Catégorie : Droit public

  • Censure de la loi d’orientation agricole : le Conseil constitutionnel permet d’éviter le pire

    Article rédigé par Alice Renaud.

    Contexte

    La loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture, qui remet en cause un grand nombre de garanties environnementales, a été adoptée rapidement par le Parlement avant le début du salon de l’agriculture. Le Conseil constitutionnel a été saisi avant sa promulgation par les députés écologistes et insoumis. Notre affaire à tous a déposé une contribution extérieure pour appuyer et compléter leurs arguments. 

    Décision

    Par une décision n° 2025-876 DC du 20 mars 2025, le Conseil constitutionnel a censuré 18 articles soit près d’un tiers de la loi. 

    • 11 articles ont été considérés comme des cavaliers législatifs ou ont méconnu la règle de l’entonnoir ;
    • 7 articles étaient contraires, pour des motifs de fond, à la Constitution.

    Précisions

    Si le projet de loi d’orientation agricole avait été pensé pour répondre aux demandes des agriculteurs en crise, une partie de la loi qui est sortie des couloirs du Parlement visait à affaiblir les protections environnementales relatives à l’agriculture et à la biodiversité. Le juge constitutionnel a heureusement permis de limiter une telle dérive sur un certain nombre de points.

    Les articles censurés sur le fond

    Il a notamment censuré, au sein de l’article 1er, l’alinéa qui empêchait le pouvoir réglementaire d’aller au-delà des règles européennes dans le domaine de l’agriculture. Le Conseil constitutionnel considère, qu’en vertu de l’article 37 de la Constitution, le gouvernement dispose de compétences propres dont il ne peut être privées, par le pouvoir législatif, au profit de l’Union européenne. Cette interprétation inédite du principe de séparation des pouvoirs permet de censurer cet alinéa et de laisser une liberté au pouvoir réglementaire afin de protéger plus fortement certains intérêts. 

    L’article 2, qui introduisait le principe de non-régression de la souveraineté alimentaire, est censuré en ce qu’il méconnaît l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi et le principe de séparation des pouvoirs. Cette censure est bienvenue puisque ce principe aurait pu être opposé au principe de non-régression de la protection de l’environnement dès lors qu’il était défini comme la protection du potentiel agricole de la Nation ne pouvant faire l’objet que d’une amélioration constante. Le Conseil constitutionnel décide que cet article est susceptible de faire obstacle à l’exercice du pouvoir réglementaire en ce qu’une évaluation systématique des textes qui pourraient avoir une incidence, même lointaine, sur l’agriculture ou la pêche aurait dû être effectuée. 

    Le juge constitutionnel a également censuré l’article 31 qui instaurait une présomption de non-intentionnalité, lorsque l’exploitant exécute une obligation légale, réglementaire ou administrative, concernant l’atteinte aux espèces protégées et à leurs habitats naturels rendant beaucoup plus simple de ne pas être condamné pour ce délit. Cet article est contraire au principe de légalité des délits et des peines dès lors qu’il faisait dépendre le champ d’application de la loi pénale d’une décision administrative. 

    L’article 35, qui introduisait une présomption de bonne foi de l’exploitant, obligeait à prioriser les procédures alternatives aux poursuites pénales et permettait à l’exploitant de ne pas être sanctionné si le manquement reposait sur une norme en contradiction avec une autre norme, a aussi été déclaré contraire à la Constitution. Pour les juges, cet article était, en partie, dépourvu de portée normative et inintelligible. 

    Enfin, l’article 48, qui excluait les piscicultures, c’est-à-dire l’élevage de poissons en bassin artificiel, du régime de protection IOTA, méconnaît les articles 1 et 3 de la Charte de l’environnement. Cette nomenclature permet, selon le Conseil constitutionnel, d’empêcher certaines atteintes à l’environnement et sa suppression pour ce type d’activités n’est pas remplacée par un autre moyen de protéger l’eau et les milieux aquatiques ce qui met en péril l’environnement. 

    Les cavaliers législatifs

    La censure de certains articles de la loi d’orientation agricole, sur le fondement de l’article 45 de la Constitution, permet d’empêcher des atteintes graves à l’environnement. 

    En effet, l’article 33 déclarait les travaux forestiers, notamment les travaux d’exploitation incluant la récolte des bois destinés aux filières industrielles et énergétiques, comme d’une part, indispensable à la préservation des écosystèmes et, d’autre part, des activités d’intérêt général sécurisées juridiquement tout au long de l’année. Le Conseil constitutionnel a expliqué qu’il ne présentait aucun lien avec le projet de loi déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale. 

    Un autre cavalier législatif important à relever est l’article 42 de la loi qui excluait du décompte du zéro artificialisation nette les bâtiments agricoles et vidait en partie de sa substance cet objectif important pour l’atténuation au changement climatique et l’adaptation à celui-ci. 

    La non-censure de certaines menaces

    Bien que la décision du Conseil constitutionnel a permis de protéger certaines garanties environnementales que le Parlement essayait de supprimer, certains articles déclarés conformes à la Constitution demeurent des menaces pour la préservation de l’environnement. 

    Le juge constitutionnel n’a censuré que partiellement l’article 1er de la loi. Il n’a pas déclaré contraire à la Constitution le fait que la protection, la valorisation et le développement de l’agriculture et de la pêche étaient d’intérêt général majeur et constituaient des intérêts fondamentaux de la Nation. D’après lui, cette partie de l’article 1er constitue une loi de programmation qui détermine les objectifs de l’action de l’Etat. Il ne peut donc pas se substituer au pouvoir du Parlement et se prononcer sur l’opportunité des objectifs que le législateur assigne à l’action de l’Etat. Toutefois, cet article pourrait avoir des conséquences réelles sur l’environnement si l’interprétation qui lui est donnée inclut toute la chaîne de valeur des produits agricoles comme l’installation d’usines agroalimentaires.

    Le Conseil constitutionnel valide également le principe “pas d’interdiction sans solution” institué par l’alinéa 14 du 1er article de la loi qui empêche les autorités d’interdire des produits phytosanitaires autorisés par l’Union européenne s’il n’existe pas de solution pour les remplacer. Aussi, même si des études scientifiques établissent la dangerosité d’un ces produits, les autorités françaises ne pourront en prendre acte et devront attendre que l’Union européenne l’interdise. D’après le Conseil constitutionnel, cette disposition est programmatique et n’est pas contraire au droit de vivre dans un environnement sain. Il est cependant possible d’espérer une déclaration d’inconventionnalité de cet article dès lors que l’article 71 du règlement n° 1107/2009 du 21 octobre 2009 oblige chaque Etat-membre à tirer les conséquences de la dangerosité avérée d’une substance active en l’interdisant dans l’attente d’une action à l’échelle européenne. 

    La différence de traitement permise par l’article 32 est justifiée, selon les juges, au regard de la nature de l’activité d’élevage et des variations qu’elle peut connaître. Les exploitants d’élevage sont donc davantage susceptibles de franchir les seuils d’application du régime de déclaration ou d’enregistrement des ICPE. Ainsi, le fait que l’amende soit 100 fois moins élevée (450 euros à la place de 45 000 euros) que pour les autres industriels lors d’un dépassement des seuils de maximum 15%, ne viole pas le principe d’égalité. Le Conseil constitutionnel explique qu’il ne voit pas le lien entre le montant très faible de l’amende et un manquement à l’article 1er ou 3 de la Charte de l’environnement. Pourtant, il paraît évident qu’une amende très faible n’est pas dissuasive pour les exploitants d’élevage ce qui affaiblit le régime protecteur qui découle de la nomenclature des ICPE. 

    Enfin, le Conseil constitutionnel valide la facilitation de la modification du régime de déclaration ou d’autorisation des retenues collinaires ce qui rendrait, à terme, la mise en place de méga-bassines plus simple. 

    Aussi, si la décision du Conseil constitutionnel permet d’éviter une grande partie des dangers initiaux de la loi d’orientation agricole, il faudra rester vigilant sur les conséquences de certains des articles validés rue de Montpensier. 

  • A69 : Décision majeure pour l’environnement !

    Article rédigé par Adeline Paradeise, juriste droit de l’environnement de Notre Affaire à Tous

    Les jugements ont été rendus suite à une analyse approfondie des impacts socio-économiques des deux projets autoroutiers. De nombreux moyens d’illégalité ont été soulevés par les associations. Le tribunal a choisi de se concentrer sur l’analyse des conséquences socio-économiques positives du projet, dont la faiblesse a suffi à annuler l’ensemble du projet sans nécessiter l’analyse des autres moyens.

    Le tribunal a rappelé qu’un projet affectant des espèces protégées ne peut bénéficier d’une dérogation à leur protection que s’il remplit trois conditions cumulatives prévues à l’article L.411-2 du code de l’environnement :

    • Le projet « répond, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d’intérêt public majeur »,
    • Il n’existe pas d’autre solution satisfaisante,
    • « Cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle. »

    Les magistrats ont vérifié si la première condition était remplie, rappelant de façon pédagogique que l’intérêt public en question doit être « d’une importance telle qu’il puisse être mis en balance avec l’objectif de conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvage ». Les préfets justifiaient la dérogation par une amélioration supposée de la sécurité publique et de la situation socio-économique des territoires desservis. Le tribunal a analysé en profondeur ces motifs.

    Concernant les motifs sociaux, la juridiction qui a analysé des chiffres plus récents que ceux, très anciens, fournis par les préfectures, note que le bassin de Castres-Mazamet n’est pas en situation de décrochage démographique, bénéficie de nombreux services et équipements de qualité (centre hospitalier, formations universitaires…). La juridiction relève également que beaucoup d’actifs travaillant dans le bassin de vie de Castres y résident. Elle relève également que les hypothèses de fréquentation du tronçon qui serait le plus utilisé, alors même qu’elles ont été qualifiées d’optimistes par l’autorité de régulation des transports, sont « très en deçà des seuils justifiant la construction d’une autoroute 2×2 voies ». De plus, le prix élevé du péage autoroutier « est de nature à relativiser les estimations de fréquentation issues de l’étude de trafic ».

    Concernant les motifs économiques, le tribunal a relevé que le taux d’activité des zones desservies n’est pas significativement différent des autres bassins d’activité comparables. Selon lui, une liaison autoroutière peut participer au confortement du développement économique et à l’attractivité d’un territoire, mais ici cela doit être relativisé car d’une part « une telle liaison ne constitue pas un facteur suffisant de développement économique, et, d’autre part, […] le coût élevé du péage de la future liaison autoroutière sera de nature à en minorer significativement l’intérêt pour les opérateurs économiques. »

    Concernant la sécurité publique, le tribunal a jugé que l’accidentalité sur la RN 126, qui établit actuellement la liaison qui fait l’objet du projet autoroutier, n’est pas plus importante que sur d’autres routes comparables. De plus, le projet risque même d’augmenter l’accidentalité sur l’actuelle RN 126 qui serait modifiée.

    Pour ces raisons, le tribunal a jugé qu’il n’existe pas de raison impérative d’intérêt public majeur, annulant ainsi les autorisations environnementales des projets.

    Impact immédiat : Les travaux sont illégaux et doivent être arrêtés.

    Et la suite ? L’État a annoncé faire appel, la Cour administrative d’appel de Toulouse sera saisie du dossier.

    Si ces décisions sont confirmées, les associations pourront demander la remise en état des lieux. Bien que certaines atteintes à l’environnement mettront du temps à être réparées, d’autres pourront l’être plus rapidement et beaucoup sont évités par l’arrêt des travaux.

    Cette situation doit nous interroger sur les carences du référé suspension, qui n’a pas permis de suspendre de tels travaux alors même qu’un doute sérieux sur leur légalité existe. Rappelons qu’il n’est normalement pas nécessaire de prouver l’illégalité de l’acte administratif attaqué, mais “seulement” l’existence d’un doute sérieux sur sa légalité.

    Les annulations prononcées sont protectrices de l’environnement et des terres arables. La politique du fait accompli, qui met en danger les finances des entreprises et de l’État en plus d’atteindre à l’environnement, doit cesser. Atosca connaissait très bien les risques juridiques qui étaient liés à ces autorisations et a choisi de commencer les travaux malgré tout. Cette entreprise doit donc supporter les conséquences financières des risques qu’elle a pris dans l’espoir d’augmenter ses profits voir peut-être, et ce serait plus inquiétant encore, que les juges hésiteraient plus à dire le droit face à des travaux déjà bien avancés.

  • Coup porté au projet “Montagne d’Or” : Une application ambiguë de l’article 1 et 3 de la charte de l’environnement par le Conseil constitutionnel

    Article Rédigé par James LEGRIS, Adrian LAKRICHI, avec la participation de Céline LE PHAT VINH

    Lors d’une décision inédite, le Conseil constitutionnel a déclaré le 18 février 2022 la deuxième phrase de l’article L-144-4 du code minier contraire à la constitution et plus particulièrement contraire à la Charte de l’environnement, dans sa version antérieure à la loi climat et résilience (1). Le code minier fait depuis quelques temps face à des modifications, quatre ordonnances viennent compléter la réforme du code minier, initiée par la loi climat et résilience du 22 août 2021 (2). Il est en fait irrémédiable pour le code minier de connaître certains changement: le texte est initialement issu de la loi impériale du 21 avril 1810, qui donna lieu au code minier par décret du 16 août 1956 (3).

    Soutenue par Guyane Nature Environnement, l’association France Nature Environnement (FNE), avait saisi le Conseil constitutionnel par une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) afin d’éviter la prolongation d’une concession minière d’or en Guyane (4). La saisine renvoyée par le Conseil d’Etat au Conseil constitutionnel avait pour but de freiner la prolongation de quatre concessions minières sous la direction de la Compagnie Minière de Boulanger. Le projet dit Montagne d’or était donc visée au premier plan.

    Bien que la décision ait des répercussions sur tout le territoire français, elle s’inscrit tout de même dans un cadre particulier, celui de l’exploitation minière dans les territoires d’outre mer. Le projet Montagne d’or, nom repris aussi par la compagnie maître d’ouvrage, est le nom donné à un grand projet minier d’extraction d’or en Guyane (5). Détenu par Nordgold-Orea mining (auparavant Columbus gold), une société russo-canadienne, le projet devait s’adonner à l’exploitation minière sur une surface totale de 125 kilomètres, dont une partie de 8 km² à ciel ouvert. Entre mars et juillet 2018 un débat public a eu lieu afin de recueillir l’avis des guyanais sous la forme d’une consultation, bien qu’il ne fit pas l’unanimité.

    Toutes les concessions minières affectées par la décision du Conseil constitutionnel ne sont pas du même ordre. En effet, alors que le projet Montagne d’or est issu de l’initiative d’une entreprise privée, la société Nordgold-Orea mining, le projet était en fait finalement rejeté par l’Etat. Alors que l’autorisation du projet de concession par Compagnie minière de Boulanger, lui, fut délivré par l’Etat et contesté devant les juridictions administratives par FNE. C’est ainsi qu’une décision du Conseil d’Etat du 28 juillet 2022 vient annuler le décret du gouvernement accordant à la compagnie Boulanger le renouvellement de quatre concessions minières en Guyane en se basant sur la décision du Conseil constitutionnel que nous allons commenter (6).

    I. Un droit minier en lente évolution

    L’association France nature environnement (FNE), par une question prioritaire de constitutionnalité, enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2021-971 QPC, contestait la conformité à la Constitution des articles L. 142-7, L. 142-8 et L. 142-9 du code minier et de la seconde phrase de l’article L. 144-4 du même code, tels qu’issus de l’ordonnance n° 2011-91 du 20 janvier 2011 (7). L’article L. 144-4 était le principal article querellé, les autres articles ne l’étant qu’à titre incident. Ce premier article disposait que la prolongation des concessions minières, initialement accordées pour une durée illimitée, est « accordée de droit. » Pour FNE, une telle prolongation aurait eu pour conséquence de prolonger des concessions sans que l’autorité administrative ait pu analyser ou constater des dégradations sur l’environnement.

     Cette QPC s’inscrit dans une évolution lente du droit minier. La loi n° 77-620, du 16 juin 1977, avait mis fin aux concessions à durée illimitée, pour limiter leur octroi à une durée de 50 années. Il était prévu que les concessions originellement perpétuelles devaient expirer le 31 décembre 2018. L’article L. 142-14 du même code permettait la prolongation desdites concessions pour autant que soient respectées les règles en vigueur au moment de la soumission de la demande de prolongation et dans le respect de l’article L. 144-4 (qui est l’article déclaré contraire à la Constitution par cette décision). Ce dernier article disposait que « la prolongation des concessions correspondant à des gisements exploités à cette date est accordée de droit dans les conditions prévues à la sous-section 2 de la section 1 du chapitre 2 du présent titre [c’est-à-dire les articles L. 142-7, L. 142-8 et L. 142-9 du code minier]. ».  Ces derniers articles précisaient, en particulier, que lorsqu’à la date d’expiration de la concession, il n’a pas été statué sur la demande de prolongation, le titulaire peut continuer d’exploiter ladite concession jusqu’au prononcé de sa décision par l’administration.

        Toutefois, la loi du 22 août 2021 a modifié l’article L. 114-3 du code minier, afin d’ajouter que la demande de prolongation est refusée si l’autorité compétente émet un doute sérieux sur la possibilité de procéder aux recherches ou à l’exploitation du type de gisement mentionné sans porter une atteinte grave aux intérêts mentionnés à l’article L. 161-1, qui vise en particulier la protection  de l’environnement.

    C’est bien les textes antérieurs à la loi du 22 août 2021 qui ont été déclarés contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel.

    II. Sur le débat entre les deux parties à propos de la constitutionnalité de l’article L 144-4 du code minier

    L’article L. 144-4 du code minier dans sa version de 2011 disposait : “Les concessions de mines instituées pour une durée illimitée expirent le 31 décembre 2018. La prolongation des concessions correspondant à des gisements exploités à cette date est accordée de droit dans les conditions prévues à la sous-section 2 de la section 1 du chapitre 2 du présent titre.”

        D’une part, FNE estimait qu’antérieurement à l’entrée en vigueur à la loi du 22 août 2021, l’article L. 144-4 était contraire à la Charte de l’environnement, en ce que la protection de l’environnement ne pouvait pas être prise en compte par l’autorité administrative lorsqu’elle se prononce sur la délivrance d’une prolongation d’une concession

    Au contraire, les représentants des entreprises concessionnaires et le Premier ministre  estimaient que la Charte de l’environnement n’était pas pertinente en l’espèce (8). Ceux-ci faisaient valoir que la concession constitue un titre immobilier qui, en tant que tel, ne peut avoir aucune conséquence sur l’environnement. Ce titre ne permet pas la réalisation de travaux de recherches et d’exploitation, qui supposent l’obtention d’une autorisation subséquente, soumise à des conditions spécifiques, censées garantir la prise en compte des intérêts environnementaux (articles L. 162-3 à L. 162-10). Ils ajoutaient, d’une part, que la loi du 22 août 2021, en imposant la prise en compte des intérêts environnementaux, n’avait pas pour objectif de combler, une lacune —qui précisément n’existerait pas. Pour eux, dans un contexte de contestation des exploitations minières, la prise en compte de ces intérêts, dès le stade de la concession du « titre minier », permettrait de légitimer aux yeux du public cette décision administrative. D’autre part, ils rappelaient que l’administration n’était pas en situation de compétence liée (9). L’article L. 144-4 garantissait seulement l’absence de mise en concurrence de la concession, mais n’exonérait pas l’administration de l’obligation de « s’assurer que, en fonction de la durée d’exploitation accordée, l’exploitant de la concession disposera des moyens économiques et financiers pour exploiter le site et le remettre en état à l’issue de cette exploitation, afin de préserver les intérêts [notamment environnementaux] mentionnés à l’article L. 161-1 du code minier » (CE, 18 décembre 2019, Société Vermilion REP, n° 422271). 

    Autrement dit, et ainsi que la  Cour administrative d’appel de Bordeaux l’avait précédemment précisé, « l’impact direct des travaux d’exploitation sur les intérêts mentionnés à l’article L. 161-1 ne peut être opposé, au regard des dispositions en vigueur du code minier, que dans le cadre de l’instruction de cette demande d’autorisation de travaux, distincte de l’autorisation de prolongation de la concession » (CAA Bordeaux, 16 juillet 2021, Projet « Montagne d’Or », n° 21BX00295). Les intérêts environnementaux ne devraient être pris en compte pour la délivrance d’un titre que pour déterminer la durée de celui-ci. En revanche, pour la délivrance d’une autorisation de travaux, ces intérêts bénéficient d’une protection plus large, afin de vérifier qu’aucune atteinte grave n’est leur est portée.

    III. La première déclaration d’inconstitutionnalité sur le fondement des articles 1 et 3 réunis de la Charte de l’environnement par le Conseil constitutionnel

    Le juge constitutionnel commence par vérifier si la Charte est applicable en l’espèce. Cela suppose que l’application de la norme contrôlée soit susceptible de porter atteinte à l’environnement. Le juge estime que tel est le cas. Cela n’était pas nécessairement évident. Ainsi qu’il a été précédemment montré, le renouvellement d’une concession ne concerne que de façon médiate l’environnement. La concession est un titre patrimonial et ne permet pas, à elle seule, d’entamer des travaux de prospection et d’exploitation, qui supposent l’obtention d’une autorisation subséquente. Seule cette dernière a une influence directe sur l’environnement. Cependant, la concession « détermine notamment le cadre général et le périmètre des travaux miniers » (pt. 11). Selon le juge, elle conditionne de façon suffisante les travaux qui pourront ensuite être réalisés pour être susceptible de porter atteinte à l’environnement. Dès lors, une atteinte médiate suffit, pour autant que cette atteinte ne soit pas minimale, voire dérisoire (par ex. voir la décision n° 2014-394 QPC concernant les servitudes légales de voisinage). Cette appréciation du Conseil constitutionnel s’inscrit pleinement dans sa décision n° 2020-843 QPC, du 28 mai 2020 (10), par laquelle il estimait qu’afin de déterminer si une disposition a une incidence sur l’environnement, « est indifférente à cet égard la circonstance que l’implantation effective de l’installation puisse nécessiter l’adoption d’autres décisions administratives postérieurement à la délivrance de l’autorisation. »

        Le juge évalue de façon concomitante le respect des articles 1er et 3 de la Charte. Le premier consacre le droit de chacun « de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. » Le Conseil constitutionnel ne s’était encore jamais basé sur cet article pour déclarer une disposition inconstitutionnelle. Tout au plus, il peut être rappelé que le juge a dégagé, sur le fondement des articles 1er et 2 de la Charte de l’environnement, une obligation de vigilance, s’imposant à l’État et aux particuliers, à l’égard des atteintes à l’environnement qui pourraient résulter de leurs activités (décision n° 2011-116 QPC). Néanmoins, ce devoir de vigilance constitue une obligation autonome qui ne permet pas réellement d’interpréter l’article 1er. La portée de celui-ci apparaît donc encore imprécise.

        L’article 3 consacre le principe de prévention : « toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences. » L’utilisation du principe de prévention dans le contentieux environnemental est relativement faible, que ce soit devant le Conseil constitutionnel, que devant le Conseil d’État ou la Cour de justice de l’Union européenne. Ce principe impose de traiter à la source les atteintes qui pourraient être commises à l’environnement. Dès lors qu’une telle atteinte est possible, des mesures doivent être prises pour en empêcher la réalisation. Il semble aussi que, dès lors qu’une atteinte a déjà commencé à se produire, la manière d’y mettre fin doit immédiatement être recherchée et mise en œuvre, sans attendre une aggravation de la situation.

        Le Conseil apprécie la légalité de la disposition en cause au regard de deux périodes différentes, à savoir avant et après l’entrée en vigueur de la loi du 22 août 2021. 

    Avant l’entrée en vigueur de cette loi, la prise en compte des intérêts environnementaux, au stade de la concession du titre minier, était limitée. Il était essentiellement question d’évaluer la durée du titre minier au regard des capacités économiques et financières pour exploiter le site et le remettre en état à l’issue de l’exploitation. Le juge semble estimer que ce contrôle est insuffisant pour être conforme aux articles 1er et 3 de la Charte. Le contrôle de la conformité de la procédure à la Charte ne s’accomplit pas globalement, au regard des deux autorisations qui sont nécessaires pour exploiter le site. Autrement dit, est « indifférente la circonstance que certaines de ces conséquences pouvaient être, le cas échéant, prises en considération ultérieurement à l’occasion des autorisations de recherches et de travaux devant se dérouler sur le périmètre de la concession » (pt. 12). 

    En revanche, la disposition en cause est conforme aux deux dispositions de la Charte depuis l’entrée en vigueur de la loi du 22 août 2021. Le Conseil rappelle qu’une telle prolongation « est refusée si l’administration émet un doute sérieux sur la possibilité de procéder à l’exploitation du gisement sans porter une atteinte grave aux intérêts environnementaux mentionnés à l’article L. 161-1 du même code. »
    Le Conseil estime, en revanche, que les articles 2 et 7 de la Charte de l’environnement ne sont pas méconnus. L’article 7, principal fondement de la mise en œuvre de la Charte par le juge constitutionnel, garantit l’accès « aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement. » Le juge semble considérer, implicitement, mais nécessairement, que l’article L. 144-4 ne fait pas obstacle à l’application de l’article L. 132-3 du même code, qui dispose que « la concession est accordée après une enquête publique réalisée conformément au […] code de l’environnement. »

    IV. Un risque d’appauvrissement de la Charte de l’environnement ?

    Plusieurs remarques peuvent être faites. Il convient, tout d’abord, de ne pas revenir à la sempiternelle, mais toujours aussi juste critique, concernant la pauvreté rédactionnelle des décisions du juge constitutionnel. Si la brièveté du raisonnement peut être source de bonne administration de la justice pour une cour régulatrice interprétant des règles de droit, tel n’est pas le cas pour un juge constitutionnel interprétant des principes qui appellent, à la fois, un travail plus lourd d’interprétation et à une mise en balance au cas par cas desdits principes.

         D’abord, le juge estime que l’article L. 144-4 est conforme à la Charte depuis l’entrée en vigueur de la loi du 22 août 2021. Il précise bien que cette disposition exige que le site puisse être exploité « sans porter une atteinte grave aux intérêts environnementaux » (nous soulignons). Est-ce à dire que les articles 1er et 3 de la Charte imposent une action de l’administration seulement en cas d’une atteinte « grave » ? Autrement dit, le juge vient-il implicitement, mais nécessairement, ajouter un critère d’applicabilité à ces deux articles ?

        Ensuite, il est possible de continuer à s’étonner, malgré l’habitude prise par le Conseil, de l’utilisation simultanée de plusieurs articles de la Charte. Il aurait été préférable de distinguer les articles 1er et 3, d’autant plus dans une décision qui apparaît comme la première à se fonder sur l’article 1er.

        Enfin, une troisième critique reprend les deux qui précèdent. Il pourrait être intellectuellement acceptable d’utiliser un critère de la « gravité » pour moduler l’obligation de prévention (article 3). Le cas échéant, des mesures devraient être adoptées afin de prévenir les atteintes graves à l’environnement. En revanche, pour les atteintes peu graves, seule l’obligation de réparation s’appliquerait (article 4, appliqué dans la décision n° 2020-881 QPC du 5 février 2021). Cependant, il ne fait pas sens d’introduire un critère de gravité pour l’application de l’article 1er, qui dispose que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. » Ce droit a vocation à innerver (nous n’oserions plus écrire aujourd’hui « irradier ») l’ensemble du droit et donc de la société. Si une limitation de ce droit peut entrer en jeu, c’est au seul stade de son application, c’est-à-dire au titre du contrôle de la proportionnalité —et non de son applicabilité.

        Le Conseil n’exclut pas clairement une telle interprétation. Cependant, son raisonnement ne permet pas pour autant de la soutenir. Il semble même que son raisonnement s’en éloigne davantage qu’elle s’en approche. En admettant que l’article 1er n’est pas violé, alors que la loi n’impose à l’administration de refuser un titre de concession qu’en présence d’une atteinte « grave », le juge constitutionnel ne se positionne pas dans une logique de mise en balance. La loi de juillet 2021 n’impose pas de mettre en balance la « gravité » de l’atteinte à l’environnement avec l’intérêt à exploiter telle ou telle mine spécifique. La « gravité » n’est pas relative à l’intérêt de poursuivre tel ou tel projet d’exploitation spécifique. La loi pose ce critère de « gravité » pour l’exploitation d’une quelconque mine. Il est question d’une limitation abstraite et générale de la protection accordée à l’environnement.

        Il est dès lors possible de voir, dans une telle décision, un appauvrissement de la Charte qui, s’il devait être confirmé, serait plus que contestable.

    NOTES

    1. Conseil constitutionnel, Décision n° 2021-971 QPC du 18 février 2022, disponible sur : 

    <https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2022/2021971QPC.htm

    2. Ordonnances disponibles sur : 

    <https://www.vie-publique.fr/loi/284827-ordonnances-13-avril-2022-reforme-code-minier#:~:text=Elle%20vise%20%C3%A0%20s’assurer,la%20base%20de%20crit%C3%A8res%20environnementaux

    3. Diana Cooper-Richet, France Archives Loi sur les mines, les minières et les carrières, disponible sur :  

    <https://francearchives.fr/fr/pages_histoire/40091 >

    4. Communiqué de Presse France Nature Environnement, Victoire historique pour l’environnement devant le Conseil Constitutionnel et coup d’arrêt à la mine d’or en Guyane, 18 février 2022, disponible sur : 

    <https://fne.asso.fr/communique-presse/victoire-historique-pour-l-environnement-devant-le-conseil-constitutionnel-et

    5. https://cpdp.debatpublic.fr/cpdp-montagnedor/

    6. CE, 6ème et 5ème chambres réunies, n°456524, disponible sur : 

    <https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-40160-CE-decision-annulation-prolongation-concessions-minieres.pdf

    7. Ordonnance n° 2011-91 du 20 janvier 2011 portant codification de la partie législative du code minier, disponible sur : 

    <https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000023478661/>

    8. Audience du 8 février 2022 de l’affaire n° 2021-971 QPC, disponible sur : 

    <https://www.dailymotion.com/video/x87q0ig>

    9.  En droit administratif, la compétence liée est un pouvoir que son détenteur (ici, l’administration) est obligé d’utiliser, qu’il le veuille ou non. On dit que la compétence est « liée » car elle est encadrée par d’autres textes qui déterminent l’action de l’administration.

    10. Conseil constitutionnel, Décision n° 2020-843 QPC du 28 mai 2020, disponible sur : 

    <https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2020/2020843QPC.htm

  • La lutte contre l’artificialisation des sols – Etude de terrain en métropole toulousaine et son aire d’attraction

    Réalisé par Mélissa Bernard, Solange Coupé, Elora François, Marie Grandjean et Gabriel Theil du Master D3P1 « Transition Ecologique, Risques et Santé, à SciencesPo Toulouse

    En partenariat avec l’association Notre Affaire à Tous

    Remerciements :

    Nous tenons à remercier les personnes qui ont bien voulu accorder du temps à cette étude et à participer aux entretiens

    Dans le cadre de la Clinique de Sciences Po Toulouse, les étudiant.e.s du Master D3P1 « Transition Ecologique, Risques et Santé » ont pu approfondir des sujets forts à Notre Affaire A Tous concernant le dérèglement climatique. Ici, la lutte contre l’artificialisation des sols touche sensiblement le territoire toulousain et son aire d’attraction. Cet article fait part des recherches effectuées pour l’étude de terrain et des interviews réalisées auprès des acteurs de terrain par les étudiant.e.s.

    La lutte contre l’artificialisation des sols représente un enjeu fort en matière de lutte climatique et environnementale, à tel point que la loi Climat et Résilience s’est emparée de la question via notamment l’objectif de Zéro Artificialisation Nette. Pour comprendre les différents enjeux et problèmes liés à l’artificialisation des sols, nous avons mené une enquête de terrain sur l’aire d’attraction de la métropole toulousaine afin de dresser une cartographie des différents acteurs et actrices concerné.e.s par les enjeux de lutte contre l’artificialisation.

    Notre terrain comprend l’ensemble de l’aire d’attraction de la métropole toulousaine, afin de prendre davantage en compte la répartition différenciée des efforts de diminution d’artificialisation des sols, et ainsi mettre en lumière les interactions entre métropole et territoires à proximité.

    Récemment, le rapporteur public a obtenu l’annulation pure et simple du PLUi-H de Toulouse Métropole pour une mauvaise appréciation de la consommation des espaces artificialisés sur les dix années précédentes. En effet, la loi Climat et Résilience à pour objectif à l’horizon 2031, pour chaque commune, la réduction de de moitié la consommation d’espaces par rapport à la consommation des années précédentes. Ainsi, en gonflant l’estimation des terrains artificialisés, Toulouse Métropole pouvait diminuer ses efforts de réduction de consommation des sols prévus à l’horizon 2030. Plus l’artificialisation était importante sur les dix dernières années, plus la marge de manœuvre pour respecter l’objectif de 2030 sera importante pour les communes, d’où la tentative de gonfler les chiffres de l’artificialisation des sols par la métropole de Toulouse.

    Notre étude vise à établir un état des lieux et une cartographie des acteurs ayant un impact quant à l’artificialisation des sols de l’aire d’attraction de la métropole de Toulouse. Nous nous sommes intéréssé.e.s à la manière dont l’objectif Zéro Artificialisation Nette est appréhendé par différent.e.s acteur.rice.s, quelles étaient les difficultés auxquels iels sont confronté.e.s au quotidien et leurs biais cognitifs expliquant des situations de conflits entre volonté de développer et volonté de ne pas artificialiser.

    L’artificialisation des sols : une définition non consensuelle

    Chaque année en France, entre 24.000 et 30.000 hectares de terres agricoles et naturelles sont artificialisées1. Il n’y a pas de définition scientifique internationale de l’artificialisation des sols. Ce manque de définition scientifique explique que l’artificialisation puisse être comprise différemment en fonction des acteurs concernés. L’artificialisation des sols, selon le gouvernement, consiste à « transformer un sol naturel, agricole ou forestier, par des opérations d’aménagement pouvant entraîner une imperméabilisation partielle ou totale« .

    La loi Climat et Résilience parue en 2021 précise cette définition dans son article L101-2-1 énonçant que l’artificialisation est “l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage2.

    Lutter contre l’artificialisation des sols est un enjeu primordial pour la transition écologique au vu de ses nombreux impacts sur l’environnement. En effet, elle entraîne une perte de biodiversité, une amplification des risques d’inondation dûe à l’imperméabilisation des sols, une baisse de rendements productifs des terres agricoles, un accroissement des dépenses énergétiques liées au réseau, une amplification de la fracture territoriale avec l’étalement urbain et la construction en périphérie qui relègue une partie des habitants à l’écart des centres-villes, et enfin, elle constitue l’une des premières causes des changements climatiques car un sol artificialisé n’absorbe plus le dioxyde de carbone (CO₂)3.

    Les processus d’artificialisation peuvent être “légers”, tels que la création de jardins, d’espaces verts ou de friches intra-urbaines, et donc modifient peu les caractéristiques physico-chimiques des sols en comparaison avec les sols d’espaces naturels. Mais ils peuvent également être “lourds” et aller jusqu’à imperméabiliser totalement les sols ce qui entraîne des conséquences sévères, comme la fragmentation des écosystèmes.

    De plus, pour pouvoir apprécier le processus d’artificialisation, il serait pertinent de connaître la nature des perturbations apportées au sol (déboisement, pose d’un revêtement temporaire, minéralisation…), le type géographique d’espace concerné (urbain dense, périurbain, rural), le type d’activité développée sur les terres artificialisées (activités commerciales, industrielles, logements, espaces verts…) et enfin leur degré de réversibilité4.

    L’objectif ZAN en 2050, fixé dans le cadre du Plan National Biodiversité de 2018 a été confirmé par l’adoption de la loi Climat et Résilience à l’Assemblée Nationale le 24 août 20215. Comme il est précisé sur le site de France Stratégie, il est urgent de freiner l’artificialisation (près de 31.000 hectares d’espaces naturels et agricoles perdus en 20196) et l’objectif ZAN est l’outil qui permettrait d’y faire face. L’objectif ambitionne de diviser par deux le rythme d’artificialisation des sols par rapport à la consommation d’espaces observée depuis 2011, d’ici 2031 et d’arriver à zéro artificialisation nette des sols en 2050.

    L’objectif Zéro Artificialisation Nette (ZAN)

    Les principales avancées rendues possibles par la mise en place de cet objectif sont doubles:

    • un objectif contraignant, ce qui n’était pas le cas du Plan National Biodiversité. Désormais les régions sont contraintes à décliner leur plan d’action de lutte contre l’artificialisation.
    • la possibilité démontrer plus facilement les irrégularités au yeux du législateur grâce au développement d’outils de mesure (perfectibles) de l’artificialisation comme peut l’être la carte du Portail national de l’artificialisation des sols en France développée par le CEREMA7.

    Les projets de décret publiés en mars 2022 ont précisé le contenu minimal du rapport que doivent établir les collectivités territoriales. Ce rapport devra présenter le rythme de l’artificialisation et de consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF)8. De plus, le décret apporte des précisions sur l’observatoire national de l’artificialisation des sols mis en place par l’État. Ces précisions devront permettre de mieux prendre en compte et qualifier les types d’artificialisation.

    Une notion importante que nous aimerions préciser ici est la séquence ERC (Éviter, Réduire, Compenser) qui s’applique aux projets, plans et programmes soumis à évaluation environnementale. Les collectivités territoriales se basent notamment sur cette séquence pour réaliser leur PLUiH. Cette séquence est relevée comme intéressante par certains de nos interlocuteurs.trices même si en pratique la compensation est parfois utilisée avant même de tenter d’Éviter et de Réduire, contrairement à ce qui est préconisé.

    Les faiblesses relevées lors de nos entretiens; la loi manquerait de définitions, par exemple, elle ne définit pas ce qu’est une friche, ni ce qu’est une zone de pleine terre. Or, une note de l’Institut Paris Région consacrée à cette notion démontre qu’en l’absence de définition partagée, on trouve une hétérogénéité des solutions retenues ainsi qu’une appréhension du phénomène imparfaite9. Dans cette même loi, la distinction entre les différents types d’artificialisation et leur importance n’est pas non plus établie. Or, en fonction de la façon dont le sol est artificialisé, les conséquences ne sont pas les mêmes.

    En effet, la Fabrique Ecologique distingue 4 sols artificialisés10 :

    • Sol transformé : Jardins, terrains d’agriculture urbaine sur sols reconstitués,
    • Sol reconstruit ou reconstitué : Abords végétalisés d’installations industrielles ou de voiries, carrières réhabilitées,
    • Sol ouvert : Friches urbaines ou industrielles, remblais ferroviaires, carrières abandonnées,
    • Sol scellé et/ou imperméabilisé : Surface bâties, voiries, trottoirs…

    Les impacts de l’artificialisation sont plus faibles pour les sols transformés et augmentent jusqu’à être très importants pour les sols scellés ou imperméabilisés. C’est pourquoi l’objectif ZAN mériterait de prendre en compte ces différences d’impact.

    La cartographie des acteurs

    Le schéma ci-dessus synthétise les positionnements des 7 acteur.rice.s interrogé.e.s concernant la loi Climat et Résilience et son objectif ZAN. Nous les avons regroupés en 5 catégories : associatifs (FNE), collectifs de citoyen.ne.s (Le Bocage Autrement et Gamasse Rébeillou), agricoles (la Chambre d’Agriculture du Tarn, et la Confédération Paysanne Haute-Garonne), institutionnels (CEREMA) et territoriaux avec la commune de Saint Sulpice La Pointe.

    L’ensemble de nos enquêté.e.s reconnaissent une certaine avancée avec la promulgation de l’objectif ZAN dans la loi Climat et Résilience. Cependant l’objectif leur semble encore flou et difficile à cerner, et il faudra attendre les différents décrets d’application pour avoir une meilleure appréhension des avancées. Malgré cela, nombre d’’entre elleux dénoncent certaines facettes de l’objectif, comme le risque de sur-utilisation du principe de compensation ou l’accord de dérogations pour les surfaces commerciales. Certain.e.s craignent également des contraintes supplémentaires pour les zones rurales

    En prenant de la hauteur, on se rend compte que l’artificialisation des sols met en exergue des conflits d’acteurs relevant d’une priorisation différente des enjeux. Les impératifs économiques spécifiques à certain.e.s acteur.rices sont nécessaires à prendre en compte, car ils se répercutent en influençant les biais cognitifs des individus.

    Chaque acteur.rice représente plus ou moins consciemment ses propres intérêts. Les collectivités ont une approche particulièrement technique. Elles sont soumises à de nombreuses contraintes, notamment économiques, accentuées par les opérations de décentralisation et de déconcentration. Elles ont de moins en moins de moyens pour répondre aux enjeux environnementaux et sociaux et de plus en plus de dépenses. Ainsi, les projets d’aménagement permettent de répondre à ces besoins financiers (par l’apport de nouvelles taxes), et de rendre le territoire plus attractif. Les agricult.eur.rice.s elleux sont soumis.e.s à des impératifs économiques forts, dans un marché concurrentiel qui favorise les grosses productions

    Ainsi, le modèle relationnel des collectivités et des agents économiques à la nature est principalement détaché, elle est perçue comme peu importante face aux projets urbains, voire comme une contrainte pour le développement économique. Face à cela, avec les collectifs et certaines associations comme FNE, qui ne sont pas diamétralement opposées au développement territorial, mais à la façon dont celui-ci est réalisé, on est davantage dans une relation tutélaire où la nature nécessite une protection bienveillante, entraînant des règles et des normes permettant la délimitation d’espaces spécifiques.

    Le fait que les nouveaux projets d’aménagement soient de plus en plus contestés (Projet Terra2, PLUi-H de la métropole toulousaine, mais aussi les recours contre les entrepôts Amazon etc.)11 illustre en réalité des différences de paradigmes entre les collectivités territoriales, les acteurs économiques, et les acteurs citoyens et associatifs. Pour atteindre le compromis sociétal, il faut comprendre quelles sont les visions des différents acteurs, ainsi que les freins empêchant d’arriver au compromis. C’est notamment le rôle de la concertation publique, afin d’accroître l’acceptabilité sociale des projets; mais nos différents entretiens montrent que cet objectif n’est pas toujours atteint.

    Tout d’abord, une différence d’appréhension des enjeux économiques est en jeu. Les collectivités territoriales en ont une approche particulièrement technique. Elles sont soumises à de nombreuses contraintes, notamment économiques, accentuées par les opérations de décentralisation et de déconcentration. Les collectivités ont de moins en moins de moyens pour répondre aux enjeux environnementaux et sociaux et de plus en plus de dépenses. Ainsi, les projets d’aménagement permettent de répondre à ces besoins financiers (par l’apport de nouvelles taxes), et de rendre le territoire plus attractif. De plus, les communes doivent répondre à certains besoins qui se heurtent à l’objectif ZAN; notamment fournir assez de logement aux populations toujours plus nombreuses qui arrivent dans l’aire d’attraction toulousaine.

    Les agricult.eur.trice.s sont également soumis.e.s à des impératifs économiques forts, dans un marché concurrentiel qui favorise les grosses productions. Rappelons que le terme d’artificialisation tel qu’il a été consacré dans la loi renvoie principalement à l’altération des sols pour des fonctions urbaines ou de transport. Or, la question de l’altération des terres agricoles peut aussi être compromise par l’utilisation de certains produits pesticides, ou par l’utilisation des terrains pour y installer des panneaux photovoltaïques. Dans tous les cas, on voit s’opposer des modèles relationnels à la nature différents. Ainsi, le modèle relationnel des collectivités et des agents économiques à la nature est principalement détaché, où elle est perçue comme peu importante face aux projets urbains, voire comme une contrainte

    pour le développement économique, même si ces enjeux sont de plus en plus pris en compte du fait de l’évolution des mentalités.

    Face à cela, nous avons des collectifs et associations comme FNE, qui ne sont pas diamétralement opposés au développement territorial, mais à la façon dont celui-ci est réalisé. On est davantage dans une relation tutélaire où la nature nécessite une protection bienveillante, entraînant des règles et des normes permettant la délimitation d’espaces spécifiques.

    Ainsi, l’artificialisation des sols est de fait l’une des conséquences de nombreux choix faits aux niveaux globaux et locaux, chaque acteur.rice a ses propres biais cognitifs. Si l’on veut pouvoir penser une transition réellement efficiente, il est nécessaire de comprendre ces biais et donc d’écouter les différents acteurs. Or, la question de l’artificialisation des sols est aussi révélatrice d’un certain échec de la démocratie territorialisée, qui semble nécessaire pour co construire des territoires résilients. Dans les collectifs, on a retrouvé cette volonté de participer aux différentes enquêtes publiques afin de faire entendre leurs voix et de proposer des alternatives. Cependant, ce n’est déjà pas possible pour tous les individus de se saisir des outils parfois très complexes mis en place lors de la consultation, d’autant plus que ces avis ne disposent d’aucun pouvoir contraignant. On retrouve alors une certaine défiance envers les collectivités territoriales, qui mettent en place des projets déconnectés de certaines aspirations, sans réellement prendre en compte les opinions de leurs propres contribuables.

    La nécessité de nouveaux paradigmes de développement territorial

    Si la lutte contre l’artificialisation des sols vise à protéger les terres agricoles, la biodiversité, les paysages, elle ne répond pas intrinsèquement aux impératifs de logement soulevés par l’accroissement démographique des décennies à venir et par le regain d’attractivité des zones périurbaines et rurales.

    Pour faire en sorte que la zéro artificialisation nette ne se charge pas d’externalités négatives et pour répondre aux besoins en logement, il est nécessaire d’abord de densifier le bâti. Si, pendant longtemps, les urbanistes et architectes ont cherché à éviter la densification du bâti, c’est aujourd’hui un thème qui est l’objet d’un regain d’intérêt politique, et qui semble être indissociable des objectifs de « durabilité » des ville12], notamment dans la mesure où la densification est la principale marge de manœuvre que laisse l’objectif de zéro artificialisation nette. Cet attrait pour la densité s’explique facilement : en plus de permettre la sobriété de la consommation foncière, c’est un outil privilégié pour limiter l’utilisation de la voiture en ville. Construire en hauteur permet également de limiter la consommation énergétique des bâtiments, et de bousculer l’inertie de l’offre immobilière en centre ville. L’enjeu réside dans le juste milieu entre densité trop faible ou trop forte. Les maux d’une

    densité trop élevée sont bien connus : l’urbain trop dense étouffe et amplifie, à raison, les désirs de quitter la ville et s’aérer loin chaque weekend, ce qui, en France, est souvent synonyme de recours à l’utilisation de l’automobile. Cette densité, pour rester attractive, se doit d’être mesurée. Le plus judicieux est de favoriser la densification des banlieues et des polarités périphériques13, qui sont encore relativement peu concernés par rapport aux centres urbains.

    Ensuite, la densification concerne autant l’habitat individuel que collectif, il semble nécessaire de l’accompagner d’un changement dans la perception que revêt l’habitat collectif, qui est particulièrement économe en consommation foncière. En effet, les représentations psychosociales sont davantage favorables à l’habitat pavillonnaire, notamment dans son opposition à l’habitat collectif, qui éloignerait les individu.e.s de la nature et ne permettrait pas l’épanouissement personnel14. Or, des projets d’habitat collectif ambitieux sont pensés et réalisés : les représentations que l’on peut s’en faire les rattachent à des idées préconçues et donc faussées.

    Enfin, peut-être faut-il également se pencher sur l’approche, uniquement quantitative, choisie par le législateur. Ainsi, Eric Charmes, dans la revue Etudes foncières, dénonce un débat public alarmiste qui « illustre en réalité un biais en défaveur du périurbain et de l’habitat individuel »15,. Eric Charmes propose de questionner l’artificialisation davantage à travers ses modalités : si on ne peut dénier que l’artificialisation progresse de plus en plus vite, il faudrait plus s’inquiéter de l’émiettement territorial induit par un processus d’étalement urbain relégué sans cesse plus loin16.

    Car si cet émiettement a l’avantage de permettre de concrètement vivre entre ville et campagne, il renforce les effets sur le paysage, la biodiversité et l’agriculture en démultipliant les zones de contacts17.

    1 La Fabrique Écologique. (2021, 14 octobre). Les défis de la lutte contre l’artificialisation des sols. Consulté     le         1          mars     2022,    à                              l’adresse https://www.lafabriqueecologique.fr/les-defis-de-la-lutte-contre-lartificialisation-des-sols/

    2 Légifrance. (2021, août 24). LOI n° 2021–1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. Consulté le 1 mars 2022, à l’adresse https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043956924

    3 La Fabrique Écologique. (2021, 14 octobre). Les défis de la lutte contre l’artificialisation des sols. Consulté     le         1          mars     2022,    à                              l’adresse https://www.lafabriqueecologique.fr/les-defis-de-la-lutte-contre-lartificialisation-des-sols/

    4 Ibid.

    5 Fédération Nationale des SCoT. (2021). Objectif ZAN : Évaluez l’impact sur votre territoire. Objectif-ZAN. Consulté le 16 mars 2022, à l’adresse https://www.objectif-zan.com/#/

    6 Cerema. (2020, 5 novembre). Zéro Artificialisation Nette : de forts enjeux, des leviers d’action pour les acteurs des territoires. Consulté le 16 mars 2022, à l’adresse https://www.cerema.fr/fr/actualites/zero-artificialisation-nette-forts-enjeux-leviers-action

    7 Gouvernement français. (2021, septembre). Le suivi de la consommation d’espaces NAF. Portail de l’artificialisation des sols. Consulté le 23 février 2022, à l’adresse https://artificialisation.developpement-durable.gouv.fr/suivi-consommation-espaces-naf

    8 Consultations publiques. (s. d.). Projet de décret relatif au rapport local de suivi de l’artificialisation des sols. Ministère chargé de la Transition écologique. Consulté le 17 mars 2022, à l’adresse http://www.consultations-publiques.developpement-durable.gouv.fr/projet-de-decret-relatif-au-rapport-l ocal-de-suivi-a2612.html

    9 Étude citée dans F. Fortin (2021, 9 mars), Documents d’urbanisme : une étude souligne la nécessité d’une définition partagée de la « pleine terre », MCM Presse pour Localtis. Consulté le 20 mars 2022 à l’adresse

    https://www.banquedesterritoires.fr/documents-durbanisme-une-etude-souligne-la-necessite-dune-def inition-partagee-de-la-pleine-terre

    10 La Fabrique Écologique. (2021, 14 octobre). Les défis de la lutte contre l’artificialisation des sols.

    11 Voir la rubrique “Recours locaux/“Revue de presse” sur le site de Notre Affaire à Tous

    12 Charmes, E. (2010, mai-juin) La densification en débat, Effet de mode ou solution durable ? Études foncières, 145. https://www.aurm.org/uploads/media/f7018dfe821c61135f2016a5d277c984.pdf

    13Charmes, E. (2010, mai-juin) La densification en débat, Effet de mode ou solution durable ? Études foncières, 145. https://www.aurm.org/uploads/media/f7018dfe821c61135f2016a5d277c984.pdf

    14 La Fabrique Écologique. (2021, 14 octobre). Les défis de la lutte contre l’artificialisation des sols.

    15 Charmes, E. (2013, 31 juillet). L’artificialisation est-elle vraiment un problème quantitatif ?) https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00849424/document

    16 Ibid

    17 Ibid

  • Vers une censure de l’intérêt à agir des associations de protection de l’environnement dans le contentieux administratif ?

    Article Rédigé par Ambre NICOLAS, Marie PAUNER, Céline LE-PHAT-VINH, avec la participation de Edgar PRIOUR, Alexandra GALLON, membres de l’association Notre Affaire A Tous

    Les fondamentaux de l’intérêt à agir des associations de protection de l’environnement et de la nature (APNE) dans le contentieux administratif

    Le droit à un recours effectif est garanti par l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’Homme, qui dispose que « toute personne dont les droits et libertés reconnus (…) dans la convention ont été violés a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale ». Sur ce fondement, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) exige des États membres qu’ils prévoient l’existence d’un recours interne permettant « [d’]examiner le contenu d’un grief défendable fondé sur la convention et à offrir le redressement approprié » (CEDH, 26 octobre 2000, Kudia c/ Pologne), et que ce recours soit « effectif en fait comme en droit » (CEDH, 27 juin 2000, Ihlan c/ Turquie). Le Conseil constitutionnel (Cons. Const. 9 avril 1996, n°96-373 DC) et le Conseil d’État (CE, 29 juillet 1998, Syndicat des avocats de France) ont en ce sens consacré le droit au recours comme un principe à valeur constitutionnelle. 

    Ce droit fondamental est toutefois soumis à des règles procédurales internes, au premier rang desquelles figure l’intérêt à agir.

    En matière contentieuse, l’intérêt à agir est une notion centrale, en ce qu’il conditionne la recevabilité d’un recours. Le∙a requérant∙e doit donc prouver l’existence d’un intérêt à agir né, actuel, direct, personnel et légitime afin d’accéder au tribunal. 

    Si la juridiction conclut à l’absence d’intérêt à agir, elle n’examinera pas le fond de l’affaire. En contentieux administratif, cela aura pour effet de maintenir dans l’ordonnancement juridique des actes administratifs potentiellement illégaux, entraînant par ricochet l’illégalité des actes pris sur leur fondement. Tel est le cas des décisions administratives individuelles qui sont prises sur le fondement d’actes administratifs réglementaires, par exemple. 

    Le Conseil d’État, dans son célèbre arrêt du 28 décembre 1906 Syndicat des patrons-coiffeurs de Limoges, pose pour la première fois le principe selon lequel l’intérêt à agir peut être individuel ou collectif. Cette décision a pour effet de reconnaître aux associations – comme aux syndicats – un intérêt à agir en justice.    

    Concernant les associations, il est nécessaire d’établir que les mesures contestées froissent les intérêts collectifs (matériels comme moraux) de l’ensemble des membres des associations, tels qu’ils résultent de leur champ d’intervention fixé par leurs statuts ou les textes les régissant. En matière d’environnement, les associations peuvent rechercher l’annulation de décisions individuelles (par exemple, des décisions portant autorisations en matière d’urbanisme, d’installations classées, de police des eaux…), de décisions règlementaires ou encore d’actes litigieux ayant des conséquences sur l’environnement. 

    Pour décider si une association de défense de l’environnement a un intérêt à agir en justice, le juge administratif va rechercher dans quelle mesure l’acte soumis à son contrôle porte atteinte aux intérêts collectifs correspondant à son objet social. 

    Cependant, le régime de l’intérêt à agir reste dominé par le refus d’admettre l’action populaire (ou actio popularis), qui « permettrait à tout justiciable de saisir le juge administratif de recours contre tout acte administratif » [1]. Ainsi, le Conseil d’Etat a jugé que « l’article 2 de la Charte de l’environnement aux termes de laquelle « toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement » ne saurait par lui-même, conférer à toute personne qui l’invoque intérêt pour former un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de toute décision administrative qu’elle entend contester » (CE, 3 août 2011, Mme Buguet).

    En outre, nous verrons au fil de l’article qu’un mouvement contemporain de limitation du droit au recours se développe, au regard d’un double objectif : limiter l’engorgement des juridictions administratives et assurer la protection des droits nés d’une décision administrative.

    La reconnaissance croissante du rôle des APNE

    « C’est une nouvelle transformation des recours contentieux qui se prépare. Jusqu’ici individuels, ils seront de plus en plus collectifs par l’intermédiaire d’associations (…) [qui] montreront plus de hardiesse et (…) d’esprit de suite dans les réclamations contentieuses (…) [et] feront juger des questions qui ne l’ont jamais été (…). C’est une nouvelle ère qui commence » [2].

    Comme le pressentait le doyen Hauriou, la montée en puissance, depuis les années 1970, des phénomènes sociaux que sont les questions environnementales et le rôle du droit et du juge dans les rapports entre l’Etat et les citoyen·ne·s, a conduit au développement du contentieux administratif mêlant protection de l’environnement et droit de l’urbanisme [3]. L’action des associations devient alors nécessaire, afin de contrôler l’administration publique désormais garante de la préservation de l’environnement [4]. Ce développement s’est donc accompagné d’une multiplication de dispositions offrant un large accès à la justice aux associations ー notamment de protection de l’environnement ー, les investissant ainsi d’un rôle de « chien de garde » [5] dans la société démocratique et l’Etat de droit [6].  

    Conscient qu’une grande partie des recours contre les autorisations d’urbanisme sont le fait d’associations de défense et reconnaissant ainsi la pertinence de la question de l’intérêt collectif, le juge administratif avait, dès 1951, admis leur recevabilité à contester un permis de construire [7]. Poursuivant le libéralisme du juge qui entendait largement l’intérêt à agir des associations [8], leur rôle a été pour la première fois consacré par la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, dont l’article 40 conférait à toute association ayant pour objet la protection de la nature et de l’environnement la possibilité « [d’]engager des instances devant les juridictions administratives pour tout grief se rapportant à celui-ci ». Cet article permettait également aux associations « régulièrement déclarées et exerçant, depuis au moins trois ans, leurs activités statutaires dans [ce] domaine », de faire l’objet d’un agrément. Dans une logique d’extension de cette disposition, la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement (dite loi Barnier) a élargi le domaine d’activités statutaires et l’objet social des associations, qui regroupent désormais la protection de la nature, l’amélioration du cadre de vie, la protection de l’eau, de l’air, des sols, des sites et des paysages, de l’urbanisme, ainsi que la lutte contre les pollutions et les nuisances [9]. Cette loi a par ailleurs inséré à l’ancien article L.252-4 du Code rural et de la pêche maritime, au profit de toute association agréée, une présomption d’intérêt agir « contre toute décision administrative ayant un rapport direct avec son objet et ses activités statutaires et produisant des effets dommageables pour l’environnement sur tout ou partie du territoire pour lequel elle bénéficie de l’agrément ». Ces dispositions ont été transférées aux articles L.142-1 et L.142-2 du Code de l’environnement par l’ordonnance du 18 septembre 2000 relative à la partie législative dudit code. 

    Cette codification a été suivie par l’entrée en vigueur, le 30 octobre 2001, de la Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement. Ses articles 2 et 4 disposent que le terme « public » englobe les associations, et contraignent les Etats à rendre leur système juridique national compatible avec l’obligation d’accorder reconnaissance et appui à celles ayant pour objectif la protection de l’environnement. Ainsi, son article 9 prévoit la possibilité, pour toute personne ayant un intérêt suffisant pour agir ou faisant valoir une atteinte à un droit, de former un recours devant une instance juridictionnelle dans une série d’hypothèses correspondant à une violation des dispositions du droit national de l’environnement [10]. La CJUE a eu l’occasion de juger que cet article, « lu conjointement » avec l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux garantissant le droit à un recours effectif, « doit être interprété en ce sens qu’une organisation de défense de l’environnement dûment constituée et fonctionnant conformément aux exigences prévues  par le droit national doit pouvoir contester devant une juridiction une décision d’autorisation d’un projet susceptible d’être contraire » à la législation européenne en matière de protection de l’environnement [11].  

    Est ainsi reconnu le rôle important que jouent des entités telles que les associations environnementales, en leur accordant une forme de qualité pour agir de lege conditionnée aux critères pertinents prévus par le droit interne [12]. 

    Une limitation progressive de l’accès à la justice des APNE

    Cependant, alors que les recours des associations confèrent une effectivité au droit de l’environnement ー en veillant à son respect et en mettant en évidence ses lacunes ー et légitiment la volonté du peuple inscrite à l’article 7 de la Charte de l’environnement consacrant la participation à l’élaboration des décisions publiques environnementales, leur accès au juge tend, notamment dans le contentieux de l’urbanisme, à être remis en cause [14]. 

    Ce mouvement de restriction a été entamé par la loi du 13 juillet 2006, qui a introduit l’article L.600-1-1 dans le Code de l’urbanisme. Cet article disposait alors que : « Une association n’est recevable à agir contre une décision relative à l’occupation ou l’utilisation des sols que si le dépôt des statuts de l’association en préfecture est intervenu antérieurement à l’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire ». Si cette disposition avait pour fondement la limitation du risque d’insécurité juridique des porteurs de projets en paralysant les recours dits abusifs, et a donc été déclarée conforme à la Constitution [15], sa modification par la loi ELAN du 23 novembre 2018 tend toutefois à sérieusement remettre en cause le droit au recours des associations. L’article impose désormais que le dépôt des statuts soit intervenu « au moins un an avant l’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire », et apparaît donc disproportionné au regard des enjeux environnementaux dont les associations assurent la préservation devant le juge administratif de la légalité des autorisations d’urbanisme.

    Par ailleurs, en affaiblissant grandement la teneur de la participation du public, la loi ASAP du 7 décembre 2020 s’inscrit dans cette lignée. En son article 44, elle prévoit notamment la réduction du délai d’exercice des demandes de concertation préalable des associations agréées, afin de débattre des impacts significatifs sur l’environnement et l’aménagement du territoire des projets, plans ou programmes concernés, de quatre à deux mois [16]. 

    Ainsi, en dépit d’un essor de l’intérêt à agir des associations de protection de l’environnement dans le contentieux de l’urbanisme dans les années soixante-dix, force est de constater son déclin depuis quelques années, « dont l’objet inavoué n’est rien d’autre que d’empêcher l’expression d’une liberté fondamentale : le droit au juge » [17].  L’heure ne semble plus à la garantie du rôle de « chien de garde » des associations […], mais « à la limitation de la capacité de recours […] par le jeu des délais ou des conditions d’intérêt à agir » [18]. En l’état actuel de la législation urbanistique, « les intérêts économiques auront [donc] eu raison de la démocratie environnementale » [19].

    Par ailleurs, la loi de modernisation de la justice de 2016 avait créé la possibilité pour les APNE agréées ou déclarées depuis 5 ans ayant un objet statutaire approprié, d’avoir recours à l’action de groupe environnementale. Cette innovation procédurale s’est toutefois soldée par un échec du fait de la lourdeur des conditions d’accès à ce type de recours [20].

    En outre, la protection de l’environnement commence par la possibilité de dénoncer et révéler les illégalités commises au regard du droit de l’environnement interne. Or, les multiples conditions que les APNE doivent satisfaire pour ne pas risquer de voir leur recours jugé irrecevable pour défaut d’intérêt à agir freinent celles-ci dans leurs actions, lorsqu’elles ne sont pas en possession de l’agrément prévu au titre de l’article L. 141-1 du Code de l’environnement. Les associations agrées ne suffisent pourtant pas à couvrir l’ensemble du territoire français et ainsi à réaliser cette mission de « chien de garde » de l’environnement reconnu par le juge jadis. De plus, ces freins se cumulent aux pressions conjoncturelles et structurelles que subit le monde associatif (baisse des subventions, suppression des emplois aidés, procès baillons…), ce qui empêche d’autant plus ces acteurs de réaliser leur mission.

    Se pose alors la question de la compatibilité de telles régressions et insuffisances avec la jurisprudence de la CJUE, qui considère que les règles nationales « doivent […] assurer un large accès à la justice » [21], et ne peuvent être aménagées de manière à rendre impossible pour les associations d’exercer leur droit d’ester en justice pour défendre l’intérêt général [22]. 

    Etant donné les faibles moyens pour garantir le respect de la législation interne, et la prééminence des actions citoyennes, il est donc primordial de rechercher des solutions d’ordre processuel pour permettre au plus grand nombre de défendre l’environnement et la nature. Ainsi, afin d’atteindre une meilleure protection de l’environnement : « L’enjeu est toujours le même : plus les conditions d’accès au juge sont souples, plus le droit de l’environnement a des chances de s’appliquer » [23].

    Par conséquent, l’association Notre Affaire A Tous propose plusieurs pistes de réflexion pour ouvrir l’accès à la justice à l’ensemble des usager∙e∙s de la justice environnementale.

    Propositions pour une levée des freins d’ordre processuels et une extension de l’accès à la justice environnementale

    1. Supprimer la condition d’ancienneté des APNE en contentieux de l’urbanisme

    L’agrément « environnement » sert en réalité à scinder les APNE en deux catégories, et l’une serait plus légitime que l’autre à accéder au juge pour demander le respect du droit.

    « L’agrément différencie les associations ayant un intérêt focalisé, un intérêt local diversifié, un intérêt pluridimensionnel à qui l’agrément peut être conféré, des associations ayant un intérêt local ponctuel et des associations para-administratives » [24].

    Désormais, cette analyse séparatiste s’est complexifiée, enterrant le « succès de l’acronyme NIMBY (Not In My Backyard), significativement présenté comme un « syndrome » par les élus et les professionnels de l’urbanisme et de l’aménagement » [25]. Les conflits localisés ne sont en réalité que la conséquence de l’échec de l’adhésion du public à un projet qui impacte leurs droits fondamentaux, dont le droit à un environnement sain. Un projet irrespectueux de l’environnement doit donc pouvoir être contesté par les personnes désireuses de représenter l’intérêt de la protection de l’environnement.

    C’est pourquoi Notre Affaire demande que soit supprimée la condition d’ancienneté de l’association requérante d’un an avant l’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire, fixée à l’article L.600-1-1 du code de l’urbanisme, alors que le droit européen et le droit international prévoient un large accès à la justice en matière environnementale.

    2. Élargir l’accès au juge aux citoyen·ne·s et particulièrement aux victimes climatiques

    La reconnaissance de l’actio popularis permettrait à tou·te·s citoyen·ne·s de demander la réparation des dommages causés, en leur ouvrant le droit de défendre les intérêts collectifs et les droits de la nature.

    Il est possible d’encadrer l’actio popularis pour ne la permettre qu’à certaines conditions : en démontrant sa compétence spéciale dans le domaine concerné [26], en limitant cette action à celles et ceux dont les intérêts personnels ont été atteints, « ou encore en s’inspirant du droit chilien, [en admettant] que toute personne vivant dans le voisinage du lieu de pollution peut agir en défense des intérêts collectifs environnementaux » [27], par exemple.

    Notre Affaire A Tous, constatant l’impact disproportionné du dérèglement climatique et la violation des droits fondamentaux subis par les personnes les plus fragiles [28], souhaite plus particulièrement que cette actio popularis soit ouverte aux victimes climatiques, notamment par le biais du droit à un environnement sain

    Le droit à un environnement sain tend progressivement à être reconnu aux niveaux international (droit humain essentiel pour l’exercice des autres droits selon une résolution récente du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies [29]), européen (en tant que principe d’interprétation et de source de règles procédurales [30]), et interne (par déduction des articles 2 et 3 de la Charte de l’environnement, malgré la réticence du Conseil d’Etat [31]).

    Bien qu’encore insuffisamment encadré, la reconnaissance progressive du droit à un environnement sain permettrait de soutenir les actions citoyennes provenant des victimes climatiques, qui sont nombreuses en France : une première action juridique a été intentée en ce sens. 43 parents ont en effet demandé au préfet de la Drôme qu’il se saisisse de ses compétences pour assurer la santé alimentaire de leurs enfants, et demandent ainsi à ce que soit appliqué le droit de l’environnement au sein de leur territoire [32].

    Notre Affaire A Tous estime que les victimes climatiques, atteintes dans leur droits fondamentaux, doivent pouvoir accéder aux juges pour demander réparation de leur préjudice, tout en représentant les intérêts de la nature.

    3. Prévoir des espaces de démocratie locale dédiés à l’environnement

    En premier lieu, dans le but d’instaurer un dialogue environnemental dirigé au niveau local impliquant les collectivités territoriales, Notre Affaire A Tous souhaite que soient créées des Maison de l’accès à la justice écologique (MAJE) [33]. Cette proposition avait été développée par les élu.e.s du Groupe Ecologiste de Paris 20e et groupe Génération.s 20e [34]. La MAJE permettrait ainsi non seulement de mettre à disposition des ressources pour les usager∙e∙s de la justice environnementale, mais serait également un espace de médiation environnementale. En sus, elle permettrait de déployer toutes les procédures de participation et d’information du public dans un même lieu.

    Le bureau de l’accès aux ressources en justice écologique est le point central, la première ligne de la MAJE : les citoyennes et citoyens qui s’estiment en prise avec un différend écologique viennent y exposer, en confidentialité, leur problème à un membre de l’équipe technique qui les oriente vers la seconde ligne, plus spécialisée. La MAJE est un incubateur de médiations environnementales : s’y forment des médiateur·trice·s aux processus nécessaires dans un milieu visant à les développer, en amont de contentieux ou dans l’exécution de décisions. 

    Par des échanges d’expériences, par des rencontres, les initiatives ainsi conduites permettraient de donner un corps pratique aux dispositions de la Convention d’Aarhus, et de rendre visible et lisible aux citoyen·ne·s l’accès à l’information et à la justice. Cette mutualisation dès l’origine serait extrêmement porteuse de potentialités. Des premières approches sont conduites dans quelques territoires, qu’il conviendrait de concrétiser. Notre Affaire A Tous souhaite que de telles initiatives soient approfondies et mises en place.

    En deuxième lieu, Notre Affaire A Tous souhaite que soit créé un poste de Défenseur·e de l’environnement sur le modèle de celui de Défenseur∙e des droits, tel que proposé par la Convention Citoyenne pour le Climat. 

    Sur mission du Premier ministre, la députée LREM Cécile Muschotti a ainsi rendu un rapport « création d’un défenseur de l’environnement et des générations futures » le 16 juillet 2021, dans lequel sont étudiées les conditions de sa faisabilité. Le·a Défenseur·e de l’environnement serait ainsi à la fois garant·e des règles et médiateur·trice entre les acteurs.trices − notamment entre l’administration et les administré·e·s −, ce qui répondrait au manque de confiance ressenti par les citoyen·ne·s.

    L’augmentation de la médiation environnementale permettrait d’une part une résolution des conflits plus diverse, et d’autre part aux jeunes associations qui ne possèdent pas l’agrément et aux citoyen·ne·s impactées par la crise environnementale, d’exercer leur mission de « chien de garde » auprès de l’Etat, et d’accéder à une résolution des conflits.

    Il n’existe pas encore aujourd’hui d’entité publique incarnant clairement et seulement la protection de l’environnement qui servirait d’interlocuteur∙trice et d’intermédiaire entre les pouvoirs publics et les administré∙e.s.

    Notre Affaire à Tous demande que cette proposition de création du poste de Défenseur·e de l’environnement soit reçue positivement et mise en place. Néanmoins, il sera préférable de déterminer précisément les moyens donnés à ce poste en termes de pouvoirs d’investigation et de sanction. Les contours de sa mission seront donc à définir pour que ce poste apporte une réelle plus-value au manque de dialogue environnemental et au manque de ressources en justice environnementale.

    NOTES

    [1] GUINCHARD Serge et DEBARD Thierry, Lexique des termes juridiques 2021-2022

    [2] Conseil d’Etat, 21 décembre 1906, Syndicat des Propriétaires et Contribuables du Quartier Croix de Seguey Tivoli. Rec. 962. Concl. Romieu; S. 1907, 3, 33, note Hauriou; D. 1907, 3, 41, concl. Romieu, In : HOSTIOU René,  « Aménagement et environnement : le contentieux associatif devant les juridictions administratives », Droit et Ville, 1980, n° 9-10, p. 216

    [3]  BUSSON Benoist, « Le mauvais procès des recours des associations : faux arguments et vraies menaces » In: Revue Juridique de l’Environnement [en ligne], n°1, 2001. pp. 59-71, [consulté le 04/11/2021]

    [4] REHBINDER Eckard, « L’action en justice des associations et l’action populaire pour la protection de l’environnement » In: Revue Européenne de Droit de l’Environnement [en ligne], n°1, 1997. pp. 16-42 [consulté le 04/11/2021]

    [5] CEDH, 27 mai 2004, Vides Aizsardzibas Klubs c/ Lettonie

    [6] BUSSON Benoist, « Le mauvais procès des recours des associations : faux arguments et vraies menaces » In: Revue Juridique de l’Environnement [en ligne], n°1, 2001. pp. 59-71, [consulté le 04/11/2021]

    [7] Conseil d’Etat, 14 décembre 1951, Société pour l’esthétique générale de France, In : SOLER-COUTEAUX Pierre et CARPENTIER Elise, Droit de l’urbanisme (7e édition), HyperCours, Dalloz, 2019, 1128 p

    [8] HOSTIOU René,  « Aménagement et environnement : le contentieux associatif devant les juridictions administratives », Droit et Ville, 1980, n° 9-10

    [9] Ancien article L.252-1 du Code rural et de la pêche maritime

    [10] THIEFFRY Patrick, Traité de droit européen de l’environnement et du climat (4e édition), Bruxelles, Bruylant, 2020,1862 p.

    [11] CJUE, 20 décembre 2017, Protect Natur-, Arten und Landschaftsschutz Umweltorganisation c/ bezirkshauptmannschaft Gmünd, In : THIEFFRY Patrick, Traité de droit européen de l’environnement et du climat (4e édition), Bruxelles, Bruylant, 2020,1862 p.

    [12] Communication de la Commission européenne du 28 avril 2017 sur l’accès à la justice en matière d’environnement, C(2017), 2616 final

    [13] HOSTIOU René,  « Aménagement et environnement : le contentieux associatif devant les juridictions administratives », Droit et Ville, 1980, n° 9-10

    [14] BUSSON Benoist, « Le mauvais procès des recours des associations : faux arguments et vraies menaces » In: Revue Juridique de l’Environnement [en ligne], n°1, 2001. pp. 59-71, [consulté le 04/11/2021]

    [15] Conseil constitutionnel, Décision n° 2011-138 QPC du 17 juin 2011, Association Vivraviry [Recours des associations]

    [16] BOUSQUET Jérémy, « Le volet environnemental de la loi ASAP, une régression », AJ Collectivités territoriales [en ligne], 2021, p.74, [consulté le 14/11/2021]

    [17] BUSSON Benoist, « Le mauvais procès des recours des associations : faux arguments et vraies menaces » In: Revue Juridique de l’Environnement [en ligne], n°1, 2001. pp. 59-71, [consulté le 04/11/2021]

    [18]  BOUSQUET Jérémy, « Le volet environnemental de la loi ASAP, une régression », AJ Collectivités territoriales [en ligne], 2021, p.74, [consulté le 14/11/2021]

    [19] Ibid

    [20] RADISSON Laurent, “Pourquoi l’action de groupe environnementale ne fonctionne pas”, Actu-environnement, 19 juin 2020, disponible sur : <https://www.actu-environnement.com/ae/news/action-groupe-environnement-rapport-mission-assemblee-nationale-35684.php4 >

    [21] CJUE, 15 octobre 2009, Djurgården-Lilla Värtans Miljöskyddsförening c/ Stockholms kommun genom dess marknämnd, C-263/08

    [22] Communication de la Commission européenne du 28 avril 2017 sur l’accès à la justice en matière d’environnement, C(2017), 2616 final

    [23] HAUTEREAU-BOUTONNET Mathilde, et TRUILHE Eve. « Des procès pour renforcer l’effectivité du droit de l’environnement », Les Cahiers de la Justice, vol. 3, no. 3, 2019, pp. 431-440

    [24] LEOST Raymond, « L’agrément des associations de protection de l’environnement », Revue juridique de l’environnement, 1995, n°2, pp. 265-285

    [25] DECHEZELLES Stéphanie et OLIVE Maurice, « Introduction », Norois [En ligne], 238-239 | 2016, mis en ligne le 17 octobre 2016, consulté le 02 décembre 2021. Disponible sur : < Http://journals.openedition.org/norois/5843> 

    [26] GIP Mission de recherche Droit et Justice (convention de recherche n° 216.09.28.12 du 29 septembre 2016), Le procès environnemental, Du procès sur l’environnement au procès pour l’environnement, sous la direction de Eve TRUILHE,  Mathilde HAUTEREAU-BOUTONNET, CERIC (CNRS- Aix-Marseille Université), Institut de Droit de l’Environnement (UMR5600 EVS) Université de Lyon 3, Recherche achevée en 2019-05-12, disponible sur :

    < http://www.gip-recherche-justice.fr/publication/le-proces-environnemental-du-proces-sur-lenvironnement-au-proces-pour-lenvironnement/>

    [27] Ibid.

    [28] BAUDOUIN Clothilde et ZALCMAN Julie, Un climat d’inégalités, Les impacts inégaux du dérèglement climatique en France, 2020, Notre Affaire A Tous, disponible sur : <https://preprod.notreaffaireatous.org/wp-content/uploads/2020/12/InegalitesClimatiques_rapport.pdf>

    [29] Conseil des droits de l’homme, Nations Unies, A/HRC/RES/48/13, 18 octobre 2021, disponible sur : <https://undocs.org/fr/A/HRC/RES/48/13 >

    [30] CORNE James, Le droit à un environnement sain en droit de l’UE, N°9 Newsletter des affaires climatique – Droit à un environnement sain, 18 novembre 2020, disponible sur : <https://preprod.notreaffaireatous.org/wpcontent/uploads/2021/03/CORNE_UE_Partie_2.docx.pdf?utm_source=sendinblue&utm_campaign=La_newsletter_des_affaires_climatiques_n10_!&utm_medium=email#:~:text=Page%204,Le%20droit%20%C3%A0%20un%20environnement%20sain%20en%20droit%20de%20l,substantiellement%20diff%C3%A9rente%E2%80%8B7%E2%80%8B.>

    [31] V. CE, 3 août 2011, n° 330566, B. et a. : Environnement et dév. Durable, 2011, comm. 124, note P. TROUILLY

    [32] KUSY Yannick (France 3 Auvergnes Rhône-Alpes), 43 parents drômois reprochent au préfet de ne pas suffisamment agir pour leur territoire, 15 avril 2021, disponible sur  : <https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/rhone/lyon/securite-environnementale-43-parents-dromois-reprochent-au-prefet-de-ne-pas-suffisamment-agir-pour-leur-territoire-2044219.html >

    [33] Les Verts/ ALE, Notre Affaire A tous, Marie TOUSSAINT, Guide à destination des collectivités territoriales, Pour les droits de la nature, revivifier la démocratie locale et l’aménagement du territoire, disponible sur : <https://d3n8a8pro7vhmx.cloudfront.net/marietoussaint/pages/218/attachments/original/1627028835/MARIE_2021_livret_A4_20p_web.pdf?1627028835>

    [34] Conseil d’arrondissement du 29 mars 2021 Paris 20ème ,Vœu relatif à la création d’une Maison de l’accès à la Justice écologique (MAJE), Disponible sur  :

    <https://cdn.paris.fr/paris/2021/03/31/5bad228dbba54941679cfce85eb218d9.pdf

  • Quelle démocratie voulons-nous pour l’aménagement des territoires de demain ?

    Par Olivia Gervais, Chloé Gerbier et Edgar Priour-Martin, membres de Notre Affaire à Tous

    La participation du public dans l’aménagement du territoire : un enjeu de démocratie locale majeur

    Participation, consultation, concertation, co-construction… De quoi parlons-nous ?

    Le principe de participation du public consiste à associer les habitant·e·s, citoyen·ne·s aux processus de décisions en mobilisant ou en impliquant dans la démarche de réflexion ou de construction d’un projet ou d’un programme d’aménagement. 

    • La consultation : le niveau de base de la participation puisque les citoyen·ne·s sont seulement consulté·e·s sur un projet déjà défini. La décision revient aux décideur·euse·s, non aux consulté·e·s. Elle fait partie de la procédure obligatoire pour les décisions qui ont une incidence directe et significative sur l’environnement. 
    • La concertation : sur le même principe que la consultation, la décision finale revient aux décideur·euse·s mais le projet cette fois est censé n’être défini que dans ses grands principes. La procédure a donc plus de chances d’enrichir le projet, d’ouvrir le débat, d’être concertée avec les administré·e·s. 
    • La co-construction : la décision est partagée. La co-construction d’un projet reste à l’initiative des décideur·euse·s, elle n’est pas prévue réglementairement. 

    Le droit à l’information et le principe de participation procèdent de l’intention de promouvoir une démocratie environnementale. Plus transparente, l’action publique est mieux acceptée et comprise si les citoyen·ne·s ont été consulté·e·s et ont eu en amont la possibilité de faire partie de la prise de décision. 

    Souvent, contre de nombreux projets inutiles et polluants, les citoyen·ne·s ont beaucoup de choses à dire, iels sont mobilisé·e·s, pensent  à l’avenir de leurs enfants, à la qualité de l’air, de la terre, de l’eau qui impacte leur santé. Leur avis compte car ce sont les premier·e·s concerné·e·s et iels peuvent  constituer un rempart contre le désastre écologique à venir. Pour cela, les citoyen·ne·s ont besoin de pouvoir s’emparer des outils de la participation, d’avoir accès à la prise de décision, et de pouvoir influencer des documents décisifs comme les plans locaux d’urbanisme (PLU) par exemple. 

    Il s’agira tout d’abord de passer en revue les droits de participation et d’information tels qu’ils sont consacrés dans les textes de loi, en les comparant à la réalité des enquêtes publiques d’aujourd’hui, et en rappelant le phénomène actuel de détricotage du droit de l’environnement – I. Nous analyserons ensuite la consultation comme une participation en trompe-l’œil – II, avant de proposer une analyse prospective de la participation de demain III

    I. Les droits à l’information et à la participation du public

    A. Des droits garantis aux échelles européenne et nationale

    Ces droits sont consacrés à l’échelle européenne, notamment sous l’égide de la directive 2001/42/CE relative à l’évaluation stratégique environnementale en vue de l’évaluation de certaines incidences des plans et programmes (1) sur l’environnement. Mais ces principes sont consacrés de la même façon concernant les projets susceptibles d’avoir une incidence sur l’environnement, les installations particulièrement polluantes, les dérogations aux interdictions d’atteintes aux espèces protégées, etc. 

    Afin d’entériner l’information et la participation du public, les directives européennes en font une étape-clé du processus décisionnel en matière environnementale. 

    En droit français, la Charte de l’environnement fait partie de la Constitution française depuis 2005, et reprend aussi dans son article 7 les principes d’information et de participation en affirmant que « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ».

    La loi française décline au sein du code de l’environnement ces principes en établissant des procédures d’élaboration des plans et programmes et d’autorisation des projets ayant des incidences sur l’environnement (2). 

    La première étape de ces procédures est l’évaluation environnementale. Ce processus débute par l’établissement d’une étude d’impact permettant le recensement des enjeux environnementaux liés au projet. Elle permet un éclairage objectif et exhaustif du projet permettant l’information et la participation effectives du public. 

    L’étude d’impact est ensuite soumise à l’avis de plusieurs personnes publiques associées (notamment des collectivités concernées). Leurs avis sont joints à l’étude d’impact, aboutissant à la composition du dossier d’enquête publique. Ce dossier permet aux citoyen·ne·s de s’informer sur le contenu et les impacts du projet en gestation. 

    La tenue de cette enquête publique répond à des règles de procédure strictes, en termes de délais et de publicité (annonce à 15 jours du début de l’enquête, pour une durée de 30 jours minimum), autant que de suivi, avec la désignation d’un commissaire-enquêteur qui est chargé du bon déroulé des réunions publiques et de la récolte des avis déposés. 

    Néanmoins, le juge administratif considère que les insuffisances procédurales  portant atteinte au dossier, comme des omissions au sein de l’évaluation environnementale, « ne sont susceptibles de vicier la procédure et ainsi d’entacher d’irrégularité l’autorisation que si elles ont eu pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative » (3). 

    Par conséquent, les erreurs de l’étude d’impact se rapportant à l’état initial de l’environnement ou aux effets du projet sur celui-ci ne sont sanctionnées qu’à l’aune des principes de participation et d’information du public. Ce dispositif fait de l’enquête publique un outil pivot de la mise en œuvre de projets, plans ou programmes ayant un impact sur l’environnement. 

    B. La triste réalité des enquêtes publiques

    Pourtant, force est de constater que cette forme de participation ne permet pas d’atteindre les objectifs que s’est fixés la loi. Les enquêtes publiques ne permettent pas au public d’accéder aux informations intéressant les projets menaçant l’environnement, ni de participer réellement à la prise de décision concernant les choix d’aménagement du territoire qui y sont liés. 

    En effet, certaines enquêtes publiques, malgré le fait qu’elles soient mises en œuvre sur les communes concernées par le projet, voient leur taux de participation demeurer très bas. Les registres n’affichent bien souvent que quelques remarques. Les réunions publiques permettant le respect du droit à la participation et l’information des citoyen·ne·s sont donc vidées de leur sens si celles-ci ne trouvent pas preneur. 

    La publicité de ces enquêtes est pourtant assurée, mais un encart dans un ou deux journaux locaux et l’affichage en mairie ne suffisent pas à transmettre les enjeux liés à ces réunions. 

    Au-delà de cette publicité légale minimale, la publicité d’un projet est laissée à la main de son·sa promoteur·trice, qui n’a pas intérêt à attirer l’attention sur le volet environnemental de celui-ci. Il se trouve ainsi aussi peu médiatisé que possible. 

    De la même façon, en dehors de quelques avis légaux c’est bien souvent l’approche du promoteur·trice (qui finance l’étude d’impact) qui est mise en avant lors de ces réunions, et le projet est présenté de manière à emporter le plus d’adhésion. 

    De la même manière, le niveau de publicité des procédures d’élaboration des plans et programmes d’aménagement varie énormément en fonction des collectivités, et du contenu du document à faire approuver. Si la révision du plan local d’urbanisme de Paris, en vue d’en faire « le premier PLU bioclimatique de France » (4) a fait l’objet d’une large médiatisation (5), ce n’est malheureusement pas le cas de la plupart des procédures menées partout ailleurs. 

    En l’absence d’information et de publicité, l’enquête publique n’est plus qu’un passage obligé dans une procédure légale, et non un outil de participation.

    Quelques collectifs arrivent néanmoins à se saisir de l’enquête publique qui leur permettra de faire valoir lors des réunions un avis dissident et questionner les failles du dossier. Ce moment peut aussi être celui d’une mobilisation massive des citoyen·ne·s se regroupant autour de leur volonté commune de préserver leur droit à un environnement sain. Dans ce cas, des avis défavorables au projet, plan ou programme sont souvent portés à la connaissance du commissaire-enquêteur, qui peut aussi organiser des rendez-vous particuliers avec les collectifs mobilisés. Néanmoins le·la commissaire-enquêteur·rice ne rend que de manière exceptionnelle un avis défavorable à l’issue de l’enquête publique : malgré les remarques ou objections, celui-ci ou celle-ci estime que les réponses du porteur du plan, programme ou projet a pour effet de lever ces réserves dans une grande majorité des cas. Dès lors, l’enquête se conclut sur un avis favorable du ou de la commissaire-enquêteur·rice, parfois avec de simples réserves. 

    La réforme des enquêtes publiques permettant une option de participation dématérialisée n’a pas suffi à relever les taux réels de participation qui restent plutôt bas. 

    Malgré sa centralité, le procédé peine donc, d’une part, à fournir des informations complètes et impartiales au citoyen·ne, et d’autre part, à faire état de manière fidèle de son opinion. Dans les faits, information et participation sont donc partiellement mises en œuvre dans le processus.

    C. Le détricotage minutieux du droit de l’environnement

    Ces enquêtes publiques, malgré une efficacité controversée, restent un formalisme protecteur. Pourtant, elles pâtissent du détricotage continu du droit de l’environnement, notamment pendant la période de pandémie de Covid-19.

    En effet, les procédures d’exception sont de plus en plus nombreuses. En avril dernier, un décret a reconnu un pouvoir général de dérogation aux préfet·e·s, notamment en matière environnementale (6). Les préfet·e·s peuvent depuis dispenser certains projets de la procédure de droit commun évoquée ci-dessus, si cette dérogation est « justifiée par un motif d’intérêt général et l’existence de circonstances locales », et qu’elle a « pour effet d’alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure ou de favoriser l’accès aux aides publiques ».

    Un décret du 3 juillet poursuit dans ce sens et assure aux préfet·e·s la décision dans les procédures dites de « cas par cas » visant à déterminer si un projet doit se soumettre ou non à une étude d’impact environnemental. Le 17 juillet, la consultation sur les projets de décret et d’arrêté prend fin de manière discrète. Pourtant ces actes apportent une réduction des périmètres de procédure ICPE et de projets soumis à autorisation environnementale, principalement dans le secteur de la logistique. 

    Traduction dans les faits de cette philosophie, le 20 juillet le gouvernement annonce l’aménagement de 66 nouveaux sites « clé en main », où les procédures administratives ont été effectuées avant la désignation du maître d’ouvrage à l’échelle du site. Pourtant, l’étude d’impact et l’enquête publique sur le site sont effectuées bien en amont de la désignation du maître d’ouvrage et les projets sont à ce moment encore très flous. Les procédures demeurent donc vagues et n’apportent pas de garanties.

    D’autre part, la loi ASAP (« loi d’accélération et de simplification de l’action publique ») du 7 décembre 2020 prévoit à son article 44 que le·la préfet·e pourra préférer une consultation électronique à l’enquête publique classique afin d’accélérer la procédure des projets nécessitant une autorisation environnementale. 

    II. La consultation, participation en trompe-l’oeil

    A. L’exemple des consultations en ligne

    Ainsi, comme on le voit avec l’exemple de la loi ASAP, la tendance législative est à la multiplication des consultations en ligne. Mais cette forme de participation ne permet ni d’impliquer plus de citoyen·ne·s, ni de faire état de manière fidèle des opinions exprimées.  

    En effet, les associations et parties prenantes déjà mobilisées sur les questions posées constitueraient l’essentiel des contributeur·trice·s. La consultation n’est pas diffusée, ou presque, en amont et comme le souligne le rapport publié par la commission nationale du débat public, « le choix des dates des consultations est dicté par l’agenda politique ou réglementaire et ce critère n’est pas rendu public » (7). 

    Le principe même de consultation ne cherche pas à remettre en question la logique verticale de l’administré·e et du décideur·euse puisqu’elle est à l’initiative de celui-ci, qui garde le pouvoir de décision et qui, simplement, consulte. D’ailleurs, dans ce rapport, on peut aussi lire que les décideur·euse·s accordent plus d’importance au comptage des positions plutôt qu’à la compréhension des arguments. La méthode n’est pas de concerter, et encore moins de co-construire, mais plutôt de mieux asseoir la légitimité du représentant·e politique.

    L’intérêt d’une consultation n’est donc pas d’écouter les participant·e·s ou de s’intéresser à leurs réponses, mais plutôt d’y rassembler un maximum de participant·e·s, afin de légitimer l’action publique visée.

    Enfin, le rapport précité de la CNDP constate la tendance des pouvoirs publics à synthétiser les contributions sans les relier à la décision. En effet, « certaines consultations, notamment locales, comportent des considérants qui ne mentionnent pas les résultats de l’analyse des commentaires, voire pas la consultation elle-même, mais plutôt d’autres éléments de contexte. […] Il n’est pas évident pour le grand public de faire le lien entre sa participation et son influence sur la décision finale puisque même matériellement, ce lien n’est pas établi » (8).

    B. L’exemple emblématique de Notre-Dame-des-Landes

    Dans certains cas, la consultation est même truquée par les pouvoirs publics qui la mettent en place, puisque orientée par le choix des questions qui sont posées ou même par le périmètre de consultation choisi. En la matière, l’exemple du processus de participation autour du projet de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ayant abouti à un surprenant référendum est emblématique. 

    En 2015, François Hollande annonçait l’organisation d’un référendum local hors de toute procédure établie pour trancher la question du lancement ou non de l’ancien projet d’aéroport, datant des années 1960, et connaissant une vive et tout aussi ancienne opposition. Le référendum s’est finalement transformé en consultation en raison du flou juridique de la procédure. 

    Les gouvernements Valls, et Ayrault avant lui, s’étaient prononcés ouvertement pour la construction de l’aéroport. Ces gouvernements, et les précédents, n’avaient pas réussi à passer en force par la police. Ce référendum annoncé était donc le moyen de donner une nouvelle assise légitime à ce projet, en mettant l’opinion publique du côté du gouvernement. Le choix du  périmètre de la Loire-Atlantique a été très contesté puisque le projet d’aéroport relevait de l’Etat et qu’il était également financé par les régions voisines.  Ensuite, la question qui a été posée (« êtes-vous favorable au transfert ? ») a été considérée dès le départ biaisée par beaucoup d’opposant·e·s au projet puisqu’elle sous-entendait que l’aéroport de Nantes serait fermé alors même qu’il était prévu que cet aéroport serve à Airbus pour des tests d’engins. Par ailleurs, la façon dont ont été menés les rares débats au préalable a été vivement critiquée. Les questions économiques, sociales et écologiques étant évitées, le débat fut vidé de toute substance utile à une prise de décision éclairée. 

    Malgré le résultat prévisible de la consultation, favorable à la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, la ZAD est restée occupée et les travaux n’ont pas commencé. Le nouveau gouvernement promettait de se décider en janvier 2018. Finalement, le projet a été officiellement abandonné le 17 janvier 2018, présenté comme une impasse par les pouvoirs publics, notamment par Edouard Philippe qui réaffirmait que la déclaration d’utilité publique avait été lancée, que les recours avaient été purgés, que la population avait été consultée et que le débat aurait dû être clos, mais en reconnaissant que le « contexte d’opposition exacerbé », a conduit à ce que cet « aéroport de la division » soit finalement abandonné. 

    Ainsi, on voit bien avec cet exemple que la consultation est parfois instrumentalisée afin de légitimer des décisions déjà prises. Finalement, cet outil initialement présenté comme un moyen de promouvoir une démocratie environnementale peut parfois s’avérer être plutôt un moyen de valider des choix controversés. Éviter ce genre de contournement et assurer le respect du principe de participation du public semble nécessaire pour garantir une démocratie environnementale et participative.

    III. Participation de demain, définir ensemble les territoires

    L’enjeu du plan local d’urbanisme (intercommunal)

    Certaines initiatives citoyennes comme la contribution au plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi), portée par une association intégrée au sein de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes (9), proposent de nouvelles manières d’organiser les plans locaux d’urbanisme. En l’espèce, la contribution (10) proposait de faire apparaître la ZAD comme une zone mixte qui ne rentre pas dans les zones réglementaires traditionnelles (à urbaniser, agricoles, urbaines, …), puisque c’est une terre issue de la lutte sur laquelle s’exercent des activités agricoles mais pas seulement : certain·e·s y vivent sans être agriculteur·trice. Malheureusement, elle n’a pas été prise en compte par les pouvoirs publics. 

    Les documents d’urbanisme sont établis conformément au code de l’urbanisme, et à l’échelle des collectivités. Le plus courant est le plan local d’urbanisme, pris à l’échelle d’une commune (PLU), ou d’une intercommunalité (PLUi). Il définit sur le territoire des zones et leur affectation à certaines activités (zones agricoles, urbaines, à urbaniser ou naturelles). L’élaboration du PLU ainsi que son adoption est à la charge du conseil municipal ou communautaire. 

    Au sein du document d’urbanisme se décident d’ores et déjà les futures zones protégées ou urbanisées à l’échelle du territoire. Ce document est soumis aux procédures de participation du public comme susmentionné. 


    Actuellement, les acteur·trice·s de l’environnement se mobilisent (parfois) au moment de l’adoption du plan local d’urbanisme, néanmoins iels peinent à se faire entendre et à mobiliser autour de ce sujet. De plus, hors de ces périodes d’adoption du PLU, ces acteur·trice·s utilisent peu cet outil comme moyen de transformation et de protection de l’environnement direct, alors que ces documents peuvent être révisés à tout moment.

    Les plans locaux d’urbanisme, en ce qu’ils influent directement sur notre vie quotidienne, devraient faire l’objet d’une plus grande publicité, les citoyen·ne·s devraient donc être davantage informé·e·s des conséquences de ceux-ci sur leur vie quotidienne. 

    Réduire la complexité au niveau de ces documents reviendrait à enseigner largement leur utilité et leur mode de fonctionnement aux citoyen·ne·s. En effet, l’action des collectivités en matière d’aménagement du territoire, régie à l’article L101-2 du code de l’urbanisme, doit être dirigée afin de poursuivre les objectifs de développement durable, notamment en protégeant les milieux naturels et en luttant contre le changement climatique. 

    Pourtant, nombre de collectivités ne poursuivent pas ces objectifs en continuant d’urbaniser massivement au détriment de leur population.  

    Les citoyen·ne·s peu averti·e·s ne peuvent se saisir de ces outils. Une meilleure connaissance des enjeux permettrait une participation plus effective autour des phases d’élaboration du plan. Une personne d’ores et déjà engagée aura à ce moment-là l’opportunité d’allier un plus grand nombre à sa cause et d’intéresser par les intérêts individuels à une plus grande protection de l’environnement. Si cette solution n’est pas la panacée elle permet néanmoins des garde-fous, puisqu’en alliant une majeure partie de la population à la participation, dans le cas où la décision en serait déconnectée, la population participante accepterait mal la décision finale. 

    Les propositions émises de manière éclairée au vu des différents intérêts en présence devraient être prises en compte, et pourraient aboutir au choix le plus bénéfique pour l’environnement. La seule manière de faire que la décision se porte sur ce choix est de responsabiliser les citoyen·ne·s participant·e·s, et de reconnaître qu’en faisant un choix à haute visée environnementale iels ont conscience des conséquences possibles de celui-ci sur d’autres intérêts et éventuellement sur leurs libertés individuelles. Pour cela une transparence sur les enjeux et une ouverture complète des problématiques propres au territoire est nécessaire. 

    Si dans un premier temps elle n’est pas légalement contraignante, la participation deviendrait néanmoins liante en termes d’acceptabilité. De plus, dans une logique électoraliste, elle pousserait les instances décisionnaires à s’aligner sur la volonté commune ou du moins à ne pas trop s’en écarter.

    Il s’agirait donc dans notre exemple du PLU : d’éclairer ses enjeux, de les exposer le plus largement possible, afin de permettre aux citoyen·ne·s d’établir leur propre balance vis-à-vis de ces enjeux, et de permettre une décision en lien avec ceux-ci. 

    B. Propositions pour le droit de la participation du public de demain

    A propos des pistes législatives qui permettraient cette participation accrue, nous pouvons penser notamment à l’instauration d’un seuil de participation minimale de la population lors de l’élaboration des documents d’urbanisme. En effet, un tel seuil pousserait les collectivités locales à user d’une plus grande pédagogie et de publicités autour de l’élaboration des documents afin d’obtenir l’intérêt des citoyen·ne·s du territoire concerné. 

    D’autre part, instaurer un référendum local lors de l’ouverture d’une zone à l’urbanisation peut être une manière d’évaluer si cette urbanisation répond réellement à l’utilité publique locale. Par exemple, lors de l’ouverture d’une zone d’aménagement concerté, celle-ci est amorcée sous l’égide de l’intérêt public du territoire, ce qui sous-entend que le territoire manque d’un aménagement. Afin de déterminer si ce besoin est réel ou s’il répond à des intérêts privés et des motivations simplement économiques, la meilleure solution semble être de demander aux citoyen·ne·s leur opinion. 

    Enfin, instaurer des conseils citoyens à l’échelle des établissements publics de coopération internationale (EPCI), des départements ou des régions, sur le modèle de la Convention Citoyenne pour le Climat, pourrait être un moyen de hiérarchiser les projets et les axes d’aménagement du territoire selon une volonté désintéressée. Ces démarches existent déjà sur des sujets très concrets comme l’aménagement d’un littoral submersible en Normandie ou de certains centre-villes à redynamiser. Néanmoins, ici, tout l’enjeu serait de traiter les politiques publiques du territoire de manière plus globale.

    Toutefois, la mise en place d’une telle institution n’aurait de sens que si celle-ci est dotée d’un véritable pouvoir d’initiative et de décision, ou tout du moins de blocage de la décision politique. A cet effet, notons que les grandes intercommunalités ont déjà l’obligation, depuis 2015,  d’instituer un conseil de développement, censé représenter les « milieux économiques, sociaux, culturels, éducatifs, scientifiques, environnementaux et associatifs » et être consultés « sur l’élaboration du projet de territoire, sur les documents de prospective et de planification résultant de ce projet, ainsi que sur la conception et l’évaluation des politiques locales de promotion du développement durable » (11).

    Mais qui a déjà entendu parler de ces institutions ? Si certaines agglomérations se sont saisies de cet outil (12), d’autres l’ont laissé à l’état de coquille vide, ne respectant pas l’obligation minimale de consultation fixée par la loi (13). Preuve de l’échec de cette instance : si en 2015, la loi imposait à toutes les intercommunalités de plus de 20 000 habitant·e·s de s’en doter, elle a relevé ce seuil à 50 000 habitant·e·s en 2019, le rendant facultatif en-dessous de ce seuil. 

    Conclusion ― L’émergence d’un débat public éclairé

    Les outils démocratiques existent donc déjà pour une large part. Il convient désormais que les citoyen·ne·s et les collectivités, par le biais de leurs assemblées élues, s’en emparent. 

    L’exemple de la Convention Citoyenne pour le Climat a démontré que le processus de décision s’inscrit nécessairement dans un temps long, qui permet à chacun·e de prendre connaissance et de débattre du sujet abordé. Même dans un format accéléré (sept week-ends de réunions seulement), la Convention aura nécessité six mois pour formuler ses 149 propositions. 

    Mais les processus de participation resteront lettre morte s’ils ne s’incorporent pas aux processus de décision. La Convention Citoyenne pour le Climat n’aura été qu’une expérience sociale, et non un réel moment démocratique, si ses propositions ne sont pas reprises (ou au moins étudiées) par le Parlement et l’exécutif.

    De la même manière, les mécanismes d’association des habitant·e·s aux décisions intéressant l’aménagement du territoire où ils et elles vivent ne seront réellement démocratiques que lorsqu’ils permettront de faire émerger un débat citoyen éclairé, que la décision politique devra réellement prendre en compte. 

    Notes

    1.  Ces plans et programmes sont des documents réglementaires de planification encadrant les projets d’aménagement (publics et privés) sur un territoire donné.
    2.  Articles L123-1 et R123-1 et suivants du code de l’environnement. 
    3.  Conseil d’Etat, 14 octobre 2011, n°323257 ; Conseil d’Etat, 15 mai 2013, n°353010.
    4.  Dorothée Laperche, Actu Environnement, Révision du plan local d’urbanisme, Paris a consulté les habitants, 12 novembre 2020.
    5.  Emeline Cazi, Le Monde, Plus de végétalisation et de concertation… Paris veut adapter son plan local d’urbanisme à l’urgence climatique, 23 juillet 2020.
    6. Décret n° 2020-412 du 8 avril 2020 relatif au droit de dérogation reconnu au préfet.
    7.  Mélanie Goffi, Commission nationale du débat public, Avis sur les consultations en ligne, 19 décembre 2019, page 16.
    8.  Mélanie Goffi, Commission nationale du débat public, op. cit., page 23.
    9.  L’association pour un Avenir commun dans le Bocage à la construction d’un projet de territoire post-aéroport du Grand Ouest (AACB) : https://zad.nadir.org/ 
    10.  Tiens voilà le PLUi ! Contribution au Plan Local d’Urbanisme Intercommunal pour l’avenir de la ZAD – Zone A Défendre, 11 octobre 2018.
    11.  Article L5211-10-1 du code général des collectivités territoriales.
    12.  Par exemple, Tours Métropole Val de Loire : https://codev.tours-metropole.fr/ 
    13.  Par exemple, le Conseil de développement de Caen Normandie Métropole n’a plus d’activité depuis 2014: http://www.caen-metropole.fr/tags/conseil-developpement 
  • Environnement et santé dans la jurisprudence de la CEDH

    Par Grâce Favrel, avocate au barreau de Paris et membre de Notre Affaire à Tous

    A titre préliminaire, il est important de rappeler que la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après, “la Convention”) ne contient aucune référence implicite ou explicite à l’environnement. Cela s’explique par le fait que la Convention a été signée par les Etats membres du Conseil de l’Europe en 1950, bien avant l’émergence de préoccupations environnementales sur la scène internationale. Si par la suite, plusieurs initiatives ont tenté de faire adopter un Protocole additionnel, consacrant le droit de vivre dans un environnement sain, rattaché à la Convention, ces dernières se sont toutes heurtées à la frilosité des organes politiques du Conseil de l’Europe. 

    Nonobstant l’absence d’un droit à l’environnement, à la faveur d’une approche évolutive tenant compte des évolutions de la société, le juge de Strasbourg a développé une jurisprudence en matière environnementale reposant principalement, mais pas uniquement, sur le nexus santé et environnement. Cette jurisprudence consacre une protection par ricochet d’un droit à l’environnement lorsque la dégradation de l’environnement peut compromettre l’exercice des droits garantis par la Convention. 

    La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après, “la Cour”) en matière de santé et d’environnement, a pu, entre 1990 et 2003, paraître progressiste. Cependant, elle a depuis perdu de son audace. Se cantonnant à protéger le droit à la santé environnementale, la Cour a par ailleurs bornée son contrôle aux situations extrêmes. Il y a d’ailleurs peu d’arrêts récents sur cette question.

    Si les affaires relatives à l’environnement ont pu être traitées sous l’angle du droit à la propriété, protégé par l’article 1 du Protocole additionnel numéro I, les requêtes afférentes à la santé environnementale ont été traitées principalement au regard de leur compatibilité aux article 2 et 8 de la Convention (I). Malgré une jurisprudence parfois créative, la position de la Cour en matière de santé environnementale est insuffisante au regard des aspirations de la société et de l’urgence climatique (II). 

    I. Les fondements textuels en cas d’atteinte à l’environnement causant une dégradation de l’état de santé

    En de rares occasions, la cour a sanctionné les atteintes à la santé environnementale au visa de l’article 2. Le plus souvent cependant, c’est sur le fondement de l’article 8 que la Cour apprécie de telles affaires. 

    a) L’article 2 : le droit à la vie

    Aux termes de l’article 2 de la Convention :

    « Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi ».

    Cette disposition impose aux Etats de s’abstenir d’infliger délibérément la mort, en dehors des exceptions prévues par ledit article. En outre, la Cour a déduit de l’article 2 une obligation positive des Etats de prendre toutes les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes, y compris lorsque le danger provient de l’action d’entités privées. C’est ainsi que la Cour a pu considérer que la protection de l’article 2 s’appliquait dans le contexte d’activités dangereuses. 

    Selon la Cour, l’obligation positive des Etats implique en premier lieu que les Etats mettent en place une législation protectrice adaptée au risque encouru. En second lieu, les Etats doivent garantir l’information du public en cas de danger. Enfin, l’article impose des obligations procédurales aux Etats, qui se doivent de mettre en place des mesures de surveillance et en cas d’incident des procédures de détermination de responsabilité. 

    Le manquement à l’obligation positive des Etats, tiré de l’article 2, a ainsi été sanctionné dans l’arrêt Öneryildiz contre Turquie concernant l’explosion de méthane survenue dans une décharge municipale.  Se fondant sur les rapports d’experts qui avaient attiré l’attention des autorités sur un tel risque, la Cour a considéré que l’Etat avait manqué à son obligation positive de prendre des mesures préventives pour protéger les personnes vivant à proximité de la décharge. Il a également été reproché à la Turquie de ne pas avoir informé les résidents sur le risque qu’ils encouraient ainsi que les lacunes de sa législation (CEDH 30 novembre 2004, Öneryildiz contre Turquie, requête n°48939/99).

    b) L’article 8 : le droit à la vie privée et familiale

    L’article 8 de la Convention prévoit que :

    « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 

    2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

    Grâce à une interprétation extensive de la notion de domicile, le juge de Strasbourg a pu développer une jurisprudence au visa de l’article 8. Selon la Cour : 

    « [Le domicile est] conçu non seulement comme le droit à un simple espace physique mais aussi comme celui de la jouissance, en toute tranquillité dudit espace. Des atteintes au droit au respect du domicile ne visent pas seulement les atteintes matérielles ou corporelles telles que l’entrée dans le domicile d’une personne non autorisée mais aussi les atteintes immatérielles ou incorporelles, telles que les bruits, les émissions, les odeurs et autres ingérences. Si les atteintes sont graves, elles peuvent priver une personne de son droit au respect du domicile parce qu’elles l’empêcheraient de jouir de son domicile » (CEDH 16 février 2005, Moreno Gómez contre Espagne, requête n°4143/0, §53).

    Au motif que l’article 8 de la Convention ne contient aucun droit exprès à l’environnement, la Cour rappelle de manière constante qu’une dégradation de l’environnement n’entraîne pas nécessairement une violation dudit article. Pour qu’une question relève de l’article 8, il convient de démontrer un seuil de gravité suffisant. Selon la Cour, la gravité peut s’apprécier tant à l’aune de l’atteinte à l’environnement qu’à l’aune des conséquences sur l’état de santé du requérant.  

    C’est notamment ce qui ressort de l’arrêt Lopez Ostra contre Espagne, où la Cour a estimé qu’« une grave pollution de l’environnement peut porter atteinte au droit à la vie privée et familiale sans pour autant mettre en grave danger la santé » (CEDH 9 décembre 1994, requête n°16798/90, §51).  Dans cette affaire, Madame Lopez avait été contrainte de quitter son logement en raison des nuisances causées par une station d’épuration et sur recommandation du pédiatre de son enfant. Les autorités espagnoles qui ne remettaient pas en cause l’existence de nuisances, arguaient de l’absence de risque sanitaire grave pour contester la violation alléguée de l’article 8. Cet argument n’a pas été entendu par les juges de Strasbourg. 

    Dans l’affaire Fadeïeva contre Russie, la Cour a relevé  que « les éléments de preuve indirecte et les présomptions concordent si étroitement qu’il est possible d’en déduire que l’exposition prolongée de l’intéressée aux émissions industrielles rejetées par le complexe Severstal est la cause de la dégradation de son état de santé » (CEDH 9 juin 2005, Fadeïeva contre Russie, requête n°55723/00, §88). Ayant estimé que les autorités avaient laissé s’installer une activité polluante enfreignant les normes écologiques définies par l’Etat dans une zone fortement peuplée, la Cour condamna la République de Russie pour avoir manqué à l’obligation positive de prévention qu’il tient de l’article 8.

    Le même raisonnement a été tenu dans l’arrêt Dubetska et autres contre Ukraine au sujet de l’exploitation d’une mine de charbon (CEDH 10 février 2011, Dubetska et autres contre Ukraine, requête n°30499/03).

    II. Les limites de la création prétorienne de la Cour en matière de santé et d’environnement

    Si la jurisprudence de la Cour permet de protéger les individus d’une atteinte à l’environnement qui porterait préjudice à leur état de santé, trois limites peuvent être constatées. 

    Premièrement, la Cour se refuse à reconnaître un droit à un environnement sain. Deuxièmement, lorsqu’est en cause une question liée à la santé et l’environnement, la Cour reconnaît une large marge d’appréciation aux Etats, réduisant ainsi l’étendue de son contrôle. 

    a) Le refus de reconnaître un droit à un environnement sain

    La Cour se refuse dans ses arrêts à reconnaître explicitement le droit à un environnement sain. Par un arrêt de Grande chambre, la Cour estime que : 

    « la protection de l’environnement doit être prise en compte par les Etats lorsqu’ils agissent dans le cadre de leur marge d’appréciation et par la Cour lorsqu’elle examine la question du dépassement ou non de cette marge, mais il ne serait pas indiqué que la Cour adopte en la matière une démarche particulière tenant à un statut spécial qui serait accordé aux droits environnementaux de l’homme » ( CEDH 8 juillet 2003, Hatton et autres contre Royaume Uni, requête n° 36022/97, § 122). 

    Dans le même esprit, l’arrêt Faïdeva contre Russie rappelle que « les droits et libertés protégés par la Convention ne comportent pas un droit à la préservation de la nature en tant que tel » (Fadeïeva contre Russie, Ibid., §68). Par ailleurs, dans l’affaire Kyrtatos contre Grèce du 22 mai 2003, la Cour affirme sans équivoque que « ni l’article 8 ni aucune autre disposition de la Convention ne garantit spécifiquement une protection générale de l’environnement en tant que tel ; d’autres instruments internationaux et législations internes sont plus adaptés lorsqu’il s’agit de traiter cet aspect particulier » (CEDH 22 mai 2003, Kyrtatos contre Grèce, requête n° 41666/98, §52)

    Il s’ensuit que la Cour se borne à une protection de l’environnement par ricochet. En vertu de ce principe « l’élément crucial qui permet de déterminer si, dans les circonstances d’une affaire, des atteintes à l’environnement ont emporté violation de l’un des droits sauvegardés par le paragraphe 1 de l’article 8 est l’existence d’un effet néfaste sur la sphère privée ou familiale d’une personne, et non simplement la dégradation générale de l’environnement. » (Ibid.). Dès lors, des atteintes à l’environnement qui n’entraîneraient pas simultanément une atteinte à d’autres droits ne peuvent pas être sanctionnées par la Cour. La Cour adopte ainsi une approche anthropocentriste qui empêche toute protection per se des éléments naturels. 

    Au demeurant, les principes développés par la Cour en matière de santé et environnement font obstacle à l’action des associations œuvrant pour la protection de l’environnement. En effet, selon les critères d’applicabilité des articles 2 et 8 définis par la Cour, seule une personne individuelle peut porter une requête, ce qui est inadapté au contentieux environnemental. Cela empêche par ailleurs toute action préventive, ce qui est contraire au principe de précaution désormais bien établi en droit de l’environnement. 

    b) La large marge d’appréciation reconnue aux Etats

    La Cour rappelle que les autorités nationales sont les mieux placées pour appréhender les aspects sociaux et techniques des questions environnementales. Pour cette raison, elle reconnaît une large marge d’appréciation aux Etats dans l’évaluation de l’équilibre qui doit être ménagé entre les intérêts divergents, que peuvent constituer l’économie, l’environnement et la santé.

    Ce faisant, elle se borne à effectuer un contrôle de l’erreur manifeste. Parmi les affaires sanctionnées par la Cour, beaucoup impliquent un manquement des Etats à leur obligation de faire appliquer le droit interne comme dans l’affaire Faïdeva contre Russie. De même la Cour veille au respect par les Etats d’un processus décisionnel permettant la réalisation d’enquêtes et d’études appropriées, accessibles au public (voir CEDH 20 avril 2010, Öckan et autres c. Turquie, requête no 18893/05 ou CEDH 6 juillet 2009, Tătar contre Roumanie, requête n°67021/01). 

    En somme, la censure de la Cour est exceptionnelle et ne s’applique qu’en cas de manquement extrême des Etats. 

    Pour conclure, le manque d’audace de la Cour en matière de santé et d’environnement est éloquent. Force est en effet de constater que l’approche évolutive de la Cour, n’a permis ni de protéger effectivement la santé environnementale des individus ni de s’adapter à l’urgence environnementale.

    Alors qu’en matière de protection des libertés fondamentales les standards de protection dégagés par la Cour sont une référence ; en matière d’écologie, la Cour pourrait bien apprendre de certains tribunaux nationaux. 

  • La protection de la santé et de l’environnement dans la jurisprudence du Conseil Constitutionnel

    Par Sandy Cassan-Barnel, membre de Notre Affaire à Tous

    Introduction

    La constitutionnalisation de la santé et de l’environnement n’ont pas débuté à la même période. Il est aisé de donner une explication à cette situation : si la santé a toujours été une préoccupation des sociétés humaines, la question de la protection de l’environnement est une notion tout à fait moderne, qui n’a rencontré de véritable écho politique seulement dans les dernières décennies. Les deux notions sont, pourtant, indéniablement liées. Si, aujourd’hui, l’être humain s’intéresse à la protection de l’environnement, c’est d’abord pour protéger sa santé.

    Sur le plan juridique, comme le rappelle Jacqueline Morand-Deviller (1), “le lien entre environnement et santé s’observe assez fréquemment”. Ainsi, si “beaucoup de constitutions font état de manière lapidaire d’un « droit à la protection d’un environnement sain » (Belgique), alias « droit à un environnement équilibré et respectueux de la santé » (France). La Russie limite ce droit à la « réparation du préjudice causé à sa santé par une infraction écologique » (art. 42)” (2). Elle souligne que :

    D’autres États consacrent un long article ou un paragraphe spécifique développant les éléments de ce droit, comme la constitution brésilienne qui va jusqu’à inclure le contrôle des manipulations génétiques dans « la protection de l’environnement sain et des écosystèmes » et comme la Constitution portugaise (art. 64) qui après avoir énoncé que « protéger sa santé est un droit, la préserver et l’améliorer est une obligation qui s’impose à tous » énumère les moyens de rendre cette protection effective grâce, notamment aux conditions environnementales

    Enfin, elle continue en exposant que : “Le lien environnement-santé est le plus souvent énoncé de manière expresse : cf. Constitution albanaise (art. 59), autrichienne (art. 10). Il est rare que ce lien n’apparaisse pas, c’est cependant le cas de la Constitution italienne qui traite du droit de la santé de manière autonome (art. 32)” (3).

    Michel Prieur (4) rappelle qu’après l’adoption de la Charte, son initiateur déclarait : « les articles de la Charte consacrent un nouveau droit individuel, celui de vivre dans un environnement équilibré et favorable à la santé» (5). En effet, l’article 2 de la Charte de l’environnement prévoit que  “chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré respectueux de la santé”. Ainsi, la Charte associe environnement et santé. Un environnement “équilibré” est donc celui dans lequel l’être humain conserve sa santé. Il s’agit ainsi, d’un milieu de vie qui n’engendre pas de détérioration de la santé car on l’aura lui-même préservé. 

    Il s’avère donc intéressant de s’interroger sur la constitutionnalisation des ces notions. A la fois, au regard de la constatation, par le Conseil Constitutionnel, de leur existence (I) et de la reconnaissance de leur valeur et de leurs effets, qui reste, toutefois, limitée (II).

    I. La réception, par le Conseil Constitutionnel, de la protection de la santé et de l’environnement

    Le Conseil Constitutionnel a d’abord constaté l’existence d’un principe de protection de la santé dont la mise en oeuvre incombait aux pouvoirs publics (A). Puis, plus tardivement, avec l’adoption de la Charte de l’environnement en 2005, il a pu affirmer l’existence d’un principe de protection de l’environnement et de son lien avec la protection de la santé (B).

    La constitutionnalisation de la protection de la santé comme mission incombant aux pouvoirs publics

    La protection de la santé fait partie intégrante du bloc de constitutionnalité : aux termes du onzième alinéa du Préambule à la Constitution de 1946, la Nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs« . 

    Dès 1975, dans le cadre de sa décision historique “IVG” (6), le Conseil Constitutionnel a recours au Préambule de 1946 et à la disposition relative au droit à la protection de la santé en les considérant comme faisant partie du droit positif. Dans son considérant n°10, la décision précise que la loi, objet du contrôle, “ne méconnaît pas le principe énoncé dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, selon lequel la nation garantit à l’enfant la protection de la santé”, sans pour autant préciser la valeur juridique de cette disposition. Dans sa décision du 18 janvier 1978 (7), le Conseil accepte d’examiner si une loi ne méconnaît pas le “droit à la santé” tout en restant silencieux sur sa valeur. Ce n’est qu’en 1980 que le Conseil Constitutionnel reconnaît que la protection de la santé revêt “le caractère d’un principe de valeur constitutionnelle’” (8).  Il devait se prononcer, en l’espèce, sur l’exercice du droit de grève. Certes, le Conseil reconnaît la valeur constitutionnelle du droit de grève mais précise tout de suite qu’“il a des limites” (9) et que “la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour effet de faire obstacle au pouvoir du législateur d’apporter à ce droit les limitations nécessaires en vue d’assurer la protection de la santé (…) qui a le caractère d’un principe de valeur constitutionnelle” (10).

    Lorsque l’on aborde la nature d’un principe à valeur constitutionnelle, une autre question se pose : celle de savoir qui est le débiteur de ce principe. En tout état de cause, les personnes publiques qui détiennent les moyens matériels d’assurer cette protection sont les premières débitrices des obligations qui découlent de ce principe constitutionnel. C’est dans ce sens que va l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946, puisqu’il fait de l’Etat le principal débiteur de la protection de la santé. La disposition précise, ainsi, que la “Nation garantit à tous (…) la protection de la santé”. C’est donc à l’Etat, en tant que personne morale représentant la Nation, qu’incombe cette mission (11).

    Si les premières mentions de la protection de la santé dans un texte de valeur constitutionnelle remontent à la première moitié du vingtième siècle, la constitutionnalisation du droit de l’environnement et de son lien avec la protection santé est bien plus récente.

    La constitutionnalisation du lien entre santé et environnement

    Jusqu’en 2005, on ne trouve aucune mention de l’environnement dans le bloc de constitutionnalité. Il faut attendre, cette année-là, l’adoption de la Charte de l’environnement, adossée à la Constitution française, pour voir évoquée la question environnementale au niveau constitutionnel français.

    Lors de l’adoption de la Charte de l’environnement (12) un large débat portait sur la question de savoir si l’ensemble des dispositions de la Charte était revêtu d’une valeur constitutionnelle. Le Conseil Constitutionnel a rapidement dû se prononcer, aidé par l’entrée en vigueur d’un nouveau mode de saisine, la Question prioritaire de constitutionnalité (ci-après, “QPC”), qui a permis de développer, de manière incidente, le nombre de saisine et changé la nature des questions soumises (13). Toutefois, c’est dans le cadre d’une saisine parlementaire que le Conseil a pour la première fois statué sur la valeur constitutionnelle de la Charte. En 2008, il lui était demandé de contrôler la conformité de la loi relative aux OGM à la Constitution (14). D’abord, il fait référence dès le visa de sa décision à la Charte de l’environnement aux côtés de la Constitution. Puis, il a recours à la Charte dans ses motifs. Ainsi, dans son considérant 18, la décision du Conseil Constitutionnel cite l’article 5 de la Charte, relatif au principe de précaution, pour ensuite préciser “que ces dispositions, comme l’ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement, ont valeur constitutionnelle” (15). 

    Au-delà de la santé et de l’environnement pris isolément, ces deux sujets sont intrinsèquement liés. Par exemple, la santé-environnement (environmental health) (16) est une “branche de la santé publique qui se concentre sur les relations entre les personnes et l’environnement, promeut la santé humaine et son bien-être et favorise des communautés saines” (17). Traiter cette thématique dans la charte de l’environnement apparaissait donc essentiel. C’est ainsi que dès son premier article, la Charte de l’environnement proclame : “Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé” (18).

    Il s’agit, maintenant, d’analyser la valeur et les effets des dispositions relatives à la santé et l’environnement dans la Constitution française telles que accueillis par le Conseil Constitutionnel.

    II. La valeur et les effets des principes de protection de la santé et de l’environnement limités par leur nature

    Même si la constitutionnalisation de la santé et de l’environnement, en France,  ne s’est pas faite au même rythme, leur valeur et leurs effets sont identiques (A) en raison de la nature de ces principes (B).

    La reconnaissance récente de la valeur constitutionnelle de la protection de la santé et de l’environnement et de ses effets contraignants

    Dans la décision QPC M. Michel Z et autres, le Conseil Constitutionnel était appelé à se prononcer sur la valeur constitutionnelle de l’article 1 de la Charte de l’environnement. Le caractère restrictif de la QPC limitant la procédure au contrôle des dispositions législatives qui porterait atteinte aux “droits et libertés que la Constitution garantit” (19), il s’agissait de savoir si l’article 1er entrait dans la catégorie des “droits et libertés que la Constitution garantit”.

    Dans son considérant n°5, le Conseil admet d’opérer son contrôle au regard des articles 1 et 2 de la Charte de l’environnement en précisant que : “le respect des droits et devoirs énoncés en termes généraux par ces articles s’impose non seulement aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leur domaine de compétence respectif mais également à l’ensemble des personnes” (20). Ce qui se pose en filigrane lorsque l’on s’interroge sur la valeur d’une disposition du bloc de constitutionnalité n’est autre que la question de ses destinataires et du régime auxquels ils seront soumis en cas d’atteinte à cette disposition.

    Dans la décision OGM de 2008 (21), le Conseil Constitutionnel précise qui sont les débiteurs des dispositions de la Charte de l’environnement en affirmant “qu’elles s’imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leur domaine de compétence respectif” (22). Il restait silencieux sur la possibilité que les personnes privées puissent être des destinataires des dispositions de la Charte. Il va plus loin dans la décision QPC M. Michel Z en incluant les personnes privées parmi les débiteurs des dispositions de la Charte de l’environnement (23). Le considérant 5 de la décision (24) explique que les articles 1 et 2 de la Charte de l’environnement s’appliquent, non seulement, aux “pouvoirs publics”, “mais également à l’ensemble des personnes” et “qu’il résulte de ces dispositions que chacun est tenu à une obligation de vigilance à l’égard des atteintes à l’environnement qui pourraient résulter de son activité” (25). Dès lors, ces dispositions ont non seulement un effet vertical puisque les pouvoirs publics doivent les respecter et toute personne peut se prévaloir d’un manquement à ces dispositions par les autorités publiques devant un juge, mais, également un effet horizontal qui vaudra dans les rapports entre particuliers. De cet effet horizontal découle l’obligation de vigilance qui est, ensuite, citée dans le considérant 5 de la décision (26). Dès lors, “cette obligation de vigilance peut fonder, lorsqu’elle est méconnue, une action en responsabilité” (27). 

    Toutefois, le Conseil Constitutionnel renvoie au législateur le soin “de définir les conditions dans lesquelles une action en responsabilité peut être engagée sur le fondement de la violation de cette obligation” (28). Ainsi, en pratique, le texte dispose d’une faible autonomie dans la mesure où le Conseil Constitutionnel confie un large pouvoir d’appréciation en la matière.

    Et, en effet, la portée limitée de ces principes découle de leur nature.

    Objectifs de valeur constitutionnelle et liberté d’appréciation du législateur : une position inhérente à la substance des principes de protection de la santé et de l’environnement

    La protection de la santé et de l’environnement ne sont pas, seulement, des “droits et libertés que la Constitution garantit” mais font l’objet d’une appropriation, par le Conseil Constitutionnel, sous la forme de la technique de l’objectif de valeur constitutionnelle.

    En effet, il arrive au Conseil de les utiliser comme moyen de limiter d’autres droits et principes constitutionnels. Il y a, ici, une distinction à faire entre, d’une part,  l’hypothèse où la protection de la santé et de l’environnement ne visent pas à justifier l’atteinte portée à une autre exigence constitutionnelle, mais que les requérants dénoncent directement leur méconnaissance : dans ce cas, le Conseil qualifie ces exigences de droit à la protection de la santé ou de l’environnement. D’autre part, lorsqu’il s’agit de les confronter à un autre droit ou liberté constitutionnel, ils seront qualifiés “d’objectifs de valeur constitutionnelle”. En effet, la notion d’objectif de valeur constitutionnelle a pour fonction d’éviter de conférer un caractère absolu aux principes de valeur constitutionnelle.

    C’est en 2012 et 2019 que le Conseil Constitutionnel a qualifié la protection de la santé et de l’environnement d’objectif de valeur constitutionnelle. 

    Dans sa décision 2012-248 QPC (29) constate que la protection de la santé constitue un objectif de valeur constitutionnelle. Ici, la protection de la santé vient limiter la portée des droits à la vie privée et mener une vie familiale normale (30). La disposition en cause conférait à la mère sur le point d’accoucher un droit à l’anonymat et la gratuité de la prise en charge lors de l’accouchement. Les requérants contestent cette disposition sur le fondement du droit à la vie privée et du droit à mener une vie familiale normale. Le Conseil justifie la position du législateur en précisant qu’il “a entendu éviter le déroulement de grossesses et d’accouchements dans des conditions susceptibles de mettre en danger la santé tant de la mère que de l’enfant et prévenir les infanticides ou des abandons d’enfants” (31). Il conclut en soulignant que le législateur “a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé” (32). De la sorte, le Conseil Constitutionnel opère une confrontation entre plusieurs principes constitutionnels qui le conduit à faire prévaloir la protection de la santé sur le droit à la vie privée et le droit de mener une vie familiale normale.

    Le raisonnement opéré par le Conseil Constitutionnel en ce qui concerne la protection de l’environnement est identique. Dans une décision de janvier 2020 (33) le Conseil Constitutionnel s’est prononcé sur la constitutionnalité de dispositions relatives à l’exportation des produits phytopharmaceutiques. La partie requérante soulevait la question de la constitutionnalité de l’atteinte à la liberté d’entreprendre qui résultait de l’interdiction d’exportation prévue par les dispositions en cause. Après avoir rappelé la valeur constitutionnelle de la liberté d’entreprendre et cité le préambule à la Charte de l’environnement, le Conseil énonce que “la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains, constitue un objectif de valeur constitutionnelle” (34). Le Conseil a, ensuite, reconnu que les dispositions contestées portaient bien atteinte à la liberté d’entreprendre (35). Puis, il rappelle qu’il ne dispose pas d’un pouvoir d’appréciation de même nature que le législateur (36). Il souligne que l’atteinte a pour dessein de protéger la santé et l’environnement et conclut que “le législateur a porté à la liberté d’entreprendre une atteinte qui est bien en lien avec les objectifs de valeur constitutionnelle de protection de la santé et de l’environnement poursuivis” (37). 

    La position du Conseil constitutionnel est largement compréhensible. Au-delà d’une justification résultant de la nature des deux institutions : un organe élu n’a nécessairement pas le même pouvoir de décision qu’un organe de contrôle, elle s’explique par la nature des principes en cause.

    En effet, santé et environnement sont, par essence, des principes mouvants largement dépendants des données scientifiques, elles aussi, en perpétuelle évolution. Il est délicat, pour le Conseil Constitutionnel, d’avoir une position permanente sur les sujets s’y rapportant. Naturellement, c’est au législateur (38) qu’il revient d’assurer la protection de la santé et de l’environnement dans le respect des exigences constitutionnelles en ce que l’adoption et l’application des lois ne revêtent pas un caractère de permanence identique à celui de la Constitution. Alors que la Constitution est difficilement modifiable et est composée de principes suffisamment généraux et universels pour traverser les décennies, voire les siècles, la loi doit être adaptée aux besoins de l’époque en dépit de sa définition de norme générale et abstraite. Le Conseil Constitutionnel laisse libre le législateur d’opérer ses choix au regard des connaissances techniques (39). Il limite ainsi l’étendue de son contrôle à, d’une part, l’adéquation entre les moyens retenus par le législateur et les finalités poursuivies. Et, d’autre part,  à l’absence de déséquilibre manifeste dans la conciliation des objectifs et principes constitutionnels (40).

    Notes

    1.  Jacqueline Morand-Deviller, ‘L’environnement dans les Constitutions étrangères”, Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n°43, avril 2014 https://www.conseil-constitutionnel.fr/nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel/l-environnement-dans-les-constitutions-etrangeres
    2.  Ibid. 
    3.  Ibid. 
    4.  Michel Prieur, “Promesses et réalisations de la Charte de l’environnement”, Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n°43, avril 2014.
    5.  Jacques Chirac, « Message lu au colloque de la Cour de cassation le 20 juin 2005 », RJE, n° spécial 2005, p. 24.
    6.  Conseil constitutionnel n°54-1975 DC, IVG, 15 janvier 1975, RJC I-130.
    7.  Conseil constitutionnel n°77-92 DC, 18 janvier 1978, Loi relative à la mensualisation et à la procédure conventionnelle, cons. 2 : “ Considérant qu’aucune de ces dispositions ne méconnaît davantage le  droit à la santé (…)”.
    8.  Conseil constitutionnel n°80-117 DC, Loi sur la protection et le contrôle des matières nucléaires, 22 juillet 1980, cons. 4, Journal officiel du 24 juillet 1980, page 1867, Rec. p. 42
    9.  Cons. 4.
    10.  Ibid. 
    11.  Marie-Laure Mocquet-Anger, “Santé et Constitution : l’exemple français”, RDSS 2013, p. 128.
    12.  Loi constitutionnelle n°2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000790249
    13.  On rappellera ici qu’avant la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, il n’était pas possible, en France, de voir une partie à un procès contester la constitutionnalité a posteriori d’une loi puisque seule la saisine a priori, par les représentants de la République, n’était admise en France.
    14.  Conseil constitutionnel n°2008-564 DC, Loi relative aux organismes génétiquement modifiés, 19 juin 2008.
    15.  Cons.18.
    16.  santé-environnement
    17. https://www.apha.org/topics-and-issues/environmental-health
    18.  Article 1 Charte de l’environnement de 2004 https://www.conseil-constitutionnel.fr/le-bloc-de-constitutionnalite/charte-de-l-environnement-de-2004
    19.  Article 61-1 Constitution française.
    20.  Cons. 5
    21.  Conseil constitutionnel n°2008-564 DC, Loi relative aux organismes génétiquement modifiés, 19 juin 2008.
    22.  Ibid. 
    23.  Conseil constitutionnel n°2011-116 QPC, M. Michel Z et autre, 8 avril 2011. 
    24.  Article 1 Charte de l’environnement de 2004 “Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé” – Article 2: “Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement”.
    25.  Op. Cit. Cons. 5 
    26.  Ibid. “il résulte de ces dispositions que chacun est tenu à une obligation de vigilance à l’égard des atteintes à l’environnement qui pourraient résulter de son activité”.
    27.  Commentaire à la décision Conseil constitutionnel n°2011-116 QPC, M. Michel Z et autre, 8 avril 2011 (https://www.conseil-constitutionnel.fr/sites/default/files/as/root/bank_mm/decisions/2011116qpc/ccc_116qpc.pdf)
    28.  Op. Cit. Cons. 5.
    29.  2012-248 QPC, 16 mai 2012, cons. 6 et 8, Journal officiel du 17 mai 2012, page 9154, texte n° 8, Rec. p. 270. le Conseil a affirmé qu’“en garantissant un droit à l’anonymat et la gratuité de la prise en charge lors de l’accouchement dans un établissement sanitaire, le législateur a entendu éviter le déroulement de grossesses et d’accouchements dans des conditions susceptibles de mettre en danger la santé tant de la mère que de l’enfant et prévenir les infanticides ou des abandons d’enfants. Il a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé”.
    30.  Cons. 8: “En permettant à la mère de s’opposer à la révélation de son identité même après son décès, les dispositions contestées visent à assurer le respect de manière effective, à des fins de protection de la santé, de la volonté exprimée par celle-ci de préserver le secret de son admission et de son identité lors de l’accouchement tout en ménageant, dans la mesure du possible, par des mesures appropriées, l’accès de l’enfant à la connaissance de ses origines personnelles. Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel, de substituer son appréciation à celle du législateur sur l’équilibre ainsi défini entre les intérêts de la mère de naissance et ceux de l’enfant. Les dispositions contestées n’ont pas privé de garanties légales les exigences constitutionnelles de protection de la santé. Elles n’ont pas davantage porté atteinte au respect dû à la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale”
    31.  Cons. 6.
    32.  Ibid. 
    33.  Conseil constitutionnel n°2019-823 QPC du 31 janvier 2020, Union des industries de la protection des plantes [Interdiction de la production, du stockage et de la circulation de certains produits phytopharmaceutiques]
    34.  Cons. 4.
    35.  Cons.8.
    36.  Cons. 9.
    37.  Cons. 10.
    38.  En effet, dès les années 1980 et de façon constante, le Conseil constitutionnel précise qu’il “incombe, tant au législateur qu’au Gouvernement, conformément à leurs compétences respectives, de déterminer dans le respect des principes proclamés par le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, les modalités de leur mise en œuvre”Voir notamment les décisions nos 86-225 DC du 23 janvier 1987, Loi portant diverses mesures d’ordre social, cons. 17, et 2001-451 DC du 27 novembre 2001, Loi portant amélioration de la couverture des non-salariés agricoles contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, cons. 19.
    39.  Sur l’étendue du contrôle opéré par le Conseil constitutionnel, voir par exemple Conseil constitutionnel 2015-458 QPC, 20 mars 2015, cons. 10, JORF n°0069 du 22 mars 2015 page 5346, texte n° 47 “Il est loisible au législateur de définir une politique de vaccination afin de protéger la santé individuelle et collective. Il lui est également loisible de modifier les dispositions relatives à cette politique de vaccination pour tenir compte de l’évolution des données scientifiques, médicales et épidémiologiques. Toutefois, il n’appartient pas au Conseil constitutionnel, qui ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, de remettre en cause, au regard de l’état des connaissances scientifiques, les dispositions prises par le législateur ni de rechercher si l’objectif de protection de la santé que s’est assigné le législateur aurait pu être atteint par d’autres voies, dès lors que les modalités 134 / 4424 retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l’objectif visé”. 
    40.  Commentaire de la décision n°2019-823 QPC du 31 janvier 2020, p.10 https://www.conseil-constitutionnel.fr/sites/default/files/as/root/bank_mm/decisions/2019823qpc/2019823qpc_ccc.pdf
  • L’Objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé et de l’environnement dans la jurisprudence du Conseil Constitutionnel

    Par Juliette Sardet, membre de Notre Affaire à Tous

    La décision Loi sur la communication audiovisuelle du Conseil Constitutionnel a introduit la notion d’objectif à valeur constitutionnelle (OVC) en 1982 (1). Dans un premier temps, le Conseil Constitutionnel y entendait « la sauvegarde de l’ordre public, le respect de la liberté d’autrui et la préservation du caractère pluraliste des courants d’expression socio-culturels ». Plusieurs décisions sont venues préciser le contenu, augmenter le champ ou exposer les conséquences de cette notion. L’octroi de ce statut a pour fondement le fait de mettre en œuvre des principes issus du bloc de constitutionnalité. Les OVC ne créent pas de droits mais constituent des buts à atteindre. Ils se traduisent par une obligation de moyen. Ce sont de précieux outils pour le législateur afin de justifier des dérogations limitées à des exigences constitutionnelles et surtout de les concilier entre elles.  

    Le 31 janvier 2020, dans le cadre d’un contentieux relatif à des textes interdisant la  production, le stockage et la circulation en France des produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées par l’Union européenne, le Conseil Constitutionnel est venu confirmer et étendre le champ des OVC. Par la décision n° 2019-823 QPC, il reconnaît pour la première fois qu’il découle de la Charte de l’environnement de 2004, non plus un « objectif d’intérêt général », mais un « objectif à valeur constitutionnelle deprotection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains » (cons. 4). Il réaffirme également la protection de la santé en tant qu’objectif à valeur constitutionnelle (cons. 5). 

    Ainsi, si le législateur se voit confirmer la possibilité de porter atteinte à d’autres exigences constitutionnelles au nom de la santé publique, il se voit surtout nouvellement habilité au nom de la protection de l’environnement. Cet article se limitera ainsi à traiter ces deux protections en tant que justifications à des atteintes et non en tant que droits pouvant également être violés. 

    La consécration, en tant qu’OVC, de la protection de la santé publique dans les années 1990 et de l’environnement en 2020, est le fruit d’une évolution jurisprudentielle propre à chaque enjeu (I). Si ce sceau constitutionnel peut apparaître symbolique au regard des conséquences qu’induit la qualification d’OVC, cette décision constitue une étape essentielle dans l’applicabilité des normes en matière d’environnement par le législateur et à travers de  futurs contentieux environnementaux et climatiques (II). 

    I. Mise en perspective : l’évolution de la santé publique et de la protection de l’environnement dans la jurisprudence constitutionnelle

    La position du Conseil Constitutionnel vis-à-vis de la protection de la santé et de l’environnement a évolué au fil de l’évolution d’une société de plus en plus soucieuse des enjeux sanitaires et environnementaux. Le contentieux le plus instructif est celui visant à concilier ces enjeux avec la liberté d’entreprendre – reconnue comme une liberté constitutionnelle découlant de l’article 4 de la DDHC (2). Toute limitation de la liberté d’entreprendre doit être justifiée par une exigence constitutionnelle ou un motif d’intérêt général, à condition que l’atteinte ne soit pas disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi (3). 

    A. Reconnaissance de la santé publique en tant d’OVC

    Dès les années 1980, découlant du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (4), la santé publique est reconnue comme une exigence constitutionnelle justifiant des limitations par le législateur. 

    Dans un premier temps, le Conseil Constitutionnel lui accorde une « valeur constitutionnelle » dans la décision n° 93325 DC du 13 août 1993 relative à la loi de la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France. Afin de justifier des atteintes à la liberté d’entreprendre, la santé publique sera ensuite érigée en « principe constitutionnel » avec la décision de principe n° 90-283 DC du 8 janvier 1991 (5), rendue sur la loi relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme. 

    Dans un second temps, alors que la santé publique fut de plus en plus mobilisée par le législateur, le Conseil Constitutionnel fut amené à qualifier la santé publique « d’objectif à valeur constitutionnelle » afin de faciliter la conciliation de ces deux exigences. Ce fut le cas des décisions relatives à l’accès aux origines personnelles (6), à la peine complémentaire obligatoire de fermeture de débit de boissons (7), au bisphénol A (8) et à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes (9). La légitimité et l’autorité de la protection de la santé publique se sont progressivement assises. 

    Sans qu’il apparaisse que le juge constitutionnel veuille remettre en cause cette qualification d’OVC, il s’est parfois contenté de citer cette exigence constitutionnelle sans pour autant la qualifier d’OVC. Il se limitait à évoquer « la protection de la santé », les « exigences de valeurs constitutionnelles » ou « du onzième alinéa ». Ce fut le cas dans les décisions relatives aux conditions d’exercice de certaines activités artisanales (10), au droit de consommation du tabac dans les DOM (11), à la loi de modernisation de notre système de santé (12), à la publicité en faveur des officines de pharmacie (13), à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 (14) et à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 (15). 

    B. Consécration tardive mais historique de la protection de l’environnement en tant qu’OVC

    La reconnaissance du caractère prioritaire de la protection de l’environnement a fait l’objet d’une évolution beaucoup plus prudente. Jusqu’à la décision de janvier 2020, la protection de l’environnement ne fut envisagée que sous l’angle d’un « objectif d’intérêt général » (OIG). Ce dernier constitue également une justification pour porter atteinte à des exigences constitutionnelles, mais ne découle pas du bloc de constitutionnalité. Dans l’équilibre entre différentes normes constitutionnelles, l’OIG pèse relativement moins qu’un OVC face à d’autres exigences constitutionnelles, telles que la liberté d’entreprendre. 

    D’une manière implicite dans un premier temps, dans la décision n° 2016-605 QPC du 17 janvier 2017, relatif à la Confédération française du commerce de gros et du commerce international, le Conseil constitutionnel a estimé que le législateur « a ainsi poursuivi un objectif d’intérêt général ». De façon explicite cette fois, dans la décision Société Schuepbach Energy LLC (16), relative aux dispositions de la loi du 13 juillet 2011 visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique, le juge constitutionnel estime que le législateur avait pu porter atteinte à la liberté d’entreprendre au nom d’un « but d’intérêt général de la protection de l’environnement ».

    La prudence du Conseil Constitutionnel vis-à-vis de la protection de l’environnement découle en grande partie de la position qu’il a vis-à-vis de la Charte de l’environnement. Dans la décision n° 2014-394 QPC rendue le 7 mai 2014, il avait affirmé que si les premiers alinéas de la Charte avaient valeur constitutionnelle, aucun d’eux n’instituait un droit ou une liberté que la Constitution garantit, et qu’ils ne pouvaient être invoqués à l’appui d’une QPC. La même position fut prise à travers la décision n° 2016-737 DC du 4 août 2016, à propos des dispositions relatives à la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages de 2016. En se fondant notamment sur « l’objectif d’intérêt général de protection de l’environnement » ainsi que sur « l’objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé publique », il avait décidé que l’interdiction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques contenant un ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ne portait pas atteinte de façon disproportionnée à la liberté d’entreprendre. Un même statut sera également reconnu dans la décision n° 2018-771 DC du 25 octobre 2018, relative à la soumission des biocarburants à base d’huile de palme à la taxe incitative relative à l’incorporation de biocarburants (17). 

    I. Innovations et la portée de la décision n° 2019-823 QPC

    Dans la décision du 31 janvier 2020, le Conseil Constitutionnel vient confirmer l’existence d’un OVC de santé publique à disposition du législateur. Plus encore, il est venu consacrer « la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains » en tant qu’OVC. Consécration historique semble pouvoir offrir de nouvelles perspectives en terme d’applicabilité des normes de protection de l’environnement et de contentieux environnementaux et climatiques.   

    A. Consécration audacieuse de la protection de l’environnement en tant qu’OVC

    Par cette décision, le Conseil Constitutionnel réalise un revirement de jurisprudence vis-à-vis de la valeur de la Charte de l’environnement. En se fondant sur le préambule de la Charte qui dispose que « l‘avenir et l’existence même de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel (…) l’environnement est le patrimoine commun des êtres humains (…) la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation (…) afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins », il en déduit, non plus un objectif d’intérêt général, mais un objectif à valeur constitutionnelle. La protection de l’environnement fait désormais partie du bloc de constitutionnalité et constitue un objectif à la disposition du législateur afin de mettre en balance des exigences constitutionnelles, et ce, au même titre que la santé publique. 

    La seconde innovation réside également dans le champ d’application de la protection de l’environnement. En utilisant la formule « environnement, patrimoine commun des êtres humains », le juge constitutionnel offre la possibilité de prendre en compte les effets de la pollution tant en France qu’à l’étranger. Il avait implicitement pensé ce caractère extraterritorial dans la décision relative à la soumission des biocarburants à base d’huile de palme. En ne relevant pas que l’interdiction de certains produits plastiques jetables n’incluait pas l’activité d’exportation, le Conseil Constitutionnel avait donc considéré que le fait qu’une activité nuisible à l’environnement ou à la santé soit autorisée à l’étranger ne saurait, en soi, priver le législateur français de la possibilité, au nom de la protection de l’environnement ou de la santé, d’interdire aux sociétés régies par le droit français d’y participer. Le juge avait reconnu le pouvoir au législateur de promouvoir, pour ce qui relève de la zone de souveraineté française, des comportements protecteurs, quand bien même cette action positive pourrait se trouver, matériellement, provoquée par des actions nuisibles à l’environnement commises par les entreprises d’autres pays.

    B. Portée et attentes vis à vis de l’applicabilité des normes environnementales

    Si la santé dispose du statut de principe constitutionnel et d’OVC, l’obtention de la qualification d’OVC pour la protection de l’environnement peut susciter de l’espoir. Cette promotion permet de renforcer nettement la légitimité et l’autorité de l’argument de protection de l’environnement. Cette qualification, symbolique à ce stade, pourrait s’apparenter à un véritable levier pour permettre l’application effective des normes en matière de protection de l’environnement par le législateur. « Cette décision peut donner du courage au législateur : à l’argument du pragmatisme économique souvent défendu par les Ministres et la crainte de voir un amendement “retoqué” par le Conseil Constitutionnel pour violation de la liberté constitutionnelle d’entreprendre, les député.e.s pourront désormais opposer cette décision » avait commenté Marine Denis, porte-parole de l’association Notre Affaire à Tous (18).

    Finalement, beaucoup d’espoirs peuvent également être exprimés quant à son invocabilité directe par les juges dans les futurs contentieux de l’urbanisme, de la santé et de l’environnement, dont son effectivité dépendra de la volonté et de l’appréciation souveraine du juge. 

    Notes

    1.  Décision n° 82141 DC du 27 juillet 1982, Loi  sur la communication audiovisuelle, cons.5.
    2.  Décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982, relative aux nationalisations.
    3.  Décision n° 2000-439 DC du 16 janvier 2001, Loi relative à l’archéologie préventive. 
    4.  Préambule de la Constitution de 1946, alinéa 11 : la Nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence » 
    5.  Décision n° 90-283 DC du 8 janvier 1991 – Loi relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme, cons.11.
    6.  Décision n° 2012-248 QPC du 16 mai 2012, M. Mathieu E., cons. 6.
    7.  Décision n° 2015-493 QPC du 16 octobre 2015, M. Abdullah N, cons. 12.
    8.  Décision n° 2015-480 QPC du 17 septembre 2015, cons. 5 et 7.
    9.  Décision n° 2016-737 DC du 4 août 2016, paragr. 39.
    10.  Décision n° 2011-139 QPC du 24 juin 2011, Association pour le droit à l’initiative économique, cons. 8.
    11.  Décision n° 2012-290/291 QPC du 25 janvier 2013, Société Distrivit et autres, cons. 16
    12.  Décision n° 2015-727 DC du 21 janvier 2016, Loi de modernisation de notre système de santé, cons. 21.
    13.  Décision n° 2013-364 QPC du 31 janvier 2014, Coopérative GIPHAR-SOGIPHAR et autre, cons. 6 et 8.
    14.  Décision n° 2019-795 DC du 20 décembre 2019, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, paragr. 49 à 52.
    15.  Décision n° 2017-756 DC du 21 décembre 2017, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, paragr. 63 à 65.
    16.  Conseil constitutionnel, Décision n°2013-346, QPC du 11 octobre 2013. 
    17.  Décision n° 2019-808 QPC du 11 octobre 2019 – Société Total raffinage France, cons.8.
    18.  Notre Affaire à Tous, communiqué de presse, 31 janvier 2020, La décision du Conseil Constitutionnel crée un tournant historique pour la protection de l’environnement et la justice climatique !

     

  • Lutter contre le changement climatique par la désobéissance civile, un état de nécessité devant le juge pénal ?

    Par Paul Mougeolle et Antoine Le Dylio

    Résumé

    Face à la crise climatique, assistons-nous aux prémices d’une légitimation par les tribunaux de certains actes de désobéissance civile non violents ? Le tribunal de grande instance de Lyon semble s’engager dans cette voie, puisqu’il a prononcé la relaxe de deux militants prévenus du chef de vol en réunion à la suite du décrochage d’un portrait du président de la République dans la mairie du deuxième arrondissement de Lyon. En réaction aux débats suscités par ce jugement, ce commentaire interroge la possibilité de voir l’état de nécessité prospérer dans le contexte d’urgence environnementale.

    Introduction

    À la suite du décrochage du portrait du président de la République par des militants écologistes, largement relayé par les réseaux sociaux, la mairie du deuxième arrondissement de Lyon déposait plainte pour vol en réunion le 21 février dernier. Le portrait enlevé en présence de la presse n’a pas été restitué et serait conservé dans un lieu tenu secret afin d’être brandi lors de futures manifestations en faveur de la protection du climat.

    Les prévenus soutenaient qu’au regard des connaissances scientifiques actuelles, les accords internationaux et les voies légales empruntées demeurent insuffisants puisqu’ils ne permettent pas d’instaurer une politique efficace de lutte contre le changement climatique. En conséquence, des actions non violentes de désobéissance civile seraient selon eux nécessaires. Devant la catastrophe climatique annoncée, leur avocat plaidait donc la relaxe au nom de « l’état de nécessité ». Cette interprétation a été rejetée en bloc par le ministère public qui requérait leur condamnation à une amende de cinq cents euros.

    Au terme d’une argumentation singulière, le juge a prononcé la relaxe des prévenus. Certains titres de presse se sont alors fait l’écho de la reconnaissance d’un état de nécessité (1), mais cette affirmation doit être nuancée. La motivation du jugement s’inscrit certes dans l’esprit de cette notion – et les critères exigés apparaissent en filigrane – mais le juge n’y fait pas explicitement référence, sauf lorsqu’il expose la défense des prévenus.

    L’état de nécessité est admis pour la première fois comme cause exonératoire de responsabilité en 1898, par le « bon juge » du tribunal de Château Thierry (2), dans une affaire impliquant une mère de famille qui avait volé du pain « sous l’irrésistible impulsion de la faim ». Il faudra attendre la réforme de 1994 pour que le législateur introduise cette notion dans le Code pénal. L’article 122-7 prévoit désormais que « n’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace. »

    En l’espèce, pour retenir l’état de nécessité, le juge devait déterminer, d’une part, si les conséquences du changement climatique constituent pour les prévenus un danger actuel ou imminent (I/) et, d’autre part, si le décrochage de portraits du président de la République constitue une réponse nécessaire et non disproportionnée (II/).

    I/ – Un danger actuel ou imminent à identifier : le changement climatique ou l’insuffisance des politiques publiques ?


    La reconnaissance de l’état de nécessité suppose en premier lieu qu’un danger actuel ou imminent menace la personne qui accomplit un acte nécessaire à sa propre sauvegarde, à celle d’autrui ou celle d’un bien.

    Le juge n’hésite pas à qualifier le dérèglement climatique de danger grave, actuel et imminent (3), et la communauté scientifique s’accorde sur ce fait. En particulier, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a publié en décembre 2018 un rapport spécial (4) relatif aux effets d’un réchauffement climatique de 1,5 °C, dont les conclusions sont sans appel : les dangers encourus au-delà d’un tel réchauffement planétaire moyen sont non seulement « imminents », puisque cette situation surviendrait entre 2030 et 2050, mais surtout excessivement graves, tant pour les personnes que pour leurs biens. De surcroît, les effets du dérèglement sont déjà sérieusement perceptibles, y compris en France où canicules, sécheresses et incendies se multiplient en période estivale alors que le réchauffement moyen n’est que d’un degré.

    Le juge relève que ce dérèglement « affecte gravement l’avenir de l’humanité » mais également « l’avenir de la faune et de la flore ». Cette motivation s’inscrit pleinement dans la thèse, soutenue par la doctrine (5) et de nombreux recours (6), selon laquelle les États sont tenus à une obligation de lutter contre le changement climatique en raison d’atteintes sur l’environnement, mais aussi des atteintes aux droits fondamentaux des personnes, desquels se déduirait le droit de vivre dans un système climatique soutenable. Le droit à la vie est même convoqué à demi-mot par le magistrat lorsqu’il affirme que l’État ne respecte pas ses objectifs « pouvant être perçus comme minimaux dans un domaine vital ».

    Le changement climatique représenterait donc selon le juge un danger grave, qui est actuel ou imminent. Mais dans le contexte de la présente affaire, admettre l’état de nécessité suppose en toute rigueur que ce soit la carence de l’État en matière climatique qui constitue un danger actuel ou imminent, ou au moins qu’elle y participe, dans la mesure où c’est au regard de cette carence que sera analysée l’adéquation des actes des prévenus.

    Le juge s’attache alors à caractériser la carence de l’État en relevant trois manquements corroborés par des données institutionnelles (Eurostat, SNBC, Commissariat général au développement durable). D’abord le dépassement de la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixée par la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) ; ensuite les manquements en matière de déploiement des énergies renouvelables ; et enfin l’échec de l’amélioration de la performance énergétique. Les personnes interrogées en qualité de témoin lors de l’audience avaient souligné cette carence : Wolfgang Cramer, scientifique en écologie globale, avait affirmé la nécessité d’un changement rapide de notre modèle de société pour limiter la hausse des températures. Quant à Cécile Duflot, militante écologiste, directrice d’Oxfam et ancienne ministre du Logement, elle a rappelé que des recours ont été engagés pour mettre fin à l’inaction de l’État, à savoir le recours en responsabilité dit « l’affaire du siècle » (7) porté devant le tribunal administratif de Paris, ainsi que le recours en excès de pouvoir engagé par la commune de Grande-Synthe devant le Conseil d’État.

    La difficulté tient à l’exigence d’une proximité certaine, aussi bien temporelle que spatiale, entre le danger et la personne ou le bien menacé. La Cour de cassation exige en effet que « le danger [soit] actuel, c’est-à-dire que les prévenus [soient] au contact même de l’événement menaçant »(8).

    Mais à la lecture du jugement commenté, il ne ressort nullement des faits que les prévenus seraient physiquement plus susceptibles d’être affectés par le changement climatique que le reste de la population. Rappelons que le tribunal de l’Union européenne s’est appuyé sur cet argument pour déclarer irrecevable le recours People’s Climate Case (9), sur le fondement d’une jurisprudence classique (10), même s’il a par ailleurs admis que chaque individu risque d’être affecté d’une manière ou d’une autre par le réchauffement de l’atmosphère (11). À n’en pas douter, il sera décisif que les individus parviennent à démontrer que l’évolution du climat porte à leur personne une atteinte qui leur est spécifique.

    Relevons en revanche que le juge témoigne d’une certaine compréhension de la crainte des prévenus et semble conciliant lorsqu’il évoque des « citoyens profondément investis dans une cause particulière servant l’intérêt général ». Certains pourraient y voir l’amorce d’une reconnaissance de l’état d’éco-anxiété, qui commence à faire l’objet d’études de la part des spécialistes en psychologie (12).

    Il pourrait enfin être soutenu que le caractère actuel ou imminent du danger doit s’évaluer à l’aune de la durée nécessaire pour accomplir un acte de sauvegarde ; auquel cas, force est de rappeler que le GIEC estime qu’il faut une action constante pour réduire les gaz à effet de serre d’ici 2050 de 93 % par rapport à 2010, afin d’atteindre la neutralité carbone à l’échelle globale. Il s’agit donc pour les militants d’exercer une pression constante destinée à s’assurer de l’efficacité des politiques publiques.

    En définitive, au regard des décisions antérieures, le caractère global et diffus du changement climatique pourrait constituer un obstacle à sa caractérisation comme danger actuel ou imminent au sens de l’article 122-7 du Code pénal. A fortiori, il en serait de même pour la carence de l’État.

    II/ – Le décrochage de portraits du président de la République, une réponse nécessaire et proportionnée à la carence étatique ?

    À supposer que le dérèglement climatique ainsi que la carence de l’État caractérisent un danger grave et imminent, il convient de s’interroger sur les caractères nécessaire, adapté et proportionné de la réponse apportée par les militants, à savoir le décrochage de portraits du président de la République. Selon la Cour de cassation, pour retenir l’état de nécessité les juges du fond doivent démontrer que l’infraction commise par le prévenu pouvait seule permettre d’éviter l’événement qu’il redoutait (13).

    En somme, la question est de savoir si le vol de ces portraits est la seule action que les militants pouvaient entreprendre pour obtenir de la part du président de la République une inflexion des politiques climatiques, à supposer qu’une politique climatique nationale exemplaire permette d’éviter ou même d’atténuer le danger redouté.

    Or le juge suggère lui-même l’impuissance relative du président de la République, à raison puisque le changement climatique est un problème d’ampleur mondiale qui suppose une coopération diplomatique dont le succès échappe à la seule volonté d’un État, quelles que soient ses ambitions (14).

    La politique climatique française est certes insuffisante, mais les émissions directes du territoire français ne représentent que 1 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (15). Ce constat obère la reconnaissance du caractère adapté puisque, même à supposer que la France cesse toute émission de gaz à effet de serre, les conséquences du changement climatique pour les citoyens français resteraient tout aussi dramatiques. De ce point de vue, il semble impossible que la solution du juge prospère, a fortiori si les critères de l’état de nécessité doivent être interprétés strictement.

    Cela étant, la responsabilité de la France dépasse la seule question de ses propres émissions. Les militants en attendent également une action diplomatique forte et cohérente afin d’inciter des pays fortement émetteurs comme les États-Unis à combattre le réchauffement et l’insuffisance des politiques nationales en matière climatique rend la France peu crédible pour mener ces négociations.

    Pour justifier la nécessité du décrochage de portraits, le juge estime que l’acte des prévenus « doit être interprété comme le substitut nécessaire d’un dialogue impraticable entre le président de la République et le peuple ». La motivation du jugement se détache ainsi des critères de l’état de nécessité pour glisser vers une justification fondée sur un « devoir de vigilance critique » (16). Cette notion convoquée par le juge fait écho au concept de démocratie environnementale participative, ainsi qu’à l’obligation de vigilance environnementale à laquelle chacun est tenue (17). Le jugement s’inscrit ainsi dans l’argumentation des prévenus qui avançaient que les moyens légaux dont ils disposent ne suffisent plus (18) et que le contexte actuel de l’urgence climatique justifie l’exercice d’une désobéissance civile non violente.

    Ce devoir de vigilance critique paraît séduisant, mais les marches et les grèves en faveur du climat ne suffisent-elles pas à l’exercer pleinement ? Est-il nécessaire de les parer de portraits volés du président de la République ? Ce devoir doit-il légitimer l’invention par les citoyens « d’autres modes de participation » illégaux, au motif que l’exercice du droit de vote serait insuffisant dans le cadre d’un État démocratique ?

    Dans les affaires de fauchage d’organismes génétiquement modifiés (OGM), la Cour de cassation avait confirmé en 2002 l’arrêt de la cour d’appel qui avait écarté l’état de nécessité, considérant notamment que « les prévenus disposaient de nombreux moyens d’expression dans une société démocratique autres que la destruction […] de milliers de plants de riz pour faire entendre leur voix auprès des pouvoirs publics » (19). Le contexte était néanmoins différent puisqu’il était alors fait application du principe de précaution, les risques des OGM sur la santé humaine n’étant pas établis, tandis que les conséquences délétères du changement climatique sont avérées. En outre, contrairement à la destruction de champs d’expérimentation d’OGM, le vol commis par les décrocheurs n’a entraîné qu’un faible trouble à l’ordre public : selon le juge, la réunion des militants, « même non déclarée préalablement en préfecture », « revêt[ait] un caractère manifestement pacifique de nature à constituer un trouble à l’ordre public très modéré ». Ce constat est confirmé par le coût négligeable du bien volé et l’absence de constitution de partie civile par la mairie de Lyon.

    Les actions menées par les militants ont le mérite de susciter le débat sur le rôle des États dans la lutte contre le changement climatique ; elles pourraient renforcer la pression sur le gouvernement et l’inciter à des réformes ambitieuses pour adapter sa politique aux dangers du dérèglement climatique. Mais considérer que le vol de portraits du président de la République permettrait de résoudre les difficultés de mise en œuvre de cette politique revient à adopter une approche assez extensive de l’état de nécessité. Le juge disposait d’alternatives plus pragmatiques : il aurait pu par exemple prononcer une dispense de peine, les critères requis (20) pouvant raisonnablement être considérés comme vérifiés. En effet, le reclassement des prévenus est acquis, le dommage causé est réparé (21) et le trouble résultant de l’infraction a cessé.

    Les douze futurs jugements de militants ainsi que le prochain arrêt de la cour d’appel de Lyon éclaireront sans doute la question de savoir si, au regard du principe d’application stricte de la loi pénale, les conditions de l’état de nécessité sont bel et bien réunies.

    Notes

    1. O. P.-V., 17 septembre 2019, « Décrocheurs du portrait de Macron : « l’état de nécessité », une notion au cœur de la relaxe », L’Express.
    2. T. corr. de Château-Thierry, 4 mai 1898 ; le juge prononça la relaxe, estimant « regrettable que, dans une société bien organisée, un des membres de cette société […] puisse manquer de pain autrement que par sa faute ».
    3. Jugement commenté, p. 7.
    4. Cette synthèse du rapport, signée et acceptée par les gouvernements du monde entier, intègre les connaissances scientifiques les plus avancées et les plus sûres en la matière : https://www.ipcc.ch/sr15/chapter/summary-for-policy-makers/.
    5. Christel Cournil, Antoine Le Dylio, Paul Mougeolle, « « L’affaire du siècle » : entre continuité et innovations juridiques », AJDA, 2019, p. 1864 ; Expert Group on Global Climate Obligations, Oslo Principles on Global Climate Obligations, Eleven International Publishing, 2015.
    6. V. le recours contre l’État dans « l’affaire du siècle » porté par les organisations non gouvernementales Notre Affaire à Tous, la Fondation pour la Nature et l’Homme, Greenpeace France et Oxfam France : https://laffairedusiecle.net/wp-content/uploads/2019/05/Argumentaire-du-Mémoire-complémentaire.pdf
    7. Id.
    8. Cass., Crim., 7 février 2007, no 06-80.108.
    9. Recours formé par dix de plaignants contre le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne concernant l’insuffisance des législations en matière climatique.
    10. CJCE, 15 juillet 1963, Plaumann & Co. contre Commission de la Communauté économique européenne, Aff. 25-62.
    11.  TUE, Ordonnance du Tribunal (deuxième chambre), 8 mai 2019, Armando Carvalho e.a. contre Parlement européen et Conseil de l’Union européenne, T-330/18, cons. 49 et suiv. “49. The applicants have not established that the contested provisions of the legislative package infringed their fundamental rights and distinguished them individually from all other natural or legal persons concerned by those provisions just as in the case of the addressee. 50. It is true that every individual is likely to be affected one way or another by climate change, that issue being recognised by the European Union and the Member States who have, as a result, committed to reducing emissions. However, the fact that the effects of climate change may be different for one person than they are for another does not mean that, for that reason, there exists standing to bring an action against a measure of general application. As can be seen from the case-law cited in paragraph 48 above, a different approach would have the result of rendering the requirements of the fourth paragraph of Article 263 TFEU meaningless and of creating locus standi for all without the criterion of individual concern within the meaning of the case-law resulting from the judgment of 15 July 1963, Plaumann v Commission (25/62, EU:C:1963:17), being fulfilled.
    12. Coralie Lemke, 15 mars 2019, « L’éco-anxiété ou le trouble mental causé par la peur du changement climatique », Sciences et Avenir.
    13. Crim. 25 juin 1958 : D. 1958. 693, note M.R.M.P. ; JCP 1959. II. 10941, note Larguier ; RSC 1959. 111, obs. Légal.
    14.  attendu que la conservation de ce portrait, qui achève de caractériser sa soustraction volontaire, n’était certes pas une suite nécessaire au marquage d’une forme d’appel adressé au président de la République, face au danger grave, actuel et imminent à prendre des mesures financières et réglementaires adaptées ou à défaut rendre compte de son impuissance […] », p. 7.
    15. Haut conseil pour le climat, « Agir en cohérence avec les ambitions », 1er rapport annuel, 2019, en ligne [https://www.hautconseilclimat.fr/rapport-2019/] : les émissions de la France s’élèvent à 460 Mt CO2e et son empreinte carbone à 731 Mt CO2e.
    16. Jugement commenté, p. 7.
    17. CC, Décision no 2011-116 QPC, 8 avril 2011, M. Michel Z. et autre [Troubles du voisinage et environnement].
    18. Relevons par ailleurs que les actes liés à la conduite des relations extérieures de la France sont des actes de gouvernement : ils ne peuvent donc pas être déférés devant un juge national, ce qui renforce l’argument selon lequel les voies légales empruntées demeurent insuffisantes.
    19. CA Montpellier, 3e ch., 20 décembre 2001, no 01/00715 ; confirmé par Cass. Crim., 19 novembre 2002, no 02-80.788.
    20. V. article 132-59 du Code pénal
    21. Compte tenu de la faible valeur du bien et de l’absence de constitution de la partie civile ; voir, en ce sens un jugement estimant le dommage est réparé en raison de la modification de leurs demandes par les parties civiles (réduction à 1 franc de dommages et intérêts) : Trib. corr. Paris, 21 mai 1996 : Dr. pénal 1996. 240, obs. Véron.