sont pas inscrits dans la CEDH mais transparaissent dans certains arrêts de la Cour, au titre de l’article 3 de la CEDH (30). L’absence, l’insuffisance ou l’inadaptation de l’alimentation et de l’hydratation pouvant être assimilées à une torture, un traitement cruel, inhumain ou dégradant.

    La protection du droit à l’environnement connaît donc une forte progression grâce à la pratique de la Cour. Cependant, ne pouvant outrepasser le consentement des États membres, elle doit veiller à leur laisser une marge nationale d’appréciation plus ou moins large. 

    LA RÉTICENCE DES ÉTATS MEMBRES ENVERS UNE PROTECTION ENVIRONNEMENTALE EUROPÉENNE

    En janvier 2020, se tiendront les audiences de l’Affaire du Siècle devant le Tribunal administratif de Paris. Ce recours, entamé en 2018 par Notre Affaire à Tous et trois autres organisations, poursuit l’État français pour inaction climatique (31). Ce type d’action va inévitablement se multiplier devant les juridictions nationales. Le dessin d’une protection européenne standard du droit à l’environnement sain accroîtra la fréquence à laquelle ces requêtes parviendront à la Cour européenne. Celle-ci devra alors fixer l’ampleur de la marge d’appréciation qu’elle laisse aux États en matière environnementale. 

    De manière générale, l’État, dans la mise en œuvre de son droit national, bénéficie d’une marge nationale d’appréciation. Un droit de la CEDH peut faire l’objet de limitations sur la base du droit national. Cependant, cette marge est très variable et son ampleur dépend de plusieurs facteurs : la nature du droit en cause, l’importance du but poursuivi par la mesure restrictive, la précision des termes de l’article en jeu ou encore l’existence d’un standard européen. 

    En matière environnementale, au vu des faits susmentionnés, l’ampleur de la marge nationale d’appréciation semble difficile à fixer en ce que les différents critères n’entrent pas en convergence pour aiguiller la Cour. 

    La Cour fait alors face à ses contradictions. Par exemple, en 2009, elle mettait en avant le principe de précaution qui « a vocation à s’appliquer en vue d’assurer un niveau de protection élevée de la santé, de la sécurité des consommateurs et de l’environnement, dans l’ensemble des activités de la Communauté » (32). Pourtant, dans un arrêt de 2006, la Cour écartait ce principe en faveur de la marge d’appréciation étendue des États en matière d’environnement (33). Aussi, comme précisé précédemment, l’article 8 semble imposer à l’État de protéger un individu contre les atteintes portées à son environnement. Toutefois, la Cour précise que ce droit doit être balancé avec les intérêts de l’État, notamment économiques (34). Lorsque ces derniers sont en jeu, l’État jouit d’une large marge d’appréciation quant au choix des mesures à prendre.

    En refusant de faire peser un fardeau excessif sur les États, la Cour n’hésite pas à modérer les obligations imposées aux États en fonction de l’espèce. 

    Évidemment, dans certains cas, les États utilisent leur marge nationale d’appréciation pour protéger davantage les individus contre les atteintes à leur environnement. Cependant, l’absence de consensus européen sur cette question rend la tâche délicate en ce que la Cour ne peut pas consacrer un droit à l’environnement effectif et systématique dans sa pratique alors même qu’il n’est ni conventionnel, ni consensuel. Les préoccupations climatiques s’accroissent en Europe, la Cour semble tiraillée entre attendre que les États introduisent un droit à l’environnement sain dans leurs ordres internes, et affirmer la consécration non consensuelle mais effective de ce droit.

    En 2009, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe s’était positionnée en faveur de l’adoption d’un protocole additionnel relatif au droit à un environnement sain (35). Malheureusement, le Comité des ministres (36) n’a pas adhéré à cette initiative qui n’a donc jamais vu le jour. Au regard des lacunes de la protection européenne du droit à un environnement sain, l’adoption d’un nouveau texte contraignant est pourtant cruciale.

    Ce combat doit bien sûr s’inscrire dans une démarche globale de protection du vivant, dont l’être humain ne représente que 0,01%. Au-delà de l’aspect répressif et de la reconnaissance des victimes, une meilleure protection européenne du droit à un environnement sain jouerait un rôle préventif utile à tout l’écosystème.

    Notes

    1.  A. Barrau, Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité, face à la catastrophe écologique et sociale, Michel Lafon, 2è ed., 2020
    2.  J. Lelieveld, A. Pozzer, U. Pöschl, M. Fnais, A. Haines, T. Münzel, “Loss of life expectancy from air pollution compared to other risk factors: a worldwide perspective”, Cardiovascular Research, Volume 116, Issue 11, 1 septembre 2020, Pages 1910–1917, [En ligne], https://doi.org/10.1093/cvr/cvaa025 (consulté le 3 novembre 2020) 
    3.  Charte africaine des droits de l’homme et des peuples adoptée par la dix-huitième Conférence des Chefs d’état et de Gouvernement, Nairobi, Kenya, Juin 1981, article 24. 
    4.  Cour européenne des droits de l’homme, Kyrtatos c. Grèce, 22 mai 2003, paragraphe 52.
    5.  Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, 25 juin 1998.
    6.  Assemblée parlementaire, Résolution 1614, Environnement et droits de l’homme, paragraphe 10, 27 juin 2003.
    7.  Commission européenne, X et Y c. République fédérale d’Allemagne, décision d’irrecevabilité du 13 mai 1976.
    8.  Commission européenne, Arrondelle c. Royaume-uni, Requête n°7889/77, 15 juillet 1980 ; Cour européenne des droits de l’homme, Fredin c. Suède, 18 février 1991, paragraphe 41.
    9.  Convention de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales, 4 novembre 1950, Article 6.
    10.  Convention de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales, 4 novembre 1950, Article 13.
    11.  Cour européenne des droits de l’homme, Zander c. Suède, 25 novembre 1993 ; Cour européenne des droits de l’homme, Balmer-Schafroth et autres contre Suisse, 26 juillet 1997
    12.  Cour européenne des droits de l’homme, Taskin c. Turquie, 24 janvier 2004 ; Steel et Morris c. Royaume Uni, 15 février 2005, paragraphe 89 ; Howald Moor et autres c. Suisse, 11 mars 2014.
    13.  Cour européenne des droits de l’homme, Vides Aizsardzibas Klubs c. Lettonie, 27 mai 2004, paragraphe 40.
    14.  Cour européenne des droits de l’homme, Gorraiz Lizarraga et autres c. Espagne, 27 avril 2004, paragraphe 46.
    15.  Cour européenne des droits de l’homme, Steel et Morris c. Royaume-Uni, 15 février 2005, paragraphe 89 ; Cour européenne des droits de l’homme, Verein gegen Tierfabriken c. Suisse, Grande Chambre, 30 juin 2009.
    16.  Pour l’article 2 : Cour européenne des droits de l’homme, Oneryildiz c. Turquie, 30 novembre 2004, paragraphe 67 et paragraphe 84-87 ; Convention européenne des droits de l’homme, Boudaïeva et autres c. Russie, 20 mars 2008, paragraphe 131 ; Pour l’article 8 : Cour européenne des droits de l’homme, Guerra et autres contre Italie, 19 février 1998.
    17.  Cour européenne des droits de l’homme, Tătar c. Roumanie, 27 janvier 2009, paragraphe 93 à 119.
    18.  Voir note de bas de page n°5.
    19.  Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, Résolution 1430 (2005), 18 mars 2005. 
    20.  Convention européenne des droits de l’homme, Boudaïeva et autres c. Russie, 20 mars 2008, paragraphe 131.
    21.  Cour européenne des droits de l’homme, Oneryildiz c. Turquie, 30 novembre 2004. 
    22.  Cour européenne des droits de l’homme, Guerra et autres contre Italie, 19 février 1998, paragraphes 60 et 62.
    23.  Cour européenne des droits de l’homme, L.C.B c. Royaume-Uni, 9 juin 1998, paragraphe 36.
    24.  Cour européenne des droits de l’homme, Bouaïeva et autres c. Russie, 20 mars 2008.
    25.  Cour européenne des droits de l’homme, Özel et autres c. Turquie, 17 novembre 2015
    26.  Cour européenne des droits de l’homme, Powell et Rayner c. Royaume-Uni, 21 février 1990.
    27.  Cour européenne des droits de l’homme, Lopez Ostra c. Espagne, 9 décembre 1994.
    28.  Cour européenne des droits de l’homme, Brânduşe c. Roumanie, 7 avril 2009.
    29.  Cour européenne des droits de l’homme, Fadeïva contre Russie, 9 juin 2005.
    30.  Cour européenne des droits de l’homme, Florea c. Roumanie, 14 septembre 2010 ; Cour européenne des droits de l’homme, Kadikis c. Lettonie, 4 mai 2006.
    31.  « L’Affaire du Siècle : l’action en justice contre l’Etat français pour inaction climatique », [En ligne], https://preprod.notreaffaireatous.org/laffaire-du-siecle/, consulté le 6 novembre 2020.
    32.  Cour européenne des droits de l’homme, Tătar c. Roumanie, 27 janvier 2009, paragraphe 120.
    33.  Cour européenne des droits de l’homme, Luginbuhl c. Suisse, 17 janvier 2006.
    34.  Cour européenne des droits de l’homme, Hatton et autres contre Royaume-Uni, 8 juillet 2003.
    35.  Assemblée parlementaire, Recommandation 1885 (2009), Élaboration d’un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme relatif au droit à un environnement sain, 30 septembre 2009, [En ligne], http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-FR.asp?fileid=17777&lang=FR (consulté le 6 novembre 2020).
  • OEIL – Le premier projet du groupe local lyonnais !

    Le groupe local de Lyon lance son premier projet baptisé “OEIL – l’observatoire écosystémique des inégalités lyonnaises” ! 

    Depuis sa création en 2015, Notre Affaire à Tous s’est intéressée aux victimes françaises du dérèglement climatique. Loin de l’idée reçue affirmant que le dérèglement climatique serait une menace globale et uniforme, la notion d’inégalité environnementale et climatique est au cœur de la lutte contre le changement climatique. 

    Au sein de la Métropole de Lyon, les territoires les plus défavorisés sont aussi les plus exposés à des nuisances environnementales. Inégalités socio-économiques et environnementales se juxtaposent. Différents facteurs tels que l’âge, le sexe, et le statut social des individus, qui comprend leurs ressources économiques, culturelles et sociales, amplifient la vulnérabilité des individus face au changement climatique.

    Poursuivant le travail d’enquête sur les vécus climatiques dans cinq grandes villes françaises réalisé en 2019, Notre Affaire à Tous – Lyon lance une étude sociologique, en partenariat avec le Master Éthique, écologie et développement durable de l’Université Jean Moulin de Lyon, première étape du projet OEIL. Les étudiant-e-s du Master, guidés par les bénévoles du groupe local de Lyon, rencontrent les habitant-e-s du Grand Lyon, afin de répertorier leurs impressions, sur les thèmes de la santé, l’environnement, l’alimentation ou encore le réchauffement climatique.

    Le résultat de cette étude servira de base pour mener une réflexion approfondie sur l’amélioration des politiques publiques en termes d’urbanisme, pollution, santé publique, environnement… 

    Doublé d’une étude écotoxicologique sur l’exposome – l’ensemble des pollutions auxquelles l’humain est exposé – Notre Affaire à Tous choisit de croiser des données sociologiques et scientifiques afin de comprendre précisément les impacts de la pollution sur les habitant-e-s de la Métropole de Lyon. L’association tient à s’unir à la sphère universitaire ainsi qu’à la recherche pour produire des études approfondies et ainsi développer du contenu et de la réflexion sur ce sujet encore trop peu exploité des inégalités socio-environnementales. 

    En documentant et sensibilisant aux impacts du changement climatique, Notre Affaire à Tous interpelle les pouvoirs publics afin qu’ils prennent réellement en compte les risques climatiques pour la population. L’urgence climatique est déjà ressentie par les citoyen-ne-s et nous mettons nos forces pour que les politiques renforcent leur capacité d’action afin d’endiguer la crise climatique.

    Nous sommes convaincu-e-s que le sujet des inégalités socio-environnementales est indispensable pour définir des mesures environnementales fortes adaptées à la réalité des citoyen-ne-s et propres à chaque territoire.

  • Lutter contre le changement climatique par la désobéissance civile, un état de nécessité devant le juge pénal ?

    Par Paul Mougeolle et Antoine Le Dylio

    Résumé

    Face à la crise climatique, assistons-nous aux prémices d’une légitimation par les tribunaux de certains actes de désobéissance civile non violents ? Le tribunal de grande instance de Lyon semble s’engager dans cette voie, puisqu’il a prononcé la relaxe de deux militants prévenus du chef de vol en réunion à la suite du décrochage d’un portrait du président de la République dans la mairie du deuxième arrondissement de Lyon. En réaction aux débats suscités par ce jugement, ce commentaire interroge la possibilité de voir l’état de nécessité prospérer dans le contexte d’urgence environnementale.

    Introduction

    À la suite du décrochage du portrait du président de la République par des militants écologistes, largement relayé par les réseaux sociaux, la mairie du deuxième arrondissement de Lyon déposait plainte pour vol en réunion le 21 février dernier. Le portrait enlevé en présence de la presse n’a pas été restitué et serait conservé dans un lieu tenu secret afin d’être brandi lors de futures manifestations en faveur de la protection du climat.

    Les prévenus soutenaient qu’au regard des connaissances scientifiques actuelles, les accords internationaux et les voies légales empruntées demeurent insuffisants puisqu’ils ne permettent pas d’instaurer une politique efficace de lutte contre le changement climatique. En conséquence, des actions non violentes de désobéissance civile seraient selon eux nécessaires. Devant la catastrophe climatique annoncée, leur avocat plaidait donc la relaxe au nom de « l’état de nécessité ». Cette interprétation a été rejetée en bloc par le ministère public qui requérait leur condamnation à une amende de cinq cents euros.

    Au terme d’une argumentation singulière, le juge a prononcé la relaxe des prévenus. Certains titres de presse se sont alors fait l’écho de la reconnaissance d’un état de nécessité (1), mais cette affirmation doit être nuancée. La motivation du jugement s’inscrit certes dans l’esprit de cette notion – et les critères exigés apparaissent en filigrane – mais le juge n’y fait pas explicitement référence, sauf lorsqu’il expose la défense des prévenus.

    L’état de nécessité est admis pour la première fois comme cause exonératoire de responsabilité en 1898, par le « bon juge » du tribunal de Château Thierry (2), dans une affaire impliquant une mère de famille qui avait volé du pain « sous l’irrésistible impulsion de la faim ». Il faudra attendre la réforme de 1994 pour que le législateur introduise cette notion dans le Code pénal. L’article 122-7 prévoit désormais que « n’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace. »

    En l’espèce, pour retenir l’état de nécessité, le juge devait déterminer, d’une part, si les conséquences du changement climatique constituent pour les prévenus un danger actuel ou imminent (I/) et, d’autre part, si le décrochage de portraits du président de la République constitue une réponse nécessaire et non disproportionnée (II/).

    I/ – Un danger actuel ou imminent à identifier : le changement climatique ou l’insuffisance des politiques publiques ?


    La reconnaissance de l’état de nécessité suppose en premier lieu qu’un danger actuel ou imminent menace la personne qui accomplit un acte nécessaire à sa propre sauvegarde, à celle d’autrui ou celle d’un bien.

    Le juge n’hésite pas à qualifier le dérèglement climatique de danger grave, actuel et imminent (3), et la communauté scientifique s’accorde sur ce fait. En particulier, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a publié en décembre 2018 un rapport spécial (4) relatif aux effets d’un réchauffement climatique de 1,5 °C, dont les conclusions sont sans appel : les dangers encourus au-delà d’un tel réchauffement planétaire moyen sont non seulement « imminents », puisque cette situation surviendrait entre 2030 et 2050, mais surtout excessivement graves, tant pour les personnes que pour leurs biens. De surcroît, les effets du dérèglement sont déjà sérieusement perceptibles, y compris en France où canicules, sécheresses et incendies se multiplient en période estivale alors que le réchauffement moyen n’est que d’un degré.

    Le juge relève que ce dérèglement « affecte gravement l’avenir de l’humanité » mais également « l’avenir de la faune et de la flore ». Cette motivation s’inscrit pleinement dans la thèse, soutenue par la doctrine (5) et de nombreux recours (6), selon laquelle les États sont tenus à une obligation de lutter contre le changement climatique en raison d’atteintes sur l’environnement, mais aussi des atteintes aux droits fondamentaux des personnes, desquels se déduirait le droit de vivre dans un système climatique soutenable. Le droit à la vie est même convoqué à demi-mot par le magistrat lorsqu’il affirme que l’État ne respecte pas ses objectifs « pouvant être perçus comme minimaux dans un domaine vital ».

    Le changement climatique représenterait donc selon le juge un danger grave, qui est actuel ou imminent. Mais dans le contexte de la présente affaire, admettre l’état de nécessité suppose en toute rigueur que ce soit la carence de l’État en matière climatique qui constitue un danger actuel ou imminent, ou au moins qu’elle y participe, dans la mesure où c’est au regard de cette carence que sera analysée l’adéquation des actes des prévenus.

    Le juge s’attache alors à caractériser la carence de l’État en relevant trois manquements corroborés par des données institutionnelles (Eurostat, SNBC, Commissariat général au développement durable). D’abord le dépassement de la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixée par la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) ; ensuite les manquements en matière de déploiement des énergies renouvelables ; et enfin l’échec de l’amélioration de la performance énergétique. Les personnes interrogées en qualité de témoin lors de l’audience avaient souligné cette carence : Wolfgang Cramer, scientifique en écologie globale, avait affirmé la nécessité d’un changement rapide de notre modèle de société pour limiter la hausse des températures. Quant à Cécile Duflot, militante écologiste, directrice d’Oxfam et ancienne ministre du Logement, elle a rappelé que des recours ont été engagés pour mettre fin à l’inaction de l’État, à savoir le recours en responsabilité dit « l’affaire du siècle » (7) porté devant le tribunal administratif de Paris, ainsi que le recours en excès de pouvoir engagé par la commune de Grande-Synthe devant le Conseil d’État.

    La difficulté tient à l’exigence d’une proximité certaine, aussi bien temporelle que spatiale, entre le danger et la personne ou le bien menacé. La Cour de cassation exige en effet que « le danger [soit] actuel, c’est-à-dire que les prévenus [soient] au contact même de l’événement menaçant »(8).

    Mais à la lecture du jugement commenté, il ne ressort nullement des faits que les prévenus seraient physiquement plus susceptibles d’être affectés par le changement climatique que le reste de la population. Rappelons que le tribunal de l’Union européenne s’est appuyé sur cet argument pour déclarer irrecevable le recours People’s Climate Case (9), sur le fondement d’une jurisprudence classique (10), même s’il a par ailleurs admis que chaque individu risque d’être affecté d’une manière ou d’une autre par le réchauffement de l’atmosphère (11). À n’en pas douter, il sera décisif que les individus parviennent à démontrer que l’évolution du climat porte à leur personne une atteinte qui leur est spécifique.

    Relevons en revanche que le juge témoigne d’une certaine compréhension de la crainte des prévenus et semble conciliant lorsqu’il évoque des « citoyens profondément investis dans une cause particulière servant l’intérêt général ». Certains pourraient y voir l’amorce d’une reconnaissance de l’état d’éco-anxiété, qui commence à faire l’objet d’études de la part des spécialistes en psychologie (12).

    Il pourrait enfin être soutenu que le caractère actuel ou imminent du danger doit s’évaluer à l’aune de la durée nécessaire pour accomplir un acte de sauvegarde ; auquel cas, force est de rappeler que le GIEC estime qu’il faut une action constante pour réduire les gaz à effet de serre d’ici 2050 de 93 % par rapport à 2010, afin d’atteindre la neutralité carbone à l’échelle globale. Il s’agit donc pour les militants d’exercer une pression constante destinée à s’assurer de l’efficacité des politiques publiques.

    En définitive, au regard des décisions antérieures, le caractère global et diffus du changement climatique pourrait constituer un obstacle à sa caractérisation comme danger actuel ou imminent au sens de l’article 122-7 du Code pénal. A fortiori, il en serait de même pour la carence de l’État.

    II/ – Le décrochage de portraits du président de la République, une réponse nécessaire et proportionnée à la carence étatique ?

    À supposer que le dérèglement climatique ainsi que la carence de l’État caractérisent un danger grave et imminent, il convient de s’interroger sur les caractères nécessaire, adapté et proportionné de la réponse apportée par les militants, à savoir le décrochage de portraits du président de la République. Selon la Cour de cassation, pour retenir l’état de nécessité les juges du fond doivent démontrer que l’infraction commise par le prévenu pouvait seule permettre d’éviter l’événement qu’il redoutait (13).

    En somme, la question est de savoir si le vol de ces portraits est la seule action que les militants pouvaient entreprendre pour obtenir de la part du président de la République une inflexion des politiques climatiques, à supposer qu’une politique climatique nationale exemplaire permette d’éviter ou même d’atténuer le danger redouté.

    Or le juge suggère lui-même l’impuissance relative du président de la République, à raison puisque le changement climatique est un problème d’ampleur mondiale qui suppose une coopération diplomatique dont le succès échappe à la seule volonté d’un État, quelles que soient ses ambitions (14).

    La politique climatique française est certes insuffisante, mais les émissions directes du territoire français ne représentent que 1 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (15). Ce constat obère la reconnaissance du caractère adapté puisque, même à supposer que la France cesse toute émission de gaz à effet de serre, les conséquences du changement climatique pour les citoyens français resteraient tout aussi dramatiques. De ce point de vue, il semble impossible que la solution du juge prospère, a fortiori si les critères de l’état de nécessité doivent être interprétés strictement.

    Cela étant, la responsabilité de la France dépasse la seule question de ses propres émissions. Les militants en attendent également une action diplomatique forte et cohérente afin d’inciter des pays fortement émetteurs comme les États-Unis à combattre le réchauffement et l’insuffisance des politiques nationales en matière climatique rend la France peu crédible pour mener ces négociations.

    Pour justifier la nécessité du décrochage de portraits, le juge estime que l’acte des prévenus « doit être interprété comme le substitut nécessaire d’un dialogue impraticable entre le président de la République et le peuple ». La motivation du jugement se détache ainsi des critères de l’état de nécessité pour glisser vers une justification fondée sur un « devoir de vigilance critique » (16). Cette notion convoquée par le juge fait écho au concept de démocratie environnementale participative, ainsi qu’à l’obligation de vigilance environnementale à laquelle chacun est tenue (17). Le jugement s’inscrit ainsi dans l’argumentation des prévenus qui avançaient que les moyens légaux dont ils disposent ne suffisent plus (18) et que le contexte actuel de l’urgence climatique justifie l’exercice d’une désobéissance civile non violente.

    Ce devoir de vigilance critique paraît séduisant, mais les marches et les grèves en faveur du climat ne suffisent-elles pas à l’exercer pleinement ? Est-il nécessaire de les parer de portraits volés du président de la République ? Ce devoir doit-il légitimer l’invention par les citoyens « d’autres modes de participation » illégaux, au motif que l’exercice du droit de vote serait insuffisant dans le cadre d’un État démocratique ?

    Dans les affaires de fauchage d’organismes génétiquement modifiés (OGM), la Cour de cassation avait confirmé en 2002 l’arrêt de la cour d’appel qui avait écarté l’état de nécessité, considérant notamment que « les prévenus disposaient de nombreux moyens d’expression dans une société démocratique autres que la destruction […] de milliers de plants de riz pour faire entendre leur voix auprès des pouvoirs publics » (19). Le contexte était néanmoins différent puisqu’il était alors fait application du principe de précaution, les risques des OGM sur la santé humaine n’étant pas établis, tandis que les conséquences délétères du changement climatique sont avérées. En outre, contrairement à la destruction de champs d’expérimentation d’OGM, le vol commis par les décrocheurs n’a entraîné qu’un faible trouble à l’ordre public : selon le juge, la réunion des militants, « même non déclarée préalablement en préfecture », « revêt[ait] un caractère manifestement pacifique de nature à constituer un trouble à l’ordre public très modéré ». Ce constat est confirmé par le coût négligeable du bien volé et l’absence de constitution de partie civile par la mairie de Lyon.

    Les actions menées par les militants ont le mérite de susciter le débat sur le rôle des États dans la lutte contre le changement climatique ; elles pourraient renforcer la pression sur le gouvernement et l’inciter à des réformes ambitieuses pour adapter sa politique aux dangers du dérèglement climatique. Mais considérer que le vol de portraits du président de la République permettrait de résoudre les difficultés de mise en œuvre de cette politique revient à adopter une approche assez extensive de l’état de nécessité. Le juge disposait d’alternatives plus pragmatiques : il aurait pu par exemple prononcer une dispense de peine, les critères requis (20) pouvant raisonnablement être considérés comme vérifiés. En effet, le reclassement des prévenus est acquis, le dommage causé est réparé (21) et le trouble résultant de l’infraction a cessé.

    Les douze futurs jugements de militants ainsi que le prochain arrêt de la cour d’appel de Lyon éclaireront sans doute la question de savoir si, au regard du principe d’application stricte de la loi pénale, les conditions de l’état de nécessité sont bel et bien réunies.

    Notes

    1. O. P.-V., 17 septembre 2019, « Décrocheurs du portrait de Macron : « l’état de nécessité », une notion au cœur de la relaxe », L’Express.
    2. T. corr. de Château-Thierry, 4 mai 1898 ; le juge prononça la relaxe, estimant « regrettable que, dans une société bien organisée, un des membres de cette société […] puisse manquer de pain autrement que par sa faute ».
    3. Jugement commenté, p. 7.
    4. Cette synthèse du rapport, signée et acceptée par les gouvernements du monde entier, intègre les connaissances scientifiques les plus avancées et les plus sûres en la matière : https://www.ipcc.ch/sr15/chapter/summary-for-policy-makers/.
    5. Christel Cournil, Antoine Le Dylio, Paul Mougeolle, « « L’affaire du siècle » : entre continuité et innovations juridiques », AJDA, 2019, p. 1864 ; Expert Group on Global Climate Obligations, Oslo Principles on Global Climate Obligations, Eleven International Publishing, 2015.
    6. V. le recours contre l’État dans « l’affaire du siècle » porté par les organisations non gouvernementales Notre Affaire à Tous, la Fondation pour la Nature et l’Homme, Greenpeace France et Oxfam France : https://laffairedusiecle.net/wp-content/uploads/2019/05/Argumentaire-du-Mémoire-complémentaire.pdf
    7. Id.
    8. Cass., Crim., 7 février 2007, no 06-80.108.
    9. Recours formé par dix de plaignants contre le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne concernant l’insuffisance des législations en matière climatique.
    10. CJCE, 15 juillet 1963, Plaumann & Co. contre Commission de la Communauté économique européenne, Aff. 25-62.
    11.  TUE, Ordonnance du Tribunal (deuxième chambre), 8 mai 2019, Armando Carvalho e.a. contre Parlement européen et Conseil de l’Union européenne, T-330/18, cons. 49 et suiv. “49. The applicants have not established that the contested provisions of the legislative package infringed their fundamental rights and distinguished them individually from all other natural or legal persons concerned by those provisions just as in the case of the addressee. 50. It is true that every individual is likely to be affected one way or another by climate change, that issue being recognised by the European Union and the Member States who have, as a result, committed to reducing emissions. However, the fact that the effects of climate change may be different for one person than they are for another does not mean that, for that reason, there exists standing to bring an action against a measure of general application. As can be seen from the case-law cited in paragraph 48 above, a different approach would have the result of rendering the requirements of the fourth paragraph of Article 263 TFEU meaningless and of creating locus standi for all without the criterion of individual concern within the meaning of the case-law resulting from the judgment of 15 July 1963, Plaumann v Commission (25/62, EU:C:1963:17), being fulfilled.
    12. Coralie Lemke, 15 mars 2019, « L’éco-anxiété ou le trouble mental causé par la peur du changement climatique », Sciences et Avenir.
    13. Crim. 25 juin 1958 : D. 1958. 693, note M.R.M.P. ; JCP 1959. II. 10941, note Larguier ; RSC 1959. 111, obs. Légal.
    14.  attendu que la conservation de ce portrait, qui achève de caractériser sa soustraction volontaire, n’était certes pas une suite nécessaire au marquage d’une forme d’appel adressé au président de la République, face au danger grave, actuel et imminent à prendre des mesures financières et réglementaires adaptées ou à défaut rendre compte de son impuissance […] », p. 7.
    15. Haut conseil pour le climat, « Agir en cohérence avec les ambitions », 1er rapport annuel, 2019, en ligne [https://www.hautconseilclimat.fr/rapport-2019/] : les émissions de la France s’élèvent à 460 Mt CO2e et son empreinte carbone à 731 Mt CO2e.
    16. Jugement commenté, p. 7.
    17. CC, Décision no 2011-116 QPC, 8 avril 2011, M. Michel Z. et autre [Troubles du voisinage et environnement].
    18. Relevons par ailleurs que les actes liés à la conduite des relations extérieures de la France sont des actes de gouvernement : ils ne peuvent donc pas être déférés devant un juge national, ce qui renforce l’argument selon lequel les voies légales empruntées demeurent insuffisantes.
    19. CA Montpellier, 3e ch., 20 décembre 2001, no 01/00715 ; confirmé par Cass. Crim., 19 novembre 2002, no 02-80.788.
    20. V. article 132-59 du Code pénal
    21. Compte tenu de la faible valeur du bien et de l’absence de constitution de la partie civile ; voir, en ce sens un jugement estimant le dommage est réparé en raison de la modification de leurs demandes par les parties civiles (réduction à 1 franc de dommages et intérêts) : Trib. corr. Paris, 21 mai 1996 : Dr. pénal 1996. 240, obs. Véron.
  • Les impacts de la loi relative au devoir de vigilance sur la gouvernance des entreprises multinationales

    Article écrit par Paul Mougeolle, membre de Notre Affaire à Tous, juriste doctorant, Université Paris Nanterre

    Article publié dans le cadre du Séminaire EnCommuns qui s’est tenu le 17 mars 2019 sur le thème « La loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères de 2017, une nouvelle obligation pour les multinationales d’ entreprendre en commun ? ».

    1. Introduction

    Comparée aux premières lois relatives à l’abolition de l’esclavage à la fin du XVIIIème siècle ou celles sur les droits sociaux des travailleurs du XIXème siècle (1), la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre représente un grand bond en avant en matière de responsabilité des multinationales. En effet, cette loi oblige les grandes entreprises à établir publiquement une véritable politique de vigilance afin de prévenir les atteintes graves aux droits de l’homme et à l’environnement, et ce tant en France qu’à l’étranger. L’objectif de la loi est donc à la fois simple et ambitieux : il s’agit de rendre « la mondialisation plus humaine » (2) en essayant notamment de mettre fin à l’esclavage moderne (3) et d’éviter de futures catastrophes industrielles telles que l’on a connues avec l’effondrement du Rana Plaza en 2013 au Bangladesh (4), de l’explosion de l’usine Bophal en Inde dans les années 1980 ou celle d’AZF en France et les multiples marées noires comme par exemple celle résultant du naufrage de l’Erika (5).

    Afin de parvenir à remplir cet objectif, un dispositif légal introduisant un changement radical du statut quo était nécessaire. Une proposition de loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre a donc étéproposé par des députés de la majorité. Celle-ci a suscité nombreux débats et navettes parlementaires entre 2013 et 2017. A la toute fin du mandat de F. Hollande, près de trois ans et demi après le dépôt initial, la loi fût finalement promulguée le 27 mars 2017. Cela a marqué la fin d’un parcours semé d’embûches, car son entrée en vigueur était compromise jusqu’au bout. En effet, en raison du blocage du Sénat, du désaccord de la commission mixte paritaire et du manque de soutien du gouvernement, la proposition de loi n’aurait pu jamais voir le jour. Suite au compromis trouvé entre les députés de la majorité et le gouvernement après le départ de l’ancien ministre de l’économie Mr. Macron, le texte a pu être imposé malgré tout à l’Assemblée Nationale (A.N.) en lecture définitive. Cependant, l’étape du passage du texte devant le Conseil constitutionnel en raison de la saisine des 60 députés et 60 sénateurs de l’opposition était extrêmement redoutée à cause de la jurisprudence constitutionnelle particulièrement protectrice du principe de la liberté d’entreprendre des entreprises. Le Conseil avait même censuré une disposition de la loi Sapin 2 très similaire au devoir de vigilance à peine quelques mois plus tôt, et ce sur le fondement de ce principe (cf. il s’agissait d’une obligation faite aux grandes entreprises de divulguer publiquement leurs bénéfices non taxés dans des paradis fiscaux (6). La pression de la société civile a vraisemblablement pesé car le Conseil constitutionnel s’est manifestement détaché de sa jurisprudence antérieure (7). Juliette Renaud, seconde intervenante lors du séminaire, ajouta qu’il s’agissait d’une réelle surprise : les communiqués de presse préparés en avance étaient très pessimistes, et à cause de la censure de la disposition relative à l’amende civile de 10 à 30 millions d’euros (8), qui s’avère à première vue importante, les médias avaient titré que la loi a perdu son caractère contraignant (v. article des Echos, « Devoir de vigilance : le Conseil constitutionnel vide la loi de sa substance » (9). Cette censure partielle n’entame pourtant en rien la structure de la loi (cf. communiqué de presse collectif des associations et syndicats mobilisés sur la loi –: « Devoir de vigilance : le Conseil constitutionnel valide l’essentiel de la loi, un pas historique pour la protection des droits humains et de l’environnement, un signal fort pour l’Europe et l’international » (10).

    En tout état de cause, l’entrée en vigueur de cette loi avait fait grand bruit à l’international dans le domaine du businness & human rights (11). Celle-ci a même inspiré la première version officielle du Traité de l’ONU sur les entreprises transnationales et les droits de l’homme (12) et les experts juridiques évoquant assez unanimement une loi pionnière (13). Pour la première fois en France et dans le monde une règle de droit établit un régime de responsabilité des sociétés mères sur leurs filiales et leurs chaînes de sous-traitance. Le régime antérieur faisait prévaloir l’irresponsabilité en raison de l’indépendance de la personne morale (« voile » de l’autonomie de la personne morale, « corporate veil » en anglais) : la filiale est légalement autonome de la société mère, malgré la relation de contrôle. Juliette Renaud ajouta qu’il est possible et largement répandu dans le monde des affaires de faire remonter les profits vers la société mère, mais lorsqu’un dommage survient, les entreprises plaident la déconnexion légale entre la mère et les filiales ou sous- traitants ; l’objectif de la loi était donc de réconcilier les réalités économiques et juridiques.

    2. Dispositions principales de la loi sur le devoir de vigilance

    Les rédacteurs de la loi n’ont pas opté pour une formulation très claire en ce qui concerne son champ d’application personnel. Quoi qu’il en soit, la loi concerne les sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre constituées en sociétés anonymes (14) ainsi que, par l’effet de renvois du Code de commerce, les sociétés commanditées par actions (SCA) et les sociétés européennes (SE). Il y a en revanche un débat sur l’inclusion des sociétés par actions simplifiées (SAS) (15). Ensuite, pour qu’une société mère soit soumise au devoir de vigilance, celle-ci doit employer en France « au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes » ou plus de « dix mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes » en France et à l’étranger (16). Cela signifie que les filiales françaises de sociétés mères étrangères peuvent être soumises à la loi si leurs effectifs en France dépassent les 5000 salariés, ou si leurs effectifs en France et dans les filiales de cette filiale française dans le monde dépassent les 10 000 salariés. Selon les travaux préparatoires de la loi, plus de 150 entreprises seraient donc concernées.

    Sur la nature du devoir de vigilance et son champ d’application matériel : le devoir de vigilance consiste en un procédé d’identification et de prévention des risques d’atteintes graves envers les droits humains, les libertés fondamentales, la santé, la sécurité des personnes, ainsi que l’environnement. Il s’agit d’un champ d’application très large, se concrétisant toutefois en fonction des risques générés par les entreprises.

    Concernant la portée du devoir de vigilance des sociétés mères et donneuses d’ordres, celle-ci doit être exercée afin de prévenir les atteintes graves résultant tant des activités de la société mère, que de ses filiales directes et indirectes au sens du II de l’article L. 233-16. Un contrôle absolu de la société mère sur ses filiales n’est donc pas nécessaire pour faire appliquer le devoir de vigilance, car selon l’art. 233- 16 al. 2 du code de commerce, une relation de contrôle exclusive est établie lorsque la société mère détient directement ou indirectement la majorité des droits de vote ou lorsqu’elle désigne la majorité des membres des organes d’administration, de direction ou de surveillance d’une autre entreprise (17), ou encore lorsqu’elle exerce une influence dominante sur une autre en vertu d’un contrat ou de clauses statutaires. »

    Concernant le devoir de vigilance des donneuses d’ordre envers les sous-traitants et fournisseurs, la loi vise à titre de rappel à empêcher la survenance d’un nouveau Rana Plaza selon l’exposé des motifs de la loi. Cependant, il est loin d’être certain que la rédaction retenue le permette étant précisé qu’une relation commerciale établie est nécessaire, c’est-à-dire une relation stable, ancienne et intensive établie généralement par un contrat cadre (18). Par ailleurs, il ne ressort malheureusement pas clairement de l’énoncé de la loi que les sous-traitants et fournisseurs respectifs des filiales de la société mère doivent faire l’objet de vigilance (19).

    En ce qui concerne le contenu et le mode d’élaboration du plan de vigilance, celui- ci « a vocation à être élaboré en association avec les parties prenantes de la société, le cas échéant dans le cadre d’initiatives pluripartites au sein de filières ou à l’échelle territoriale. Il comprend les mesures suivantes :

    1. Une cartographie des risques destinée à leur identification, leur analyse et leur hiérarchisation ;
    2. Des procédures d’évaluation régulière de la situation des filiales, des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, au regard de la cartographie des risques ;
    3. Des actions adaptées d’atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves ;
    4. Un mécanisme d’alerte et de recueil des signalements relatifs à l’existence ou à la réalisation des risques, établi en concertation avec les organisations syndicales représentatives dans ladite société ;
    5. Un dispositif de suivi des mesures mises en œuvre et d’évaluation de leur efficacité. » (20)

    Il est par ailleurs possible de faire engager la responsabilité de l’entreprise de manière préventive, tant pour défaut de conformité formelle aux exigences de la loi (plan de vigilance manquant ou incomplet, portée insuffisante du devoir de vigilance) que pour manque d’effectivité des mesures de vigilance (21). Cette possibilité, tout à fait nouvelle en droit civil français de la responsabilité, ouvre la voie à de nouveaux types de contentieux et semble particulièrement bienvenue au regard de l’objectif ultime de la loi, à savoir la prévention des atteintes (22). En effet, toute personne ayant intérêt à agir – donc celle, exposée aux risques générés par l’entreprise – peut ester en justice après avoir mis en demeure préalablement l’entreprise afin de demander au juge d’enjoindre l’entreprise à mettre en place un système de vigilance effectif en conformité avec la loi, le cas échéant sous astreinte financière.

    En cas de survenance d’un préjudice, une action civile extracontractuelle classique au titre de l’art. 1240 et 1241 du code civil devient possible pour demander des dommages et intérêts. Même s’il ne s’agit pas d’une obligation de résultat et que la charge de la preuve repose toujours sur la victime dans le cadre d’une action en réparation d’un dommage (23), l’obligation de publier un plan de vigilance peut alléger ce fardeau. En outre, il faut souligner qu’il est possible de demander la réparation d’une perte de chance. Même si cela ne permet pas de réparer le préjudice intégralement, cela n’oblige pas le requérant à faire état d’un lien causal de manière parfaitement rigoureuse (24).

    Notons enfin qu’aucune personne publique ne participe au contrôle de la mise en œuvre de la loi.

    Pertinence de la loi pour le projet de recherche « En-communs »

    Etant donné que la loi vise la prévention des atteintes graves aux droits de l’homme et à l’environnement, il peut être considéré que la protection des (biens) communs entre dans le champ d’application de la loi. Par exemple, une entreprise sidérurgique ou minière doit tout mettre en œuvre afin que les pollutions générées par ses activités n’affectent pas le droit à l’eau des populations riveraines.

    Par ailleurs, en accord avec l’esprit de la loi, toute partie prenante externe ou interne a vocation à prendre part à l’élaboration du plan, et ce dans tous ses aspects. Rappelons que les parties prenantes sont, selon la définition large de la stakeholder theory, les personnes qui, par opposition à celles pouvant avoir un droit de codétermination, subissent un risque du fait de l’activité ou des produits de l’entreprise (25). Dès lors, si les activités de l’entreprise sont de nature à mettre en danger certaines ressources environnementales exploitées par une communauté pour subvenir à leurs besoins, cette communauté peut solliciter l’entreprise afin de contribuer à l’élaboration de la politique de prévention au plus haut niveau du groupe d’entreprise. Une obligation est même posée pour associer les syndicats à l’établissement d’un système d’alerte et recueil des signalements dans le plan de vigilance, afin que les lanceurs d’alertes puissent pouvoir s’exprimer tout en étant protégés.

    Ainsi, même si les parties prenantes ne doivent pas être intégrées dans un organe préétabli comme dans un conseil de surveillance ou d’administration ou même si aucun nouvel organe d’entreprise est créé, l’obligation d’établir un plan de vigilance, en devant prendre a minima en considération les parties prenantes si ce n’est les intégrer dans l’élaboration du plan de vigilance, reste un nouvel instrument extrêmement intéressant pouvant redéfinir les pratiques des entreprises.

    De manière générale, les parties prenantes exposées à certains risques semblent désormais mieux positionnées pour pouvoir dialoguer avec l’entreprise et l’interpeller en amont d’un dommage. Des initiatives sont lancées par la société civile afin de comparer les performances des entreprises, en général (26) ou, dans certains domaines particuliers (27). La procédure formelle de mise en demeure permet également de sommer l’entreprise à réagir encore de manière extrajudiciaire avant de pouvoir ester en justice afin d’essayer de prévenir, d’atténuer ou de réparer l’atteinte.

    Pour illustrer les potentialités de la loi, nous pouvons prendre le cas de Total qui n’a pas du tout intégré la problématique du changement climatique dans son premier plan de vigilance de 2017 (28), alors que les derniers rapports scientifiques du Groupe Intergouvernemental d’Experts sur le Climat (GIEC) ont mis en évidence depuis un certain temps déjà les risques très importants liés au changement climatique. Selon le dernier rapport spécial d’octobre 2018, des atteintes graves, multiples, et irréversibles pourraient même survenir avec une probabilité certaine à partir d’un réchauffement global à seulement plus de 2°C (29). Une interpellation extrajudiciaire a dès lors été initiée par une association de protection de l’environnement et du climat, Notre Affaire à Tous, accompagnée de plus de 13 collectivités territoriales (Grenoble, Nanterre, Bayonne…) d’ores et déjà exposées aux impacts du réchauffement climatique. Celle-ci visait à demander à Total d’élaborer un plan de vigilance en conformité avec les objectifs de la loi (30). Plus particulièrement, aux termes du courrier d’interpellation, le prochain plan de vigilance de Total « devra intégrer les actions […] en matière d’atténuation du risque climatique et de prévention des atteintes graves à l’environnement et aux droits humains qui en découlent. » Le courrier ajoute, en s’adressant encore à Total : « Vous devrez ainsi en tirer toutes les conséquences qui s’imposent à vos activités ». En clair, le collectif estime que Total n’a d’autre choix que d’orienter progressivement son modèle économique basé sur les hydrocarbures vers les énergies renouvelables afin de concourir à la prévention des risques liés au changement climatique.

    Mi-janvier, le directeur juridique du groupe Total répondit à l’interpellation en indiquant que le second plan de vigilance intégrera le risque climatique (31). Cette loi dispose-t-elle donc de la capacité de faire évoluer Total en matière climatique et de contribuer à une prévention de la tragédie annoncée du commun (32) qu’est l’atmosphère et le changement climatique ? (33)

    Quoi qu’il en soit, Patrick Pouyanné (PDG de Total) estime que la loi sur le devoir de vigilance fait peser un risque non maîtrisable sur les entreprises. Ses juristes l’auraient même dissuadé de créer un comité des parties-prenantes car ce serait une « usine à contentieux » (34). Cette déclaration révèle en tout cas que le niveau de contrainte exercée par la loi est particulièrement élevé, malgré l’absence complète des pouvoirs publics dans le contrôle de son application. La possibilité de pouvoir recourir au juge, troisième branche de l’Etat de droit selon la théorie la séparation des pouvoirs, permettrait en revanche d’assurer un respect des droits.

    Si l’on poursuit l’analyse de la loi sur le devoir de vigilance sous l’angle du bundle of rights tel que pensé par E. Ostrom et E. Schlager dans leur article sur les ressources naturelles communes (35), deux points principaux peuvent être soulevés :

    A titre de rappel ou informatif, Ostrom et Schlager ont développé ce concept à partir de recherches empiriques et ont démontré que des régimes de propriété établissant une gestion commune pour des « commmon-pool-ressources » (CPR) (ressources environnementales partagées) permettent de mieux sauvegarder ces ressources que les régimes de propriété individuels. Ce type de propriété suppose une distribution de cinq droits à une communauté, à savoir le droit d’accès (36), le droit de prélèvement (37), le droit de gestion (38), le droit d’exclure (39) et le droit d’aliéner (40). Ostrom et Schlager donnent ainsi « corps à l’idée selon laquelle la propriété ne peut se concevoir que comme relative et partagée entre plusieurs acteurs. Elles autorisent à penser des formes de propriété partagée au sein même d’une communauté, mais aussi des formes de propriété où la distribution des droits s’opère entre l’autorité publique et une communauté ou encore entre communautés et individus ou bien encore entre État et individus. » (41)

    En premier lieu, le devoir de vigilance confère aux parties prenantes affectés par des risques, et, selon les circonstances, à des commoners (s’il s’agit de ‘propriétaires’ ou usagers d’un CPR) une possibilité de participer à la gouvernance de l’entreprise au cours de l’élaboration du plan de vigilance. A défaut d’une telle collaboration, la loi pose une obligation de prendre en compte les personnes affectées par des risques graves et concrets et de leur laisser la possibilité de signaler et d’alerter avant la survenance du dommage. Le droit d’ester en justice vient quant à lui consacrer un certain droit de gouvernance, afin de pouvoir rétablir la légalité en dernier recours devant le juge.

    En second lieu, le devoir de vigilance implique une obligation pour la société mère et donneuse d’ordre de mettre en œuvre toutes mesures raisonnables pour sauvegarder certains droits fondamentaux liés à des biens communs, tel que l’interdiction d’accaparement des terres à des communautés autochtones pour des besoins miniers, ou encore l’interdiction d’entraver le droit à l’eau des commoners d’une nappe phréatique en mettant en péril son équilibre écologique tel que c’est le cas à Vittel (42). En outre, si les demandes formulées par Notre Affaire à Tous à Total aboutissaient, nous pourrions considérer que la loi permet aux commoners de la ressource commune qu’est l’atmosphère – ayant des droits de vivre dans un climat soutenable, soit des droits d’utilisation – d’obliger d’autres commoners telles que des compagnies pétrolières de cesser la pollution excessive par les gaz à effet serre. Nous pouvons donc considérer que la loi sur le devoir de vigilance a le potentiel pour obliger les multinationales de ne pas entraver le droit d’accès et/ou de prélèvement des commoners à leurs ressources. Un droit d’utilisation des biens communs voire de gestion et d’exclusion peut même en ressortir si l’entreprise se retrouve elle-même dans une position de commoner, tel que cela est le cas en matière climatique ou dans le cas de Vittel.

    Il apparaît assez clairement que l’obligation de prévention associée à une incitation expresse de participation du public à la gouvernance devrait faire évoluer l’entreprise vers une gouvernance plus participative et horizontale. On voit bien ici que la loi sur le devoir de vigilance introduit un changement de paradigme et opère une nouvelle distribution de droits aux parties prenantes de l’entreprise. Rappelons toutefois que le champ d’application du plan est restreint aux impacts sociaux et environnementaux les plus négatifs de l’entreprises.

    Conclusion : la position de loi sur le devoir de vigilance par rapport à la RSE et la loi PACTE

    La loi sur le devoir de vigilance, en posant des obligations de mise en œuvre et d’effectivité, est innovante voire révolutionnaire car elle vient rendre les principes de RSE en grande partie contraignants (43). Cela est bien différent de l’actuel projet de loi PACTE (44) qui n’introduit qu’une « évolution normative légère » (45) en obligeant simplement les entreprises à « prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux » (46). Malgré son atout majeur d’introduire une réforme pour toutes les formes de sociétés, la loi PACTE perpétue l’esprit volontaire des principes de RSE, en introduisant dans le droit simplement un devoir de conscience ainsi que « des options pour que les entreprises à la recherche d’une exemplarité dans ce domaine puissent aller plus loin » (47). Pour un collectif d’associations, il s’agit d’un «manque d’ambition criant face aux crises sociales, climatiques et environnementales actuelles » (48). S’ils participent à rendre la loi plus bavarde, il semble bien que ces changements mineurs ne peuvent entraîner que peu d’effets juridiques et concrets (49). A cet égard, Juliette Renaud indique que le PDG de Danone aurait déclaré lors de l’assemblée générale du Global Compact France le 23 avril 2018 qu’il était prêt à faire des efforts pour suivre les recommandations du rapport Notat-Sénart – à l’origine de la loi PACTE – mais qu’il faudrait en contrepartie retirer un certain nombre de dispositions de la loi sur le devoir de vigilance et la loi Sapin 2 (50).

    Une évolution substantielle supplémentaire de la responsabilité des entreprises pourrait se réaliser par différentes voies prochainement. D’une part, la communauté internationale, l’Union européenne et les Etats en général font l’objet de nombreuses sollicitations de la société civile (51) et d’institutions gouvernementales (52) afin d’adopter des nouveaux textes allant vers une consécration du devoir de vigilance ou de diligence (human rights due diligence) en hard-law. D’autre part, une évolution semble manifestement se dérouler de manière autonome au sein de la jurisprudence. En effet, à l’échelle internationale, l’obligation pour les Etats de réguler les groupes d’entreprises et les multinationales semble ainsi s’établir (53). Quant à l’échelle nationale, la notion de devoir de vigilance est préexistante dans le droit commun et a permis de faire condamner les laboratoires UCB Pharma ayant produit le médicament Distilbène en 2006 en raison de la connaissance de risques pour la santé, et ce malgré la présence de résultats discordants (54). Enfin, à l’étranger, dans des pays de tradition de common-law, le fondement du duty of care (similaire au concept du devoir de vigilance) est largement employé pour tenir aussi bien les Etats que les multinationales responsables de violations de droits de l’homme ou de l’environnement (55).

    Cette évolution normative de l’obligation de vigilance ou de diligence, participe à une réelle redéfinition du régime de responsabilité de l’entreprise ainsi qu’à sa gouvernance, en consacrant la possibilité de faire valoir des intérêts collectifs ou tiers dans le cadre de ses activités.

    Notes

    1. RAPPORT n°2628 fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république sur la proposition de loi (n° 2578), relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, PAR M. DOMINIQUE POTIER, Député, p. 17-18 :
      • « Quant à la France, malgré l’abolition ancienne de l’esclavage sur le sol métropolitain par un édit du 3 juillet 1315 du roi Louis X, et en dépit d’une première abolition décrétée par la Convention le 16 pluviôse de l’an II (4 février 1794) et rapportée par la loi du 20 mai 1802, elle n’ordonna officiellement la fin de la traite négrière qu’en 1815. Le décret impérial du 29 mars 1815 (2), confirmé par l’ordonnance royale du 8 janvier 1817 et la loi du 15 avril 1818, met un terme juridique à ce commerce immoral.
      • Que retenir de l’Histoire, sinon la conviction que l’action déterminée d’un État couplée à une action diplomatique patiente peut parvenir à une avancée significative des droits de l’homme, sur laquelle personne n’envisage de revenir aujourd’hui, mais qui apparaissait à l’époque excessivement coûteuse pour les milieux d’affaires (3) ?
      • b. La protection des ouvriers face aux accidents du travail, exemple d’organisation de la responsabilité de l’entreprise par la loi. »
    2. Intervention de M. Dominique POTIER dans le cadre de la DISCUSSION GENERALE retransmise dans le rapport n°2628 précédemment cité, p. 50.
    3. Voir intervention de Mme Danielle AUROI, Députée et Rappofrteure du Rapport n°2504 fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république sur la proposition de loi (n° 1519), relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, retransmise dans le cadre de la DISCUSSION GENERALE à la p. 27 :
      • « Nous avons rarement l’occasion de voter un texte qui fasse avancer de façon aussi évidente les droits de l’homme, et qui s’inscrive autant dans la lignée de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, de Victor Schoelcher et de l’abolition de l’esclavage, de Jean Jaurès et de la question sociale. Car il s’agit bien de lutter contre une forme moderne d’esclavage organisé sous nos yeux dans le contexte de la mondialisation, par l’exploitation d’hommes et de femmes, dissimulée sous des relations de sous-traitance et de filiales. »
    4. V. Rapport n°2628, p. 9 : « L’opinion publique française a été profondément marquée par le naufrage de l’Erika au large des côtes françaises en 1999 (1) et par l’effondrement du Rana Plaza à Dacca, au Bangladesh, au printemps 2013 (2). »
    5. Pour justifier une telle loi, V. Rapport n°2628, p. 25 :
      • « Plus de 120 000 citoyens français ont signé la pétition « Rana Plaza, Bhopal, Erika : halte à l’impunité des multinationales » lancée par les organisations non gouvernementales actives sur le sujet. En outre, selon un sondage commandé à l’institut CSA par le Forum citoyen pour la RSE et publié le 27 janvier 2015, 9 Français sur 10 estiment que les marques qui faisaient fabriquer leurs vêtements dans les usines du Rana Plaza devraient être obligées d’indemniser les victimes. Pour 95 % des Français, ce type de drame, ainsi que les catastrophes environnementales telles que la marée noire de l’Erika, pourraient être évités si les multinationales prenaient plus de précautions. Enfin, 76 % des Français pensent que les multinationales françaises devraient être tenues responsables devant la justice des accidents graves provoqués par leurs filiales et sous-traitants. »
    6. Conseil, constitutionnel, décision n° 2016-741 DC du 8 décembre 2016, voir para. 100 – 103. Pour une analyse plus détaillée des similarités entre la disposition de la loi Sapin 2 et la loi sur le devoir de vigilance et les risques d’anticonstitutionnalité de cette dernière, voir Paul MOUGEOLLE, « Sur la conformité constitutionnelle de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre », La Revue des droits de l’homme [En ligne], Actualités Droits- Libertés, mis en ligne le 15 février 2017, para. 67 – 99.
    7. Le collectif des associations et syndicats mobilisés sur la loi envoya un mémoire dit de porte étroite au Conseil constitutionnel et des ONG étrangères publièrent même une déclaration commune afin de soutenir le texte. Le Conseil constitutionnel publia même pour la première fois la liste des personnes ayant soumises des contributions extérieures dites de « portes-étroites » pour la décision sur la loi sur le devoir de vigilance.
    8. Conseil constitutionnel, Décision n° 2017-750 DC du 23 mars 2017 Loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre.
    9. Voir par exemple : https://business.lesechos.fr/directions-juridiques/droit-des-affaires/responsabilite- assurances/0211905855508-devoir-de-vigilance-le-conseil-constitutionnel-vide-la-loi-de-sa- substance-la-loi-307773.php
    10. Communiqué des associations suivantes : Amis de la Terre France, Amnesty International France, CCFD-Terre Solidaire, CGT, CFDT, collectif Éthique sur l’étiquette, Ligue pour les Droits de l’Homme, Peuples Solidaires et Sherpa , voir : https://www.asso-sherpa.org/devoir-de-vigilance-conseil- constitutionnel-valide-lessentiel-de-loi
    11. Voir cet article d’une ONG spécialisée : http://corporatejustice.org/news/393-france-adopts- corporate-duty-of-vigilance-law-a-first-historic-step-towards-better-human-rights-and-environmental- protection
    12. Conseil des droits de l’homme, Rapport sur la troisième session du Groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée sur les sociétés transnationales et autres entreprises et les droits de l’homme, Trente-septième session, 26 février-23 mars 2018, p. 6 : « La loi sur le devoir de vigilance adoptée récemment par la France était une norme contemporaine qui pourrait servir de source d’inspiration au Groupe de travail. »
    13. Sandra COSSART, Jérôme CHAPLIER and Tiphaine BEAU DE LOMENIE, The French Law on Duty of Care: A Historic Step Towards Making Globalization Work for All, Developments in the Field, Business and Human Rights Journal, 2 (2017), pp. 317–323.
    14. La loi a notamment inséré l’article L. 225-102-4 dans la partie du code du commerce relative aux sociétés anonymes.
    15. L’art. L. 225-102-4 du Code de commerce ne devrait pas s’appliquer aux SAS car il vise des rapports devant être rendus au conseil d’administration ou au directoire. Or, les SAS ne disposent pas de tels organes légaux.
    16. Cette interprétation a été confirmée par la décision du Conseil constitutionnel sur la loi :
      • « En vertu du paragraphe I sont soumises à l’obligation d’établir un plan de vigilance les sociétés ayant leur siège social en France et qui, à la clôture de deux exercices consécutifs, emploient au moins cinq mille salariés en leur sein et dans leurs filiales françaises, ou emploient au moins dix mille salariés en leur sein et dans leurs filiales françaises et étrangères.
    17. L’art. 233-16 al. 2 du code de commerce établit par ailleurs une présomption de contrôle exclusif lorsque la mère détient 40 % des droits de votes.
    18. CA Lyon, PN Gérolymatos c/ Aventis Pasteur MSD, 10 avr. 2003 ; CA Versailles, Sté Domelektrika Ltd c/ Sté Moulinex, 20 févr. 2003.
    19. La loi énonce le champ d’application : « Le plan comporte les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement, résultant des activités de la société et de celles des sociétés qu’elle contrôle au sens du II de l’article L. 233-16, directement ou indirectement, ainsi que des activités des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, lorsque ces activités sont rattachées à cette relation. »
    20. Voir loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre.
    21. Voir le régime de responsabilité en amont instauré par la loi : « II.-Lorsqu’une société mise en demeure de respecter les obligations prévues au I n’y satisfait pas dans un délai de trois mois à compter de la mise en demeure, la juridiction compétente peut, à la demande de toute personne justifiant d’un intérêt à agir, lui enjoindre, le cas échéant sous astreinte, de les respecter. »
    22. Avant l’injonction introduises par le devoir de vigilance, seulement la protection de la vie privée et la prévention et la cessation du préjudice écologique (introduit en 2016) pouvaient faire l’objet d’une responsabilité dite préventive dans une procédure contentieuse non-référée. Pour plus de détails, voir: Avis n° 569 présenté Par M. Alain ANZIANI, Sénateur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale (1) sur le projet de loi, adopté par l’assemblée nationale en deuxième lecture, pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, 2016, pp. 34 – 35.
    23. Il faut pouvoir démontrer que le plan a été insuffisant ou son incapacité à prévenir le dommage, c’est-à-dire le lien de causalité entre la possibilité d’action de la société mère et le préjudice.
    24. v. Charley HANNOUN, « Le devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre après la loi du 27 mars 2017 », in : Dossier, Le devoir de vigilance, Droit Social n°10, Octobre 2017, p. 816 ; Paul MOUGEOLLE, « Sur la conformité constitutionnelle de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre », La Revue des droits de l’homme [En ligne], Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 15 février 2017, para. 51.
    25. M-C. CAILLET, Du devoir de vigilance aux plans de vigilance ; quelle mise en œuvre, Dossier Le devoir de vigilance, Droit Social, 2017, p. 823 citant F-G. TREBULLE, Stakeholders Theory et droit des sociétés (1ere partie), Bulletin Joly, 2006.
    26. voir également l’intervention plus bas de Juliette RENAUD sur le rapport inter-associatif, citation officielle : et al., « Loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, année 1 : Les entreprises doivent mieux faire », Action Aid France – Peuples Solidaires, Amis de la Terre France, Amnesty International France, CCFD-Terre Solidaire, Collectif Ethique sur l’étiquette, Sherpa, membres du Forum Citoyen pour la RSE, février 2019.
    27. MIGHTY EARTH, FRANCE NATURE ENVIRONNEMENT, SHERPA (auteurs), Devoir de vigilance et déforestation : le cas oublié du soja, mars 2019
    28. Voir le document de référence 2017 de TOTAL incluant le rapport financier annuel, ainsi que le plan de vigilance aux pages 96 à 103.
    29. GIEC, Résumé du rapport spécial 1,5°C pour les décideurs, 2018, pp. 4 – 12.
    30. Voir le dossier de presse de l’interpellation qui inclut la lettre d’interpellation en annexe 1 : https://preprod.notreaffaireatous.org/wp-content/uploads/2018/10/DP2F-INTERPELLATION-TOTAL-3.pdf
    31. Voir la réponse du directeur juridique : https://www.novethic.fr/fileadmin/user_upload/tx_ausynovethicarticles/BH/Courrier-de-Total-au- collectif-de-collectivit%C3%A9s-et-dONG-janvier-2019_477793.pdf
    32. Selon un fameux biologiste américain, G. Hardin, la dégradation des ressources environnementales provient du fait de leur utilisation commune : étant donné que chacun agit rationnellement dans son propre intérêt, la destruction du commun (pêcheries, pâtures ou forêts…) par la pollution ou la surexploitation est inévitable. Il a dénommé ce phénomène comme étant « la tragédie des communs », voir : G. HARDIN, « The Tragedy of the Commons», Science, 162, 13 décembre 1968, pp. 1243-1248. science.sciencemag.org/content/162/3859/1243.full.
    33. Certains auteurs ont repris cette théorie de la tragédie des communs pour l’appliquer au défi posé par le changement climatique, voir : J. PAAVOLA, Climate Change The Ultimate Tragedy of the Commons?, in: Property in Land and Other Resources, Edited by Daniel H. Cole and Elinor Ostrom, Lincoln Institute of Land Policy, Cambridge Massachussets ; D. AUVERLOT, La tragédie du réchauffement climatique : Du cinquième rapport du GIEC à la conférence du Bourget 2015, France Stratégie, 07 mai 2014 ; E. OSTROM, A Polycentric Approach for Coping with Climate Change, (2009), document préparé pour le World Development Report 2010 de la Banque mondiale ;
    34. P. POUYANNE, PDG de TOTAL SA, intervention lors de l’assemblée général du Global Compact France, 23 avril 2018 : « À cause de ce texte extrêmement mal écrit [loi sur le devoir de vigilance], je suis piloté sur ce terrain-là par des juristes qui sont terrorisés par des class actions » […] « Quand j’ai proposé à une réunion de créer un comité de parties prenantes, ils m’ont dit ce serait une erreur, une usine à contentieux. L’enfer est pavé de bonnes intentions. Des textes de cette nature qui font peser des obligations, dont aucun d’entre nous n’est capable de les remplir, ne font pas progresser la cause. Ça m’étonnerait beaucoup que l’on arrive à imposer un tel texte aux pays anglo-saxons. Attention à ne pas croire que l’on peut tout normer, tout légiférer. »
    35. E. SCHLAGER, E. OSTROM, « Property-Rights Regimes and Natural Resources : A Conceptual Analysis », Land Economics, 68/3, 1992, pp. 249-262 ; pour une explication, analyse et comparaison de ce concept en français avec d’autres, voir : Fabienne ORSI, Réhabiliter la propriété comme bundle of rights : des origines à Elinor Ostrom, et au-delà ?, Revue internationale de droit économique 2014/3 (t. XXVIII), pages 371 à 385, Mis en ligne sur Cairn.info le 19/02/2015; https://doi.org/10.3917/ride.283.0371 .
    36. « Les droits d’accès au CPR et le droit de prélèvement (withdrawal) des unités de la ressource (des poissons dans une pêcherie, du bois dans une forêt, etc.). Il s’agit des droits d’usage » selon Fabienne ORSI, op. cité.
    37. (38) Idem.
    38. « Le droit de gestion est le droit à réguler les conditions d’utilisation de la ressource ainsi que les changements nécessaires à son amélioration. Il s’agit ici plus spécifiquement du droit à déterminer les règles de prélèvement de la ressource » selon Fabienne ORSI, op. cité.
    39. « Le droit d’exclure concerne le droit de déterminer qui va bénéficier des droits d’usage et si ceux-ci seront ou non transférables » selon Fabienne ORSI, op. cité.
    40. « Le droit d’aliéner est défini comme étant le droit de vendre ou de céder entièrement ou partiellement l’un ou les deux droits d’exclure et de gestion » selon Fabienne ORSI, op. cité.
    41. Fabienne ORSI, op. cité.
    42. Pour plus d’informations sur « l’affaire Vittel », voir : https://reporterre.net/A-Vittel-Nestle-privatise- la-nappe-phreatique
    43. A cet égard, notons que les premières propositions de lois de la loi sur le devoir de vigilance prévoyaient une présomption de responsabilité pénale et civile pour toutes les sociétés mères en cas de dommage en instaurant un renversement de la charge de la preuve. Ainsi, le dispositif original misait sur un régime de responsabilité important que cela aurait eu des impacts en amont sur la gouvernance.
    44. http://www.assemblee-nationale.fr/15/ta/ta0244.asp
    45. N. NOTAT, J-D. SENARD, Rapport aux ministres de la transition écologique et solidaire, de la justice, de l’économie et des finances, du travail, « L’entreprise, objet d’intérêt collectifs », 9 mars 2018.
    46. L’article 1833 du Code civil serait complété par l’alinéa suivant : « La société est gérée dans son intérêt social et en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité.»
    47. Voici les différentes options que l’actuel projet de loi propose : Art. 1835 : « Les statuts peuvent préciser une raison d’être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité. » ; Art. L225-35 du Code de commerce : « Il prend également en considération la raison d’être de la société, lorsque celle-ci est définie dans les statuts en application de l’article 1835 du code civil. »
    48. Collectif d’associations, Loi PACTE et devoir de vigilance : un rendez-vous manqué ?, La Croix, 13.03.2019.
    49. A. GOSSEMENT, commentant le projet de loi PACTE sur le site internet de son cabinet d’avocats considère au contraire que, « S’il est démontré que le dirigeant ou organe dirigeant ne s’est jamais interrogé sur l’enjeu environnemental de ses décisions, la question de sa responsabilité en sus de la responsabilité de la personne morale sera inévitablement posée. » Il semble pourtant très peu probable que la responsabilité de la personne morale soit engagée dans ces conditions car les entreprises d’une certaine taille sont déjà soumises à des obligations de déclaration de performance sociale et environnementales. Elles sont dès lors déjà obligées de s’interroger et de déclarer leurs activités extra-financières. Il est par ailleurs tout simplement impossible de démontrer une absence d’interrogation sur certains points de la part du dirigeant pour une personne tierce. Ces changements sont donc absolument superflus.
    50. Propos exacts rapportés dans un article de Novethic : https://www.novethic.fr/actualite/entreprise- responsable/isr-rse/loi-pacte-les-grands-patrons-veulent-plus-de-simplification-administrative- 145752.html
    51. V. par exemple : Daniel BLACKBURN, International Centre for Trade Union Rights (ICTUR), Removing Barriers to Justice How a treaty on business and human rights could improve access to remedy for victims, August 2017.
    52. V. par exemple les recommandations très claires des institutions européennes suivantes : Conseil de l’Europe – Comité des Ministres aux Etats membres, Recommandation CM/Rec (2016)3 sur les droits de l’homme et les entreprises, adoptée par le Comité des Ministres le 2 mars 2016, lors de la 1249e réunion des Délégués des Ministres, Opinion of the European Union Agency for Fundamental Rights, Improving access to remedy in the area of business and human rights at the EU level, FRA Opinion – 1/2017 [B&HR] Vienna, 10 April 2017.
    53. Comité des droits économiques, sociaux et culturels a adopté à sa 61ème session (mai-juin 2017), Observation générale n° 24 sur les obligations des États dans le contexte des activités des entreprises, 10 août 2017.
    54. Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 7 mars 2006, 04-16.179, Publié au bulletin ; voir également l’obligation de vigilance environnementale découverte par le Conseil constitutionnel dans sa Décision n° 2011-116 QPC du 8 avril 2011 M. Michel Z. et autre [Troubles du voisinage et environnement].
    55. England and Wales Court of Appeal, Chandler v. Cape [2012] EWCA Civ 525, 25 April 2012 ; Rechtbank Den Haag, Urgenda v. Netherlands, C/09/456689 / HA ZA 13-1396, 24.06.2015.
  • Quatorze témoignages de citoyens et citoyennes impacté-e-s par le dérèglement climatique !

    Les dérèglements climatiques menacent les droits fondamentaux des citoyens français et ont un impact différencié selon les régions, les groupes sociaux et les secteurs d’activités. Nous donnons la parole à 14 personnes dont les vies sont déjà affectées par le dérèglement climatique. Ces témoignages illustrent l’ampleur de la crise climatique.

  • CP / “Un climat d’inégalités” : un rapport inédit sur les impacts inégaux du dérèglement climatique en France

    Le mercredi 9 décembre 2020 l’association Notre Affaire à Tous publie son rapport Un climat d’inégalités. Celui-ci met en lumière un phénomène encore trop peu documenté : les inégalités climatiques sur le territoire français. Ce rapport de 140 pages part d’un constat simple : 5 ans après la signature de l’Accord de Paris par la France, les actions ambitieuses en matière climatique se font toujours attendre et l’accélération du changement climatique pèse de manière inégale sur la population française. Le rapport publié par l’association met en lumière les conséquences désastreuses de ce retard. 

    Il y a 5 ans, l’Accord de Paris introduisait pour la première fois le terme de justice climatique dans un traité international. La justice climatique se distingue des approches purement physiques et environnementales des changements climatiques en privilégiant une approche en termes de justice et d’équité face au dérèglement climatique. Aujourd’hui sur le territoire français, la justice climatique est encore loin d’être accessible et les inégalités se creusent. Le rapport “Un climat d’inégalités” les documente, les analyse et présente des pistes de travail qui devraient être au cœur de la politique climatique.

    Le changement climatique se nourrit des inégalités et les renforce

    Si le dérèglement climatique nous menace tou·te·s, il existe des différences d’impacts. Certaines populations et certains territoires sont plus exposés et plus vulnérables aux conséquences des changements climatiques. Ces inégalités climatiques peuvent être territoriales : les territoires montagneux, les littoraux, les territoires d’Outre-mer sont ainsi plus vulnérables. D’autres inégalités climatiques sont le résultat de structures sociales inégalitaires : inégalités socio-économiques, rapports de domination hommes/femmes, discriminations raciales etc. Par ailleurs, les conditions socio-économiques déterminent également la capacité des populations et des territoires à s’adapter aux changements climatiques. Les impacts différenciés du dérèglement climatique créent ainsi des inégalités climatiques qui viennent renforcer des inégalités sociales déjà existantes.  

    Les citoyen·ne·s français·e·s, déjà exposé·e·s aux risques climatiques 

    Alors que le phénomène est connu au niveau mondial, en France, les inégalités climatiques sont méconnues et peu documentées. Pourtant celles-ci se creusent. De 1999 à 2018, la France a été le 15ème pays le plus à risque face au dérèglement climatique à l’échelle mondiale et le premier à l’échelle européenne. Six Français·e·s sur dix sont déjà concerné·e·s par les risques climatiques. Il existe une triple peine. Alors que les plus pauvres ont une plus faible empreinte carbone, ils souffrent plus des conséquences : plus exposés aux risques climatiques, ils ont également moins de moyens pour y faire face et sont disproportionnellement impactés par la fiscalité environnementale. 

    “Cinq ans après l’Accord de Paris, deux ans après le lancement de l’Affaire du Siècle et de la mobilisation des gilets jaunes, les citoyen·ne·s payent le prix de l’inaction climatique et les inégalités se creusent. Aujourd’hui, notre combat va au-delà des tribunaux. Ce que nous portons, c’est la justice environnementale et sociale. Si on agit, c’est pour rendre justice aux plus précaires, pour que personne ne soit laissé de côté. Après ces années critiques de défaillances climatiques, la réalité des inégalités climatiques et l’impératif de justice sociale doivent guider l’élaboration de politiques publiques pour permettre à toutes et tous de vivre dans une société de justice”. 

    Clothilde Baudouin, responsable du projet “Inégalités climatiques” à Notre Affaire à Tous

    Quatorze citoyen·ne·s témoignent

    “L’érosion marine est de plus en plus fréquente. Dans nos métiers, nous sommes directement tributaires de l’environnement naturel. Déplacer nos productions vers le large est une manière de s’adapter… pour un temps… au changement climatique”.

    Jean-François Périgné, mytiliculteur sur l’île d’Oléron

    “Les sécheresses et les périodes de fortes chaleurs de ces dernières années rendent les saisons irrégulières et pénalisent nos cultures”.

    Raphaël Baltassat, agriculteur en Haute-Savoie

    Des conséquences en termes de droits fondamentaux, de conditions de vie et de santé, à la mise en danger des secteurs les plus vulnérables de notre économie, le rapport “Un climat d’inégalités”, ainsi que ses témoignages, dressent un panorama des inégalités climatiques en France, rappelant le lien intrinsèque entre enjeux sociaux et écologiques et la nécessité d’une transition juste.

    Contacts presse :

    • Cécilia Rinaudo, Coordinatrice Générale : 06 86 41 71 81
    • Clothilde Baudouin, Responsable du projet Inégalités Climatiques : 06 09 73 39 39