Catégorie : Droits de la nature et écocide

  • Illégalité du projet de centre d’enfouissement de déchets : le Parlement européen juge recevable la pétition déposée par Tavignanu Vivu et déclenche la procédure d’urgence

    Illégalité du projet de centre d’enfouissement de déchets : le Parlement européen juge recevable la pétition déposée par Tavignanu Vivu et déclenche la procédure d’urgence

    Communiqué de presse, 20 février 2024 – A la suite de la validation du projet par le Conseil d’Etat en 2021, le collectif Tavignanu Vivu avait décidé de saisir le Parlement européen par pétition afin d’alerter sur l’illégalité du projet au regard de la législation européenne sur les déchets, l’eau, les habitats et la santé publique. En octobre 2023, la pétition a été examinée par le Parlement européen qui a alors décidé de déclencher la procédure d’urgence.

    Pour rappel, le collectif Tavignanu Vivu se bat depuis 2016 pour empêcher l’exploitation d’un centre d’enfouissement de déchets dans un méandre du fleuve Tavignanu, sur un terrain géologiquement instable. Le 21 avril 2021, le Conseil d’Etat a confirmé l’autorisation d’exploiter accordée à la société Oriente Environnement. 

    Le collectif Tavignanu Vivu a alors décidé d’agir sur le terrain des droits de la nature avec l’aide de Notre Affaire à Tous. Le 29 juillet 2021, le collectif Tavignanu Vivu, la fondation Umani et l’association Terres de lien Corsica – Terra di u cumunu ont proclamé la Déclaration des droits du fleuve Tavignanu. Cette Déclaration a depuis été soutenue par l’Assemblée de Corse, la ville de Bastia ainsi qu’ une trentaine de communes par la voie de motions et délibérations.

    Le collectif Tavignanu Vivu a ensuite entrepris d’agir à l’échelle européenne en saisissant le Parlement européen par pétition, afin d’alerter sur les illégalités et incohérences de l’autorisation du projet, en méconnaissance des normes européennes qui gouvernent le droit des déchets, le droit de l’eau, la protection de la biodiversité et la santé des populations.

    Après avoir examiné la pétition, la commission des pétitions a déclaré celle-ci recevable le 29 novembre 2023, ce qui confirme le caractère flagrant des manquements et incohérences de la procédure française, notamment eu égard aux obligations de respect de l’environnement incombant aux États.

    Un projet incompatible avec plusieurs directives européennes

    L’autorisation d’exploitation du centre d’enfouissement de déchets se heurte à de nombreux objectifs promus par l’Union européenne en matière de protection de l’environnement et de santé publique qui découlent du droit primaire. Il s’agit en particulier de la violation du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (« TFUE ») et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

    L’autorisation d’exploiter viole également le droit secondaire de l’Union européenne. Il s’agit en particulier (i) de la directive du 26 avril 1999 concernant la mise en décharge de déchets, (ii) de la directive-cadre du 19 novembre 2008 relative aux déchets, (iii) de la directive-cadre sur l’eau du 23 octobre 2000, (iv) de la directive “Habitats” du 21 mai 1992, (v) de la directive “Oiseaux” du 30 novembre 2009, (vi) de la directive du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets sur l’environnement et (vii) des objectifs de la Politique Agricole Commune et des recommandations de la Commission européenne en la matière.

    Un soutien politique unanime

    Plusieurs eurodéputés ont assisté à l’audition de Madame Marie-Dominique Loÿe, représentante du collectif Tavignanu Vivu, le 29 novembre 2023. Différents groupes politiques (Parti Populaire Européen, Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates au Parlement Européen, Renew/Renaissance, Verts/Alliance Libre Européenne, Conservateurs et réformistes) et des non-inscrits étaient représentés, et ont tous unanimement voté en faveur de la pétition.

    François Alfonsi, du groupe Les Verts, s’est ainsi exprimé : “On ne voit pas comment un tel projet peut être en ligne et compatible avec les directives que nous avons votées au sein de ce Parlement Européen. Il est manifestement dans un méandre du fleuve, à proximité immédiate des eaux. Il est dans un terrain géologiquement fragile et cela a été bien démontré par la pétitionnaire, en directive oiseaux, etc… Nous sommes dans une zone Natura 2000 […]”.

    La commission PETI qui reçoit les pétitions a même approuvé le déclenchement de la procédure d’urgence, les travaux pour construire le centre d’enfouissement pouvant  commencer dans des délais assez courts. Ce traitement en urgence permettra de recevoir une réponse de la Commission européenne  dans un délai de  trois mois. 

    Les suites attendues

    Le Parlement européen a demandé à la Commission européenne de mener une enquête préliminaire et de contacter les autorités nationales et régionales françaises. La Commission européenne a en principe trois mois, soit jusqu’au 29 février 2024, pour donner une réponse écrite. 

    Trois options sont alors envisagées :

    • Soit la Commission européenne considère qu’il y a eu une violation du droit de l’Union européenne et dans ce cas, un dialogue se mettra en place avec les autorités nationales et régionales pour réviser le projet.
    • Soit la Commission européenne considère qu’il n’y a pas eu violation du droit de l’Union européenne et dans ce cas, elle arrête la procédure, ce qui n’empêche pas le Parlement européen de poursuivre les investigations de son côté.
    • Soit la Commission européenne estime qu’il convient d’attendre l’issue de la procédure judiciaire en cours relative aux prescriptions du préfet. En effet, comme le demandait le juge, le préfet a pris un arrêté fixant les conditions d’exploitation de l’installation d’enfouissement. Cet arrêté a été contesté par la société Oriente Environnement qui porte le projet, estimant qu’il était trop strict et, dans son jugement du 18 novembre 2022, le tribunal administratif a annulé une partie de l’arrêté préfectoral. Le ministère de la transition écologique et l’association requérante ont fait appel de cette décision; l’affaire est actuellement pendante devant la cour administrative d’appel de Marseille.

    Pour Marie-Dominique Löye, membre du collectif Tavignanu Vivu : “Le collectif Tavignanu Vivu salue la décision de la Commission des pétitions du Parlement européen qui reconnaît le bien fondé de notre action. Le projet de centre d’enfouissement de déchets à cet endroit viole le droit européen, il menace gravement le fleuve Tavignanu faisant peser un risque insensé à l’environnement et à la santé des populations”.

    Pour Marine Yzquierdo, représentante de Notre Affaire à Tous qui accompagne le collectif depuis le lancement de la Déclaration des droits du Tavignanu en 2021 : “Le  Parlement européen envoie un signal fort en répondant  aux préoccupations légitimes du collectif Tavignanu Vivu face à ce projet incohérent avec le droit de l’Union européenne. Le combat pour la protection du fleuve Tavignanu prend désormais une autre dimension”.

    Le collectif Tavignanu Vivu appelle les citoyens et citoyennes à signer la pétition en ligne afin de faire davantage pression sur la Commission européenne. Celle-ci doit prendre les mesures nécessaires pour mettre un terme au projet de centre d’enfouissement de déchets qui n’aurait pas dû être autorisé dans ces conditions par la justice française.

    La pétition est accessible sous ce lien. A noter que pour la signer, il est nécessaire de créer un compte (en bas à droite de la page), ce qui peut prendre quelques minutes.

    Contacts presse

    Tavignanu Vivu: Marie Dominique Löye – tavignanu.vivu@gmail.com

    Notre Affaire à Tous: Marine Yzquierdo – marine.yzquierdo@notreaffaireatous.org

  • CP / Droits de la nature : la rivière Durance dotée à son tour d’une Déclaration de droits

    CP / Droits de la nature : la rivière Durance dotée à son tour d’une Déclaration de droits

    Jeudi 30 novembre 2023 – L’association SOS Durance Vivante, assistée par Notre Affaire à Tous, vient de proclamer la Déclaration des droits de Durance afin de soutenir à son tour la reconnaissance du fleuve en tant qu’entité naturelle juridique (ENJ).

    Durance, située dans le sud-est de la France, est la plus importante rivière de la Provence qui s’écoule sur 323 kilomètres. Durance est une rivière en tresses constituée de multiples chenaux qui recèlent un potentiel écologique particulièrement rare. Avec son lit et son bassin, elle constitue un écosystème riche avec d’innombrables habitats naturels, des centaines d’espèces d’invertébrés, de nombreuses espèces d’oiseaux, poissons et mammifères, dont certaines sont rares ou fortement menacées de disparition.

    De nombreux aménagements (barrages, ponts, digues…) ont cependant détourné plus de 90 % de l’eau de Durance. La faiblesse des débits réservés a des conséquences délétères pour la rivière telles que l’érosion, l’enfoncement et le rétrécissement du lit, la disparition des tresses.

    En moyenne, ce sont trois milliards de mètres cubes d’eau qui sont détournés et 500.000 tonnes de limon sont prélevées chaque année. Les activités humaines sont ainsi responsables de nombreuses atteintes à la continuité écologique de la rivière.

    Face à ce constat et pour alerter sur l’absence de mesures suffisantes pour protéger la Durance, l’association SOS Durance Vivante a décidé d’agir sur le terrain des droits de la nature en rédigeant et en proclamant la Déclaration des droits de la rivière Durance.

    La journée de lancement, qui a eu lieu le samedi 25 novembre au restaurant “le Bio’s” à Cavaillon (Vaucluse), a réuni de nombreux citoyens, des associations et collectifs dont certains ont initié des démarches similaires. Des représentants de Parlement de Loire, de Tavignanu Vivu pour le fleuve Tavignanu (Corse), de En Commun 66 pour le fleuve Têt (Pyrénées Orientales) et de Arc Fleuve Vivant pour le fleuve Arc (Bouches-du-Rhône), étaient ainsi présents lors de cette journée de rassemblement. 

    Victor David, chargé de recherches à l’Institut de la Recherche pour le Développement (IRD), a présenté le concept de “droits de la nature”. Camille Rols, doctorante en droits de la nature et membre de Notre Affaire à Tous, et Thibault Faraüs, chargé de mission à l’OFB et auteur du livre Les écosystèmes ont-ils des droits? ont échangé avec l’assistance sur les droits de Durance et les porte-paroles. François Lejault, vidéaste enseignant à l’école d’art d’Aix -en-Provence, a présenté son travail en cours sur la rivière Durance.

    Une marche au sommet de la colline St Jacques pour une lecture de paysage a permis aux participants d’appréhender l’urbanisation et les aménagements, au fil de l’histoire et actuellement, d’évoquer les atteintes à son cours et à ses écosystèmes.

    Pour SOS Durance Vivante : “Nous devons beaucoup à Durance, presque tout, parce que d’elle, notre région vit. Nous n’avons pas anticipé ses limites et nos impacts. Elle s’inscrit dans le grand cycle de l’eau qui nous dépasse et qu’il est crucial de comprendre et de considérer. Tous les jours, elle accomplit le miracle de nous offrir l’eau. Alors, la gratitude s’applique spontanément, la réciprocité est de mise. Nous devons passer alliance avec elle, des formes de pactes et d’accords, mais qui ne fonctionneront que s’ils font sens pour la rivière, avec un point de vue du côté du vivant dans son ensemble, dont nous ne sommes qu’une part. Nous devons redevenir des peuples des rivières, un peuple de Durance.”

    Pour Notre Affaire à Tous, “cette initiative montre que de nombreux citoyens se saisissent des droits de la nature pour défendre des écosystèmes sur leurs territoires, en particulier des fleuves et des rivières qui sont gravement menacés. Les cours d’eau ne peuvent plus être perçus comme de simples ressources qui peuvent être polluées et aménagées selon les besoins et les intérêts humains”.

    Après cette journée qui est un départ, la mobilisation reste primordiale pour assurer la mise en œuvre de la Déclaration à l’échelle locale. Citoyens, riverains, habitants, entreprises, associations et élus locaux, ainsi que toute personne ou entité concernée, seront invités à soutenir la Déclaration. Les modalités de soutien avec la pétition en ligne seront communiquées prochainement. 

    Pour en savoir plus : sosdurancevivante.org

    Contacts presse

    SOS Durance Vivante : contact@sosdurancevivante.org / sosdurancevivante@laposte.net
    Pierre Follet folletpierre@yahoo.fr / Françoise Sinoir fsinoir@yahoo.fr

    Notre Affaire à Tous :
    Marine Yzquierdo marine.yzquierdo@gmail.com et Camille Rols camille.rols@hotmail.fr 

  • CP / Droits de la nature : l’Arc, fleuve côtier du Sud de la France, doté à son tour d’une Déclaration de droits

    Jeudi 9 novembre 2023 – L’association Arc Fleuve Vivant, assistée par Notre Affaire à Tous, vient de proclamer la Déclaration des droits de l’Arc afin de soutenir la reconnaissance du fleuve en tant qu’entité naturelle juridique (ENJ).

    Arc Fleuve Vivant (AFV) est une association récemment créée qui a décidé de placer la protection de l’Arc au cœur de ses combats. AFV a également pour objet de parvenir à doter le fleuve Arc d’une personnalité juridique et de droit propres pour en faire un sujet de droit. 

    L’Arc est un fleuve côtier au patrimoine architectural, artistique, littéraire et naturel inestimable.  Pourtant, seulement quelques kilomètres après sa source située au pied du Mont Aurélien dans le Var, la qualité de l’eau du fleuve se dégrade. Azote, phosphore, phosphate, métaux lourds, hydrocarbures ou encore produits phytosanitaires issus des activités humaines polluent l’Arc et empêchent cette entité naturelle de s’épanouir et de remplir ses fonctions écologiques essentielles.

    Aujourd’hui pauvre en oxygène, l’Arc a perdu une grande partie de sa biodiversité. Face à ces pressions anthropiques et au changement climatique qui menace l’existence du fleuve, AFV a décidé de proclamer, avec l’aide de Notre Affaire à Tous, la Déclaration des droits de l’Arc, en reconnaissant notamment les droits du fleuve à exister, à ne pas être pollué et à ester en  justice par l’intermédiaire de ses représentants.  

    Pour Christine Ferrario et Stéphane Salord, co-présidents de AFV, “la prise en compte de l’Arc doit se faire désormais sur tout son parcours, ses affluents, et non plus au cas par cas des opportunités des aménageurs ; il faut cesser de tronçonner la gestion de ce fleuve essentiel à la vie en Provence et le considérer comme une entité unique, exceptionnelle, que chacun a pour mission de protéger, de valoriser, et de restaurer dans ses missions écologiques ; il en va de notre responsabilité collective ”.

    Pour Marine Yzquierdo, avocate et membre du conseil d’administration de Notre Affaire à Tous, “cette nouvelle initiative montre le rôle catalyseur de la société civile dans l’émergence des droits de la nature en France. Les fleuves ne peuvent plus être considérés comme une simple ressource, avec une vision utilitariste, mais comme une entité naturelle vivante, ayant une valeur intrinsèque”.

    La mobilisation des élus reste primordiale pour assurer la mise en œuvre de la Déclaration à l’échelle locale. Citoyens, associations et élus locaux sont invités à soutenir la Déclaration en signant la pétition en ligne.

    Signer la Déclaration des droits de l’Arc : Petition sur Change.org

    Site de l’Arc Fleuve Vivant avec la Déclaration des droits de l’Arc : arcfleuvevivant.wordpress.com

    Contacts presse

    Arc Fleuve Vivant : Christine Ferrario /  Stéphane Salord, co-présidents : arcfleuvevivant@gmail.com

    Notre Affaire à Tous : Marine Yzquierdo, référente droits de la Nature: marine.yzquierdo@notreaffaireatous.org

  • CP / Lancement du projet “Vers une internationale des rivières et autres éléments de la nature…”

    L’Institut d’Etudes Avancées (IEA) de Nantes et le Lieu Unique viennent de lancer le projet de recherche scientifique “Vers une internationale des rivières et autres éléments de la nature…”. Camille de Toledo, écrivain et chercheur associé à l’IEA de Nantes, poursuit ici son travail sur les droits de la nature et la personnalisation juridique des écosystèmes, en collaboration avec Notre Affaire à Tous.

    “Vers une internationale des rivières…” est un processus citoyen qui sera ponctué de trois temps forts sur trois ans. Il s’agira de définir, à travers des auditions publiques, les contours d’une transition vers une « économie politique terrestre », en suivant l’hypothèse d’une extension des droits de la nature au XXIe siècle.  

    Si la rivière ou la forêt obtiennent le statut de sujet de droit, ne serait-on pas en train de basculer du droit de l’environnement vers un droit du travail de la nature ? Des rivières pourraient-elles s’associer pour refuser de travailler, pour faire la grève, pour remettre en cause leurs employeurs humains ? Si, dans le cadre des procès contre des intérêts humains, nos nouveaux sujets de droit obtiennent des dommages et intérêts, où ira l’argent ? Autant de réflexions qui seront menées et permettront d’esquisser  un “scénario de bifurcation”  pour et avec les droits de la nature.

    Dans le sillon des auditions du Parlement de Loire, Camille de Toledo propose ici une réflexion transdisciplinaire et citoyenne sur le travail de la nature pour accompagner la transformation des imaginaires et soutenir l’émergence des droits de la nature.

    Le premier temps fort a eu lieu le 18 novembre 2023 au Lieu Unique à Nantes et tournait autour de la question “Comment la nature travaille?” Accessible en streaming live ici.


    Plus d’informations  sur le site de l’IEA et accès au dossier de presse sur le site du Lieu Unique.

    Contacts presse

    Notre Affaire à Tous : Marine Yzquierdo –  marine.yzquierdo@notreaffaireatous.org 

    Institut d’Etudes Avancées de Nantes : Caroline Lanciaux –  caroline.lanciaux@iea-nantes.fr

    Lieu Unique : Aurélie Garzuel – aurelie.garzuel@lieuunique.com

  • CP / Droits de la nature : les Salines en Martinique dotées d’une Déclaration de droits pour protéger cet écosystème unique

    Une coalition d’associations martiniquaises regroupées dans le collectif Sové Lavi Salines, et assistée par Notre Affaire à Tous, lance aujourd’hui la Déclaration des droits des Salines en Martinique, afin de soutenir sa reconnaissance en tant qu’entité naturelle juridique (ENJ).

    Le site des Salines est situé à la pointe Sud de la Martinique.  Il abrite la lagune la plus importante de la Petite Caraïbe, d’une superficie de 97 hectares et alimentée en eau salée par la mer des Caraïbes et l’océan Atlantique. Ce site, composé de la lagune mais aussi d’espaces littoraux, de la Savane des Pétrifications, de mornes calcaires, d’une forêt sèche et de marais salants, est le berceau géologique et archéologique de la Martinique, épicentre de la biodiversité de la Caraïbe orientale. C’est ainsi un écosystème clé pour la biodiversité et les populations locales avec qui il est en relation. 

    L’importance des Salines est reconnue  officiellement par son classement comme zone humide d’importance mondiale (site Ramsar), par le classement de deux sites du périmètre comme Zones Naturelles d’Intérêt Ecologique, Faunistique et Floristique (ZNIEFF), et par son inscription comme site classé au titre de la loi de 1930, avec une opération Grand site en cours en vue d’obtenir le label Grand site de France.

    Le site des Salines est pourtant menacé depuis des siècles, et de façon aggravée et régulière depuis les années 1960, par des usages abusifs et par des projets fonciers, agricoles et touristiques nocifs.

    Le taux de fréquentation (2,5 millions de visiteurs par an) place ce site en tête du classement des destinations préférées des Martiniquais et des touristes, ce qui contribue à dégrader fortement cet écosystème. Par exemple, cette année encore, les lieux de pontes de tortues luth ont été menacés par de nombreuses activités de loisirs illégales sur un site classé  sans qu’aucune collectivité ou organisme public compétent ne prenne les mesures de sécurisation des périmètres concernés jusqu’à l’éclosion des œufs.

    Depuis de nombreuses années, des citoyens et des associations, soutenus historiquement par Garcin Malsa (Maire Honoraire de Sainte-Anne, Ancien Administrateur du Conservatoire du Littoral, Ancien Président du Conseil des Rivages Lacustres français d’Amérique), et aujourd’hui par Marcellin Nadeau (député de Martinique) et David Zobda (maire du Lamentin), dénoncent ces atteintes, expertises à l’appui, et s’organisent afin de protéger ce  site unique mais restent malgré tout démunis face à l’ineffectivité de la protection juridique existante.

    Une nouvelle étape s’acte aujourd’hui avec la proclamation de la Déclaration des droits des Salines par le collectif Sové Lavi Salines. Le collectif a bénéficié de l’expertise et de l’assistance de Notre Affaire à Tous et de celles de Victor David, chercheur en droit de l’environnement à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), qui a accompagné la Province des Îles Loyauté (PIL) en Nouvelle-Calédonie à rédiger son Code de l’environnement  (CEPIL). 

    Le CEPIL fait référence au principe unitaire de vie et prévoit la possibilité de reconnaître une personnalité juridique à des éléments de la nature. Récemment, une nouvelle étape a été franchie par la PIL avec l’adoption d’une réglementation qui crée les entités naturelles juridiques (ENJ), une nouvelle catégorie de personnes juridiques dont s’inspire la présente Déclaration.

    « La Martinique, comme pour toute la surface de la terre, subit les conséquences du réchauffement climatique avec sa ligne de côte qui se réduit » rappelle Line Rose Ursulet, présidente de l’APNE. « À ce phénomène s’ajoute la convoitise humaine. Le site des Salines est le berceau de la Martinique qui doit être respecté et protégé. À ce titre, l’ENJ s’avère être un excellent outil de sauvegarde de ce patrimoine ». 

    Pour Marine Yzquierdo, avocate et administratrice de Notre Affaire à Tous: “ Nous constatons que de plus en plus de collectifs, soutenus par des élus locaux, souhaitent déployer les droits de la nature sur leur territoire afin de reconsidérer le vivant et mieux le protéger. Nous sommes heureux d’accompagner Sové Lavi Salines dans cette initiative pionnière aux Antilles qui vient renforcer le mouvement des droits de la Nature en France. ”

    Le lancement de cette Déclaration en Martinique constitue une première étape. Citoyens, associations et élus locaux sont invités à soutenir cette Déclaration en signant la pétition en ligne à l’adresse suivante : www.sove-lavi-salines.com

    La Collectivité Territoriale de Martinique, la  communauté d’agglomération Espace Sud et les  communes sont en outre invitées à soutenir cette Déclaration par voie de délibérations afin de lui donner plus de portée et pouvoir l’inscrire dans le cadre réglementaire local.

    Pour en savoir plus, téléchargez le dossier de presse sur le site  : www.sove-lavi-salines.com 

    Les associations fondatrices du collectif Sové Lavi Salines : APNE ; ASSAUPAMAR ; Association des Commerçants des Salines ; BIOS-FAIR ; CD2S La Martinique est Vivante ; NOU LA ; Planteuses Maronnes ; Reflet D’Culture ; Renaissance Ecologique ; Vous n’êtes Pas Seuls ; SEPANMAR.

    Contacts presse

    Sové Lavi Salines : Aude Goussard | sovelavisalines972@gmail.com

    Notre Affaire à Tous : Marine Yzquierdo | marine.yzquierdo@notreaffaireatous.org

  • Les parcs naturels français constituent-ils aujourd’hui une réponse efficace à l’enjeu de l’érosion de la biodiversité ?

    Réalisé par Malo Viennet, Antoine Moreau et Léa Ricard

    Master D3P1 “Risques, Science, Environnement et Santé”, Sciences Po Toulouse

    En partenariat avec l’association “Notre Affaire à Tous” (NAAT)

    Remerciements:

    Nous tenons à remercier les personnes qui ont bien voulu accorder du temps à cette étude et participer aux entretiens :

    • Gilles Martin, Professeur émérite de l’Université Côte d’Azur et Président du conseil scientifique du parc national de Port-Cros
    • Simon Jolivet, Maître de conférences en droit public à l’Université de Poitiers et secrétaire général de la Société française pour le droit de l’environnement

    “Le parc n’a de sens que s’il parvient à protéger ce qui est remarquable mais aussi

    ce qui est tout à fait ordinaire.”

    Gilles Martin, Président du conseil scientifique du parc national de Port-Cros

    Cette affirmation, à première vue contre-intuitive, questionne en réalité l’essence même d’un parc naturel, à savoir protéger le vivant. Mais quel type de vivant au juste ? Les écosystèmes et espèces rares et menacées ? Ou bien, sans hiérarchie aucune, tout type de vivant, “ordinaire” compris ? Cet article se propose d’explorer ces réflexions, avec un principal objectif : comprendre si les parcs naturels français représentent aujourd’hui une réponse efficace à l’enjeu de l’érosion massive de la biodiversité.

    La Convention sur la diversité biologique des Nations Unies (CDB, 1992) définit la biodiversité comme suit : “variabilité des êtres vivants de toute origine y compris, entre autres, les écosystèmes aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie : cela comprend la diversité au sein des espèces, ainsi que celle des écosystèmes” (art. 2). Elle comprend ainsi trois niveaux d’organisation : la diversité des écosystèmes, la diversité des espèces et la diversité génétique, le tout étant en perpétuelle interaction. Si aujourd’hui 55% de la population mondiale vit en zone urbaine, l’humanité ne dépend pas moins entièrement de la biodiversité. Différentes raisons l’expliquent : celle-ci produit l’oxygène grâce aux végétaux terrestres et microalgues marines, fournit les sociétés en matières premières, bois, fibres, mais aussi ressources fossiles (pétrole dérivé du plancton ou charbon issu d’anciennes forêts), constitue la base de l’alimentation (végétaux, viandes, poissons), régule le climat, et est enfin gage de la santé humaine, plus de la moitié des principes actifs pharmacologiques étant extraits du monde vivant. Cependant, sans précédent non seulement dans l’histoire de l’humanité, mais aussi dans celle de la Terre aux échelles géologiques, la biodiversité connaît aujourd’hui un effondrement massif et rapide. Selon l’IPBES, les ¾ des zones terrestres et 2/3 des zones marines ont été modifiées de manière significative, et 60% des populations de vertébrés ont décliné entre 1970 et 2014 au niveau mondial. Cette véritable annihilation biologique est le fait des activités humaines. Cinq causes majeures sont à l’origine de cette érosion : les changements d’usage, les destructions, et fragmentations des terres dus à la déforestation, l’agriculture, et l’urbanisation ; l’exploitation directe de certains organismes ; le changement climatique ; la pollution ; et les espèces exotiques envahissantes. À ces causes s’ajoute également le commerce de la faune sauvage, 4ème marché mondial illégal le plus lucratif. L’érosion de la biodiversité représente donc une crise incommensurable en soi, tout en étant l’une des plus importantes menaces pour la santé humaine.

    Face à ces constats, une mise à l’agenda des enjeux de biodiversité – étroitement liés à ceux du climat – s’est progressivement opérée au niveau international et national, et des outils ont été mis en place. Citons par exemple la Convention sur la diversité biologique (1992), la convention CITIES, certaines directives européennes telles que les directives habitats, directives oiseaux, directive cadre sur l’eau, et le réseau Natura 2000, mais aussi, au niveau national, la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (2016), le Plan National Biodiversité, la trame verte et bleue et, enfin, les parcs naturels, terrestres et marins.

    Les parcs naturels font donc partie intégrante des outils de protection de la biodiversité, et sont reconnus juridiquement. De fait, il faut souligner la distinction entre parc naturel régional et parc national, rattachés à des régimes juridiques différents. La vocation des parcs est double :

    1. Protéger et gérer des milieux naturels remarquables, des espèces rares ou menacées et des patrimoines géologique et paléontologique exceptionnels
    2. Sensibiliser le public à ces richesses.

    L’objectif est donc assez délicat, puisqu’il s’agit d’allier actions humaines et protection de la nature. Le classement d’un parc témoigne donc d’une volonté politique de doter un territoire d’une forte visibilité nationale et internationale, et d’y mener une politique stricte et intégrée de protection et de gestion de valeurs patrimoniales naturelles et culturelles. Aujourd’hui, le territoire français comporte 58 parcs naturels régionaux et 11 parcs naturels nationaux, représentés sur la carte ci-dessous.

    Source: http://geoconfluences.ens-lyon.fr/

    Afin de comprendre si les parcs naturels français représentent aujourd’hui une réponse efficace à l’enjeu de l’érosion massive de la biodiversité, ou si, au contraire, leur portée se limite à des outils dits compensatoires insuffisants face à l’érosion massive et globale de celle-ci, nous avons interrogé deux acteurs de terrain : Gilles MARTIN, Professeur émérite de l’Université Côte d’Azur et Président du conseil scientifique du parc national de Port-Cros, et Simon JOLIVET, maître de conférence en droit public à l’université de Poitier et spécialiste des questions de conservation. L’article se propose ainsi de mettre en lumière les distinctions et spécificités juridiques de chaque type de parc, régional et national, avant d’analyser concrètement les enjeux quant au fonctionnement et à la finalité des parcs en matière de biodiversité.

    Le cadre juridique des parcs naturels français : Bien faire la différence entre des entités administratives distinctes

    Gilles Martin le rappelle, parler de « Parc naturels » renvoie à « deux choses très différentes ». En effet, la confusion est vite arrivée entre Parcs Nationaux et Parcs Naturels Régionaux, lesquels correspondent en réalité à des vocations et des régimes propres.

    Les Parcs Nationaux (PN) sont des espaces essentiellement consacrés à la sauvegarde des milieux naturels. Il s’agit d’y mener une politique de conservation « de la faune, de la flore, du sol, du sous-sol, de l’atmosphère, des eaux et en général du milieu naturel »1. Ils relèvent d’un régime d’exception, à portée contraignante, pouvant conduire à « interdire ou réglementer toute action susceptible de nuire au développement naturel de la faune et de la flore ».2

    Statut = Établissement public administratif.

    Les Parcs Naturels Régionaux (PNR) ont quant à eux une vocation double : la protection des espaces naturels est mêlée à l’ambition de développement économique durable. Ils s’inscrivent ainsi dans la politique plus large d’aménagement durable des territoires : « ce sont des territoires de projet et d’aménagement beaucoup plus que de protection. »3. Ils restent en somme partie du droit commun, et présentent «beaucoup moins de contraintes en matière de protection »4… À titre d’illustration, les pratiques de la chasse et de la pêche n’y sont pas limitées.5 Le PNR est constitué par une charte, adoptée par décret et valable pour 15 ans, dans laquelle les parties contractantes s’engagent à réaliser un « projet de protection et de développement » du territoire concerné — Autrement dit, « les règles du jeu que se donnent les partenaires ».6

    Statut = Syndicat mixte de collectivités locales.7

    En bref, entre les deux régimes, la distinction la plus saillante est à trouver dans la portée de leurs mesures de gestion et de protection : elle est « réglementaire » pour les PN, et « contractuelle » pour les PNR.8 Pour grossir le trait, les seconds agissent indirectement, à travers les collectivités parties prenantes de leur charte, et ultérieurement en jouant un rôle d’animateur, d’incitation, de sensibilisateur, de coordinateur… À noter que sur leur nature même, le degré d’anthropisation des territoires fait aussi la différence, très faible pour les PN quand il s’agit de zones beaucoup plus habitées dans les PNR.

    À la décharge du profane, il y a bien un facteur de confusion que nous avons volontairement laissé de côté jusque-là : les Parcs nationaux se décomposent en deux zones spécifiques dont l’une se rapproche du régime des PNR. En effet, autour des « cœurs» où le pouvoir réglementaire du parc s’applique, on trouve une « aire d’adhésion » qui répond à une charte, à l’instar des PNR. Cet espace, déterminé au préalable par le décret de création du parc, est délimité au territoire des communes signataires, les autres étant placées en « aire potentielle d’adhésion ».9

    L’encadrement juridique des parcs naturels français en textes clés :

    Parcs naturels

    • Loi relative à la création de parcs nationaux (22 juillet 1960) — Crée les PN
    • Loi relative aux Parcs nationaux, aux Parcs naturels marins et aux Parcs naturels régionaux (14 avril 2006) — Rénove l’esprit des parcs français pour le réancrer dans les enjeux du développement durable, et renforce la capacité de protection des PN : Elle crée notamment des instruments spécifiques de protection pour les espaces marins comme « l’Agence des aires marines protégées ».10

    Parcs naturels régionaux

    • Décret instituant des Parcs naturels régionaux (1 mars 1967) — Crée les PNR
    • Décret relatif aux Parcs naturels régionaux (25 avril 1988) — Met en conformité les parcs avec les lois de décentralisation, « réaffirme l’objectif premier des Parcs, reconnaît aussi leur rôle de développement économique et social, ainsi que leur objectif d’expérimentation, d’exemplarité et de recherche ».11
    • Lois de décentralisation et la Loi sur la protection et la mise en valeur des paysages (8 janvier 1993) – Confère un poids réel aux chartes, principe étant établi que « les documents d’urbanisme doivent être compatibles avec les orientations et les mesures de la charte ».12
    • Conseil d’État, 29 avril 2009, arrêt Commune de Manzat – Consacre la portée réglementaire des chartes.13

    Pour aller plus loin :

    Les parcs ne sont pas les seuls types d’espaces naturels protégés en France. Pour compléter le tableau, il faut d’abord inclure les Réserves naturelles. Ces zones correspondent à un espace relativement restreint où s’applique une réglementation plus stricte que dans les parcs. C’est d’autant plus le cas pour les Réserves intégrales, qui ont elles une vocation de préservation.14 Prévues par les Parcs nationaux, on dénombre sur le territoire français 3 de ces espaces les plus réglementés en matière de protection de l’environnement — toute activité humaine y est proscrite. Ajoutons enfin les Sites classés et Sites inscrits, lesquels ne couvrent pas nécessairement des espaces naturels, mais des lieux « exceptionnels d’intérêt national »15. Précisons que tous les espaces que nous venons d’évoquer peuvent se situer au sein du territoire d’un parc naturel — seulement au sein des

    PN, pour ce qui est des réserves naturelles. Seuls les territoires d’un PN et d’un PNR ne peuvent se chevaucher.16

    Sur le terrain : Les parcs naturels français face à l’érosion de la biodiversité

    La question de la pertinence des parcs comme outils d’action publique de lutte contre l’érosion de la biodiversité

    Les personnes interrogées reconnaissent unanimement l’utilité des parcs naturels contre l’érosion de la biodiversité, en soulignant aussi bien leurs effets externes que internes. Concernant leurs effets externes, Gilles Martin souligne en effet que, contrairement à certaines idées préconçues, les parcs ne sont pas “sous cloche”, la faune et la flore interagissant entre extérieur et intérieur du parc. Par exemple, dans le parc national de Port-Cros, est observé un phénomène dit “effet réserve”, des zones fortes de protection du parc bénéficiant à des zones hors parc, et certains poissons protégés pondant ainsi des larves atteignant les côtes voisines, parfois jusqu’à Marseille. De plus, les deux interlocuteurs mettent également en avant l’importance de la création de réseaux écologiques, de corridors. Ceux-ci sont indispensables puisque certaines espèces, protégées au sein des parcs, ont besoin de se déplacer. C’est le cas des espèces migratrices, mais aussi de celles se déplaçant pour accomplir leur cycle de vie, alimentaire et reproductif.

    Face aux effets bénéfiques des parcs sur la biodiversité, la question de leur extension et multiplication mérite d’être posée. Ici, les deux interlocuteurs mettent en avant les limites d’une certaine course à l’extension, et ce pour diverses raisons. Tout d’abord, Simon Jolivet souligne “la course au gigantisme des aires protégées” ayant lieu actuellement: une course entre Etats, avec en ligne de mire 30% d’aires protégées dans le monde d’ici 2030. Or, selon lui, cet effet d’annonce est en réalité souvent inversement proportionnel au degré de protection de l’écosystème. Concrètement, des stratégies de communication étatiques sont en jeu, puisque plus l’environnement monte à l’agenda des préoccupations politiques internationales, plus cela devient un enjeu de puissance pour les Etats, et plus il devient nécessaire de manifester son engagement. Gilles Martin met également en avant le risque de baisse d’ambition dans la multiplication des aires protégées, avec par exemple des activités humaines perpétuées au sein des parcs pour atteindre les 30%… Conséquence ? Une non protection de la biodiversité. Un autre enjeu de taille est celui de la régulation des espèces au sein des parcs, mais aussi celui du choix de protection du type de biodiversité. En effet, le chercheur D. Thierry dénonce le cloisonnement affectant l’action publique française en matière de protection de la biodiversité, et les échecs que cela entraîne. Les mesures selon lui sont trop largement centrées sur les espèces rares, en danger d’extinction, les protections tendant à s’apparenter donc à de la muséographie, et ce au détriment de la biodiversité ordinaire. Partiellement en opposition, Simon Jolivet indique que les espaces protégés ont au contraire été mis en place historiquement indépendamment des espèces, tout en soulignant effectivement que le droit de l’environnement dans son ensemble reste trop centré sur la nature extraordinaire, au détriment de l’ordinaire. Néanmoins, celle-ci ne relève selon lui pas entièrement des parcs naturels potentiels, puisqu’une grande partie se trouve en milieu agricole. C’est donc également à d’autres secteurs, notamment l’agriculture et l’habitat, plus éloignés a priori des problématiques biodiversité, d’intégrer ces dimensions de protection. Gilles Martin s’inscrit aussi dans cette perspective, puisque, selon lui, ce serait une erreur que de déconsidérer l’outil des parcs naturels au motif qu’il ne peut protéger l’entièreté de la biodiversité dite ordinaire. Si les parcs s’avèrent donc nécessaires aujourd’hui pour la protection de la biodiversité, ils ne sont néanmoins pas suffisants pour contrer à eux seuls l’érosion de la biodiversité. Enfin, ces territoires ne sont pas statiques et même en leur sein, peuvent survenir des contentieux juridiques, impactant de près ou de loin la biodiversité.

    Un aperçu des contentieux juridiques ayant trait à la protection de la biodiversité au sein des parcs

    Si les formes d’espaces protégés et tout le panel d’institutions et de mesures concrètes mises en place pour protéger la biodiversité semblent relativement efficaces, dans bien des cas les principes de protection de la nature avancés sont mis face à la complexité du terrain. Cette réalité, ce sont évidemment des intérêts socio-économiques propres à l’activité humaine et qui peuvent se trouver en contradiction avec ceux de la préservation de la nature (exploitation agricole, halieutique, tourisme, habitat…etc). Ce qui a pour effet de provoquer un certain nombre de litiges. On remarque à ce sujet que l’implication du juge dans la vie des parcs s’est nettement accrue au fil du temps. Si l’on prête attention aux chiffres dans les parcs naturels régionaux, on constate que le nombre d’arrêts et de jugements engageant les parcs entre 2002 et 2006 est supérieur au nombre d’arrêts et jugements constatés entre 1967 (date de création des parcs) et 2002, soit une période de 35 ans17. Dans le cadre de ces recours en contentieux, le juge qui sera alors amené à se prononcer sur la base du droit en vigueur peut mobiliser le droit des espaces protégés comme le droit commun de manière plus générale.

    En l’occurrence, dans le droit des parcs, on retrouve les chartes précédemment évoquées. Les chartes des parcs nationaux ont toujours par essence fait office d’acte administratif, elles sont d’ailleurs reconnues par le préfet à la création du parc. Rappelons que leur portée réglementaire est consacrée depuis 200918. Ce socle juridique, défini dernièrement par la loi de 2006, implique ainsi tout un apanage d’acteurs qui vont eux aussi produire du droit. Parmi ceux-ci on peut citer les directeurs des parcs nationaux qui émettent des décisions, ou encore un corps de police qui adresse des procès-verbaux. En somme, on parle ici de tous les inspecteurs, agents administratifs assermentés, qui sont habilités à constater les infractions dans les espaces protégés. Ces agents sont détachés par l’Office français de la biodiversité (OFB), dont la compétence administrative découle directement du Ministère de la transition écologique et solidaire. Lors d’un entretien, Simon Jolivet nous dépeint l’OFB comme le “bras armé du Ministère”.

    Ainsi, à l’échelle de l’espace protégé, en cas de désaccord avec un acte administratif relatif à la gestion des parcs, toute personne physique ou morale est en droit d’introduire un recours en contentieux auprès du Tribunal administratif de son lieu de résidence. Dans la pratique, les motifs de ces contentieux croissants sont multiples. Cela peut tenir à la contestation de procès-verbaux, de décisions de la direction, ou encore à la remise en cause d’une interdiction d’activité. Gilles Martin nous donne l’exemple dans le Parc national du Mercantour d’une association de cyclistes qui attaque une décision de la direction du parc limitant la circulation des vélos sur une zone protégée. L’association va alors fonder son action sur le droit commun, en mobilisant, par exemple, une atteinte à la liberté d’aller et venir. Toujours dans la lignée de litiges semblables, Gilles Martin nous cite un contentieux avec des commerçants qui contestent une décision d’interdiction d’activité. Ces derniers, gérants de magasins dédiés à la location de jet-skis, vont alors s’opposer à l’interdiction de ce loisir au sein du parc et considérer la décision de la direction comme une atteinte à la liberté d’entreprendre.

    Après avoir évoqué les contentieux où les requérants contestent l’avancée de la législation protectrice, venons-en aux contentieux où les dégâts sont déjà palpables, où c’est cette fois le parc qui demande des réparations face aux dommages constatés sur son territoire. À ce sujet, Gilles Martin nous donne l’exemple d’un serial-killer jugé il y a quelques années pour avoir tué 104 chamois dans les parcs nationaux du Mercantour et des Écrins. Dans ce cas, le loisir de braconnage de cet individu se heurte à la législation protectrice du parc, l’infraction se constatant sur son territoire. Toutefois, dans bien d’autres cas, les responsables du dommage constaté se trouvent à l’extérieur de l’aire protégée, ce qui peut s’avérer problématique. Comme nous le rappelle Gilles Martin, la nature n’est jamais mise « sous cloche », les éco-systèmes communiquent entre eux et s’affectent sur des superficies toujours plus vastes que celle du territoire tel qu’il est établi juridiquement. Les animaux effectuent des migrations, de même que l’eau suit son cycle à une échelle bien plus large. On a encore une fois l’exemple à Port-Cros d’une pollution par des hydrocarbures, due à la percussion de deux bateaux au large de la Corse ayant impacté des côtes constituantes du cœur du Parc national en octobre 2019. Un procès est sûrement à venir, où il faudra avancer la notion de préjudice écologique. Or, la difficulté sera d’évaluer et de prouver ce préjudice. Le parc étant Parc national, il aura qualité pour agir en réparation des préjudices subis.

    Une problématique classique : Comment concilier l’augmentation de la fréquentation touristique avec la protection de la biodiversité ?

    La pandémie de Covid-19 a généré une hausse sensible de la fréquentation des parcs naturels. Elle vient renforcer une tendance déjà observable pendant la décennie, comme l’illustre cette statistique concernant les Parcs nationaux : En 2018, plus de 10 millions de visites sont recensées, soit une augmentation de 60% par rapport à 2011.19 Cette nouvelle manne économique bienvenue ramène néanmoins les parcs à un enjeu de taille : comment s’accommoder de l’augmentation du tourisme tout en menant à bien la mission de conservation des espaces naturels ? La question se pose avec d’autant plus d’acuité pour les Parcs naturels régionaux où, pour rappel, la valorisation et le développement économique sont parties prenantes de leurs objectifs.

    S’agissant de la faune, par exemple, certains temps de l’année sont difficilement conciliables avec un flux important de visiteurs ; quand le printemps ouvre la saison des reproductions, l’hiver correspond à une phase de raréfaction de la nourriture, soit autant de périodes où la quiétude est de mise pour les espèces animales.20

    « Quiétude Altitude » est justement le thème d’un dispositif mis en place par le parc régional des Vosges du Nord pour répondre à ce défi.21 Depuis 2015, le public est informé en temps réel sur les comportements à observer pour favoriser une expérience la plus harmonieuse possible avec les espaces naturels. Certaines zones peuvent ainsi être placées en vigilance renforcée, quand elles ne sont pas tout simplement interdites à la visite. Même son de cloche au parc des Landes de Gascogne22, où la fréquentation a doublé pendant la pandémie. La direction reste alerte ; si elle entend « aller à la rencontre des attentes des clientèles d’aujourd’hui et de demain », décision a déjà été prise de cesser de communiquer sur ses espaces les plus prisés. C’est tout particulièrement le cas de l’attraction phare du parc, le site labellisé “rivière sauvage” de La Leyre. Par ailleurs, tourisme et biodiversité ne sont pas nécessairement antagonistes ; c’est justement l’essence de l’éco-tourisme que de fusionner les deux. Prônée par les parcs, cette forme de tourisme est fondée sur “l’observation de la nature et l’éducation du public, en lien avec les spécificités de chaque territoire et le patrimoine culturel”. Le Birdwatching en est une pratique probante, à travers laquelle amateurs et professionnels s’adonnent à l’observation respectueuse des oiseaux. En France, les parcs seraient d’ailleurs “à la pointe” de l’accompagnement des acteurs dans le cadre de la mise en œuvre de la Charte européenne du tourisme durable.23

    Oui, les parcs naturels peuvent concilier tourisme et biodiversité, à condition de s’en donner les moyens. À bien des égards, cette problématique restera à l’avenir un des enjeux primordiaux pour la gestion de la biodiversité en leur sein. En atteste, s’agissant des PNR, la nouvelle stratégie pour le tourisme – “Destination Parcs” – déployée par la Fédération des parcs naturels régionaux de France qui entend bien développer le secteur avec une offre « spécifique aux parcs »24 ; En 2021, 15 d’entre eux font partie de l’initiative.25

    Pour autant, imputer au tourisme la responsabilité principale des nuisances de l’activité humaine sur la biodiversité des parcs serait une erreur. De fait, l’empreinte du secteur est à relativiser en comparaison avec d’autres activités humaines. Dans une enquête réalisée auprès des directeurs de Parcs naturels régionaux, le secteur arrive troisième au rang des plus concernés par la question de la biodiversité (45% de réponse positive), loin derrière l’agriculture/agroalimentaire (85%) et la filière bois/sylviculture dans une moindre mesure (50%).26

    Somme toute, s’il peut être un poids, le tourisme peut être dans une certaine mesure un levier à disposition des parcs dans leur mission de protection de la biodiversité. Au-delà d’un apport économique utile, le secteur offre la possibilité de mettre en scène la mission des parcs et par extension justifier leur existence. C’est bien ce que ces derniers font en encadrant les pratiques du public autour des impératifs de la biodiversité, en le sensibilisant à sa richesse, en le rappelant à son indispensabilité pour l’Homme. Ici aussi, par rayonnement, les parcs naturels français apportent une réponse au phénomène d’érosion par delà leurs frontières.

    1 Contributions collectives – Chercheurs ENS Lyon. (2020, décembre). Parc national en France / parc naturel régional (PNR) — Géoconfluences. Géoconfluences.ENS-Lyon.fr. Consulté le 18 mars 2022,

    2 Idem.

    3 Idem.

    4 Entretien avec Gilles Martin.

    5 Ibid. Géoconfluences.

    6 Parcs naturels régionaux de France. (2018). Questions – Réponses sur les Parcs naturels régionaux. Argumentaire.

    7 Ibid. Géoconfluences.

    8 Idem.

    9 Parcs Nationaux. (s. d.). L’organisation du territoire d’un parc national français | Portail des parcs nationaux de France. parcsnationaux.fr. Consulté le 15 mars 2022.

    10 Ibid. Géoconfluences.

    11 Parcs naturels régionaux de France. (2007, août). Les parcs naturels régionaux : 40 ans d’histoire. . .

    12 Ibid. Géoconfluences.

    13 Patrick Janin, “De la charte des parcs naturels régionaux en particulier et des chartes territoriales en général” in Revue juridique de l’Environnement, 2010-4, p. 591-603.

    14 Ibid. Géoconfluences.

    15 Ibid. Géoconfluences.

    16 Ibid. Argumentaire PNR.

    17 Aurélie Tournier, “Les tribulations du droit des chartes : regard d’une juriste des parcs”, Revue juridique de l’environnement, année 2006, HS, p. 65-74.

    18 Patrick Janin, “De la charte des parcs naturels régionaux en particulier et des chartes territoriales en général” in Revue juridique de l’Environnement, 2010-4, p. 591-603.

    19 Ministère de la Transition Écologique. (2021, 30 juin). Les parcs nationaux de France – Chiffre clés – Edition 2021 (Partie 3). statistiques.developpement-durable.gouv.fr. Consulté le 15 mars 2022.

    20 Barroux, R. (2021, 21 janvier). Les 56 parcs naturels régionaux français à la recherche d’un juste équilibre. Le Monde.fr. Consulté le 15 mars 2022.

    21 Idem.

    22 Idem.

    23 CDC Biodiversité. (2015, novembre). Biodiv’2050 – Mission économie de la biodiversité (No 8). Groupe Caisse des dépôts.

    24 Ibid. Barroux, R.

    25 Destination Parcs : la plateforme d’offres touristiques des Parcs Naturels Régionaux. (2022, 17 mars). Hospitality ON. Consulté le 15 mars 2022.

    26 Ibid. CDC Biodiversité.

    BIBLIOGRAPHIE

    Barroux, R. (2021, 21 janvier). Les 56 parcs naturels régionaux français à la recherche d’un juste équilibre. Le Monde.fr. Consulté le 15 mars 2022, à l’adresse https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/01/21/les-56-parcs-naturels-regionaux-francais-a-la-reche rche-d-un-juste-equilibre_6067071_3244.html

    CDC Biodiversité. (2015, novembre). Biodiv’2050 – Mission économie de la biodiversité (No 8). Groupe Caisse des dépôts. URL :

    http://www.mission-economie-biodiversite.com/wp-content/uploads/dlm_uploads/2015/12/biodiv-2050- n8-fr-md.pdf

    Contributions collectives – Chercheurs ENS Lyon. (2020, décembre). Parc national en France / parc naturel régional (PNR) — Géoconfluences. Géoconfluences.ENS-Lyon.fr. Consulté le 18 mars 2022, à l’adresse :

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    https://hospitality-on.com/fr/tourisme/destination-parcs-la-plateforme-doffres-touristiques-des-parcs-na turels-regionaux

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    Parcs Nationaux. (s. d.). L’organisation du territoire d’un parc national français | Portail des parcs nationaux de France. parcsnationaux.fr. Consulté le 15 mars 2022, à l’adresse : http://www.parcsnationaux.fr/fr/des-decouvertes/les-parcs-nationaux-de-france/lorganisation-du-territo ire-dun-parc-national-francais

    Parcs naturels régionaux de France. (2007, août). Les parcs naturels régionaux : 40 ans d’histoire. . .

    :https://www.parcs-naturels-regionaux.fr/sites/federationpnr/files/document/centre_de_ressources/hist oire-40_ans.pdf

    Parcs naturels régionaux de France. (2018). Questions – Réponses sur les Parcs naturels régionaux. Argumentaire. :

    https://www.parcs-naturels-regionaux.fr/sites/federationpnr/files/document/centre_de_ressources/pnr_ argumentaire_2018_bd.pdf

    Office français de la biodiversité. (2020, janvier). Préserver la biodiversité, c’est aussi nous préserver.

    file:///C:/Users/missl/Downloads/pr-server-la-biodiversit-c-est-aussi-nous-pr-server–67932.pdf

    Thierry Damien, « Atteintes à la biodiversité et risques épidémiques », Revue juridique de l’environnement, 2020/HS20 (n° spécial), p. 81-93. URL

    https://www-cairn-info-s.biblio-dist.ut-capitole.fr/revue-revue-juridique-de-l-environnement-2020-HS20- page-81.html

    Aurélie Tournier, “Les tribulations du droit des chartes : regard d’une juriste des parcs”, Revue juridique de l’environnement, année 2006, HS, p. 65-74.

    Patrick Janin, “De la charte des parcs naturels régionaux en particulier et des chartes territoriales en général” in Revue juridique de l’Environnement, 2010-4, p. 591-603.https://www.cairn.info/revue-revue-juridique-de-l-environnement-2010-4-page-591.html

  • La lutte contre l’artificialisation des sols – Etude de terrain en métropole toulousaine et son aire d’attraction

    Réalisé par Mélissa Bernard, Solange Coupé, Elora François, Marie Grandjean et Gabriel Theil du Master D3P1 « Transition Ecologique, Risques et Santé, à SciencesPo Toulouse

    En partenariat avec l’association Notre Affaire à Tous

    Remerciements :

    Nous tenons à remercier les personnes qui ont bien voulu accorder du temps à cette étude et à participer aux entretiens

    Dans le cadre de la Clinique de Sciences Po Toulouse, les étudiant.e.s du Master D3P1 « Transition Ecologique, Risques et Santé » ont pu approfondir des sujets forts à Notre Affaire A Tous concernant le dérèglement climatique. Ici, la lutte contre l’artificialisation des sols touche sensiblement le territoire toulousain et son aire d’attraction. Cet article fait part des recherches effectuées pour l’étude de terrain et des interviews réalisées auprès des acteurs de terrain par les étudiant.e.s.

    La lutte contre l’artificialisation des sols représente un enjeu fort en matière de lutte climatique et environnementale, à tel point que la loi Climat et Résilience s’est emparée de la question via notamment l’objectif de Zéro Artificialisation Nette. Pour comprendre les différents enjeux et problèmes liés à l’artificialisation des sols, nous avons mené une enquête de terrain sur l’aire d’attraction de la métropole toulousaine afin de dresser une cartographie des différents acteurs et actrices concerné.e.s par les enjeux de lutte contre l’artificialisation.

    Notre terrain comprend l’ensemble de l’aire d’attraction de la métropole toulousaine, afin de prendre davantage en compte la répartition différenciée des efforts de diminution d’artificialisation des sols, et ainsi mettre en lumière les interactions entre métropole et territoires à proximité.

    Récemment, le rapporteur public a obtenu l’annulation pure et simple du PLUi-H de Toulouse Métropole pour une mauvaise appréciation de la consommation des espaces artificialisés sur les dix années précédentes. En effet, la loi Climat et Résilience à pour objectif à l’horizon 2031, pour chaque commune, la réduction de de moitié la consommation d’espaces par rapport à la consommation des années précédentes. Ainsi, en gonflant l’estimation des terrains artificialisés, Toulouse Métropole pouvait diminuer ses efforts de réduction de consommation des sols prévus à l’horizon 2030. Plus l’artificialisation était importante sur les dix dernières années, plus la marge de manœuvre pour respecter l’objectif de 2030 sera importante pour les communes, d’où la tentative de gonfler les chiffres de l’artificialisation des sols par la métropole de Toulouse.

    Notre étude vise à établir un état des lieux et une cartographie des acteurs ayant un impact quant à l’artificialisation des sols de l’aire d’attraction de la métropole de Toulouse. Nous nous sommes intéréssé.e.s à la manière dont l’objectif Zéro Artificialisation Nette est appréhendé par différent.e.s acteur.rice.s, quelles étaient les difficultés auxquels iels sont confronté.e.s au quotidien et leurs biais cognitifs expliquant des situations de conflits entre volonté de développer et volonté de ne pas artificialiser.

    L’artificialisation des sols : une définition non consensuelle

    Chaque année en France, entre 24.000 et 30.000 hectares de terres agricoles et naturelles sont artificialisées1. Il n’y a pas de définition scientifique internationale de l’artificialisation des sols. Ce manque de définition scientifique explique que l’artificialisation puisse être comprise différemment en fonction des acteurs concernés. L’artificialisation des sols, selon le gouvernement, consiste à « transformer un sol naturel, agricole ou forestier, par des opérations d’aménagement pouvant entraîner une imperméabilisation partielle ou totale« .

    La loi Climat et Résilience parue en 2021 précise cette définition dans son article L101-2-1 énonçant que l’artificialisation est “l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage2.

    Lutter contre l’artificialisation des sols est un enjeu primordial pour la transition écologique au vu de ses nombreux impacts sur l’environnement. En effet, elle entraîne une perte de biodiversité, une amplification des risques d’inondation dûe à l’imperméabilisation des sols, une baisse de rendements productifs des terres agricoles, un accroissement des dépenses énergétiques liées au réseau, une amplification de la fracture territoriale avec l’étalement urbain et la construction en périphérie qui relègue une partie des habitants à l’écart des centres-villes, et enfin, elle constitue l’une des premières causes des changements climatiques car un sol artificialisé n’absorbe plus le dioxyde de carbone (CO₂)3.

    Les processus d’artificialisation peuvent être “légers”, tels que la création de jardins, d’espaces verts ou de friches intra-urbaines, et donc modifient peu les caractéristiques physico-chimiques des sols en comparaison avec les sols d’espaces naturels. Mais ils peuvent également être “lourds” et aller jusqu’à imperméabiliser totalement les sols ce qui entraîne des conséquences sévères, comme la fragmentation des écosystèmes.

    De plus, pour pouvoir apprécier le processus d’artificialisation, il serait pertinent de connaître la nature des perturbations apportées au sol (déboisement, pose d’un revêtement temporaire, minéralisation…), le type géographique d’espace concerné (urbain dense, périurbain, rural), le type d’activité développée sur les terres artificialisées (activités commerciales, industrielles, logements, espaces verts…) et enfin leur degré de réversibilité4.

    L’objectif ZAN en 2050, fixé dans le cadre du Plan National Biodiversité de 2018 a été confirmé par l’adoption de la loi Climat et Résilience à l’Assemblée Nationale le 24 août 20215. Comme il est précisé sur le site de France Stratégie, il est urgent de freiner l’artificialisation (près de 31.000 hectares d’espaces naturels et agricoles perdus en 20196) et l’objectif ZAN est l’outil qui permettrait d’y faire face. L’objectif ambitionne de diviser par deux le rythme d’artificialisation des sols par rapport à la consommation d’espaces observée depuis 2011, d’ici 2031 et d’arriver à zéro artificialisation nette des sols en 2050.

    L’objectif Zéro Artificialisation Nette (ZAN)

    Les principales avancées rendues possibles par la mise en place de cet objectif sont doubles:

    • un objectif contraignant, ce qui n’était pas le cas du Plan National Biodiversité. Désormais les régions sont contraintes à décliner leur plan d’action de lutte contre l’artificialisation.
    • la possibilité démontrer plus facilement les irrégularités au yeux du législateur grâce au développement d’outils de mesure (perfectibles) de l’artificialisation comme peut l’être la carte du Portail national de l’artificialisation des sols en France développée par le CEREMA7.

    Les projets de décret publiés en mars 2022 ont précisé le contenu minimal du rapport que doivent établir les collectivités territoriales. Ce rapport devra présenter le rythme de l’artificialisation et de consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF)8. De plus, le décret apporte des précisions sur l’observatoire national de l’artificialisation des sols mis en place par l’État. Ces précisions devront permettre de mieux prendre en compte et qualifier les types d’artificialisation.

    Une notion importante que nous aimerions préciser ici est la séquence ERC (Éviter, Réduire, Compenser) qui s’applique aux projets, plans et programmes soumis à évaluation environnementale. Les collectivités territoriales se basent notamment sur cette séquence pour réaliser leur PLUiH. Cette séquence est relevée comme intéressante par certains de nos interlocuteurs.trices même si en pratique la compensation est parfois utilisée avant même de tenter d’Éviter et de Réduire, contrairement à ce qui est préconisé.

    Les faiblesses relevées lors de nos entretiens; la loi manquerait de définitions, par exemple, elle ne définit pas ce qu’est une friche, ni ce qu’est une zone de pleine terre. Or, une note de l’Institut Paris Région consacrée à cette notion démontre qu’en l’absence de définition partagée, on trouve une hétérogénéité des solutions retenues ainsi qu’une appréhension du phénomène imparfaite9. Dans cette même loi, la distinction entre les différents types d’artificialisation et leur importance n’est pas non plus établie. Or, en fonction de la façon dont le sol est artificialisé, les conséquences ne sont pas les mêmes.

    En effet, la Fabrique Ecologique distingue 4 sols artificialisés10 :

    • Sol transformé : Jardins, terrains d’agriculture urbaine sur sols reconstitués,
    • Sol reconstruit ou reconstitué : Abords végétalisés d’installations industrielles ou de voiries, carrières réhabilitées,
    • Sol ouvert : Friches urbaines ou industrielles, remblais ferroviaires, carrières abandonnées,
    • Sol scellé et/ou imperméabilisé : Surface bâties, voiries, trottoirs…

    Les impacts de l’artificialisation sont plus faibles pour les sols transformés et augmentent jusqu’à être très importants pour les sols scellés ou imperméabilisés. C’est pourquoi l’objectif ZAN mériterait de prendre en compte ces différences d’impact.

    La cartographie des acteurs

    Le schéma ci-dessus synthétise les positionnements des 7 acteur.rice.s interrogé.e.s concernant la loi Climat et Résilience et son objectif ZAN. Nous les avons regroupés en 5 catégories : associatifs (FNE), collectifs de citoyen.ne.s (Le Bocage Autrement et Gamasse Rébeillou), agricoles (la Chambre d’Agriculture du Tarn, et la Confédération Paysanne Haute-Garonne), institutionnels (CEREMA) et territoriaux avec la commune de Saint Sulpice La Pointe.

    L’ensemble de nos enquêté.e.s reconnaissent une certaine avancée avec la promulgation de l’objectif ZAN dans la loi Climat et Résilience. Cependant l’objectif leur semble encore flou et difficile à cerner, et il faudra attendre les différents décrets d’application pour avoir une meilleure appréhension des avancées. Malgré cela, nombre d’’entre elleux dénoncent certaines facettes de l’objectif, comme le risque de sur-utilisation du principe de compensation ou l’accord de dérogations pour les surfaces commerciales. Certain.e.s craignent également des contraintes supplémentaires pour les zones rurales

    En prenant de la hauteur, on se rend compte que l’artificialisation des sols met en exergue des conflits d’acteurs relevant d’une priorisation différente des enjeux. Les impératifs économiques spécifiques à certain.e.s acteur.rices sont nécessaires à prendre en compte, car ils se répercutent en influençant les biais cognitifs des individus.

    Chaque acteur.rice représente plus ou moins consciemment ses propres intérêts. Les collectivités ont une approche particulièrement technique. Elles sont soumises à de nombreuses contraintes, notamment économiques, accentuées par les opérations de décentralisation et de déconcentration. Elles ont de moins en moins de moyens pour répondre aux enjeux environnementaux et sociaux et de plus en plus de dépenses. Ainsi, les projets d’aménagement permettent de répondre à ces besoins financiers (par l’apport de nouvelles taxes), et de rendre le territoire plus attractif. Les agricult.eur.rice.s elleux sont soumis.e.s à des impératifs économiques forts, dans un marché concurrentiel qui favorise les grosses productions

    Ainsi, le modèle relationnel des collectivités et des agents économiques à la nature est principalement détaché, elle est perçue comme peu importante face aux projets urbains, voire comme une contrainte pour le développement économique. Face à cela, avec les collectifs et certaines associations comme FNE, qui ne sont pas diamétralement opposées au développement territorial, mais à la façon dont celui-ci est réalisé, on est davantage dans une relation tutélaire où la nature nécessite une protection bienveillante, entraînant des règles et des normes permettant la délimitation d’espaces spécifiques.

    Le fait que les nouveaux projets d’aménagement soient de plus en plus contestés (Projet Terra2, PLUi-H de la métropole toulousaine, mais aussi les recours contre les entrepôts Amazon etc.)11 illustre en réalité des différences de paradigmes entre les collectivités territoriales, les acteurs économiques, et les acteurs citoyens et associatifs. Pour atteindre le compromis sociétal, il faut comprendre quelles sont les visions des différents acteurs, ainsi que les freins empêchant d’arriver au compromis. C’est notamment le rôle de la concertation publique, afin d’accroître l’acceptabilité sociale des projets; mais nos différents entretiens montrent que cet objectif n’est pas toujours atteint.

    Tout d’abord, une différence d’appréhension des enjeux économiques est en jeu. Les collectivités territoriales en ont une approche particulièrement technique. Elles sont soumises à de nombreuses contraintes, notamment économiques, accentuées par les opérations de décentralisation et de déconcentration. Les collectivités ont de moins en moins de moyens pour répondre aux enjeux environnementaux et sociaux et de plus en plus de dépenses. Ainsi, les projets d’aménagement permettent de répondre à ces besoins financiers (par l’apport de nouvelles taxes), et de rendre le territoire plus attractif. De plus, les communes doivent répondre à certains besoins qui se heurtent à l’objectif ZAN; notamment fournir assez de logement aux populations toujours plus nombreuses qui arrivent dans l’aire d’attraction toulousaine.

    Les agricult.eur.trice.s sont également soumis.e.s à des impératifs économiques forts, dans un marché concurrentiel qui favorise les grosses productions. Rappelons que le terme d’artificialisation tel qu’il a été consacré dans la loi renvoie principalement à l’altération des sols pour des fonctions urbaines ou de transport. Or, la question de l’altération des terres agricoles peut aussi être compromise par l’utilisation de certains produits pesticides, ou par l’utilisation des terrains pour y installer des panneaux photovoltaïques. Dans tous les cas, on voit s’opposer des modèles relationnels à la nature différents. Ainsi, le modèle relationnel des collectivités et des agents économiques à la nature est principalement détaché, où elle est perçue comme peu importante face aux projets urbains, voire comme une contrainte

    pour le développement économique, même si ces enjeux sont de plus en plus pris en compte du fait de l’évolution des mentalités.

    Face à cela, nous avons des collectifs et associations comme FNE, qui ne sont pas diamétralement opposés au développement territorial, mais à la façon dont celui-ci est réalisé. On est davantage dans une relation tutélaire où la nature nécessite une protection bienveillante, entraînant des règles et des normes permettant la délimitation d’espaces spécifiques.

    Ainsi, l’artificialisation des sols est de fait l’une des conséquences de nombreux choix faits aux niveaux globaux et locaux, chaque acteur.rice a ses propres biais cognitifs. Si l’on veut pouvoir penser une transition réellement efficiente, il est nécessaire de comprendre ces biais et donc d’écouter les différents acteurs. Or, la question de l’artificialisation des sols est aussi révélatrice d’un certain échec de la démocratie territorialisée, qui semble nécessaire pour co construire des territoires résilients. Dans les collectifs, on a retrouvé cette volonté de participer aux différentes enquêtes publiques afin de faire entendre leurs voix et de proposer des alternatives. Cependant, ce n’est déjà pas possible pour tous les individus de se saisir des outils parfois très complexes mis en place lors de la consultation, d’autant plus que ces avis ne disposent d’aucun pouvoir contraignant. On retrouve alors une certaine défiance envers les collectivités territoriales, qui mettent en place des projets déconnectés de certaines aspirations, sans réellement prendre en compte les opinions de leurs propres contribuables.

    La nécessité de nouveaux paradigmes de développement territorial

    Si la lutte contre l’artificialisation des sols vise à protéger les terres agricoles, la biodiversité, les paysages, elle ne répond pas intrinsèquement aux impératifs de logement soulevés par l’accroissement démographique des décennies à venir et par le regain d’attractivité des zones périurbaines et rurales.

    Pour faire en sorte que la zéro artificialisation nette ne se charge pas d’externalités négatives et pour répondre aux besoins en logement, il est nécessaire d’abord de densifier le bâti. Si, pendant longtemps, les urbanistes et architectes ont cherché à éviter la densification du bâti, c’est aujourd’hui un thème qui est l’objet d’un regain d’intérêt politique, et qui semble être indissociable des objectifs de « durabilité » des ville12], notamment dans la mesure où la densification est la principale marge de manœuvre que laisse l’objectif de zéro artificialisation nette. Cet attrait pour la densité s’explique facilement : en plus de permettre la sobriété de la consommation foncière, c’est un outil privilégié pour limiter l’utilisation de la voiture en ville. Construire en hauteur permet également de limiter la consommation énergétique des bâtiments, et de bousculer l’inertie de l’offre immobilière en centre ville. L’enjeu réside dans le juste milieu entre densité trop faible ou trop forte. Les maux d’une

    densité trop élevée sont bien connus : l’urbain trop dense étouffe et amplifie, à raison, les désirs de quitter la ville et s’aérer loin chaque weekend, ce qui, en France, est souvent synonyme de recours à l’utilisation de l’automobile. Cette densité, pour rester attractive, se doit d’être mesurée. Le plus judicieux est de favoriser la densification des banlieues et des polarités périphériques13, qui sont encore relativement peu concernés par rapport aux centres urbains.

    Ensuite, la densification concerne autant l’habitat individuel que collectif, il semble nécessaire de l’accompagner d’un changement dans la perception que revêt l’habitat collectif, qui est particulièrement économe en consommation foncière. En effet, les représentations psychosociales sont davantage favorables à l’habitat pavillonnaire, notamment dans son opposition à l’habitat collectif, qui éloignerait les individu.e.s de la nature et ne permettrait pas l’épanouissement personnel14. Or, des projets d’habitat collectif ambitieux sont pensés et réalisés : les représentations que l’on peut s’en faire les rattachent à des idées préconçues et donc faussées.

    Enfin, peut-être faut-il également se pencher sur l’approche, uniquement quantitative, choisie par le législateur. Ainsi, Eric Charmes, dans la revue Etudes foncières, dénonce un débat public alarmiste qui « illustre en réalité un biais en défaveur du périurbain et de l’habitat individuel »15,. Eric Charmes propose de questionner l’artificialisation davantage à travers ses modalités : si on ne peut dénier que l’artificialisation progresse de plus en plus vite, il faudrait plus s’inquiéter de l’émiettement territorial induit par un processus d’étalement urbain relégué sans cesse plus loin16.

    Car si cet émiettement a l’avantage de permettre de concrètement vivre entre ville et campagne, il renforce les effets sur le paysage, la biodiversité et l’agriculture en démultipliant les zones de contacts17.

    1 La Fabrique Écologique. (2021, 14 octobre). Les défis de la lutte contre l’artificialisation des sols. Consulté     le         1          mars     2022,    à                              l’adresse https://www.lafabriqueecologique.fr/les-defis-de-la-lutte-contre-lartificialisation-des-sols/

    2 Légifrance. (2021, août 24). LOI n° 2021–1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. Consulté le 1 mars 2022, à l’adresse https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043956924

    3 La Fabrique Écologique. (2021, 14 octobre). Les défis de la lutte contre l’artificialisation des sols. Consulté     le         1          mars     2022,    à                              l’adresse https://www.lafabriqueecologique.fr/les-defis-de-la-lutte-contre-lartificialisation-des-sols/

    4 Ibid.

    5 Fédération Nationale des SCoT. (2021). Objectif ZAN : Évaluez l’impact sur votre territoire. Objectif-ZAN. Consulté le 16 mars 2022, à l’adresse https://www.objectif-zan.com/#/

    6 Cerema. (2020, 5 novembre). Zéro Artificialisation Nette : de forts enjeux, des leviers d’action pour les acteurs des territoires. Consulté le 16 mars 2022, à l’adresse https://www.cerema.fr/fr/actualites/zero-artificialisation-nette-forts-enjeux-leviers-action

    7 Gouvernement français. (2021, septembre). Le suivi de la consommation d’espaces NAF. Portail de l’artificialisation des sols. Consulté le 23 février 2022, à l’adresse https://artificialisation.developpement-durable.gouv.fr/suivi-consommation-espaces-naf

    8 Consultations publiques. (s. d.). Projet de décret relatif au rapport local de suivi de l’artificialisation des sols. Ministère chargé de la Transition écologique. Consulté le 17 mars 2022, à l’adresse http://www.consultations-publiques.developpement-durable.gouv.fr/projet-de-decret-relatif-au-rapport-l ocal-de-suivi-a2612.html

    9 Étude citée dans F. Fortin (2021, 9 mars), Documents d’urbanisme : une étude souligne la nécessité d’une définition partagée de la « pleine terre », MCM Presse pour Localtis. Consulté le 20 mars 2022 à l’adresse

    https://www.banquedesterritoires.fr/documents-durbanisme-une-etude-souligne-la-necessite-dune-def inition-partagee-de-la-pleine-terre

    10 La Fabrique Écologique. (2021, 14 octobre). Les défis de la lutte contre l’artificialisation des sols.

    11 Voir la rubrique “Recours locaux/“Revue de presse” sur le site de Notre Affaire à Tous

    12 Charmes, E. (2010, mai-juin) La densification en débat, Effet de mode ou solution durable ? Études foncières, 145. https://www.aurm.org/uploads/media/f7018dfe821c61135f2016a5d277c984.pdf

    13Charmes, E. (2010, mai-juin) La densification en débat, Effet de mode ou solution durable ? Études foncières, 145. https://www.aurm.org/uploads/media/f7018dfe821c61135f2016a5d277c984.pdf

    14 La Fabrique Écologique. (2021, 14 octobre). Les défis de la lutte contre l’artificialisation des sols.

    15 Charmes, E. (2013, 31 juillet). L’artificialisation est-elle vraiment un problème quantitatif ?) https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00849424/document

    16 Ibid

    17 Ibid

  • Ecocide : l’occasion manquée

    Article écrit par Julia Thibord, avocate au Barreau de Paris et membre de Notre Affaire à Tous

    « Le temps est dépassé où la recherche d’un équilibre entre la croissance économique et la défense écologique posait problème : les populations ont pris conscience qu’il est indispensable, pour la survie des espèces, de ménager l’espace et les matières premières essentielles c’est-à-dire le sol, l’eau, l’air. (…) La législation existante doit être complétée afin que le non-respect des règles protectrices de l’environnement soit considéré comme un comportement social dangereux. Du point de vue pénal, nous avons une mosaïque de textes hétéroclites dont la mise en œuvre est relativement complexe. Il importe donc de dégager un texte de portée générale – à insérer dans le Code pénal – qui protège l’équilibre du milieu naturel, la santé de l’homme, des animaux et des plantes contre les actes directs et indirects de pollution, quels qu’en soient les motifs et les moyens. De même que le droit pénal, en punissant le meurtre ou le vol, affirme le droit à la vie ou à la propriété, de même il doit proclamer la valeur du milieu naturel, en punissant toutes les pollutions » (1).

    Ces propos, d’une brûlante actualité, ont été prononcés au Sénat il y a plus de 40 ans. Le constat, aujourd’hui, reste le même : le droit pénal de l’environnement, morcelé, inappliqué, n’est pas dissuasif. Plus que jamais, il importe de repenser ce droit, alors qu’il est crucial et urgent de préserver notre environnement et la sûreté de la planète. Dans cette perspective, la reconnaissance du crime d’écocide, au plan national comme au plan international, permettrait de « s’engager sur une voie responsable pour protéger les grands écosystèmes de la planète » (2) et d’envoyer un signal fort à tous ceux qui, le plus souvent pour des raisons économiques, obèrent notre avenir et celui de de la Terre dans une quasi-impunité.

    Au niveau international, la réflexion sur l’écocide est née lors de la guerre du Vietnam, en lien avec l’utilisation délibérée et massive par l’armée américaine de défoliants extrêmement toxiques, dont le tristement célèbre « agent orange », en vue de détruire la végétation et neutraliser les groupes armés du Vietcong (3). La criminalisation des atteintes graves à l’environnement fut un temps envisagée puis finalement écartée, pour des raisons politiques, lors de la création de la Cour pénale internationale (4). Seules les atteintes à l’environnement commises en tant que crime de guerre (et seulement lorsqu’il s’agit d’un conflit armé international) y figurent (5). 

    Lors de la dix-huitième session de l’Assemblée des États parties au Statut de Rome, en 2019, les Maldives et le Vanuatu – dont la survie est directement menacée par le réchauffement climatique – ont plaidé pour l’insertion du crime d’écocide dans le statut de la Cour, estimant que la justice pénale internationale a un rôle à jouer pour prévenir la catastrophe environnementale qui nous attend (6). Cette demande a été rejointe par la Belgique en décembre 2020 (7). Cette année, le Parlement européen a voté divers textes appelant à la reconnaissance du crime d’écocide dans le Statut de la Cour pénale internationale (8). 

    Enfin, le 22 juin dernier, un panel international d’experts institué par la Fondation Stop Ecocide, composé de douze juristes de différents pays, reconnus pour leur expertise en droit pénal, en droit de l’environnement et/ou en droit international, a rendu publique une proposition d’amendement au Statut de la Cour pénale internationale pour y intégrer le crime d’écocide (9). Cette proposition, qui fait suite à six mois de travaux, montre qu’une définition de l’écocide à la fois réaliste, ambitieuse et juridiquement solide est possible.

    Au niveau national, une résolution adoptée par l’Union Interparlementaire au mois de mai invite les parlements nationaux à « renforcer le droit pénal pour prévenir et punir les dommages étendus, durables et graves causés à l’environnement » et à « examiner la possibilité de reconnaître le crime d’écocide afin de prévenir les menaces et les conflits résultant des catastrophes liées au climat et à leurs conséquences » (10).

    En France, deux propositions de loi portant reconnaissance du crime d’écocide ont été successivement examinées et rejetées par le Sénat puis l’Assemblée nationale en 2019 (11). Parmi les 149 propositions figurant dans son rapport, la convention citoyenne pour le climat appelait à l’adoption d’une loi qui pénalise le crime d’écocide, afin de « sauvegarder les écosystèmes » (12).

    La loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (ci-après la « loi climat »), censée traduire dans l’ordre juridique les propositions de la convention citoyenne pour le climat, aurait pu être l’occasion d’une réflexion ambitieuse sur la notion d’écocide et d’un premier pas, au sein de l’Union européenne, pour la reconnaissance de ce crime. 

    Malheureusement, le nouvel article L. 231-3 du code de l’environnement consacrant un délit d’écocide n’est pas, de loin, à la hauteur des attentes. 

    En faisant de l’écocide un simple délit, la France a manqué l’occasion de montrer la voie en Europe et à l’international et contribue à une banalisation dangereuse de l’écocide (1). De plus, le délit d’écocide est défini par renvoi à d’autres infractions, ce qui nuit à sa clarté et à sa lisibilité, ajoutant à la complexité du droit pénal de l’environnement (2). Enfin, le législateur a manqué d’ambition en retenant une définition restrictive et inadaptée de l’écocide, qui devrait limiter fortement son application (3).  

    1. L’occasion manquée de l’exemplarité : le refus de faire de l’écocide un crime

    Alors que la convention citoyenne demandait la création d’un crime d’écocide, la loi climat n’institue qu’un simple délit. Aucun des arguments invoqués, à savoir privilégier une telle reconnaissance au niveau international (13), ou le respect du principe de proportionnalité (14), ne justifie ce refus. 

    1.1. L’absence de reconnaissance du crime d’écocide en droit international n’exclut pas et au contraire justifie sa reconnaissance en droit national

    Il est vrai que, dans la littérature juridique, l’écocide renvoie plutôt à un crime reconnu à l’échelle internationale (15). Comme le souligne la juriste Valérie Cabanes (16), dès lors qu’il s’agit de protéger des communs naturels dont nous dépendons tous, comme l’Amazonie, les océans, le climat, le droit international pénal paraît la meilleure manière de reconnaître le crime d’écocide – voire même la seule efficace. Les difficultés rencontrées, malgré des décennies de procès, pour engager la responsabilité du géant pétrolier Chevron Texaco dans la destruction de l’environnement et l’empoisonnement consécutif de dizaines de milliers de personnes en Equateur (17), ou la fin de non-recevoir opposée à la plainte déposée contre 26 laboratoires pharmaceutiques américains pour leur rôle dans l’utilisation de l’agent orange pendant la guerre du Vietnam (18) l’illustrent : sans règles à l’échelle internationale, de tels crimes ne pourront pas être jugés comme il se doit. 

    Pour autant, la reconnaissance de l’écocide en droit international n’est pas exclusive de sa reconnaissance dans le droit national ; au contraire, l’un et l’autre sont complémentaires. Rien n’empêche le droit interne – et la France en particulier – de prendre les devants. 

    Tout d’abord, si l’écocide en tant que crime de droit international doit être réservé aux atteintes environnementales les plus graves, portées aux communs naturels ou mettant en péril les conditions d’existence de populations entières, la reconnaissance du crime d’écocide au niveau national permettrait de poursuivre les atteintes particulièrement graves à l’environnement mais qui n’ont pas forcément de portée trans- ou internationale. Cela pourrait d’ailleurs justifier une définition de l’écocide potentiellement plus large qu’au niveau international. 

    Une telle reconnaissance dans notre droit pénal est d’autant plus justifiée que la France n’est pas à l’abri d’un écocide. Marées noires, exposition à l’amiante, pollution de l’air, des sols, de l’eau, accidents industriels, déchets radioactifs, réchauffement climatique : les exemples et risques d’atteintes graves portées à l’environnement ou à la santé humaine, en conséquence du non-respect de la réglementation environnementale, de négligences et/ou de prises de risques inconsidérées ne manquent pas. Sans compter les dommages causés par des sociétés françaises et leurs filiales à l’étranger. La juste reconnaissance de l’écocide en droit interne permettrait de punir à la hauteur de leur gravité les atteintes les plus graves susceptibles d’être portées, en connaissance de cause, à l’environnement sur le territoire français et/ou par des dirigeants et entreprises français (et de dissuader la commission de telles atteintes). 

    Ensuite, le droit international se crée grâce aux précédents du droit interne. Certains États, d’ailleurs, comme le Vietnam ou des pays de l’ancien bloc soviétique ont déjà incriminé l’écocide dans leur droit pénal (19). Aucune initiative à l’échelon européen ou international n’ayant, à ce jour, abouti, ce sont précisément « aux États les plus diligents de prendre le relais à l’échelon national » (20) et de montrer l’exemple. « La multiplication des incriminations de l’écocide au niveau national, en particulier parmi les États membres de l’Union européenne, constituerait en effet la voie la plus rapide pour la construction d’un consensus ou, a minima, d’une tendance notable qui, à terme, s’imposera d’autant plus facilement en droit international et européen » (21).

    En reconnaissant le crime d’écocide, la France aurait pu participer de ce mouvement et se positionner en pionnière sur le sujet, entraînant dans son sillage le reste de l’Europe et de la communauté internationale (22).

    1.2. L’écocide, un crime disproportionné ?

    Le crime d’écocide souhaité par la Convention citoyenne n’a pas été retenu pour des raisons notamment de « proportionnalité [risquant] de rendre le processus inconstitutionnel », a justifié Barbara Pompili (23).

    On peine à comprendre une telle justification. L’écocide est, de par son étymologie – la destruction (caedere, tuer) de notre maison (oikos), nos écosystèmes, notre terre –, un crime d’une gravité extrême. D’une certaine manière, il est même le « crime premier » (24), le plus grave d’entre tous, puisqu’il met en péril les conditions de vie sur terre. 

    La catastrophe de Bhopal en 1984, qui a exposé des centaines de milliers de personnes à des produits chimiques toxiques à la suite de l’explosion de l’usine de fabrication de pesticides d’Union Carbide (aujourd’hui Dow Chemicals) a provoqué, officiellement, près de 7 500 décès (20 000 selon les associations de victimes) (25). Dans l’affaire du Probo Koala, les déchets hautement toxiques déchargés en toute illégalité dans le port d’Abidjan ont provoqué la mort de 17 personnes (plus selon les associations) et l’intoxication de dizaines de milliers de personnes, sans compter les impacts sur l’environnement (26). En Équateur, entre 1965 et 1992, les activités pétrolières de Chevron-Texaco ont dévasté les territoires indigènes et empoisonné plus de 30 000 de ses habitants, qui vivent désormais dans la zone au taux de cancer le plus élevé d’Amérique latine (27). L’explosion de la plate-forme pétrolière Deepwater Horizon, en 2010, a eu pour conséquence la mort de onze personnes et une marée noire exceptionnelle (780 millions de litres de pétrole), entraînant un désastre écologique sans précédent (28). Quant à Monsanto, « l’écocide persistant, réitéré » (29), l’avis consultatif rendu par le tribunal international citoyen Monsanto en 2016 a conclu que l’entreprise américaine avait causé, via notamment la production, l’utilisation et la commercialisation à l’échelle mondiale de produits hautement toxiques comme le Roundup, le PCB ou le 2,4,5 T (l’un des composants de l’agent orange), des « dommages importants et durables à la biodiversité et aux écosystèmes » et affecté la vie et la santé de populations humaines entières (30). En mars 2019, deux cyclones très rapprochés ont ravagé la côte de l’océan Indien d’Afrique australe, provoquant plus de 600 décès et des centaines de milliers de sans-abri et faisant de Beira, la deuxième ville du Mozambique, la « première ville au monde détruite par les changements climatiques » (31). Le dernier rapport du GIEC, rendu en août 2021, montre que les émissions de gaz à effet de serre dues aux activités humaines ont élevé les  températures  d’environ  1,1 °C  depuis  la  période  1850-1900 (32). Or les quelques 25 multinationales des énergies fossiles qui ont, en toute connaissance de cause, poursuivi et développé leurs activités charbonnières, gazières et pétrolières, seraient à l’origine de 51 % des émissions de gaz à effet de serre entre 1988 et 2015 (33). 

    Plus près de nous, en France, la pollution de l’air serait responsable de près de 100 000 décès par an (34). Lors du naufrage de l’Erika, 20 000 tonnes de fioul lourd se sont retrouvées dans l’océan, souillant les côtes françaises sur près de 400 km, tuant entre 150 000 et 300 000 oiseaux et rejetant près de 250 000 tonnes de déchets – sans compter un préjudice économique estimé à un milliard d’euros (35). La société Total, affréteur du navire n’a été condamnée, au pénal, qu’à une amende de 375 000 euros, dérisoire au regard à la fois de l’étendue du désastre et du chiffre d’affaires du groupe. Aux Antilles, le chlordécone, cet insecticide utilisé pendant plus de vingt ans dans les bananeraies de Guadeloupe et de Martinique, a, selon certains experts, empoisonné les sols, les rivières et la mer pour des siècles, sans compter les conséquences sanitaires sur la population dont les scientifiques commencent peu à peu à mesurer la gravité, plus de 90 % des adultes en Martinique et en Guadeloupe étant contaminés (36). Malgré cela, la plainte déposée en 2006 pour empoisonnement et mise en danger de la vie d’autrui devrait déboucher sur un non-lieu pour des questions de prescription (37). En matière de réchauffement climatique, le tribunal administratif de Paris a récemment jugé, dans l’Affaire du siècle, qu’ « en  France,  l’augmentation  de  la température moyenne, qui s’élève pour la décennie 2000-2009, à 1,14°C par rapport à la période 1960-1990, provoque notamment l’accélération de la perte de masse des glaciers, en particulier depuis 2003, l’aggravation de l’érosion côtière, qui affecte un quart des côtes françaises, et des risques de submersion, fait peser de graves menaces sur la biodiversité des glaciers et du littoral, entraîne  l’augmentation  des  phénomènes  climatiques  extrêmes,  tels  que  les  canicules,  les sécheresses, les incendies de forêts, les précipitations extrêmes, les inondations et les ouragans, risques auxquels sont exposés de manière forte 62 % de la population française, et contribue à l’augmentation  de  la  pollution  à  l’ozone  et  à  l’expansion  des  insectes  vecteurs  d’agents infectieux tels que ceux de la dengue ou du chikungunya » (38).

    Si disproportion il y a, elle résulte de l’impunité qui règne en la matière et, quand il y a condamnation, de la faiblesse des peines prononcées.  

    La qualification de crime, au-delà de sa dimension symbolique et des peines qui s’y attachent, a aussi des conséquences procédurales non-négligeables, en termes de pouvoirs d’enquête, de prescription (vingt ans minimum pour les crimes vs six ans pour les délits), et de règles de compétence, de poursuites, d’instruction et de jugement, adaptées à la gravité de l’infraction. 

    La criminalisation de l’écocide apparaît, dès lors, nécessaire pour assurer le respect de droits fondamentaux comme le droit à la vie ou le droit à un environnement sain. La Cour européenne des droits de l’homme rappelle ainsi qu’incombe à l’État « le devoir primordial d’assurer le droit à la vie en mettant en place une législation pénale concrète dissuadant de commettre des atteintes contre la personne et s’appuyant sur un mécanisme d’application conçu pour en prévenir, réprimer et sanctionner les violations » (39). 

    A tous ces égards, la reconnaissance d’un simple « délit d’écocide » est un contresens, une expression « théoriquement contradictoire et pratiquement inappropriée » (40). En réalité, comme l’a relevé à juste titre la commission des lois du Sénat, « l’écocide sembl[e] avoir été mentionné uniquement à des fins politiques, pour donner l’impression que le projet de loi répondait à la demande formulée par la Convention citoyenne à ce sujet » (41). 

    Une nécessaire hiérarchie

    Il ne fait pas de doute, en revanche, et en vertu notamment du principe de proportionnalité, que le crime d’écocide doit être réservé aux infractions les plus graves. Mais c’est précisément la définition des éléments de l’écocide, et notamment la délimitation du seuil de gravité permettant de distinguer un délit de pollution d’un écocide, qui doit assurer cela.  

    Une hiérarchie est nécessaire, une échelle de gravité entre les différentes infractions environnementales. La juriste Coralie Courtaigne-Deslandes identifiait en 2015 trois échelons dans la commission des atteintes à l’environnement : la « délinquance occasionnelle et opportuniste » (délits de chasse, abandons de déchets ou petites pollutions agricoles) ; la « stratégie d’entreprise », « planifiée et récurrente », s’inscrivant dans le cadre d’activités autorisées ; et la criminalité organisée, souvent transfrontalière, liée au trafic de déchets ou d’espèces protégées (42). A l’évidence, seuls les deux derniers échelons devraient être (potentiellement) concernés par l’écocide. Le but de l’écocide est de « viser les personnes ayant du pouvoir, une influence sur le cours des événements telles que les multinationales qui agissent en connaissance des conséquences de leurs activités, décisions et choix d’investissements » (43). Le rapport remis à la garde des sceaux le 11 février 2015 proposait, quant à lui, une classification des infractions environnementales, en distinguant les infractions administratives, les « écocrimes » et l’écocide (44), en fonction notamment de la gravité de l’atteinte, des valeurs protégées et du type de faute. 

    Les nouvelles incriminations ne permettent pas une telle rationalisation. Au contraire, en refusant de faire de l’écocide un crime, la loi climat crée une confusion dangereuse, qui tend à mettre l’écocide au même rang que la délinquance environnementale et à banaliser celui-ci. Confusion renforcée par la présentation qui en a été faite par le gouvernement dans la presse, insistant sur le « banditisme » environnemental, affirmant que le délit d’écocide viserait tout le monde y compris les particuliers, et passant complètement sous silence, en revanche, la question du dérèglement climatique (45). 

    ***

    En refusant de reconnaître l’écocide, le législateur français a manqué l’occasion de donner l’exemple et d’ouvrir la voie vers une reconnaissance universelle de ce crime. Relégué au rang de simple délit, banalisé, l’écocide est, de surcroît, fragilisé par une définition complexe, inadaptée et indûment restrictive.

    2. L’occasion manquée de la clarté : une incrimination de l’écocide par renvoi à d’autres textes, qui nuit à sa lisibilité

    Les propositions de loi de 2019 ainsi que la proposition de la convention citoyenne pour le climat relatives au crime d’écocide, ont été écartées au motif principalement de l’imprécision des définitions proposées et du risque de contrariété au principe de légalité des crimes et des délits (46). Ce principe, qui a valeur législative, conventionnelle et constitutionnelle (47), impose au législateur de fixer lui-même le champ d’application de la loi pénale et de « définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire » (48). 

    A cet égard, la définition du délit d’écocide, technique, complexe, renvoyant successivement à de nombreux textes, paraît contestable. Pour bien comprendre le délit d’écocide, il convient de revenir à la fois sur le droit existant et sur les nouveaux délits de pollution prévus par la loi climat (2.1), le délit d’écocide n’étant qu’une forme aggravée de ces derniers, définie par renvois successifs à différents textes (2.2).

    2.1. Le contexte : les infractions existantes et les nouveaux délits de pollution créés par la loi climat

    Le droit existant

    Le droit pénal de l’environnement – entendu comme l’ensemble des infractions relatives à la protection de la nature, des ressources naturelles, des sites et paysages ainsi que celles relatives à la lutte contre les pollutions et les nuisances –, se compose de quelques 2000 infractions en vigueur, disséminées au travers de dispositions éparses du code pénal, du code de l’environnement, du code rural et de la pêche maritime, du code forestier et du code minier (49). Cet éclatement du droit pénal de l’environnement et le recours fréquent à l’incrimination par renvoi participent de l’« inefficacité chronique » (50) du droit pénal de l’environnement, régulièrement décriée (51). 

    Parmi les infractions existantes, on trouve notamment : 

    • un délit général de pollution des eaux, puni de deux ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende (52) ; 
    • des délits de pollution maritime (53), dont un certain nombre sont définis par renvoi à des conventions internationales. Parmi les plus graves, on trouve le rejet volontaire d’hydrocarbures par les pétroliers (dix ans d’emprisonnement et 15 millions d’euros) (54) et le rejet de substances chimiques en colis (sept ans d’emprisonnement et 1 million d’euros) (55) ; 
    • des dispositions sanctionnant l’exploitation, sans l’autorisation requise ou en violation des prescriptions applicables, d’une activité réglementée (ex : installations classées pour la protection de l’environnement, activités à l’intérieur de réserves naturelles, dérogations en matière d’atteintes aux espèces protégées). Ces infractions sont punies d’un à deux ans d’emprisonnement et de 15 000 € à 100 000 € d’amende en fonction des activités et faits en cause (56). En cas d’atteinte grave à la santé ou la sécurité ou de dégradation substantielle de la faune et de la flore ou de la qualité de l’air, du sol ou de l’eau, les peines encourues peuvent aller jusqu’à trois ans de prison et 150 000 € d’amende et, pour certaines activités, jusqu’à cinq ans et 300 000 € d’amende (57) ;
    • le non-respect, après cessation d’activité d’une installation, des obligations de remise en état, puni de deux ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende (58) ; 
    • Le non-respect de la réglementation applicable aux déchets, puni de deux ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende (59) ;
    • en matière d’émissions atmosphériques, le non-respect des prescriptions du règlement CE n° 1005/2009 relatif à des substances qui appauvrissent la couche d’ozone, ainsi que le non-respect d’une mise en demeure en matière d’émissions polluantes, sont punis de deux ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende (60). 

    On mentionnera, enfin, puisque c’est l’infraction environnementale la plus grave du droit français – et la seule élevée au rang de crime –, le terrorisme écologique, puni de vingt ans de réclusion et de 350 000 € d’amende (61). 

    Les nouveaux délits de la loi climat en matière de pollution

    La loi climat créé deux nouveaux délits de pollution : 

    • un délit de pollution de l’air et de l’eau, défini comme « le fait, en violation manifestement délibérée d’une obligation  particulière  de  prudence  ou  de  sécurité prévue par la loi ou le règlement, d’émettre dans l’air, de jeter, de déverser ou de laisser s’écouler dans les eaux superficielles ou souterraines ou dans les eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales, directement ou indirectement, une ou plusieurs substances  dont  l’action  ou  les réactions  entraînent  des  effets  nuisibles graves et durables sur la santé, la flore, la faune […] ou des modifications graves du régime normal d’alimentation en eau » (nouvel article L. 231-1 du code de l’environnement). L’alinéa 2 précise que cette définition ne s’applique, s’agissant des émissions ou rejets autorisés, qu’en cas de dépassement des valeurs limites d’émission ou de non-respect des prescriptions fixées par l’autorité administrative compétente. Ce nouveau délit est puni de 5 ans d’emprisonnement et d’un million d’euros d’amende.
    • un délit de pollution liée au non-respect de la réglementation sur les déchets, défini comme « le fait d’abandonner, de déposer ou de faire déposer des déchets, dans  des  conditions contraires  au  chapitre Ier du  titre IV du livre V, et le fait de gérer des déchets, au sens de l’article L. 541-1-1, sans satisfaire aux prescriptions concernant les caractéristiques, les quantités, les conditions techniques de  prise  en  charge  des  déchets  et  les  procédés  de traitement mis  en  œuvre fixées en application des articles L. 541-2, L. 541-2-1, L. 541-7-2, L. 541-21-1 et L. 541-22, lorsqu’ils provoquent une dégradation substantielle de la faune et de la flore ou de la qualité de l’air, du sol ou de l’eau » (nouvel article L. 231-2 du code de l’environnement). Ce nouveau délit est puni de trois ans d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende.

    L’écocide

    L’écocide est prévu par le nouvel article L. 231-3 du code de l’environnement. En vertu de ces dispositions, constituent un écocide : 

    • l’infraction prévue à l’article L. 231-1 lorsque les faits sont commis de manière intentionnelle ;
    • les infractions prévues à l’article L. 231-2, « commises de façon intentionnelle, lorsqu’elles entraînent des atteintes graves et durables à la santé, à la flore, à la faune ou à la qualité de l’air, du sol ou de l’eau ».

    L’écocide est puni de dix ans d’emprisonnement et de 4,5 millions d’euros d’amende, ce montant pouvant être porté jusqu’au décuple de l’avantage tiré de la commission de l’infraction.

    2.2. Une infraction définie par renvois successifs 

    Sous le terme d’écocide, la loi climat institue non pas un délit autonome mais plutôt une forme aggravée des délits de pollution prévus par les nouveaux articles L. 231-1 et L. 231-2 du code de l’environnement. L’écocide est défini par renvoi à ces délits, qui sont eux-mêmes définis par renvoi à d’autres dispositions. 

    Pour ce qui est du délit de l’article L.231-1, celui-ci est caractérisé par (notamment) la violation d’une obligation particulière de  prudence ou de sécurité prévue  par  la  loi  ou  le règlement. Cela  suppose (i) d’identifier le texte légal ou réglementaire source de l’obligation particulière de prudence ou de sécurité et (ii) d’établir que cette obligation présente un caractère particulier et non général, ce qui dépend du contenu précis du texte qui l’édicte (62).

    Par ailleurs, l’article L.231-1 exclut expressément les pollutions « autorisées », c’est à dire les émissions ou rejets réalisés dans le respect des prescriptions et seuils fixés par l’autorité administrative compétente (63). La caractérisation de l’infraction dépendra donc des seuils et normes fixés par l’autorité administrative, ce qui revient à conférer aux prescriptions préfectorales un rôle central dans la caractérisation de l’élément légal de l’infraction (64). 

    Enfin, l’article L.231-1 exclut de son application les « dommages mentionnés aux articles L. 218-73 et L. 432-2 », réprimant respectivement le rejet dans les eaux salées, de substances ou organismes nuisibles pour la faune ou la flore marine (puni de 22 500 € d’amende), et les pollutions qui affectent les poissons en eaux douces (deux ans de prison et 18 000 € d’amende ). Cette exclusion, directement inspirée de l’article L.216-6 réprimant la pollution des eaux, crée une confusion inopportune. En effet, si les dommages visés remplissent les conditions propres à l’article L.231-1 (ou au délit d’écocide), en termes de gravité notamment, rien ne justifie de les exclure des nouvelles incriminations (65).

    Quant au délit prévu à l’article L.231-2, celui-ci nécessite une méconnaissance des dispositions applicables en matière de déchets et plus précisément : 

    • un manquement aux dispositions relatives à l’abandon ou au dépôt de déchets prévues « au chapitre I du titre IV du livre V du code de l’environnement » soit plus de 130 articles (sans compter le renvoi à des dispositions réglementaires), aux contenus divers, en lien ou pas avec l’abandon ou le dépôt de déchets, et à la rédaction plus ou moins précise ;
    • des faits de gestion de déchets (tels que définis à l’article L.541-1-1 du code de l’environnement) en méconnaissance des « prescriptions concernant les caractéristiques, les quantités, les conditions techniques de  prise  en  charge  des  déchets  et  les  procédés de traitement mis  en  œuvre fixées en application des articles L. 541-2, L. 541-2-1, L. 541-7-2, L. 541-21-1 et L. 541-22 » du code de l’environnement. 

    Le renvoi à ces multiples dispositions du code de l’environnement brouille d’autant plus la lisibilité que celles-ci peuvent être modifiées, supprimées ou complétées au fil du temps et des évolutions législatives et réglementaires. 

    Outre une « dépossession par le législateur de sa propre compétence au moyen d’un transfert plus ou moins maîtrisé du pouvoir d’écriture pénale à d’autres autorités » (66), l’incrimination de l’écocide ressort fragilisée de ces renvois successifs. Il faut consulter plusieurs textes pour comprendre le contenu du délit, et la rédaction même de ces différents textes ne permet pas toujours de satisfaire à l’exigence de clarté et de précision attendue de la norme pénale. Tout cela nuit à la lisibilité et à l’accessibilité du délit d’écocide. 

    ***

    « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires » (Montesquieu). La reconnaissance de l’écocide aurait pu être l’occasion d’une simplification et d’une clarification du droit pénal de l’environnement, à travers notamment la création tant attendue d’infractions claires, génériques et autonomes. Au lieu de cela, la loi climat superpose aux multiples infractions existantes de nouveaux délits, eux-mêmes définis par renvois successifs à d’autres textes de rang variable dans la hiérarchie des normes. 

    A cela s’ajoute une définition restrictive, inadaptée et lacunaire de l’écocide, qui ne rend pas compte de la spécificité de celui-ci et qui rend son application peu probable. 

    3. L’occasion manquée de l’effectivité : une définition inadaptée et restrictive de l’écocide, qui limite fortement son application

    « L’objectif du crime d’écocide doit être de répondre à la crise écologique et climatique en cours en permettant de poser un cadre normatif de ce qui est tolérable pour préserver un écosystème terrestre habitable pour le plus grand nombre » (67). Force est de constater que la définition retenue par le législateur ne répond pas à ces enjeux. 

    3.1. Une définition inadaptée et restrictive 

    Une définition parcellaire et lacunaire

    Tout d’abord, la définition par renvoi à d’autres infractions (elles-mêmes inspirées d’infractions anciennes), en faisant de l’écocide une forme aggravée d’autres délits « communs » de pollution, contribue à sa banalisation. 

    Ensuite, cette définition reste parcellaire, segmentée, aussi bien quant à la réglementation dont il faut prouver la violation (obligation particulière de prudence ou de sécurité ou règle issue de certaines dispositions du code de l’environnement relatives aux déchets) que quant à la liste des éléments protégés (santé, flore, faune et alimentation en eau pour l’écocide au titre de l’article L.231-1 ; flore, faune et qualité de l’air, du sol ou de l’eau pour l’écocide au titre de l’article L.231-2). 

    De fait, toutes les atteintes graves et durables à l’environnement ne sont pas couvertes par le délit d’écocide. Sont notamment exclues les pollutions des sols autres que celles résultant d’une violation du droit des déchets. Cela est d’autant plus regrettable que, depuis la transposition de la directive cadre sur les déchets, les sols non excavés ne sont plus considérés comme des déchets (68). 

    Plus généralement, cette manière de procéder, et la terminologie utilisée, échouent à rendre compte de la spécificité et de la gravité de l’écocide. Il manque une « approche écosystémique » (69), similaire à celle qu’on retrouve dans la formulation du préjudice écologique de l’article 1247 du code civil. On peut déplorer, notamment, l’absence de référence aux écosystèmes ou au climat. Sur ce point, le législateur aurait gagné à s’inspirer de la définition adoptée par le groupe d’experts international qui réprime les atteintes à l’environnement entendu comme « la Terre, sa biosphère, sa cryosphère, sa lithosphère, son hydrosphère et son atmosphère [et] l’espace extra-atmosphérique ».

    La condition de l’illicéité, critère indispensable ?

    Le délit d’écocide est caractérisé par un manquement à la loi ou à la réglementation, donc une pollution illicite. 

    Ce critère, en soi, n’apparaît pas déraisonnable. La création d’une infraction autonome, protégeant l’environnement pour lui-même, sans référence au respect de la réglementation, pourrait faire « peser sur les acteurs économiques un risque pénal pour une activité qui était autorisée au moment des faits » (70). C’était d’ailleurs l’une des critiques adressées à la définition de l’écocide proposée par la convention citoyenne. 

    Pour autant, la condition de l’illicéité perd de son sens dès lors que sont en jeu les atteintes les plus graves à l’environnement, voire à la sûreté de la planète elle-même. Ce d’autant plus que les entreprises (et leurs dirigeants) dont les activités sont susceptibles de provoquer des pollutions graves sont le plus souvent bien entourées et bien conseillées ; elles savent les risques qu’elles prennent (quand elles ne cherchent pas délibérément à profiter des zones grises ou des failles de la réglementation applicable, ou du « dumping » environnemental). Elles font délibérément le choix de privilégier la recherche du profit sur la préservation de l’environnement et de la santé. C’est précisément ce mépris pour l’environnement et la vie humaine que l’écocide devrait pouvoir sanctionner. C’est pourquoi certains auteurs plaident pour « un abandon de l’exigence d’illicéité en cas d’atteinte à la santé humaine ou à la sûreté de la planète » (71).

    Le groupe d’experts international a choisi de conserver ce critère de l’illicéité, mais en l’atténuant quelque peu puisque sont exigés des actes « illicites ou arbitraires », soit une définition sensiblement plus ouverte à cet égard. Le terme « arbitraire » est entendu comme « de manière imprudente et sans faire cas des dommages qui seraient manifestement excessifs par rapport aux avantages sociaux et économiques attendus ». 

    Au demeurant, la référence, plus générale, dans la définition proposée, à toute atteinte « illicite » permet de couvrir tout manquement à la législation ou à la réglementation, notamment environnementale. Ce qui n’est pas le cas de la définition française, qui exige spécifiquement la violation soit d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement soit de la réglementation déchets. 

    L’exigence d’atteintes graves à l’environnement susceptibles de durer au moins sept ans, un critère indûment restrictif

    Pour caractériser l’écocide, les atteintes à l’environnement doivent être à la fois graves et durables. Cette double exigence n’apparaît pas, en soi, déraisonnable. On retrouve d’ailleurs les mêmes critères, sous des formulations plus ou moins similaires, dans la plupart des définitions proposées, au plan international ou national (72). La définition retenue par le groupe d’experts international, quant à elle, requiert des dommages  « graves qui soient étendus ou durables » (soit un double critère un peu moins exigeant, puisque l’atteinte doit être grave et durable ou grave et étendue) (73). 

    Là où la loi française s’avère indûment restrictive, c’est qu’elle définit comme « durables » les effets nuisibles « susceptibles de durer au moins sept ans ». 

    Fixé à dix ans dans la version initiale du projet de loi, ce seuil a été abaissé à sept ans par le Sénat, prenant acte de « la complexité de démontrer, y compris au terme d’une expertise poussée, que la prise d’un risque peut potentiellement causer des atteintes susceptibles de durer sur une telle période » (74). 

    Même abaissée à sept ans, il sera difficile de caractériser une atteinte grave et durable à l’environnement sur une telle durée. L’évolution des connaissances scientifiques sur le fonctionnement des écosystèmes, le caractère plus ou moins sensible du milieu récepteur, les différences de réaction des diverses composantes d’un même milieu, la conjonction des risques pour l’environnement et pour la santé rendent une telle démonstration – et son appréciation par le juge – particulièrement complexe (75). Cette exigence, disproportionnée, fait peser sur les autorités de poursuite (et sur les associations de protection de l’environnement) une preuve qui pourrait s’avérer impossible (76). Et risque de rendre inapplicable le délit d’écocide. 

    A titre de comparaison, la proposition d’amendement du groupe d’experts international définit comme « durables » les dommages « irréversibles » ou qui « ne peuvent être corrigés par régénération naturelle dans un délai raisonnable ». La définition proposée au niveau international paraît donc, à cet égard également, sensiblement moins rigide que la définition française, laissant le soin aux juges d’apprécier, en fonction des circonstances de l’espèce, ce qui constitue une atteinte durable. 

    3.2. Des incertitudes quant à l’intention exigée

    L’élément moral en droit pénal de l’environnement

    « [L]e droit pénal de l’environnement est le siège de la réflexion juridique la plus poussée et de la jurisprudence la plus compliquée qui soient sur l’élément moral de l’infraction » (77). Depuis la réforme du code pénal de 1994, les crimes et délits sont, par principe, intentionnels. Aux termes de l’article 121-3 du code pénal, il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, « en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ». 

    En droit pénal de l’environnement, toutefois, la distinction entre délit intentionnel et délit non-intentionnel n’est pas toujours évidente en pratique. Certains délits environnementaux, comme celui de pollution de l’eau (article L.216-6 du code de l’environnement) ou celui de rejets polluants en mer (article L. 218-19) sont des infractions d’imprudence. Pour le reste, la plupart sont des délits intentionnels. Or la chambre criminelle de la Cour de cassation recourt fréquemment, pour déterminer l’intention, à la formule selon laquelle « la seule constatation de la violation en connaissance de cause d’une prescription légale ou réglementaire implique de la part de son auteur l’intention coupable exigée par l’article 121-3, alinéa 1er, du Code pénal » (78). Avec la conséquence qu’il peut s’avérer plus aisé de caractériser l’intention, celle-ci étant déduite du constat de la violation de la règle en cause et de la qualité de professionnel du prévenu, que l’imprudence ou la négligence, qui oblige à décrire le comportement du prévenu, à le comparer à ce qu’aurait fait un homme normalement prudent et avisé et à démontrer que cette imprudence ou négligence a causé la situation délictuelle (79). 

    L’écocide, un délit intentionnel

    Le caractère intentionnel du délit d’écocide est expressément précisé dans le texte de l’article L. 231-3 (à deux reprises, y compris pour l’écocide défini en référence à l’article L. 231-2, qui est pourtant déjà une infraction intentionnelle).   

    En soi, l’exigence d’une intention n’apparaît pas excessive et semble faire consensus (80). Tout dépendra de l’intention (et de sa preuve) qui sera exigée. L’élément matériel de l’écocide étant  défini à la fois par des faits (des rejets ou émissions en méconnaissance des prescriptions applicables) et par un résultat (une atteinte grave et durable à l’environnement), l’intention devrait porter à la fois sur les actes et sur le résultat.  Cela ne signifie pas pour autant une intention de nuire, mais plutôt la commission desdits faits en connaissance de cause, c’est à dire en ayant conscience de violer la réglementation mais aussi du risque d’atteinte grave et durable à l’environnement (81). 

    L’intention ainsi entendue rejoint la définition proposée par la convention citoyenne pour le climat (« en connaissance des conséquences qui allaient en résulter et qui ne pouvaient être ignorées ») (82). Dans le même sens, l’amendement au statut de la CPI proposé par le groupe d’experts international précise que les actes d’écocide doivent être commis « en connaissance de la réelle probabilité que ces actes causent à l’environnement des dommages graves qui soient étendus ou durables ». 

    Néanmoins, la définition restrictive du terme durable pourrait rejaillir sur l’intention exigée – s’il devait être prouvé plus spécifiquement que l’auteur des faits avait conscience que l’atteinte à l’environnement était susceptible de durer plus de sept ans.  

    Par ailleurs, le délit d’écocide étant défini, au titre du premier alinéa de l’article L. 231-3, en tant que forme aggravée du délit « non-intentionnel » de pollution de l’article L.231-1, l’articulation entre les deux délits n’est pas sans soulever certaines interrogations quant à l’intention exigée. 

    Intention vs violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité

    La notion de « violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement » se situe à mi-chemin entre l’intention et l’imprudence. Elle requiert, une violation « manifestement délibérée » de l’obligation en cause, c’est-à-dire commise volontairement, avec la conscience de méconnaître la règle en cause. « L’infraction reste cependant non intentionnelle parce que le résultat consécutif aux actes de l’agent n’est pas voulu ni même envisagé et parce que l’attitude de l’agent se limite à la violation en connaissance de cause d’une règle de sécurité ou de prudence sans qu’existe chez lui une véritable conscience de commettre une infraction » (83). 

    Cette notion est notamment utilisée pour caractériser le délit de mise en danger d’autrui ou ceux d’atteintes involontaires à l’intégrité ou la vie humaine (84) . Il existe des précédents dans lesquels une telle violation a été reconnue du fait du non-respect de la réglementation ICPE (85). 

    On peut néanmoins douter de l’opportunité d’utiliser cette notion en matière environnementale. En effet, compte tenu de la finalité de la réglementation environnementale, toute méconnaissance emporte, par voie de conséquence, un risque pour l’environnement. Et comme sont généralement en cause des professionnels, censés connaître – et respecter – la réglementation applicable, le non-respect de celle-ci est généralement fait en connaissance de cause du risque pour l’environnement.  Finalement, « la preuve d’une faute délibérée est rendue plus facile dans un domaine technique comme le droit de l’environnement en raison de l’abondance des réglementations techniques très précises que le professionnel est présumé connaître » (86). Et la frontière avec l’intention paraît alors bien mince.  

    Selon le rapport de la commission de l’aménagement du territoire du Sénat sur le projet de loi, « [u]ne atteinte est considérée comme intentionnelle si elle résulte de la violation d’une réglementation environnementale. Elle est non-intentionnelle si elle résulte par exemple du non-respect de règles générales de sécurité aboutissant à des rejets dans l’environnement » (87). Une telle distinction, toutefois, qui fait dépendre l’intention de l’objet de la règle méconnue, paraît artificielle et ne permet pas d’expliquer la différence de peines entre les deux délits. 

    On peine, dès lors, à discerner ce qui permettra de différencier, concrètement, le délit non-intentionnel de l’article L. 231-1 de l’écocide. 

    Si ce qui les distingue est la conscience de l’atteinte grave et durable à l’environnement, le délit de l’article L.231-1 devrait viser les cas de violation d’une obligation de prudence ou de sécurité, quelle qu’elle soit, sans la conscience du risque pour l’environnement (par exemple quand l’auteur est un non-professionnel, ou quand le lien de causalité entre la règle ou l’obligation violée et le risque pour l’environnement n’est pas évident). 

    Le risque est que, pour mieux la distinguer de la violation manifestement délibérée, il soit exigé une intention particulière pour caractériser l’écocide, qui pourrait aboutir à restreindre encore davantage le champ d’application de celui-ci.   

    Au final, et de manière pour le moins surprenante, la définition française du délit d’écocide apparaît, à plus d’un égard, davantage restrictive que la définition du crime d’écocide que le groupe d’experts international propose d’insérer dans le statut de la Cour pénale internationale. Outre l’incohérence d’une telle situation, le risque est élevé que l’écocide soit, en raison d’une définition inadaptée et indûment restrictive, peu ou mal (voire pas du tout) appliqué. Et que, malgré des peines significatives, la création du délit d’écocide ne s’avère aucunement dissuasive. 

    ***

    « Le génocide et le crime contre l’humanité ont marqué le XXe siècle. L’écocide est le combat du XXIe siècle » (88). Le 29 juin 2020, le président de la République, recevant la Convention citoyenne pour le climat, s’est engagé à porter le combat, au nom de la France, pour inscrire le crime d’écocide dans le droit international (89). Les occasions ne devraient pas manquer dans les prochains mois : Assemblée générale des Nations-Unies en septembre dédiée notamment à la reconnaissance du droit universel à un environnement sain, Sommet mondial pour la biodiversité à Kunming en octobre, Sommet climat en novembre à Glasgow, Assemblée des États parties au statut de la Cour pénale internationale en décembre (90). 

    Le traitement réservé à l’écocide dans la loi climat permet, toutefois, de douter des intentions françaises. En refusant de reconnaître le crime d’écocide dans son droit pénal, la France a manqué l’occasion d’être force motrice d’un mouvement qui finira par s’imposer comme inéluctable. Pire, en réduisant l’écocide à un délit obscur et inadapté, elle crée un précédent qui pourrait niveler par le bas les futures discussions au sein de l’Union européenne et à l’international. 

    Face à l’urgence environnementale, l’indolence française rend d’autant plus indispensables et salutaires le rôle des organismes internationaux et de la société civile, ainsi que des initiatives telles que la proposition de résolution du groupe Ecolo-Groen, au Parlement belge, visant à inclure le crime d’écocide à la fois dans le droit pénal belge et dans le statut de la Cour pénale internationale (91). 

    En attendant, les nouveaux délits créés par la loi climat, pour décevants qu’ils soient, ont le mérite d’exister. Il importe, à la société civile notamment, de s’en emparer, de les éprouver, d’utiliser cette arme puissante qu’est le système judiciaire pour en explorer les failles et les limites, les exploiter, les faire évoluer. Au pire, cela permettra de gagner en expertise, de mieux identifier les obstacles et d’être à même de faire des propositions crédibles de transformation du droit. Au mieux, qui sait, grâce à une démonstration rigoureuse mais néanmoins ambitieuse, de premières condamnations pourraient être obtenues (92). 

    Julia Thibord

    Avocate au Barreau de Paris

    Cabinet Vigo


    Notes

    1. Proposition de loi instituant le délit de pollution, Sénat, n° 292, seconde session ordinaire de 1977-1978, annexe au procès verbal de la séance du 6 avril 1978, exposé des motifs, pp. 2-3.
    2. Valérie Cabanes, citée in Communiqué de Presse de la Fondation Stop Ecocide, 23 novembre 2020, « Le gouvernement français trahit les demandes de la Convention Citoyenne pour le Climat en utilisant faiblement le terme ‘écocide’ ».
    3. Cf. notamment sur le sujet le podcast de l’émission C’est pas du vent, « Agent orange au Vietnam: un écocide en quête de reconnaissance », France Inter, 28 janvier 2021. 
    4. Cf. les travaux de la commission du droit international et notamment les versions du Projet de Code des crimes contre  la paix  et la sécurité de l’humanité de 1986 et 1991 : Annuaires de la Commission du droit international 1986 (volume 2, première partie, doc. A/CN.4/398, p.61) et 1991 (volume 2, deuxième partie, doc. A/46/10, p.111). Cf. aussi A. Gauger, M.P. Rabatel-Fernel, L. Kulbicki, D. Short & Polly Higgins, « Ecocide is the fifth missing crime », Human Rights Consortium, Université de Londres, 2012 (mis à jour en 2013), §§8-12. 
    5. Article 8.2(b)(iv) du statut de la Cour pénale internationale. 
    6. https://asp.icc-cpi.int/iccdocs/asp_docs/ASP18/GD.MDV.3.12.pdf; https://asp.icc-cpi.int/iccdocs/asp_docs/ASP18/GD.VAN.2.12.pdf
    7. https://asp.icc-cpi.int/iccdocs/asp_docs/ASP19/GD.BEL.14.12.pdf
    8. Résolution du Parlement européen du 20 janvier 2021 sur les droits de l’homme et la démocratie dans le monde et la politique de l’Union européenne en la matière – rapport annuel 2019 (2020/2208(INI)) ; Résolution du Parlement européen du 19 mai 2021 sur les effets du changement climatique sur les droits de l’homme et le rôle des défenseurs de l’environnement en la matière (2020/2134(INI)) ; Recommandation du Parlement européen du 9 juin 2021 à l’intention du Conseil concernant les 75e et 76e sessions de l’Assemblée générale des Nations unies (2020/2128(INI)). 
    9. Stop Ecocide Foundation, Groupe d’experts indépendants pour la définition juridique de l’écocide, Commentaire de la définition, juin 2021, disponible sur le site Internet de la fondation : https://www.stopecocide.earth/legal-definition. Le crime d’écocide y est défini comme « des actes illicites ou arbitraires commis en connaissance de la réelle probabilité que ces actes causent à l’environnement des dommages graves qui soient étendus ou durables ».
    10. « Stratégies parlementaires pour renforcer la paix et la sécurité face aux menaces et aux conflits résultant des catastrophes liées au climat et à leurs conséquences », Résolution adoptée le 27 mai 2021, disponible sur le site de l’UIP : https://www.ipu.org/fr/event/142e-assemblee-de-luip#event-sub-page-23958/
    11. Rapport fait au nom de la commission des lois du Sénat sur la proposition de loi portant reconnaissance du crime d’écocide, n°446, 10 avril 2019 ; Rapport de la commission des lois de l’Assemblée nationale sur la proposition de loi portant reconnaissance du crime d’écocide (n° 2353), 27 novembre 2019.
    12. https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Convention/ccc-rapport-final.pdf
    13. « Convention citoyenne pour le climat : la réponse de l’Elysée », Actu Editions législatives, 2 juillet 2020 ; Avis de la commission des lois du Sénat sur le projet de loi climat, 26 mai 2021, p.85 ; interview de Barbara Pompili sur France TV info, 23 novembre 2020, « Délit d’écocide: « Le glaive de la justice va s’abattre enfin sur les bandits de l’environnement » ».
    14. Étude d’impact du projet de loi climat, 10 février 2021, p.639. Cf. aussi l’interview de Barbara Pompili et Eric Dupont-Moretti, Journal du Dimanche, 21 novembre 2020 et l’interview de Barbara Pompili sur France TV info du 23 novembre 2020, « Délit d’écocide: « Le glaive de la justice va s’abattre enfin sur les bandits de l’environnement ».  
    15. Avis de la Commission des lois du Sénat sur le projet de loi climat, 26 mai 2021, p. 85.
    16. Podcast « Réfléchir l’écocide avec Valérie Cabanes », France Inter, 15 juillet 2020. 
    17.     https://preprod.notreaffaireatous.org/wp-content/uploads/2019/11/Chevron-c.-Equateur.pdf. Cf. aussi Marie Toussaint, « L’écocide : vers une reconnaissance internationale », Les Possibles, n° 25, Automne 2020, p.6
    18. Le nombre des défendeurs a ultérieurement été réduit à 13. Cf. Bernard Haftel, « Affaire de « l’agent orange » : les juges français peuvent-ils juger des sociétés commerciales étrangères pour écocide de guerre ? » Recueil Dalloz 2021 p. 1549.
    19. Cf.https://ecocidelaw.com/existing-ecocide-laws/. Sur l’écocide en droit russe, cf. Nadine Marie-Schwartzenberg in Antonio Cassese et al., Juridictions nationales et crimes internationaux, PUF, 2002, chapitre 8, p.267.
    20. Edouard Delattre, « Il faut reconnaître le crime d’écocide », Tribune, Libération, 29 juin 2020. 
    21. Marie Toussaint, « L’écocide : vers une reconnaissance internationale », Les Possibles, n° 25, Automne 2020, p.6. 
    22. https://preprod.notreaffaireatous.org/decryptage-sur-lecocide-et-la-reforme-de-la-constitution-portees-par-la-convention-citoyenne-pour-le-climat/
    23. Interview sur France TV info, 23 novembre 2020. 
    24. Valérie Cabanes, citant le philosophe Dominique Bourg, in Podcast « Réfléchir l’écocide avec Valérie Cabanes », France Inter, 15 juillet 2020.
    25. « Vivre et mourir avec le risque industriel. Bhopal, l’infinie catastrophe », Le Monde diplomatique, décembre 2004. 
    26. Amnesty International, « Une vérité toxique. A propos de Trafigura, du Probo Koala et du déversement de déchets toxiques en Côte d’Ivoire, AFR 31/002/2012, Septembre 2012.
    27. https://www.rtbf.be/tendance/green/detail_le-combat-de-l-avocat-pablo-fajardo-contre-une-compagnie-petroliere-d-equateur?id=10187906, cité in M. Toussaint, op.cit. 
    28. Chambre des représentants de Belgique, proposition de résolution visant à inclure le crime d’écocide dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale et le droit pénal belge, n° 1429/001, 8 juillet 2020, p.6.
    29. Marie Toussaint, « L’écocide : vers une reconnaissance internationale », Les Possibles, n° 25, Automne 2020, p.3. 
    30. https://fr.monsantotribunal.org/upload/asset_cache/180671266.pdf
    31. https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/03/28/au-mozambique-beira-premiere-ville-au-monde-detruite-par-les-changements-climatiques_5442723_3212.html
    32. Communiqué de presse du 9 août 2021, https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2021/08/IPCC_WGI-AR6-Press-Release_fr.pdf
    33. Marie Toussaint, « L’écocide : vers une reconnaissance internationale », Les Possibles, n° 25, Automne 2020, p.3. 
    34. https://www.lefigaro.fr/sciences/la-pollution-de-l-air-provoquerait-pres-de-100-000-morts-prematurees-par-an-en-france-20210209
    35. https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/12/12/il-y-a-vingt-ans-le-naufrage-du-petrolier-erika-provoquait-la-catastrophe_6022671_3244.html
    36. https://la1ere.francetvinfo.fr/chlordecone-scandale-etat-grand-dossier-836440.html
    37. « Le scandale du chlordécone n’est pas un accident, c’est un crime hors norme », Le Monde, 28 mars 2021.
    38. TA Paris, 3 février 2021, requêtes n° 1904967, 1904968, 1904972, 1904976/4-1.
    39. CEDH, Mahmut Kaya c. Turquie, Requête n° 22535/93, 28 mars 2000, §85.
    40. « Délit d’écocide : les faux-semblants de la pénalisation du « banditisme environnemental » Tribune, Le Monde, 2 décembre 2020. 
    41. Avis de la Commission des lois du Sénat sur le projet de loi climat, 26 mai 2021, p.10. Le terme d’écocide, supprimé par le Sénat en première lecture, a été réintroduit lors de l’examen en commission mixte paritaire.
    42. Citée in Sébastien Mabile & Emmanuel Tordjman, « Le droit pénal de l’environnement à la croisée des chemins », La Semaine du droit – Edition générale, n° 47, 16 novembre 2020, p. 1293. 
    43. https://preprod.notreaffaireatous.org/decryptage-sur-lecocide-et-la-reforme-de-la-constitution-portees-par-la-convention-citoyenne-pour-le-climat/
    44. « 35 propositions pour mieux sanctionner les crimes contre l’environnement », op.cit., pp. 26 et s.   
    45. Interview de Barbara Pompili sur France TV info, le 23 novembre 2020. Cf. aussi l’interview de Barbara Pompili et Eric Dupont-Moretti, Journal du Dimanche, 21 novembre 2020.
    46. Cf. Rapport fait au nom de la commission des lois du Sénat sur la proposition de loi portant reconnaissance du crime d’écocide, n°446, 10 avril 2019, p.15 ; Interview de Barbara Pompili et Eric Dupont-Moretti, Journal du Dimanche, 21 novembre 2020 ; Étude d’impact du projet de loi climat, 10 février 2021, p.639.
    47. Articles 111-2 et 111-3 du code pénal ; article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme ; article 49 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ; article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et article 34 de la Constitution. 
    48. Décision n°80-127 DC du 20 janvier 1981, Loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes, §7. Pour une application récente : Décision n° 2021-817 DC du 20 mai 2021, Loi pour une sécurité globale préservant les libertés, §163 (censurant, pour manque de précision, le délit de provocation à l’identification d’un agent de police).
    49. Cf. Étude d’impact du projet de loi climat, pp. 625 et s. ; Rapport fait au nom de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi climat, n° 3995, 19 mars 2021, pp. 465-468 ; Rapport fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire du Sénat, n° 666, 2 juin 2021, pp. 249-253. 
    50. D. Chilstein, « L’efficacité du droit pénal de l’environnement », in L’efficacité du droit de l’environnement, Paris, Dalloz, 2010, p. 72, cité in Isabelle Fouchard & Laurent Neyret, « 35 propositions pour mieux sanctionner les crimes contre l’environnement », Rapport remis à la garde des sceaux le 11 février 2015, p.14.
    51. Marie-Odile Bertella-Geffroy, « L’ineffectivité du droit pénal dans les domaines de la sécurité sanitaire et des atteintes à l’environnement », Environnement n° 11, Novembre 2002, chron. 19 ; « 35 propositions pour mieux sanctionner les crimes contre l’environnement », op.cit., pp.14 et s. ;  Juliette Tricot, « Les infractions environnementales face au renouvellement des stratégies et techniques d’incrimination », Revue Energie Environnement Infrastructures n°12, décembre 2017 ; Sébastien Mabile & Emmanuel Tordjman, « Le droit pénal de l’environnement à la croisée des chemins », La Semaine du droit – Edition générale, n° 47, 16 novembre 2020.
    52. Code de l’environnement, article L. 216-6.
    53. Code de l’environnement, articles L.218-10 à L.218-25 (rejets polluants des navires), L.218-34 (pollution due aux opérations d’exploration ou d’exploitation du fond de la mer ou de son sous-sol), L.218-48 (pollution par immersion de déchets) et L. 218-64 (pollution par incinération en mer).
    54. Code de l’environnement, articles L. 218-12 et L. 218-13.
    55. Code de l’environnement, article L. 218-14.
    56. Code de l’environnement, articles L. 173-1, I et II et L. 173-2 .
    57. Code de l’environnement, article L.173-3. 
    58. Code de l’environnement, article L.173-1, III. 
    59. Code de l’environnement, article L. 541-46.
    60. Code de l’environnement, articles L. 521-21,9°  et L.226-9.
    61. Code pénal, articles 421-2 et 421-4.
    62. Jean-Yves Maréchal, « Elément moral de l’infraction », JurisClasseur Pénal Code, art.121-3, fasc.20, §71 et §86. 
    63. Code de l’environnement, article L. 231-1, deuxième alinéa : « Le premier alinéa du présent article ne s’applique : 1° S’agissant des émissions dans l’air, qu’en cas de dépassement des valeurs limites d’émission fixées par décision de l’autorité administrative compétente ; 2° S’agissant des opérations de rejet autorisées et de l’utilisation de substances autorisées, qu’en cas de non-respect des prescriptions fixées par l’autorité administrative compétente. » 
    64. V. sur cette question Jean-Nicolas Citti & Manuel Pennaforte, « Les délits environnementaux prévus par le projet de loi Climat », Actu Editions législatives, 26 avril 2021.
    65. La Cour de cassation a récemment jugé que les incriminations des articles L.216-6 et L.432-2 n’étaient pas exclusives l’une de l’autre,  la seconde tendant à la protection spécifique du poisson exclue par la première : Cass. crim., 16 avr. 2019, n° 18-84.073. Commentaire de Jacques-Henri Robert, Droit pénal n° 6, Juin 2019, comm. 109.  
    66. Juliette Tricot, « Les infractions environnementales face au renouvellement des stratégies et techniques d’incrimination », Revue Energie Environnement Infrastructures n°12, décembre 2017, 31, p. 3.
    67. https://preprod.notreaffaireatous.org/decryptage-sur-lecocide-et-la-reforme-de-la-constitution-portees-par-la-convention-citoyenne-pour-le-climat/
    68. Code de l’environnement, article L. 541-4-1. 
    69. Notre Affaire à Tous, « Analyse des dispositions du titre VI du projet de loi climat et résilience », https://preprod.notreaffaireatous.org/wp-content/uploads/2021/04/PJL-LOI-CLIMAT-De%CC%81cryptage-e%CC%81cocide-V4.docx-1-1-1.pdf
    70. Étude d’impact du projet de loi climat, p. 640. 
    71. Cf. par ex. Isabelle Foucard & Laurent Neyret, « 35 propositions pour mieux sanctionner les crimes contre l’environnement », 2015, p.35.
    72. Cf. le site de la fondation Stop Ecocide pour un panorama des différentes propositions de définitions https://ecocidelaw.com/selected-previous-drafts/. V. également les propositions de loi précitées examinées par l’Assemblée nationale (« dommages étendus, irréversibles et irréparables ») et le Sénat (« atteinte grave et durable ») en 2019 ainsi que le rapport remis à la garde des sceaux en 2015, qui préconise de subordonner l’écocide  à un dommage « particulièrement grave », c’est-à-dire « soit à la réalisation d’une dégradation étendue, durable et grave des équilibres écologiques, soit à la mort, des infirmités graves ou des maladies incurables graves à une population, soit à la dépossession durable de certaines populations de leurs territoires ou ressources » (« 35 propositions pour mieux sanctionner les crimes contre l’environnement »,op.cit, p.31). Enfin, pour un panorama des définitions existantes en droit interne :  https://ecocidelaw.com/existing-ecocide-laws/ 
    73. Le texte précise  : par « étendu », on entend que les dommages s’étendent au-delà d’une zone géographique limitée, qu’ils traversent des frontières nationales, ou qu’ils touchent un écosystème entier ou une espèce entière ou un nombre important d’êtres humains ; par « durable », on entend que les dommages sont irréversibles ou qu’ils ne peuvent être corrigés par régénération naturelle dans un délai raisonnable.
    74. Rapport fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire du Sénat, n° 666, 2 juin 2021, p. 255.
    75. Ibid.
    76. Corinne Lepage, « Le délit d’écocide : une « avancée » qui ne répond que très partiellement au droit européen », Dalloz Actualité, 17 février 2021 (sur la durée de 10 ans exigée par le projet de loi initial). 
    77. Propos de l’ancien conseiller à la Cour de cassation Thierry Fossier cités in Sébastien Mabile & Emmanuel Tordjman, « Le droit pénal de l’environnement à la croisée des chemins », La Semaine du droit – Edition générale, n° 47, 16 novembre 2020, §33. 
    78. Jean-Yves Maréchal, « Elément moral de l’infraction », JurisClasseur Pénal Code, art.121-3, fasc.20, §34. Cf. aussi Patricia Savin, « Contentieux répressif des installations classées », JurisClasseur Environnement et Développement durable, fasc. unique, §§160 et s. Pour des illustrations en matière environnementale : Cass.crim., 2 oct. 2007, n° 07-81.194 et Cass. crim., 16 juin 2009, n° 08-87.911 (infractions à la législation ICPE); Cass. crim., 22 mars 2016, n° 15-84.949 et  Cass. crim., 22 mars 2016, n° 15-84.950 (article L.173-1 du code de l’environnement).
    79. Jacques-Henri Robert, « L’élément moral des infractions contre l’environnement », RSC 1995, p.356.
    80. Cf. notamment l’analyse d’Isabelle Foucard et Laurent Neyret, qui préconisent de limiter le crime d’écocide aux seuls actes intentionnels in « 35 propositions pour mieux sanctionner les crimes contre l’environnement », op.cit., p.40. Voir a contrario, Valérie Cabanes, « Reconnaître le crime d’écocide », C.E.R.A.S., Revue projet, 2016/4, n°° 353, p.72 : « lever l’exigence d’une intention pour qualifier ce type de crime permettrait d’imposer par le droit pénal le principe de précaution énoncé à l’article 15 de la Déclaration de Rio, avec une obligation de vigilance environnementale et sanitaire à l’échelle globale ».  
    81. Dans sa version initiale, le projet de loi précisait d’ailleurs que l’écocide était commis « en ayant connaissance du caractère grave et durable des dommages (…) susceptibles d’être induits par les faits » (Article 68 du projet de loi déposé le 21 février 2021).  Mais la rédaction de l’ensemble du texte, qui aboutissait à des peines différentes pour des faits identiques, a été critiquée par le Conseil d’État comme contraire au principe d’égalité, et modifiée par le Sénat en première lecture, supprimant notamment cette précision concernant l’intention. Le Conseil d’État a, à cette occasion, rappelé que « la connaissance du risque d’atteinte à l’environnement à raison du non-respect de cette réglementation est déjà incluse dans les éléments constitutifs de ces infractions, au titre du dol général » : Avis sur un projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et ses effets, 10 février 2021, §77.
    82. Cf. aussi « 35 propositions pour mieux sanctionner les crimes contre l’environnement », op.cit., p.40, préconisant « une définition adaptée de l’intention, qui serait caractérisée lorsque l’auteur savait ou aurait dû savoir qu’il existait une haute probabilité que [ses actes] portent atteinte à la sûreté de la planète ». 
    83. Jean-Yves Maréchal, « Elément moral de l’infraction », Jurisclasseur pénal code, art.121-3, fasc.20, §86. 
    84. Articles 221-6 (homicide involontaire), 222-19 et s. (violences involontaires) et 223-1 (mise en danger de la vie d’autrui) du code pénal. Cf. aussi article 121-4 du code pénal en matière de responsabilité indirecte. 
    85. Cass. Crim., 22 Novembre 2005, n° 05-80.282 (homicide involontaire résultant de la violation d’un arrêté de mise en demeure) ; Cass. Crim., 16 Octobre 2012, n° 11-87.369 (mise en danger d’autrui résultant du défaut de déclaration d’une ICPE, en violation de l’article L. 512-8 du Code de l’environnement et de l’article 8 de l’arrêté préfectoral du 20 août 2000) ; Cass crim., 11 juill. 2017, n° 11-83.864, 14-86.985, Sté Noroxo et M.X (non-respect des prescriptions de l’arrêté préfectoral d’autorisation) ; CA Paris, 11 oct. 2019, n°18-04919, incinérateur de Vaux le Pénil (mise en danger d’autrui résultant du non-respect des taux de rejets dans l’atmosphère, en violation de mises en demeure), commenté in Corinne Lepage, Benoit Denis & Valérie Saintaman, « Condamnation pénale pour mise en danger des populations exposées aux dioxines d’un incinérateur », Énergie – Environnement – Infrastructures n° 12, Décembre 2019, comm. 60. 
    86. « 35 propositions pour mieux sanctionner les crimes contre l’environnement », op.cit., p. 38.
    87. Rapport fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire du Sénat, n° 666, 2 juin 2021, p.269.
    88. Christophe Bouillon, rapporteur et auteur de la proposition de loi portant reconnaissance du crime d’écocide, Rapport de la commission des lois de l’Assemblée nationale sur la proposition de loi portant reconnaissance du crime d’écocide (n° 2353), 27 novembre 2019, p.37.
    89. « Le gouvernement transforme l’écocide en délit environnemental », Le Monde, 24 novembre 2020. Cf. aussi Emmanuel Macron sur Twitter 29 juin 2020.
    90. Cecilia Rinaudo, « Définition internationale de l’écocide : une proposition solide qui impose à la France d’agir », communiqué de presse Notre Affaire à Tous, 22 juin 2021.
    91. Chambre des représentants de Belgique, Proposition de résolution visant à inclure le crime d’écocide dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale et le droit pénal belge, n° 1429/001, 8 juillet 2020. 
    92. Sur l’utilisation du système judiciaire pour faire évoluer le droit, cf. Frédéric Amiel et Marie-Laure Guislain, « Le néo-libéralisme va-t-il mourir ? », Les Editions de l’Atelier, 2020.

  • Ecocide : l’occasion manquée

    Article écrit par Julia Thibord, Avocate au Barreau de Paris et membre de Notre Affaire à Tous

    « Le temps est dépassé où la recherche d’un équilibre entre la croissance économique et la défense écologique posait problème : les populations ont pris conscience qu’il est indispensable, pour la survie des espèces, de ménager l’espace et les matières premières essentielles c’est-à-dire le sol, l’eau, l’air. (…) La législation existante doit être complétée afin que le non-respect des règles protectrices de l’environnement soit considéré comme un comportement social dangereux. Du point de vue pénal, nous avons une mosaïque de textes hétéroclites dont la mise en œuvre est relativement complexe. Il importe donc de dégager un texte de portée générale – à insérer dans le Code pénal – qui protège l’équilibre du milieu naturel, la santé de l’homme, des animaux et des plantes contre les actes directs et indirects de pollution, quels qu’en soient les motifs et les moyens. De même que le droit pénal, en punissant le meurtre ou le vol, affirme le droit à la vie ou à la propriété, de même il doit proclamer la valeur du milieu naturel, en punissant toutes les pollutions » (1).

    Ces propos, d’une brûlante actualité, ont été prononcés au Sénat il y a plus de 40 ans. Le constat, aujourd’hui, reste le même : le droit pénal de l’environnement, morcelé, inappliqué, n’est pas dissuasif. Plus que jamais, il importe de repenser ce droit, alors qu’il est crucial et urgent de préserver notre environnement et la sûreté de la planète. Dans cette perspective, la reconnaissance du crime d’écocide, au plan national comme au plan international, permettrait de « s’engager sur une voie responsable pour protéger les grands écosystèmes de la planète » (2) et d’envoyer un signal fort à tous ceux qui, le plus souvent pour des raisons économiques, obèrent notre avenir et celui de de la Terre dans une quasi-impunité.

    Au niveau international, la réflexion sur l’écocide est née lors de la guerre du Vietnam, en lien avec l’utilisation délibérée et massive par l’armée américaine de défoliants extrêmement toxiques, dont le tristement célèbre « agent orange », en vue de détruire la végétation et neutraliser les groupes armés du Vietcong (3). La criminalisation des atteintes graves à l’environnement fut un temps envisagée puis finalement écartée, pour des raisons politiques, lors de la création de la Cour pénale internationale (4). Seules les atteintes à l’environnement commises en tant que crime de guerre (et seulement lorsqu’il s’agit d’un conflit armé international) y figurent (5). 

    Lors de la dix-huitième session de l’Assemblée des États parties au Statut de Rome, en 2019, les Maldives et le Vanuatu – dont la survie est directement menacée par le réchauffement climatique – ont plaidé pour l’insertion du crime d’écocide dans le statut de la Cour, estimant que la justice pénale internationale a un rôle à jouer pour prévenir la catastrophe environnementale qui nous attend (6). Cette demande a été rejointe par la Belgique en décembre 2020 (7). Cette année, le Parlement européen a voté divers textes appelant à la reconnaissance du crime d’écocide dans le Statut de la Cour pénale internationale (8). 

    Enfin, le 22 juin dernier, un panel international d’experts institué par la Fondation Stop Ecocide, composé de douze juristes de différents pays, reconnus pour leur expertise en droit pénal, en droit de l’environnement et/ou en droit international, a rendu publique une proposition d’amendement au Statut de la Cour pénale internationale pour y intégrer le crime d’écocide (9). Cette proposition, qui fait suite à six mois de travaux, montre qu’une définition de l’écocide à la fois réaliste, ambitieuse et juridiquement solide est possible.

    Au niveau national, une résolution adoptée par l’Union Interparlementaire au mois de mai invite les parlements nationaux à « renforcer le droit pénal pour prévenir et punir les dommages étendus, durables et graves causés à l’environnement » et à « examiner la possibilité de reconnaître le crime d’écocide afin de prévenir les menaces et les conflits résultant des catastrophes liées au climat et à leurs conséquences » (10).

    En France, deux propositions de loi portant reconnaissance du crime d’écocide ont été successivement examinées et rejetées par le Sénat puis l’Assemblée nationale en 2019 (11). Parmi les 149 propositions figurant dans son rapport, la convention citoyenne pour le climat appelait à l’adoption d’une loi qui pénalise le crime d’écocide, afin de « sauvegarder les écosystèmes » (12).

    La loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (ci-après la « loi climat »), censée traduire dans l’ordre juridique les propositions de la convention citoyenne pour le climat, aurait pu être l’occasion d’une réflexion ambitieuse sur la notion d’écocide et d’un premier pas, au sein de l’Union européenne, pour la reconnaissance de ce crime. 

    Malheureusement, le nouvel article L. 231-3 du code de l’environnement consacrant un délit d’écocide n’est pas, de loin, à la hauteur des attentes. 

    En faisant de l’écocide un simple délit, la France a manqué l’occasion de montrer la voie en Europe et à l’international et contribue à une banalisation dangereuse de l’écocide (1). De plus, le délit d’écocide est défini par renvoi à d’autres infractions, ce qui nuit à sa clarté et à sa lisibilité, ajoutant à la complexité du droit pénal de l’environnement (2). Enfin, le législateur a manqué d’ambition en retenant une définition restrictive et inadaptée de l’écocide, qui devrait limiter fortement son application (3).  

    1. L’occasion manquée de l’exemplarité : le refus de faire de l’écocide un crime

    Alors que la convention citoyenne demandait la création d’un crime d’écocide, la loi climat n’institue qu’un simple délit. Aucun des arguments invoqués, à savoir privilégier une telle reconnaissance au niveau international (13), ou le respect du principe de proportionnalité (14), ne justifie ce refus. 

    1.1 L’absence de reconnaissance du crime d’écocide en droit international n’exclut pas et au contraire justifie sa reconnaissance en droit national

    Il est vrai que, dans la littérature juridique, l’écocide renvoie plutôt à un crime reconnu à l’échelle internationale (15). Comme le souligne la juriste Valérie Cabanes (16), dès lors qu’il s’agit de protéger des communs naturels dont nous dépendons tous, comme l’Amazonie, les océans, le climat, le droit international pénal paraît la meilleure manière de reconnaître le crime d’écocide – voire même la seule efficace. Les difficultés rencontrées, malgré des décennies de procès, pour engager la responsabilité du géant pétrolier Chevron Texaco dans la destruction de l’environnement et l’empoisonnement consécutif de dizaines de milliers de personnes en Equateur (17), ou la fin de non-recevoir opposée à la plainte déposée contre 26 laboratoires pharmaceutiques américains pour leur rôle dans l’utilisation de l’agent orange pendant la guerre du Vietnam (18) l’illustrent : sans règles à l’échelle internationale, de tels crimes ne pourront pas être jugés comme il se doit. 

    Pour autant, la reconnaissance de l’écocide en droit international n’est pas exclusive de sa reconnaissance dans le droit national ; au contraire, l’un et l’autre sont complémentaires. Rien n’empêche le droit interne – et la France en particulier – de prendre les devants. 

    Tout d’abord, si l’écocide en tant que crime de droit international doit être réservé aux atteintes environnementales les plus graves, portées aux communs naturels ou mettant en péril les conditions d’existence de populations entières, la reconnaissance du crime d’écocide au niveau national permettrait de poursuivre les atteintes particulièrement graves à l’environnement mais qui n’ont pas forcément de portée trans- ou internationale. Cela pourrait d’ailleurs justifier une définition de l’écocide potentiellement plus large qu’au niveau international. 

    Une telle reconnaissance dans notre droit pénal est d’autant plus justifiée que la France n’est pas à l’abri d’un écocide. Marées noires, exposition à l’amiante, pollution de l’air, des sols, de l’eau, accidents industriels, déchets radioactifs, réchauffement climatique : les exemples et risques d’atteintes graves portées à l’environnement ou à la santé humaine, en conséquence du non-respect de la réglementation environnementale, de négligences et/ou de prises de risques inconsidérées ne manquent pas. Sans compter les dommages causés par des sociétés françaises et leurs filiales à l’étranger. La juste reconnaissance de l’écocide en droit interne permettrait de punir à la hauteur de leur gravité les atteintes les plus graves susceptibles d’être portées, en connaissance de cause, à l’environnement sur le territoire français et/ou par des dirigeants et entreprises français (et de dissuader la commission de telles atteintes). 

    Ensuite, le droit international se crée grâce aux précédents du droit interne. Certains États, d’ailleurs, comme le Vietnam ou des pays de l’ancien bloc soviétique ont déjà incriminé l’écocide dans leur droit pénal (19). Aucune initiative à l’échelon européen ou international n’ayant, à ce jour, abouti, ce sont précisément « aux États les plus diligents de prendre le relais à l’échelon national » (20) et de montrer l’exemple. « La multiplication des incriminations de l’écocide au niveau national, en particulier parmi les États membres de l’Union européenne, constituerait en effet la voie la plus rapide pour la construction d’un consensus ou, a minima, d’une tendance notable qui, à terme, s’imposera d’autant plus facilement en droit international et européen » (21).

    En reconnaissant le crime d’écocide, la France aurait pu participer de ce mouvement et se positionner en pionnière sur le sujet, entraînant dans son sillage le reste de l’Europe et de la communauté internationale (22).

    1.2. L’écocide, un crime disproportionné ?

    Le crime d’écocide souhaité par la Convention citoyenne n’a pas été retenu pour des raisons notamment de « proportionnalité [risquant] de rendre le processus inconstitutionnel », a justifié Barbara Pompili (23).

    On peine à comprendre une telle justification. L’écocide est, de par son étymologie – la destruction (caedere, tuer) de notre maison (oikos), nos écosystèmes, notre terre –, un crime d’une gravité extrême. D’une certaine manière, il est même le « crime premier » (24), le plus grave d’entre tous, puisqu’il met en péril les conditions de vie sur terre. 

    La catastrophe de Bhopal en 1984, qui a exposé des centaines de milliers de personnes à des produits chimiques toxiques à la suite de l’explosion de l’usine de fabrication de pesticides d’Union Carbide (aujourd’hui Dow Chemicals) a provoqué, officiellement, près de 7 500 décès (20 000 selon les associations de victimes) (25). Dans l’affaire du Probo Koala, les déchets hautement toxiques déchargés en toute illégalité dans le port d’Abidjan ont provoqué la mort de 17 personnes (plus selon les associations) et l’intoxication de dizaines de milliers de personnes, sans compter les impacts sur l’environnement (26). En Équateur, entre 1965 et 1992, les activités pétrolières de Chevron-Texaco ont dévasté les territoires indigènes et empoisonné plus de 30 000 de ses habitants, qui vivent désormais dans la zone au taux de cancer le plus élevé d’Amérique latine (27). L’explosion de la plate-forme pétrolière Deepwater Horizon, en 2010, a eu pour conséquence la mort de onze personnes et une marée noire exceptionnelle (780 millions de litres de pétrole), entraînant un désastre écologique sans précédent (28). Quant à Monsanto, « l’écocide persistant, réitéré » (29), l’avis consultatif rendu par le tribunal international citoyen Monsanto en 2016 a conclu que l’entreprise américaine avait causé, via notamment la production, l’utilisation et la commercialisation à l’échelle mondiale de produits hautement toxiques comme le Roundup, le PCB ou le 2,4,5 T (l’un des composants de l’agent orange), des « dommages importants et durables à la biodiversité et aux écosystèmes » et affecté la vie et la santé de populations humaines entières (30). En mars 2019, deux cyclones très rapprochés ont ravagé la côte de l’océan Indien d’Afrique australe, provoquant plus de 600 décès et des centaines de milliers de sans-abri et faisant de Beira, la deuxième ville du Mozambique, la « première ville au monde détruite par les changements climatiques » (31). Le dernier rapport du GIEC, rendu en août 2021, montre que les émissions de gaz à effet de serre dues aux activités humaines ont élevé les  températures  d’environ  1,1 °C  depuis  la  période  1850-1900 (32). Or les quelques 25 multinationales des énergies fossiles qui ont, en toute connaissance de cause, poursuivi et développé leurs activités charbonnières, gazières et pétrolières, seraient à l’origine de 51 % des émissions de gaz à effet de serre entre 1988 et 2015 (33). 

    Plus près de nous, en France, la pollution de l’air serait responsable de près de 100 000 décès par an (34). Lors du naufrage de l’Erika, 20 000 tonnes de fioul lourd se sont retrouvées dans l’océan, souillant les côtes françaises sur près de 400 km, tuant entre 150 000 et 300 000 oiseaux et rejetant près de 250 000 tonnes de déchets – sans compter un préjudice économique estimé à un milliard d’euros (35). La société Total, affréteur du navire n’a été condamnée, au pénal, qu’à une amende de 375 000 euros, dérisoire au regard à la fois de l’étendue du désastre et du chiffre d’affaires du groupe. Aux Antilles, le chlordécone, cet insecticide utilisé pendant plus de vingt ans dans les bananeraies de Guadeloupe et de Martinique, a, selon certains experts, empoisonné les sols, les rivières et la mer pour des siècles, sans compter les conséquences sanitaires sur la population dont les scientifiques commencent peu à peu à mesurer la gravité, plus de 90 % des adultes en Martinique et en Guadeloupe étant contaminés (36). Malgré cela, la plainte déposée en 2006 pour empoisonnement et mise en danger de la vie d’autrui devrait déboucher sur un non-lieu pour des questions de prescription (37). En matière de réchauffement climatique, le tribunal administratif de Paris a récemment jugé, dans l’Affaire du Siècle, qu’ « en  France,  l’augmentation  de  la température moyenne, qui s’élève pour la décennie 2000-2009, à 1,14°C par rapport à la période 1960-1990, provoque notamment l’accélération de la perte de masse des glaciers, en particulier depuis 2003, l’aggravation de l’érosion côtière, qui affecte un quart des côtes françaises, et des risques de submersion, fait peser de graves menaces sur la biodiversité des glaciers et du littoral, entraîne  l’augmentation  des  phénomènes  climatiques  extrêmes,  tels  que  les  canicules,  les sécheresses, les incendies de forêts, les précipitations extrêmes, les inondations et les ouragans, risques auxquels sont exposés de manière forte 62 % de la population française, et contribue à l’augmentation  de  la  pollution  à  l’ozone  et  à  l’expansion  des  insectes  vecteurs  d’agents infectieux tels que ceux de la dengue ou du chikungunya » (38).

    Si disproportion il y a, elle résulte de l’impunité qui règne en la matière et, quand il y a condamnation, de la faiblesse des peines prononcées.  

    La qualification de crime, au-delà de sa dimension symbolique et des peines qui s’y attachent, a aussi des conséquences procédurales non-négligeables, en termes de pouvoirs d’enquête, de prescription (vingt ans minimum pour les crimes vs six ans pour les délits), et de règles de compétence, de poursuites, d’instruction et de jugement, adaptées à la gravité de l’infraction. 

    La criminalisation de l’écocide apparaît, dès lors, nécessaire pour assurer le respect de droits fondamentaux comme le droit à la vie ou le droit à un environnement sain. La Cour européenne des droits de l’homme rappelle ainsi qu’incombe à l’État « le devoir primordial d’assurer le droit à la vie en mettant en place une législation pénale concrète dissuadant de commettre des atteintes contre la personne et s’appuyant sur un mécanisme d’application conçu pour en prévenir, réprimer et sanctionner les violations » (39). 

    A tous ces égards, la reconnaissance d’un simple « délit d’écocide » est un contresens, une expression « théoriquement contradictoire et pratiquement inappropriée » (40). En réalité, comme l’a relevé à juste titre la commission des lois du Sénat, « l’écocide sembl[e] avoir été mentionné uniquement à des fins politiques, pour donner l’impression que le projet de loi répondait à la demande formulée par la Convention citoyenne à ce sujet » (41). 

    Une nécessaire hiérarchie

    Il ne fait pas de doute, en revanche, et en vertu notamment du principe de proportionnalité, que le crime d’écocide doit être réservé aux infractions les plus graves. Mais c’est précisément la définition des éléments de l’écocide, et notamment la délimitation du seuil de gravité permettant de distinguer un délit de pollution d’un écocide, qui doit assurer cela.  

    Une hiérarchie est nécessaire, une échelle de gravité entre les différentes infractions environnementales. La juriste Coralie Courtaigne-Deslandes identifiait en 2015 trois échelons dans la commission des atteintes à l’environnement : la « délinquance occasionnelle et opportuniste » (délits de chasse, abandons de déchets ou petites pollutions agricoles) ; la « stratégie d’entreprise », « planifiée et récurrente », s’inscrivant dans le cadre d’activités autorisées ; et la criminalité organisée, souvent transfrontalière, liée au trafic de déchets ou d’espèces protégées (42). A l’évidence, seuls les deux derniers échelons devraient être (potentiellement) concernés par l’écocide. Le but de l’écocide est de « viser les personnes ayant du pouvoir, une influence sur le cours des événements telles que les multinationales qui agissent en connaissance des conséquences de leurs activités, décisions et choix d’investissements » (43). Le rapport remis à la garde des sceaux le 11 février 2015 proposait, quant à lui, une classification des infractions environnementales, en distinguant les infractions administratives, les « écocrimes » et l’écocide (44), en fonction notamment de la gravité de l’atteinte, des valeurs protégées et du type de faute. 

    Les nouvelles incriminations ne permettent pas une telle rationalisation. Au contraire, en refusant de faire de l’écocide un crime, la loi climat crée une confusion dangereuse, qui tend à mettre l’écocide au même rang que la délinquance environnementale et à banaliser celui-ci. Confusion renforcée par la présentation qui en a été faite par le gouvernement dans la presse, insistant sur le « banditisme » environnemental, affirmant que le délit d’écocide viserait tout le monde y compris les particuliers, et passant complètement sous silence, en revanche, la question du dérèglement climatique (45). 

    ***

    En refusant de reconnaître l’écocide, le législateur français a manqué l’occasion de donner l’exemple et d’ouvrir la voie vers une reconnaissance universelle de ce crime. Relégué au rang de simple délit, banalisé, l’écocide est, de surcroît, fragilisé par une définition complexe, inadaptée et indûment restrictive.

    2. L’occasion manquée de la clarté : une incrimination de l’écocide par renvoi à d’autres textes, qui nuit à sa lisibilité

    Les propositions de loi de 2019 ainsi que la proposition de la convention citoyenne pour le climat relatives au crime d’écocide, ont été écartées au motif principalement de l’imprécision des définitions proposées et du risque de contrariété au principe de légalité des crimes et des délits (46). Ce principe, qui a valeur législative, conventionnelle et constitutionnelle (47), impose au législateur de fixer lui-même le champ d’application de la loi pénale et de « définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire » (48). 

    A cet égard, la définition du délit d’écocide, technique, complexe, renvoyant successivement à de nombreux textes, paraît contestable. Pour bien comprendre le délit d’écocide, il convient de revenir à la fois sur le droit existant et sur les nouveaux délits de pollution prévus par la loi climat (2.1), le délit d’écocide n’étant qu’une forme aggravée de ces derniers, définie par renvois successifs à différents textes (2.2).

    2.1. Le contexte : les infractions existantes et les nouveaux délits de pollution créés par la loi climat

    Le droit existant

    Le droit pénal de l’environnement – entendu comme l’ensemble des infractions relatives à la protection de la nature, des ressources naturelles, des sites et paysages ainsi que celles relatives à la lutte contre les pollutions et les nuisances –, se compose de quelques 2000 infractions en vigueur, disséminées au travers de dispositions éparses du code pénal, du code de l’environnement, du code rural et de la pêche maritime, du code forestier et du code minier (49). Cet éclatement du droit pénal de l’environnement et le recours fréquent à l’incrimination par renvoi participent de l’« inefficacité chronique » (50) du droit pénal de l’environnement, régulièrement décriée (51). 

    Parmi les infractions existantes, on trouve notamment : 

    • un délit général de pollution des eaux, puni de deux ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende (52) ; 
    • des délits de pollution maritime (53), dont un certain nombre sont définis par renvoi à des conventions internationales. Parmi les plus graves, on trouve le rejet volontaire d’hydrocarbures par les pétroliers (dix ans d’emprisonnement et 15 millions d’euros) (54) et le rejet de substances chimiques en colis (sept ans d’emprisonnement et 1 million d’euros) (55) ; 
    • des dispositions sanctionnant l’exploitation, sans l’autorisation requise ou en violation des prescriptions applicables, d’une activité réglementée (ex : installations classées pour la protection de l’environnement, activités à l’intérieur de réserves naturelles, dérogations en matière d’atteintes aux espèces protégées). Ces infractions sont punies d’un à deux ans d’emprisonnement et de 15 000 € à 100 000 € d’amende en fonction des activités et faits en cause (56). En cas d’atteinte grave à la santé ou la sécurité ou de dégradation substantielle de la faune et de la flore ou de la qualité de l’air, du sol ou de l’eau, les peines encourues peuvent aller jusqu’à trois ans de prison et 150 000 € d’amende et, pour certaines activités, jusqu’à cinq ans et 300 000 € d’amende (57) ;
    • le non-respect, après cessation d’activité d’une installation, des obligations de remise en état, puni de deux ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende (58) ; 
    • Le non-respect de la réglementation applicable aux déchets, puni de deux ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende (59) ;
    • en matière d’émissions atmosphériques, le non-respect des prescriptions du règlement CE n° 1005/2009 relatif à des substances qui appauvrissent la couche d’ozone, ainsi que le non-respect d’une mise en demeure en matière d’émissions polluantes, sont punis de deux ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende (60). 

    On mentionnera, enfin, puisque c’est l’infraction environnementale la plus grave du droit français – et la seule élevée au rang de crime –, le terrorisme écologique, puni de vingt ans de réclusion et de 350 000 € d’amende (61). 

    Les nouveaux délits de la loi climat en matière de pollution

    La loi climat créé deux nouveaux délits de pollution : 

    • un délit de pollution de l’air et de l’eau, défini comme « le fait, en violation manifestement délibérée d’une obligation  particulière  de  prudence  ou  de  sécurité prévue par la loi ou le règlement, d’émettre dans l’air, de jeter, de déverser ou de laisser s’écouler dans les eaux superficielles ou souterraines ou dans les eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales, directement ou indirectement, une ou plusieurs substances  dont  l’action  ou  les réactions  entraînent  des  effets  nuisibles graves et durables sur la santé, la flore, la faune […] ou des modifications graves du régime normal d’alimentation en eau » (nouvel article L. 231-1 du code de l’environnement). L’alinéa 2 précise que cette définition ne s’applique, s’agissant des émissions ou rejets autorisés, qu’en cas de dépassement des valeurs limites d’émission ou de non-respect des prescriptions fixées par l’autorité administrative compétente. Ce nouveau délit est puni de 5 ans d’emprisonnement et d’un million d’euros d’amende.
    • un délit de pollution liée au non-respect de la réglementation sur les déchets, défini comme « le fait d’abandonner, de déposer ou de faire déposer des déchets, dans  des  conditions contraires  au  chapitre Ier du  titre IV du livre V, et le fait de gérer des déchets, au sens de l’article L. 541-1-1, sans satisfaire aux prescriptions concernant les caractéristiques, les quantités, les conditions techniques de  prise  en  charge  des  déchets  et  les  procédés  de traitement mis  en  œuvre fixées en application des articles L. 541-2, L. 541-2-1, L. 541-7-2, L. 541-21-1 et L. 541-22, lorsqu’ils provoquent une dégradation substantielle de la faune et de la flore ou de la qualité de l’air, du sol ou de l’eau » (nouvel article L. 231-2 du code de l’environnement). Ce nouveau délit est puni de trois ans d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende.

    L’écocide

    L’écocide est prévu par le nouvel article L. 231-3 du code de l’environnement. En vertu de ces dispositions, constituent un écocide : 

    • l’infraction prévue à l’article L. 231-1 lorsque les faits sont commis de manière intentionnelle ;
    • les infractions prévues à l’article L. 231-2, « commises de façon intentionnelle, lorsqu’elles entraînent des atteintes graves et durables à la santé, à la flore, à la faune ou à la qualité de l’air, du sol ou de l’eau ».

    L’écocide est puni de dix ans d’emprisonnement et de 4,5 millions d’euros d’amende, ce montant pouvant être porté jusqu’au décuple de l’avantage tiré de la commission de l’infraction.

    2.2. Une infraction définie par renvois successifs 

    Sous le terme d’écocide, la loi climat institue non pas un délit autonome mais plutôt une forme aggravée des délits de pollution prévus par les nouveaux articles L. 231-1 et L. 231-2 du code de l’environnement. L’écocide est défini par renvoi à ces délits, qui sont eux-mêmes définis par renvoi à d’autres dispositions. 

    Pour ce qui est du délit de l’article L.231-1, celui-ci est caractérisé par (notamment) la violation d’une obligation particulière de  prudence ou de sécurité prévue  par  la  loi  ou  le règlement. Cela  suppose (i) d’identifier le texte légal ou réglementaire source de l’obligation particulière de prudence ou de sécurité et (ii) d’établir que cette obligation présente un caractère particulier et non général, ce qui dépend du contenu précis du texte qui l’édicte (62).

    Par ailleurs, l’article L.231-1 exclut expressément les pollutions « autorisées », c’est à dire les émissions ou rejets réalisés dans le respect des prescriptions et seuils fixés par l’autorité administrative compétente (63). La caractérisation de l’infraction dépendra donc des seuils et normes fixés par l’autorité administrative, ce qui revient à conférer aux prescriptions préfectorales un rôle central dans la caractérisation de l’élément légal de l’infraction (64). 

    Enfin, l’article L.231-1 exclut de son application les « dommages mentionnés aux articles L. 218-73 et L. 432-2 », réprimant respectivement le rejet dans les eaux salées, de substances ou organismes nuisibles pour la faune ou la flore marine (puni de 22 500 € d’amende), et les pollutions qui affectent les poissons en eaux douces (deux ans de prison et 18 000 € d’amende ). Cette exclusion, directement inspirée de l’article L.216-6 réprimant la pollution des eaux, crée une confusion inopportune. En effet, si les dommages visés remplissent les conditions propres à l’article L.231-1 (ou au délit d’écocide), en termes de gravité notamment, rien ne justifie de les exclure des nouvelles incriminations (65).

    Quant au délit prévu à l’article L.231-2, celui-ci nécessite une méconnaissance des dispositions applicables en matière de déchets et plus précisément : 

    • un manquement aux dispositions relatives à l’abandon ou au dépôt de déchets prévues « au chapitre I du titre IV du livre V du code de l’environnement » soit plus de 130 articles (sans compter le renvoi à des dispositions réglementaires), aux contenus divers, en lien ou pas avec l’abandon ou le dépôt de déchets, et à la rédaction plus ou moins précise ;
    • des faits de gestion de déchets (tels que définis à l’article L.541-1-1 du code de l’environnement) en méconnaissance des « prescriptions concernant les caractéristiques, les quantités, les conditions techniques de  prise  en  charge  des  déchets  et  les  procédés de traitement mis  en  œuvre fixées en application des articles L. 541-2, L. 541-2-1, L. 541-7-2, L. 541-21-1 et L. 541-22 » du code de l’environnement. 

    Le renvoi à ces multiples dispositions du code de l’environnement brouille d’autant plus la lisibilité que celles-ci peuvent être modifiées, supprimées ou complétées au fil du temps et des évolutions législatives et réglementaires. 

    Outre une « dépossession par le législateur de sa propre compétence au moyen d’un transfert plus ou moins maîtrisé du pouvoir d’écriture pénale à d’autres autorités » (66), l’incrimination de l’écocide ressort fragilisée de ces renvois successifs. Il faut consulter plusieurs textes pour comprendre le contenu du délit, et la rédaction même de ces différents textes ne permet pas toujours de satisfaire à l’exigence de clarté et de précision attendue de la norme pénale. Tout cela nuit à la lisibilité et à l’accessibilité du délit d’écocide. 

    ***

    « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires » (Montesquieu). La reconnaissance de l’écocide aurait pu être l’occasion d’une simplification et d’une clarification du droit pénal de l’environnement, à travers notamment la création tant attendue d’infractions claires, génériques et autonomes. Au lieu de cela, la loi climat superpose aux multiples infractions existantes de nouveaux délits, eux-mêmes définis par renvois successifs à d’autres textes de rang variable dans la hiérarchie des normes. 

    A cela s’ajoute une définition restrictive, inadaptée et lacunaire de l’écocide, qui ne rend pas compte de la spécificité de celui-ci et qui rend son application peu probable. 

    3. L’occasion manquée de l’effectivité : une définition inadaptée et restrictive de l’écocide, qui limite fortement son application

    « L’objectif du crime d’écocide doit être de répondre à la crise écologique et climatique en cours en permettant de poser un cadre normatif de ce qui est tolérable pour préserver un écosystème terrestre habitable pour le plus grand nombre » (67). Force est de constater que la définition retenue par le législateur ne répond pas à ces enjeux. 

    3.1. Une définition inadaptée et restrictive 

    Une définition parcellaire et lacunaire

    Tout d’abord, la définition par renvoi à d’autres infractions (elles-mêmes inspirées d’infractions anciennes), en faisant de l’écocide une forme aggravée d’autres délits « communs » de pollution, contribue à sa banalisation. 

    Ensuite, cette définition reste parcellaire, segmentée, aussi bien quant à la réglementation dont il faut prouver la violation (obligation particulière de prudence ou de sécurité ou règle issue de certaines dispositions du code de l’environnement relatives aux déchets) que quant à la liste des éléments protégés (santé, flore, faune et alimentation en eau pour l’écocide au titre de l’article L.231-1 ; flore, faune et qualité de l’air, du sol ou de l’eau pour l’écocide au titre de l’article L.231-2). 

    De fait, toutes les atteintes graves et durables à l’environnement ne sont pas couvertes par le délit d’écocide. Sont notamment exclues les pollutions des sols autres que celles résultant d’une violation du droit des déchets. Cela est d’autant plus regrettable que, depuis la transposition de la directive cadre sur les déchets, les sols non excavés ne sont plus considérés comme des déchets (68). 

    Plus généralement, cette manière de procéder, et la terminologie utilisée, échouent à rendre compte de la spécificité et de la gravité de l’écocide. Il manque une « approche écosystémique » (69), similaire à celle qu’on retrouve dans la formulation du préjudice écologique de l’article 1247 du code civil. On peut déplorer, notamment, l’absence de référence aux écosystèmes ou au climat. Sur ce point, le législateur aurait gagné à s’inspirer de la définition adoptée par le groupe d’experts international qui réprime les atteintes à l’environnement entendu comme « la Terre, sa biosphère, sa cryosphère, sa lithosphère, son hydrosphère et son atmosphère [et] l’espace extra-atmosphérique ».

    La condition de l’illicéité, critère indispensable ?

    Le délit d’écocide est caractérisé par un manquement à la loi ou à la réglementation, donc une pollution illicite. 

    Ce critère, en soi, n’apparaît pas déraisonnable. La création d’une infraction autonome, protégeant l’environnement pour lui-même, sans référence au respect de la réglementation, pourrait faire « peser sur les acteurs économiques un risque pénal pour une activité qui était autorisée au moment des faits » (70). C’était d’ailleurs l’une des critiques adressées à la définition de l’écocide proposée par la convention citoyenne. 

    Pour autant, la condition de l’illicéité perd de son sens dès lors que sont en jeu les atteintes les plus graves à l’environnement, voire à la sûreté de la planète elle-même. Ce d’autant plus que les entreprises (et leurs dirigeants) dont les activités sont susceptibles de provoquer des pollutions graves sont le plus souvent bien entourées et bien conseillées ; elles savent les risques qu’elles prennent (quand elles ne cherchent pas délibérément à profiter des zones grises ou des failles de la réglementation applicable, ou du « dumping » environnemental). Elles font délibérément le choix de privilégier la recherche du profit sur la préservation de l’environnement et de la santé. C’est précisément ce mépris pour l’environnement et la vie humaine que l’écocide devrait pouvoir sanctionner. C’est pourquoi certains auteurs plaident pour « un abandon de l’exigence d’illicéité en cas d’atteinte à la santé humaine ou à la sûreté de la planète » (71).

    Le groupe d’experts international a choisi de conserver ce critère de l’illicéité, mais en l’atténuant quelque peu puisque sont exigés des actes « illicites ou arbitraires », soit une définition sensiblement plus ouverte à cet égard. Le terme « arbitraire » est entendu comme « de manière imprudente et sans faire cas des dommages qui seraient manifestement excessifs par rapport aux avantages sociaux et économiques attendus ». 

    Au demeurant, la référence, plus générale, dans la définition proposée, à toute atteinte « illicite » permet de couvrir tout manquement à la législation ou à la réglementation, notamment environnementale. Ce qui n’est pas le cas de la définition française, qui exige spécifiquement la violation soit d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement soit de la réglementation déchets. 

    L’exigence d’atteintes graves à l’environnement susceptibles de durer au moins sept ans, un critère indûment restrictif

    Pour caractériser l’écocide, les atteintes à l’environnement doivent être à la fois graves et durables. Cette double exigence n’apparaît pas, en soi, déraisonnable. On retrouve d’ailleurs les mêmes critères, sous des formulations plus ou moins similaires, dans la plupart des définitions proposées, au plan international ou national (72). La définition retenue par le groupe d’experts international, quant à elle, requiert des dommages  « graves qui soient étendus ou durables » (soit un double critère un peu moins exigeant, puisque l’atteinte doit être grave et durable ou grave et étendue (73)). 

    Là où la loi française s’avère indûment restrictive, c’est qu’elle définit comme « durables » les effets nuisibles « susceptibles de durer au moins sept ans » (74). 

    Fixé à dix ans dans la version initiale du projet de loi, ce seuil a été abaissé à sept ans par le Sénat, prenant acte de « la complexité de démontrer, y compris au terme d’une expertise poussée, que la prise d’un risque peut potentiellement causer des atteintes susceptibles de durer sur une telle période ». 

    Même abaissée à sept ans, il sera difficile de caractériser une atteinte grave et durable à l’environnement sur une telle durée. L’évolution des connaissances scientifiques sur le fonctionnement des écosystèmes, le caractère plus ou moins sensible du milieu récepteur, les différences de réaction des diverses composantes d’un même milieu, la conjonction des risques pour l’environnement et pour la santé rendent une telle démonstration – et son appréciation par le juge – particulièrement complexe (75). Cette exigence, disproportionnée, fait peser sur les autorités de poursuite (et sur les associations de protection de l’environnement) une preuve qui pourrait s’avérer impossible (76). Et risque de rendre inapplicable le délit d’écocide. 

    A titre de comparaison, la proposition d’amendement du groupe d’experts international définit comme « durables » les dommages « irréversibles » ou qui « ne peuvent être corrigés par régénération naturelle dans un délai raisonnable ». La définition proposée au niveau international paraît donc, à cet égard également, sensiblement moins rigide que la définition française, laissant le soin aux juges d’apprécier, en fonction des circonstances de l’espèce, ce qui constitue une atteinte durable. 

    3.2. Des incertitudes quant à l’intention exigée

    L’élément moral en droit pénal de l’environnement

    « [L]e droit pénal de l’environnement est le siège de la réflexion juridique la plus poussée et de la jurisprudence la plus compliquée qui soient sur l’élément moral de l’infraction » (77). Depuis la réforme du code pénal de 1994, les crimes et délits sont, par principe, intentionnels. Aux termes de l’article 121-3 du code pénal, il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, « en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ». 

    En droit pénal de l’environnement, toutefois, la distinction entre délit intentionnel et délit non-intentionnel n’est pas toujours évidente en pratique. Certains délits environnementaux, comme celui de pollution de l’eau (article L.216-6 du code de l’environnement) ou celui de rejets polluants en mer (article L. 218-19) sont des infractions d’imprudence. Pour le reste, la plupart sont des délits intentionnels. Or la chambre criminelle de la Cour de cassation recourt fréquemment, pour déterminer l’intention, à la formule selon laquelle « la seule constatation de la violation en connaissance de cause d’une prescription légale ou réglementaire implique de la part de son auteur l’intention coupable exigée par l’article 121-3, alinéa 1er, du Code pénal » (78). Avec la conséquence qu’il peut s’avérer plus aisé de caractériser l’intention, celle-ci étant déduite du constat de la violation de la règle en cause et de la qualité de professionnel du prévenu, que l’imprudence ou la négligence, qui oblige à décrire le comportement du prévenu, à le comparer à ce qu’aurait fait un homme normalement prudent et avisé et à démontrer que cette imprudence ou négligence a causé la situation délictuelle (79). 

    L’écocide, un délit intentionnel

    Le caractère intentionnel du délit d’écocide est expressément précisé dans le texte de l’article L. 231-3 (à deux reprises, y compris pour l’écocide défini en référence à l’article L. 231-2, qui est pourtant déjà une infraction intentionnelle).   

    En soi, l’exigence d’une intention n’apparaît pas excessive et semble faire consensus (80). Tout dépendra de l’intention (et de sa preuve) qui sera exigée. L’élément matériel de l’écocide étant  défini à la fois par des faits (des rejets ou émissions en méconnaissance des prescriptions applicables) et par un résultat (une atteinte grave et durable à l’environnement), l’intention devrait porter à la fois sur les actes et sur le résultat.  Cela ne signifie pas pour autant une intention de nuire, mais plutôt la commission desdits faits en connaissance de cause, c’est à dire en ayant conscience de violer la réglementation mais aussi du risque d’atteinte grave et durable à l’environnement (81). 

    L’intention ainsi entendue rejoint la définition proposée par la convention citoyenne pour le climat (« en connaissance des conséquences qui allaient en résulter et qui ne pouvaient être ignorées ») (82). Dans le même sens, l’amendement au statut de la CPI proposé par le groupe d’experts international précise que les actes d’écocide doivent être commis « en connaissance de la réelle probabilité que ces actes causent à l’environnement des dommages graves qui soient étendus ou durables ». 

    Néanmoins, la définition restrictive du terme durable pourrait rejaillir sur l’intention exigée – s’il devait être prouvé plus spécifiquement que l’auteur des faits avait conscience que l’atteinte à l’environnement était susceptible de durer plus de sept ans.  

    Par ailleurs, le délit d’écocide étant défini, au titre du premier alinéa de l’article L. 231-3, en tant que forme aggravée du délit « non-intentionnel » de pollution de l’article L.231-1, l’articulation entre les deux délits n’est pas sans soulever certaines interrogations quant à l’intention exigée. 

    Intention vs violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité

    La notion de « violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement » se situe à mi-chemin entre l’intention et l’imprudence. Elle requiert, une violation « manifestement délibérée » de l’obligation en cause, c’est-à-dire commise volontairement, avec la conscience de méconnaître la règle en cause. « L’infraction reste cependant non intentionnelle parce que le résultat consécutif aux actes de l’agent n’est pas voulu ni même envisagé et parce que l’attitude de l’agent se limite à la violation en connaissance de cause d’une règle de sécurité ou de prudence sans qu’existe chez lui une véritable conscience de commettre une infraction » (83). 

    Cette notion est notamment utilisée pour caractériser le délit de mise en danger d’autrui ou ceux d’atteintes involontaires à l’intégrité ou la vie humaine (84). Il existe des précédents dans lesquels une telle violation a été reconnue du fait du non-respect de la réglementation ICPE (85). 

    On peut néanmoins douter de l’opportunité d’utiliser cette notion en matière environnementale. En effet, compte tenu de la finalité de la réglementation environnementale, toute méconnaissance emporte, par voie de conséquence, un risque pour l’environnement. Et comme sont généralement en cause des professionnels, censés connaître – et respecter – la réglementation applicable, le non-respect de celle-ci est généralement fait en connaissance de cause du risque pour l’environnement.  Finalement, « la preuve d’une faute délibérée est rendue plus facile dans un domaine technique comme le droit de l’environnement en raison de l’abondance des réglementations techniques très précises que le professionnel est présumé connaître » (86). Et la frontière avec l’intention paraît alors bien mince.  

    Selon le rapport de la commission de l’aménagement du territoire du Sénat sur le projet de loi, « [u]ne atteinte est considérée comme intentionnelle si elle résulte de la violation d’une réglementation environnementale. Elle est non-intentionnelle si elle résulte par exemple du non-respect de règles générales de sécurité aboutissant à des rejets dans l’environnement » (87). Une telle distinction, toutefois, qui fait dépendre l’intention de l’objet de la règle méconnue, paraît artificielle et ne permet pas d’expliquer la différence de peines entre les deux délits. 

    On peine, dès lors, à discerner ce qui permettra de différencier, concrètement, le délit non-intentionnel de l’article L. 231-1 de l’écocide. 

    Si ce qui les distingue est la conscience de l’atteinte grave et durable à l’environnement, le délit de l’article L.231-1 devrait viser les cas de violation d’une obligation de prudence ou de sécurité, quelle qu’elle soit, sans la conscience du risque pour l’environnement (par exemple quand l’auteur est un non-professionnel, ou quand le lien de causalité entre la règle ou l’obligation violée et le risque pour l’environnement n’est pas évident). 

    Le risque est que, pour mieux la distinguer de la violation manifestement délibérée, il soit exigé une intention particulière pour caractériser l’écocide, qui pourrait aboutir à restreindre encore davantage le champ d’application de celui-ci.   

    Au final, et de manière pour le moins surprenante, la définition française du délit d’écocide apparaît, à plus d’un égard, davantage restrictive que la définition du crime d’écocide que le groupe d’experts international propose d’insérer dans le statut de la Cour pénale internationale. Outre l’incohérence d’une telle situation, le risque est élevé que l’écocide soit, en raison d’une définition inadaptée et indûment restrictive, peu ou mal (voire pas du tout) appliqué. Et que, malgré des peines significatives, la création du délit d’écocide ne s’avère aucunement dissuasive. 

    ***

    « Le génocide et le crime contre l’humanité ont marqué le XXe siècle. L’écocide est le combat du XXIe siècle » (88). Le 29 juin 2020, le président de la République, recevant la Convention citoyenne pour le climat, s’est engagé à porter le combat, au nom de la France, pour inscrire le crime d’écocide dans le droit international (89). Les occasions ne devraient pas manquer dans les prochains mois : Assemblée générale des Nations-Unies en septembre dédiée notamment à la reconnaissance du droit universel à un environnement sain, Sommet mondial pour la biodiversité à Kunming en octobre, Sommet climat en novembre à Glasgow, Assemblée des États parties au statut de la Cour pénale internationale en décembre (90). 

    Le traitement réservé à l’écocide dans la loi climat permet, toutefois, de douter des intentions françaises. En refusant de reconnaître le crime d’écocide dans son droit pénal, la France a manqué l’occasion d’être force motrice d’un mouvement qui finira par s’imposer comme inéluctable. Pire, en réduisant l’écocide à un délit obscur et inadapté, elle crée un précédent qui pourrait niveler par le bas les futures discussions au sein de l’Union européenne et à l’international. 

    Face à l’urgence environnementale, l’indolence française rend d’autant plus indispensables et salutaires le rôle des organismes internationaux et de la société civile, ainsi que des initiatives telles que la proposition de résolution du groupe Ecolo-Groen, au Parlement belge, visant à inclure le crime d’écocide à la fois dans le droit pénal belge et dans le statut de la Cour pénale internationale (91). 

    En attendant, les nouveaux délits créés par la loi climat, pour décevants qu’ils soient, ont le mérite d’exister. Il importe, à la société civile notamment, de s’en emparer, de les éprouver, d’utiliser cette arme puissante qu’est le système judiciaire pour en explorer les failles et les limites, les exploiter, les faire évoluer. Au pire, cela permettra de gagner en expertise, de mieux identifier les obstacles et d’être à même de faire des propositions crédibles de transformation du droit. Au mieux, qui sait, grâce à une démonstration rigoureuse mais néanmoins ambitieuse, de premières condamnations pourraient être obtenues (92).

    Julia Thibord

    Avocate au Barreau de Paris

    Cabinet Vigo


    Notes

    1. Proposition de loi instituant le délit de pollution, Sénat, n° 292, seconde session ordinaire de 1977-1978, annexe au procès verbal de la séance du 6 avril 1978, exposé des motifs, pp. 2-3.
    2. Valérie Cabanes, citée in Communiqué de Presse de la Fondation Stop Ecocide, 23 novembre 2020, « Le gouvernement français trahit les demandes de la Convention Citoyenne pour le Climat en utilisant faiblement le terme ‘écocide’ ».
    3. Cf. notamment sur le sujet le podcast de l’émission C’est pas du vent, « Agent orange au Vietnam: un écocide en quête de reconnaissance », France Inter, 28 janvier 2021. 
    4. Cf. les travaux de la commission du droit international et notamment les versions du Projet de Code des crimes contre  la paix  et la sécurité de l’humanité de 1986 et 1991 : Annuaires de la Commission du droit international 1986 (volume 2, première partie, doc. A/CN.4/398, p.61) et 1991 (volume 2, deuxième partie, doc. A/46/10, p.111). Cf. aussi A. Gauger, M.P. Rabatel-Fernel, L. Kulbicki, D. Short & Polly Higgins, « Ecocide is the fifth missing crime », Human Rights Consortium, Université de Londres, 2012 (mis à jour en 2013), §§8-12. 
    5. Article 8.2(b)(iv) du statut de la Cour pénale internationale. 
    6. https://asp.icc-cpi.int/iccdocs/asp_docs/ASP18/GD.MDV.3.12.pdf; https://asp.icc-cpi.int/iccdocs/asp_docs/ASP18/GD.VAN.2.12.pdf
    7. https://asp.icc-cpi.int/iccdocs/asp_docs/ASP19/GD.BEL.14.12.pdf
    8. Résolution du Parlement européen du 20 janvier 2021 sur les droits de l’homme et la démocratie dans le monde et la politique de l’Union européenne en la matière – rapport annuel 2019 (2020/2208(INI)) ; Résolution du Parlement européen du 19 mai 2021 sur les effets du changement climatique sur les droits de l’homme et le rôle des défenseurs de l’environnement en la matière (2020/2134(INI)) ; Recommandation du Parlement européen du 9 juin 2021 à l’intention du Conseil concernant les 75e et 76e sessions de l’Assemblée générale des Nations unies (2020/2128(INI)). 
    9. Stop Ecocide Foundation, Groupe d’experts indépendants pour la définition juridique de l’écocide, Commentaire de la définition, juin 2021, disponible sur le site Internet de la fondation : https://www.stopecocide.earth/legal-definition. Le crime d’écocide y est défini comme « des actes illicites ou arbitraires commis en connaissance de la réelle probabilité que ces actes causent à l’environnement des dommages graves qui soient étendus ou durables ».
    10. « Stratégies parlementaires pour renforcer la paix et la sécurité face aux menaces et aux conflits résultant des catastrophes liées au climat et à leurs conséquences », Résolution adoptée le 27 mai 2021, disponible sur le site de l’UIP : https://www.ipu.org/fr/event/142e-assemblee-de-luip#event-sub-page-23958/
    11. Rapport fait au nom de la commission des lois du Sénat sur la proposition de loi portant reconnaissance du crime d’écocide, n°446, 10 avril 2019 ; Rapport de la commission des lois de l’Assemblée nationale sur la proposition de loi portant reconnaissance du crime d’écocide (n° 2353), 27 novembre 2019.
    12. https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Convention/ccc-rapport-final.pdf
    13. « Convention citoyenne pour le climat : la réponse de l’Elysée », Actu Editions législatives, 2 juillet 2020 ; Avis de la commission des lois du Sénat sur le projet de loi climat, 26 mai 2021, p.85 ; interview de Barbara Pompili sur France TV info, 23 novembre 2020, « Délit d’écocide: « Le glaive de la justice va s’abattre enfin sur les bandits de l’environnement » ».
    14. Étude d’impact du projet de loi climat, 10 février 2021, p.639. Cf. aussi l’interview de Barbara Pompili et Eric Dupont-Moretti, Journal du Dimanche, 21 novembre 2020 et l’interview de Barbara Pompili sur France TV info du 23 novembre 2020, « Délit d’écocide: « Le glaive de la justice va s’abattre enfin sur les bandits de l’environnement ».  
    15. Avis de la Commission des lois du Sénat sur le projet de loi climat, 26 mai 2021, p. 85.
    16. Podcast « Réfléchir l’écocide avec Valérie Cabanes », France Inter, 15 juillet 2020. 
    17.     https://preprod.notreaffaireatous.org/wp-content/uploads/2019/11/Chevron-c.-Equateur.pdf. Cf. aussi Marie Toussaint, « L’écocide : vers une reconnaissance internationale », Les Possibles, n° 25, Automne 2020, p.6
    18. Le nombre des défendeurs a ultérieurement été réduit à 13. Cf. Bernard Haftel, « Affaire de « l’agent orange » : les juges français peuvent-ils juger des sociétés commerciales étrangères pour écocide de guerre ? » Recueil Dalloz 2021 p. 1549.
    19. Cf.https://ecocidelaw.com/existing-ecocide-laws/. Sur l’écocide en droit russe, cf. Nadine Marie-Schwartzenberg in Antonio Cassese et al., Juridictions nationales et crimes internationaux, PUF, 2002, chapitre 8, p.267.
    20. Edouard Delattre, « Il faut reconnaître le crime d’écocide », Tribune, Libération, 29 juin 2020. 
    21. Marie Toussaint, « L’écocide : vers une reconnaissance internationale », Les Possibles, n° 25, Automne 2020, p.6. 
    22. https://preprod.notreaffaireatous.org/decryptage-sur-lecocide-et-la-reforme-de-la-constitution-portees-par-la-convention-citoyenne-pour-le-climat/
    23. Interview sur France TV info, 23 novembre 2020. 
    24. Valérie Cabanes, citant le philosophe Dominique Bourg, in Podcast « Réfléchir l’écocide avec Valérie Cabanes », France Inter, 15 juillet 2020.
    25. « Vivre et mourir avec le risque industriel. Bhopal, l’infinie catastrophe », Le Monde diplomatique, décembre 2004. 
    26. Amnesty International, « Une vérité toxique. A propos de Trafigura, du Probo Koala et du déversement de déchets toxiques en Côte d’Ivoire, AFR 31/002/2012, Septembre 2012.
    27. https://www.rtbf.be/tendance/green/detail_le-combat-de-l-avocat-pablo-fajardo-contre-une-compagnie-petroliere-d-equateur?id=10187906, cité in M. Toussaint, op.cit.
    28. Chambre des représentants de Belgique, proposition de résolution visant à inclure le crime d’écocide dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale et le droit pénal belge, n° 1429/001, 8 juillet 2020, p.6.
    29. Marie Toussaint, « L’écocide : vers une reconnaissance internationale », Les Possibles, n° 25, Automne 2020, p.3. 
    30. https://fr.monsantotribunal.org/upload/asset_cache/180671266.pdf
    31. https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/03/28/au-mozambique-beira-premiere-ville-au-monde-detruite-par-les-changements-climatiques_5442723_3212.html
    32. Communiqué de presse du 9 août 2021, https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2021/08/IPCC_WGI-AR6-Press-Release_fr.pdf
    33. Marie Toussaint, « L’écocide : vers une reconnaissance internationale », Les Possibles, n° 25, Automne 2020, p.3. 
    34. https://www.lefigaro.fr/sciences/la-pollution-de-l-air-provoquerait-pres-de-100-000-morts-prematurees-par-an-en-france-20210209
    35. https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/12/12/il-y-a-vingt-ans-le-naufrage-du-petrolier-erika-provoquait-la-catastrophe_6022671_3244.html
    36. https://la1ere.francetvinfo.fr/chlordecone-scandale-etat-grand-dossier-836440.html
    37. « Le scandale du chlordécone n’est pas un accident, c’est un crime hors norme », Le Monde, 28 mars 2021.
    38. TA Paris, 3 février 2021, requêtes n° 1904967, 1904968, 1904972, 1904976/4-1.
    39. CEDH, Mahmut Kaya c. Turquie, Requête n° 22535/93, 28 mars 2000, §85.
    40. « Délit d’écocide : les faux-semblants de la pénalisation du « banditisme environnemental » Tribune, Le Monde, 2 décembre 2020. 
    41. Avis de la Commission des lois du Sénat sur le projet de loi climat, 26 mai 2021, p.10. Le terme d’écocide, supprimé par le Sénat en première lecture, a été réintroduit lors de l’examen en commission mixte paritaire.
    42. Citée in Sébastien Mabile & Emmanuel Tordjman, « Le droit pénal de l’environnement à la croisée des chemins », La Semaine du droit – Edition générale, n° 47, 16 novembre 2020, p. 1293. 
    43. https://preprod.notreaffaireatous.org/decryptage-sur-lecocide-et-la-reforme-de-la-constitution-portees-par-la-convention-citoyenne-pour-le-climat/
    44. « 35 propositions pour mieux sanctionner les crimes contre l’environnement », op.cit., pp. 26 et s.   
    45. Interview de Barbara Pompili sur France TV info, le 23 novembre 2020. Cf. aussi l’interview de Barbara Pompili et Eric Dupont-Moretti, Journal du Dimanche, 21 novembre 2020.
    46. Cf. Rapport fait au nom de la commission des lois du Sénat sur la proposition de loi portant reconnaissance du crime d’écocide, n°446, 10 avril 2019, p.15 ; Interview de Barbara Pompili et Eric Dupont-Moretti, Journal du Dimanche, 21 novembre 2020 ; Étude d’impact du projet de loi climat, 10 février 2021, p.639.
    47. Articles 111-2 et 111-3 du code pénal ; article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme ; article 49 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ; article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et article 34 de la Constitution. 
    48. Décision n°80-127 DC du 20 janvier 1981, Loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes, §7. Pour une application récente : Décision n° 2021-817 DC du 20 mai 2021, Loi pour une sécurité globale préservant les libertés, §163 (censurant, pour manque de précision, le délit de provocation à l’identification d’un agent de police).
    49. Cf. Étude d’impact du projet de loi climat, pp. 625 et s. ; Rapport fait au nom de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi climat, n° 3995, 19 mars 2021, pp. 465-468 ; Rapport fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire du Sénat, n° 666, 2 juin 2021, pp. 249-253. 
    50. D. Chilstein, « L’efficacité du droit pénal de l’environnement », in L’efficacité du droit de l’environnement, Paris, Dalloz, 2010, p. 72, cité in Isabelle Fouchard & Laurent Neyret, « 35 propositions pour mieux sanctionner les crimes contre l’environnement », Rapport remis à la garde des sceaux le 11 février 2015, p.14.
    51. Marie-Odile Bertella-Geffroy, « L’ineffectivité du droit pénal dans les domaines de la sécurité sanitaire et des atteintes à l’environnement », Environnement n° 11, Novembre 2002, chron. 19 ; « 35 propositions pour mieux sanctionner les crimes contre l’environnement », op.cit., pp.14 et s. ;  Juliette Tricot, « Les infractions environnementales face au renouvellement des stratégies et techniques d’incrimination », Revue Energie Environnement Infrastructures n°12, décembre 2017 ; Sébastien Mabile & Emmanuel Tordjman, « Le droit pénal de l’environnement à la croisée des chemins », La Semaine du droit – Edition générale, n° 47, 16 novembre 2020.
    52. Code de l’environnement, article L. 216-6.
    53. Code de l’environnement, articles L.218-10 à L.218-25 (rejets polluants des navires), L.218-34 (pollution due aux opérations d’exploration ou d’exploitation du fond de la mer ou de son sous-sol), L.218-48 (pollution par immersion de déchets) et L. 218-64 (pollution par incinération en mer).
    54. Code de l’environnement, articles L. 218-12 et L. 218-13.
    55. Code de l’environnement, article L. 218-14.
    56. Code de l’environnement, articles L. 173-1, I et II et L. 173-2 .
    57. Code de l’environnement, article L.173-3. 
    58. Code de l’environnement, article L.173-1, III. 
    59. Code de l’environnement, article L. 541-46.
    60. Code de l’environnement, articles L. 521-21,9°  et L.226-9.
    61. Code pénal, articles 421-2 et 421-4.
    62. Jean-Yves Maréchal, « Elément moral de l’infraction », JurisClasseur Pénal Code, art.121-3, fasc.20, §71 et §86. 
    63. Code de l’environnement, article L. 231-1, deuxième alinéa : « Le premier alinéa du présent article ne s’applique : 1° S’agissant des émissions dans l’air, qu’en cas de dépassement des valeurs limites d’émission fixées par décision de l’autorité administrative compétente ; 2° S’agissant des opérations de rejet autorisées et de l’utilisation de substances autorisées, qu’en cas de non-respect des prescriptions fixées par l’autorité administrative compétente. » 
    64. V. sur cette question Jean-Nicolas Citti & Manuel Pennaforte, « Les délits environnementaux prévus par le projet de loi Climat », Actu Editions législatives, 26 avril 2021.
    65. La Cour de cassation a récemment jugé que les incriminations des articles L.216-6 et L.432-2 n’étaient pas exclusives l’une de l’autre,  la seconde tendant à la protection spécifique du poisson exclue par la première : Cass. crim., 16 avr. 2019, n° 18-84.073. Commentaire de Jacques-Henri Robert, Droit pénal n° 6, Juin 2019, comm. 109.  
    66. Juliette Tricot, « Les infractions environnementales face au renouvellement des stratégies et techniques d’incrimination », Revue Energie Environnement Infrastructures n°12, décembre 2017, 31, p. 3.
    67. https://preprod.notreaffaireatous.org/decryptage-sur-lecocide-et-la-reforme-de-la-constitution-portees-par-la-convention-citoyenne-pour-le-climat/
    68. Code de l’environnement, article L. 541-4-1. 
    69. Notre Affaire à Tous, « Analyse des dispositions du titre VI du projet de loi climat et résilience », https://preprod.notreaffaireatous.org/wp-content/uploads/2021/04/PJL-LOI-CLIMAT-De%CC%81cryptage-e%CC%81cocide-V4.docx-1-1-1.pdf
    70. Étude d’impact du projet de loi climat, p. 640. 
    71. Cf. par ex. Isabelle Foucard & Laurent Neyret, « 35 propositions pour mieux sanctionner les crimes contre l’environnement », 2015, p.35.
    72. Cf. le site de la fondation Stop Ecocide pour un panorama des différentes propositions de définitions https://ecocidelaw.com/selected-previous-drafts/. V. également les propositions de loi précitées examinées par l’Assemblée nationale (« dommages étendus, irréversibles et irréparables ») et le Sénat (« atteinte grave et durable ») en 2019 ainsi que le rapport remis à la garde des sceaux en 2015, qui préconise de subordonner l’écocide  à un dommage « particulièrement grave », c’est-à-dire « soit à la réalisation d’une dégradation étendue, durable et grave des équilibres écologiques, soit à la mort, des infirmités graves ou des maladies incurables graves à une population, soit à la dépossession durable de certaines populations de leurs territoires ou ressources » (« 35 propositions pour mieux sanctionner les crimes contre l’environnement »,op.cit, p.31). Enfin, pour un panorama des définitions existantes en droit interne :  https://ecocidelaw.com/existing-ecocide-laws/ 
    73. Le texte précise  : par « étendu », on entend que les dommages s’étendent au-delà d’une zone géographique limitée, qu’ils traversent des frontières nationales, ou qu’ils touchent un écosystème entier ou une espèce entière ou un nombre important d’êtres humains ; par « durable », on entend que les dommages sont irréversibles ou qu’ils ne peuvent être corrigés par régénération naturelle dans un délai raisonnable.
    74. Rapport fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire du Sénat, n° 666, 2 juin 2021, p. 255.
    75. Ibid.
    76. Corinne Lepage, « Le délit d’écocide : une « avancée » qui ne répond que très partiellement au droit européen », Dalloz Actualité, 17 février 2021 (sur la durée de 10 ans exigée par le projet de loi initial). 
    77. Propos de l’ancien conseiller à la Cour de cassation Thierry Fossier cités in Sébastien Mabile & Emmanuel Tordjman, « Le droit pénal de l’environnement à la croisée des chemins », La Semaine du droit – Edition générale, n° 47, 16 novembre 2020, §33. 
    78. Jean-Yves Maréchal, « Elément moral de l’infraction », JurisClasseur Pénal Code, art.121-3, fasc.20, §34. Cf. aussi Patricia Savin, « Contentieux répressif des installations classées », JurisClasseur Environnement et Développement durable, fasc. unique, §§160 et s. Pour des illustrations en matière environnementale : Cass.crim., 2 oct. 2007, n° 07-81.194 et Cass. crim., 16 juin 2009, n° 08-87.911 (infractions à la législation ICPE); Cass. crim., 22 mars 2016, n° 15-84.949 et  Cass. crim., 22 mars 2016, n° 15-84.950 (article L.173-1 du code de l’environnement).
    79. Jacques-Henri Robert, « L’élément moral des infractions contre l’environnement », RSC 1995, p.356.
    80. Cf. notamment l’analyse d’Isabelle Foucard et Laurent Neyret, qui préconisent de limiter le crime d’écocide aux seuls actes intentionnels in « 35 propositions pour mieux sanctionner les crimes contre l’environnement », op.cit., p.40. Voir a contrario, Valérie Cabanes, « Reconnaître le crime d’écocide », C.E.R.A.S., Revue projet, 2016/4, n°° 353, p.72 : « lever l’exigence d’une intention pour qualifier ce type de crime permettrait d’imposer par le droit pénal le principe de précaution énoncé à l’article 15 de la Déclaration de Rio, avec une obligation de vigilance environnementale et sanitaire à l’échelle globale ».  
    81. Dans sa version initiale, le projet de loi précisait d’ailleurs que l’écocide était commis « en ayant connaissance du caractère grave et durable des dommages (…) susceptibles d’être induits par les faits » (Article 68 du projet de loi déposé le 21 février 2021).  Mais la rédaction de l’ensemble du texte, qui aboutissait à des peines différentes pour des faits identiques, a été critiquée par le Conseil d’État comme contraire au principe d’égalité, et modifiée par le Sénat en première lecture, supprimant notamment cette précision concernant l’intention. Le Conseil d’État a, à cette occasion, rappelé que « la connaissance du risque d’atteinte à l’environnement à raison du non-respect de cette réglementation est déjà incluse dans les éléments constitutifs de ces infractions, au titre du dol général » : Avis sur un projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et ses effets, 10 février 2021, §77.
    82. Cf. aussi « 35 propositions pour mieux sanctionner les crimes contre l’environnement », op.cit., p.40, préconisant « une définition adaptée de l’intention, qui serait caractérisée lorsque l’auteur savait ou aurait dû savoir qu’il existait une haute probabilité que [ses actes] portent atteinte à la sûreté de la planète ». 
    83. Jean-Yves Maréchal, « Elément moral de l’infraction », Jurisclasseur pénal code, art.121-3, fasc.20, §86. 
    84. Articles 221-6 (homicide involontaire), 222-19 et s. (violences involontaires) et 223-1 (mise en danger de la vie d’autrui) du code pénal. Cf. aussi article 121-4 du code pénal en matière de responsabilité indirecte. 
    85. Cass. Crim., 22 Novembre 2005, n° 05-80.282 (homicide involontaire résultant de la violation d’un arrêté de mise en demeure) ; Cass. Crim., 16 Octobre 2012, n° 11-87.369 (mise en danger d’autrui résultant du défaut de déclaration d’une ICPE, en violation de l’article L. 512-8 du Code de l’environnement et de l’article 8 de l’arrêté préfectoral du 20 août 2000) ; Cass crim., 11 juill. 2017, n° 11-83.864, 14-86.985, Sté Noroxo et M.X (non-respect des prescriptions de l’arrêté préfectoral d’autorisation) ; CA Paris, 11 oct. 2019, n°18-04919, incinérateur de Vaux le Pénil (mise en danger d’autrui résultant du non-respect des taux de rejets dans l’atmosphère, en violation de mises en demeure), commenté in Corinne Lepage, Benoit Denis & Valérie Saintaman, « Condamnation pénale pour mise en danger des populations exposées aux dioxines d’un incinérateur », Énergie – Environnement – Infrastructures n° 12, Décembre 2019, comm. 60. 
    86. « 35 propositions pour mieux sanctionner les crimes contre l’environnement », op.cit., p. 38.
    87. Rapport fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire du Sénat, n° 666, 2 juin 2021, p.269.
    88. Christophe Bouillon, rapporteur et auteur de la proposition de loi portant reconnaissance du crime d’écocide, Rapport de la commission des lois de l’Assemblée nationale sur la proposition de loi portant reconnaissance du crime d’écocide (n° 2353), 27 novembre 2019, p.37.
    89. « Le gouvernement transforme l’écocide en délit environnemental », Le Monde, 24 novembre 2020. Cf. aussi Emmanuel Macron sur Twitter 29 juin 2020.
    90. Cecilia Rinaudo, « Définition internationale de l’écocide : une proposition solide qui impose à la France d’agir », communiqué de presse Notre Affaire à Tous, 22 juin 2021.
    91. Chambre des représentants de Belgique, Proposition de résolution visant à inclure le crime d’écocide dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale et le droit pénal belge, n° 1429/001, 8 juillet 2020. 
    92. Sur l’utilisation du système judiciaire pour faire évoluer le droit, cf. Frédéric Amiel et Marie-Laure Guislain, « Le néo-libéralisme va-t-il mourir ? », Les Editions de l’Atelier, 2020.
  • La cosmovision andine comme fondement philosophique des droits de la nature

    Par Ilona Suran, membre de Notre Affaire à Tous

    Les droits de la Nature se construisent sur une pensée et croyance indigène qui épouse la vie, et reconnaît, en ce sens, l’interdépendance omniprésente qui lie toutes les entités naturelles entre elles, dont l’humain fait partie. Nous sommes les expressions complémentaires d’un même être vivant, collectif et cyclique, Pachamama.

    LA PERTE DE NOS RACINES AU TRAVERS D’UNE CULTURE OCCIDENTALE DESTRUCTRICE

    L’Occident se positionne aujourd’hui comme grand garant de la pensée hédoniste, individualiste et utilitariste, et se préoccupe avant tout d’un consumérisme à outrance (1). Il semble délaisser dans une certaine mesure l’importance du lien social, du bien-être humain, de la solidarité, de l’amour et de l’entraide et rejette toute idée d’interdépendance que l’humain pourrait entretenir avec la Nature. L’anthropocentrisme affiché de nos sociétés voit alors l’Homme comme unique sujet moral, seul porteur d’une dignité et de valeur intrinsèque. Il est l’agent central qui régule actions, valeurs et modèles éthiques. Cette vision dualiste dissocie l’humain détenteur d’un esprit, du reste du monde, une somme d’objets « inertes ». Cela se renforce lorsque l’on tend l’oreille aux propos de Descartes et d’Aristote, qui entendaient l’Homme comme l’unique détenteur de la raison, le rendant souverain et la mesure de toutes choses (2). Il est au cœur des préoccupations. À cet égard, François Ost relaie parfaitement cette pensée cartésienne (3) et le fait que la modernité occidentale « a transformé la nature en « environnement » : simple décor au centre duquel trône l’homme qui s’autoproclame « maître et possesseur » »

    La culture occidentale pense la terre telle une chose, un bien, que l’on peut dominer, soumettre, exploiter, en méprisant relativement toute souffrance animale et végétale. Et c’est en proclamant l’Homme grand souverain du monde Vivant, que nous nous sommes perdus, éloignés de nos racines. Nous avons oublié que la Nature n’était pas une simple ressource monnayable, mais bien la matrice de toute vie – dont humaine. C’est cet écosystème Terre qui nous berce, nous alimente, nous abrite et nous maintient en vie. Et pourtant, nous sommes en guerre perpétuelle contre la vie, à coups d’insatisfactions permanentes, d’appétits mercantiles, et de méprises humaines. Le capital et la logique du profit ont pris le pas sur tout autre objectif sociétal, menaçant toujours plus les ressources naturelles limitées, la diversité biologique, les écosystèmes et les paysages. Le système capitalo-libéral est en plein processus de destruction des conditions biophysiques de l’existence (4). La pollution fait rage, tandis que le climat s’emballe et la biodiversité crie famine. Balayée d’un revers entaché d’instrumentalisme, la Nature n’est plus, elle est dénaturée de sa substance ; elle n’est plus tant une source de significations métaphysiques grâce à laquelle comprendre, sentir, symboliser esthétiquement et spirituellement, qu’une ressource à exploiter, une « ressource naturelle », violée et désabusée. 

    Alors, le modèle de société dans lequel nous sommes inscrits doit être absolument questionné ; la manière dont il évolue et dont il fonctionne ne cesse d’alimenter les inégalités sociales et les destructions environnementales, mettant largement en péril les conditions d’existence sur Terre. Nous devons à tout prix rompre avec cette vision cartésienne et scientiste du monde, repenser les fondements théoriques des sociétés modernes, et nous ouvrir à ces cultures qui pensent la Vie d’une manière toute autre.  

    LA COSMOVISION ANDINE, EN HARMONIE AVEC LE VIVANT

    Maints peuples à travers le monde sont aux antipodes de cette dérive anthropocentrique, et portent un regard davantage holistique sur la vie et profondément respectueux des équilibres écologiques. La vision d’un monde en harmonie où l’Homme est en fait une composante de la biosphère au sein de laquelle tout organisme vivant évolue. En réalité, à l’image des cosmovisions des peuples autochtones andins, la Nature n’est plus un environnement extérieur à l’humain, elle est l’humain, et l’Homme est Nature (5). Une approche biocentrique qui détrône l’Homme de son piédestal, et l’enracine à son origine.    

    Dans un souci de clarté, la sémantique de certains termes relatifs au cosmos doit d’abord être brièvement étudiée. Alors que la cosmologie s’entend par la science des lois générales qui gouvernent l’Univers, cet « ensemble plus ou moins cohérent de représentations portant sur la forme, le contenu et la dynamique de l’Univers : ses propriétés spatiales et temporelles, les types d’être qui s’y trouvent, les principes et puissances qui rendent compte de son origine et de leur devenir » (6). La cosmogonie quant à elle, fondée sur l’oralité et la mémoire, relève d’histoires sacrées, contées pour expliquer la genèse du monde et de l’humanité, elle repose fondamentalement sur des mythes liant croyances et réalités, légitimant les pratiques sociales et justifiant l’ordre du monde et le lien social (7). Dans sa continuité, presque sororale, la cosmovision vient s’affirmer comme une perception de l’Univers, un ensemble de croyances permettant d’analyser et de reconnaître la réalité à partir de l’existence même. Elle est une vérité du monde et du cosmos pensée par une personne, une société ou une culture à une époque donnée, réunissant en soi tous les aspects de la vie, la religion, la politique, la philosophie, la morale, les mœurs et coutumes.

    Ainsi, la cosmovision andine s’adosse à des milliers d’années de culture, de croyances, de conquêtes et de civilisations ; elle est un métissage andin s’étendant de la Colombie au Chili, en passant par l’Équateur, le Pérou, la Bolivie et l’Argentine. Malgré cette disparité ethnico-culturelle des civilisations précolombiennes (8), la culture andine tient en beaucoup à celle péruvienne de par le rôle que joueront certains peuples et empires péruviens tout au long de l’histoire. Les peuples originaires quechuas ont alors matérialisé il y a 5000 ans, une manière d’interpréter le monde et de le percevoir, d’abord au sein de la Civilisation de Caral, puis, jusqu’aux Incas, qui survécurent jusqu’alors.

    Ce dernier Empire Inca fonde son origine sur certaines légendes dont l’une d’entre elles conte la naissance de deux enfants, Manco Capac et sa sœur-épouse Mama Occlo. Fruits de l’union entre le Père-Soleil, Taita Inti, et la Terre-Mère, Pachamama, ils auraient pour mission de trouver une terre afin d’y bâtir une nouvelle civilisation. Alors s’il a été relativement éphémère (1450-1532) (9), cet Empire a pourtant été le plus vaste de l’Amérique précolombienne. À son apogée, il s’étend le long de la Cordillère des Andes, perché à plus de 2000 m d’altitude au dessus du niveau de la mer, de l’Equateur au Chili, dont Cuzco au Pérou en est la grande capitale, « le nombril du monde ». Cette dynastie disparaît en 1532 vaincu par une troupe d’à peine 200 espagnols, guidés par Francisco Pizzaro, qui profita des mésententes familiales liées aux successions et de la fragilité du peuple, pour tromper l’empereur Atahualpa, et commettre des actes ignobles afin de réduire à néant la civilisation. Malgré la disparition du dernier empereur officiel Inca, les croyances et coutumes se sont perpétuées au fil des siècles, renforçant toujours plus cette vision andine du monde et le soin qu’elle entend porter à la Nature, au Cosmos en vie, et à la relation sacrée qui lie l’être humain et la Terre Mère. Il doit être pourtant mentionné qu’au vu de la colonisation qui s’exécuta dès le XVIe siècle, et dont le grand chelem revenait à évangéliser en masse et soumettre à la guise, les croyances animistes (10) andines et indigènes, si elles ne se sont point éteintes, se sont pratiquées de manière relativement silencieuse. Le rituel millénaire alloué pour la Pachamama, qui d’une manière plus occidentale, peut être apparentée à Gaïa (11), même si elle reste une entité plus complexe et profonde, est l’un des seuls paradigmes archaïques précolombiens qui survécut à l’évangélisation. De ce fait, il est commun de rencontrer ce métissage et cette mosaïque ethnologique au sein de cérémonies pour la Pachamama, où la vierge Marie lui est apparentée, elle est essence d’un tout, elle donne la vie.

    En tant qu’interprétation d’un tout, la cosmovision andine est un point de convergence entre les croyances religieuses et sociales, elle prône ce lien sacré qui lie l’être humain et le cosmos, le ciel et la terre. Le Cosmos est vivant et tout y est entrelacé, chaque entité qui le compose. Elle admet que tout prend forme dans ce qu’elle nomme le Illa Teqsi, « Lumière éternelle ; Fondement de Lumière », qui est alors l’énergie par laquelle s’est formé l’Univers, la substance primaire qui l’anime, cette matrice qui lui donne forme et mouvement. Cette énergie omniprésente et positive, qui s’exprime au travers de chaque être, et nous lie, nous humains, à la Terre Mère, la Pachamama, circule sans cesse au sein de la Nature, considérée comme un tout. Une éthique de vie entière que pourrait endosser ce terme salvateur que représente Pachamama. Il est commun de retrouver Pachamama traduite et symbolisée par la Nature, or cela revient à commettre une erreur (12) en ce que le terme « Nature » n’existe nullement au sein des communautés indigènes, il est une construction occidentale vêtue afin de différencier l’être humain du reste sauvage (13). Réduire l’éthique et la pensée Pachamama à cette simple connotation de Nature est un raccourci de mauvais goût qui méconnaît les savoirs des peuples indigènes. 

    Pachamama tient à une variété de significations, elle est une notion complexe. Elle n’est point le résultat d’élaborations scientifiques, mais la manifestation du savoir de la culture ancestrale, fruit d’une coexistence des peuples avec le Vivant. Divinité aux racines andines, elle représente l’ensemble des entités humaines et non-humaines, de l’humain, aux animaux; des végétaux, aux rivières, océans jusqu’aux roches et aux étoiles (14). Elle est la Déesse-Mère. « Pacha » est à la fois la terre, la nature, la planète, l’espace de vie, le temps, l’univers, le monde, le cosmos, et bien encore. Ces différents aspects se complètent ; elle est « Espace-temps » et elle est « Univers ». Pacha est le Tout, elle est le Grand Esprit : « Pacha et son esprit ne font qu’un, bien que nous participons tous de son esprit » (15). Tandis que « Mama » est bien entendu la mère, utérus de la vie, qui berce et protège les êtres qu’elle enfante, l’entièreté du Vivant. Pachamama est une véritable intelligence universelle, divine et mystique, elle rythme les croyances spirituelles des peuples ancestraux, qui lui allouent une véritable dévotion estimant ce sacré, cette force divine qu’elle incarne. La culture ancestrale s’organise autour de rites et cultes pour cette entité féminine, entendue dans sa dimension culturelle comme la Terre-Mère, sans pour autant y consacrer un édifice spirituel particulier, car elle est son propre temple, la Nature (16). Une entité reconnue par tous les peuples d’Amérique du sud, qui lui rendent hommage pour la Vie qu’elle porte, la considérant comme « une réalité vivante, une part de leur propre nature humaine, avec laquelle ils maintiennent des échanges et des réciprocités, mais aussi des reconnaissances et identifications mutuelles » (17). Cette conception du macrocosme chez les Incas est sans cesse articulée autour d’une dualité, d’une recherche de l’harmonie des opposés, ce qui revient à accepter l’essence même de l’Univers (18). Autant que la cosmogonie inca incarne l’énergie féminine de Pachamama, elle reconnaît également l’existence d’une force masculine, Pachataita, le Papa Ciel, qui à deux forment cette féconde dualité andine. 

     De même, la sensibilité andine entend que tout élément constitutif du Cosmos est entrelacé, que chaque être est pourvu d’un esprit, qu’il s’agisse de montagnes, de rivières, d’arbres, de plantes, ou même de roches. Elle entend le monde comme une collectivité naturelle regroupant des communautés vivantes, diverses et variables, qui toutes, de par ce lien qui les uni, représentent à la fois leur valeur intrinsèque mais aussi le Tout. En réalité, cela revient à dire qu’en chaque entité, le micro et le macro-cosmos se lient. Par la compréhension de notre for intérieur, de notre propre corps, il nous est alors possible d’entendre l’Univers tout entier ; les Lois de la Nature, ces lois biologiques, sont identiques, peu importe les naissances et les conceptions du Vivant. En ce sens, et afin de bien intégrer les enjeux d’une telle perception du Cosmos, il doit être mentionné cette façon bien particulière qu’a la cosmovision andine de conceptualiser le temps. Il faut alors comprendre que la notion du temps pour ces peuples ancestraux est bien loin de celle occidentale qui se veut rationnelle et qui paradoxalement désire sans modération et à toute allure ; où chaque perturbation vient détrôner l’équilibre d’un écosystème tout entier, perturbant le bien-être de ses composantes. 

    La temporalité indigène se rapproche bien plus de celle de la Nature et de ses processus naturels et biologiques, où l’appréciation du temps est toute autre. La cosmovision andine reconnaît alors trois espaces dynamiques et complémentaires qui s’articulent pour former le Cosmos, trois Pachas, Hanan Pacha, Kay Pacha et Uku Pacha. De premier abord, il n’est pas simple d’en cerner le sens. Il est cependant possible d’entendre Uku Pacha comme le temps passé, celui qui a été, ce monde qui n’est plus, mais qui continue pour autant à exister d’une certaine manière ; il est le monde souterrain, celui des morts et des âmes passées, la racine qui soutient un tout, les profondeurs de la terre, mais aussi berceau des semences qui renaîtront, représenté par un serpent. Le Kay Pacha, le royaume humain, de l’immédiat, l’ici et maintenant, où rien n’est statique, et tout est en perpétuel mouvement au gré du temps (19), où tout se matérialise, se voit, se sent et se perçoit, ce qui captive notre conscience. Il est un pont entre la sphère passée et celle à venir, une oscillation éternelle du temps qui entretient cette interrelation cyclique avec les deux Pachas, incarné par une panthère. Hanan Pacha, le royaume supérieur, le monde des cieux, où vivent comme êtres animés, rivières, pierres, arbres et animaux, où interagissent les phénomènes naturels et les dieux andins, symbolisé par un condor. Lié au monde spirituel, il représente ce qui est à venir. L’articulation de ces trois niveaux forment le cosmos, où le micro et le macro-cosmos entretiennent une intime correspondance.

    L’ÉTHIQUE DE VIE DU BUEN VIVIR

    Un concept clé s’attache à cette philosophie autochtone, celui du Buen Vivir, qui désigne le paradigme indigène de vie en harmonie entre les êtres humains et la Nature. Il suppose une vision holistique et intégrée de l’être humain, immergé dans la grande communauté terrestre qui inclut à la fois, l’eau, l’air et le sol, les montagnes, les arbres et les animaux. Il s’agit en réalité d’une véritable relation symbiotique harmonieuse, c’est l’affirmation d’une profonde communion avec cette divinité reconnue et priée, Pachamama, avec toutes les énergies de l’Univers et avec Dieu. Le Buen Vivir ou Sumak kawsay en quechua, est ce que l’on peut appeler une culture de vie, qui pense des nouvelles formes d’organisation et de développement entre les personnes, d’interaction avec le Vivant et de compréhension du monde et de ses relations métaphysiques. Alors l’invocation de Pachamama est naturellement accompagnée de l’exigence de respect à son égard, qui se traduit dans cette norme éthique fondamentale du Sumak kawsay. Et comme le Préambule de la Constitution équatorienne de 2008 le reprend c’est « en célébrant la nature, la Pachamama, dont nous faisons parti et qui est vitale pour notre existence… [que nous décidons de construire] une nouvelle forme de coexistence citoyenne, en diversité et en harmonie avec la nature pour bien-vivre (ou vivre pleinement), le Sumak kawsay » (20). Bien entendu, cette éthique de vie est une construction philosophique portée par de nombreux peuples indigènes, qui ne se borne pas qu’au peuple Inca du Pérou ; ce sont toutes les communautés indigènes andines et d’Amazonie qui représentent cette alternative au développement (21). Ce sont ces peuples traditionnellement marginalisés qui questionnent cette éthique du « vivre meilleur » dans la mesure où le progrès illimité et la mise en compétition des individus induisent des fractures et des inégalités sociales sans précédent, et une destruction meurtrière de notre maison commune, la Terre. Il n’est pas une négation du monde moderne occidental, mais une invitation au dialogue permanent et constructif des savoirs, connaissances et sagesses ancestraux avec la pensée universelle moderne, dans un but de décolonisation continue de la société. Cette éthique pense l’harmonie entre l’ensemble des individus de l’écosystème planétaire, et plus particulièrement entre le monde humain et la sphère dite non-humaine. Une représentation particulière de la vie et de la manière pour nous d’y interagir, qui suppose un régime fondé sur la solidarité et non plus sur un modèle de libre concurrence qui anime un certain cannibalisme économique entre les êtres humains. L’aspiration à une économie sociale et solidaire qui permette une reconnaissance égalitaire et inclusive des différentes formes de travail et de production. Le Buen Vivir se heurte au système d’accumulation capitaliste global qui suce les matières premières – c’est-à-dire la Nature – causant de graves dommages environnementaux, comme entretenant une structure d’exploitation de la main d’œuvre humaine, en contradiction avec de bonnes conditions de travail. Alors s’élève ce paradigme de changement du monde et de ses règles pour construire une société démocratique plus soutenable, juste, égalitaire, libre et certainement, plus humaine. 

    L’APPLICATION D’UNE PHILOSOPHIE DE VIE ANCESTRALE AUX THÉORIES MODERNES DU DROIT

    Cette doctrine de vie s’immisce de plus en plus au sein des sociétés occidentales, jusqu’à en pénétrer les fondements de son droit. Elle est un enseignement clé des droits de la Nature (22) et un garde-fou essentiel au maintien des bonnes conditions de vie sur Terre. Les sociétés indigènes nous rappellent ce devoir de reconnexion à la terre, à nos lois biologiques délaissées, elles nous interpellent pour un retour profond à la solidarité et à la résilience. Une éthique de vie qui rompt intégralement avec le constitutionnalisme libéral anthropocentrique où l’humain est au cœur des préoccupations. Elle propose un véritable changement de civilisation. C’est d’elle que naît cette volonté d’accorder des droits à l’écosystème Terre et à la communauté du Vivant comme fondement d’une culture de respect profond de la vie, de ses composantes et de ses cycles naturels. Il est essentiel de reconnaître la valeur intrinsèque de chaque entité naturelle, comme l’interdépendance de chacune d’entre elles – humains, végétaux, animaux, minéraux, micro-organismes – afin de consolider le bien-être de l’humanité, de la grande communauté de la vie et des générations futures (23). Le maintien de bonnes conditions d’existence sur Terre en dépend. Alors, le droit invite au voyage pour considérer cette relation affectueuse et viscérale que les communautés indigènes maintiennent avec l’écosystème planétaire, l’appréhendant telle la Terre-Mère, Pachamama, en percevant la nécessité de restaurer sa santé et les écosystèmes qui la composent, de manière holistique et intégrée, de façon systémique (24). 

    Pachamama, au sein de laquelle se produit et se réalise la vie, a donc le droit au respect intégral de son existence et au maintien et à la régénération de ses cycles vitaux, de sa structure, de ses fonctions et de ses processus évolutifs. L’estime qui lui est portée passe par la philosophie du Buen Vivir qui se positionne dans la mouvance des droits de la Nature, en ce qu’il prône le respect et l’harmonie avec le Vivant, lui reconnaissant une véritable valeur intrinsèque. Les droits humains, comme les droits de la Terre-Mère sont alors des faces complémentaires de cette philosophie du Bien-Vivre, une solution au dilemme actuel de l’Humanité. Face aux menaces qui pèsent sur les équilibres écologiques et sur l’habitabilité de la Terre, nous devons repenser d’urgence les fondements juridiques de nos sociétés de manière éco voire biocentrée (25) et accompagner l’émergence d’un mouvement de déplacement du droit de l’environnement vers un droit écologique. 

    Le droit environnemental qui entend protéger l’environnement sous l’égide d’une vision anthropocentrée, se confronte au droit écologique qui appréhende la science juridique telle un instrument permettant de protéger les écosystèmes pour eux-mêmes, dont l’Homme n’en serait plus le coeur, mais l’une de ses composantes, au même titre que le reste des entités naturelles. Il paraît nécessaire d’admettre comme nouvelle valeur pivot, la valeur intrinsèque du Vivant, dont le droit d’une manière générale doit pouvoir s’universaliser autour de cette notion et reconnaître comme sujet ultime de droit, la biosphère. Le paradigme juridique des droits de la Nature appréhende alors la Terre comme la source des lois naturelles qui régissent la vie, où l’être humain n’est ni créateur, ni acteur principal, mais une entité comme les autres. Tout ce qui vient de la Création (26), tous les êtres qui ont une vie ne sont plus de simples objets, ils sont de véritables sujets, et peuvent être dotés d’une personnalité juridique. Un nouveau modèle se dessine et pense la reconnaissance de droits aux écosystèmes et à la biocénose, où chaque entité de la biosphère a une valeur propre en ce qu’elle joue un rôle dans le fonctionnement et la régénération des écosystèmes et de ses cycles. 

    Alors en soit, défendre la Nature, cela revient à défendre le droit de la Nature à être Nature. Cette nouvelle mouvance du droit se forge depuis les traditions ancestrales indigènes qui prônent que l’existence de chaque membre de la communauté indivisible de la vie est interdépendante de celle de l’ensemble, et donc que toute atteinte portée contre la Nature, est en réalité une atteinte que l’on porte à l’humanité elle-même. Alors inéluctablement, défendre le droit de la Nature à exister, c’est défendre plus efficacement encore les droits fondamentaux de l’Homme, tels que son droit à la vie, à la sûreté, à la santé ou à l’alimentation (27). Cette relation viscérale qui lie la culture ancestrale à la Nature est un réel savoir traditionnel, transmis d’abord oralement puis qui récemment tend à s’institutionnaliser (28) au travers de la Constitution Fédérale de l’Équateur (29) et de la législation fédérale de la Bolivie (30). En effet, les pays qui comptent une large part d’indigènes au sein de leur population sont forcément les plus enclins à reconnaître constitutionnellement l’entité de Pachamama et la doctrine de vie du Buen Vivir. Ces deux États d’Amérique latine sont de grands pionniers et symbolisent cette ouverture juridico-légale qui souhaite dépasser ces normes occidentales surannées pour reconnaître de véritables personnalités aux éléments naturels et aux biotopes qui les abritent. Les droits de la Nature prennent leur force au sein de la cosmovision andine et de sa philosophie du Buen Vivir qui invitent à l’équilibre harmonieux et respectueux entre les êtres humains et le reste du Vivant. Le point essentiel tend vers cette prise de conscience selon laquelle nous sommes intégrés dans un Tout interdépendant dont chaque élément participe d’un rôle spécifique au sein de l’écosystème Terre. Un Tout, qui est intrinsèquement pénétré par une force cosmique et divine, matrice même de la Vie, régulièrement représentée comme Dieu, ici sous-entendu sans distinction religieuse particulière. 

     Alors en soit, les droits de la Nature, ce n’est pas tant une révolution, mais plutôt un dialogue inter-culturel. Cette façon de considérer la Nature comme détentrice d’une personnalité, d’une dignité se devant d’être respectée, ce n’est pas vraiment novateur. Les peuples premiers la pensent et la respectent ainsi depuis des siècles ; ils produisent leurs propres normes juridiques selon ces principes directeurs. Or, de par cette tradition occidentale colonialiste qui exclut, les droits élaborés par les « minorités » tels que ces peuples primaires sont empêchés d’être absorbés par le droit positif (31). Ils restent lettre morte aux portes de la mondialisation. Alors, faire revivre ce paradigme qui entend donner des droits aux éléments naturels, c’est se doter d’une philosophie déjà bien en vie, et l’adapter pour y repenser les matrices théoriques de la conception du droit positif. C’est alors rompre avec ces fondements d’exclusion des groupes subalternes, marginaux, et redonner légitimité à leur savoir, leur éthique et leur sagesse. C’est créé – enfin – un vrai dialogue entre cultures, dépasser cette dichotomie Homme/Nature, comme nombre de peuples l’ont déjà fait, et reconnaître que le droit peut en effet être pluraliste.

    NOTES

    1. V. CABANES, « Un nouveau droit pour la Terre – pour en finir avec l’écocide », Seuil, 2016, p.27
    2.  S. GURTWIRTH, « Trente ans de théorie du droit de l’environnement : concepts et opinions », Environnement et société, n° 26, 2001, p.7 
    3. R.DESCARTES, Discours de la méthode, 1637, p. 38, [En ligne] http://classiques.uqac.ca/classiques/Descartes/discours_methode/Discours_methode.pdf
    4.  A. ACOSTA, El Buen Vivir en el camino post-desarrollo – Una lectura desde la Constitución de Montecristi, Policy Paper N° 9, Fundación Friedrich Ebert, 2010, p.18 ; [En ligne] http://library. fes.de/pdf-files/bueros/quito/07671.pdf (consulté le 19/04/2021)
    5. Carta do 7º Congresso Internacional Constitucionalismo e Democracia: O Novo Constitucionalismo Latino americano – Harmonia com a Natureza e Bem Viver, Carta de Fortaleza : Manifesto Pachamama, Fortaleza (Brésil), 29/11/2017 : [En ligne] https://www.nacionpachamama.com/manifestopachamamaemportugues (consulté le 19/04/2021): « Nous sommes un même organisme vivant. Nous sommes la Terre-Mère : Pachamama. Il semble que nous soyons séparés, cependant, tout ce qui existe naît du même ventre. Les eaux, les oiseaux, les fleurs, les hommes et les montagnes sont les expressions complémentaires d’un être vivant, collectif et cyclique »
    6.  P. BONTE, Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, Izard Michel (éds), 1991
    7.  R. BARTHES, Mythologies, Seuil, broché, 1957
    8. C’est-à-dire avant l’arrivée de Christophe Colomb et de ses troupes espagnoles en Amérique (1492)
    9. Dates de l’empire à son apogée, l’Empire en soit apparait vers 1350 avec Manco Capac.
    10. L’animisme : « l’imputation par les humains à des non-humains d’une intériorité identique à la leur », P. DESCOLA, Par delà nature et culture, Gallimard, 2005, p.183 – cela revient à attribuer un esprit à tout être vivant, à tout objet mais aussi à tout élément naturel comme les pierres ou le ventDates de l’empire à son apogée, l’Empire en soit apparait vers 1350 avec Manco Capac..
    11. J. LOVELOCK, Gaia, a new look at life on earth, Oxford University Press, 1979 – Cette théorie voit en la Terre, un super-organisme vivant, Gaïa, bien loin d’un assemblage inanimé de gaz et de roches, elle serait un être vivant à part entière, capable de s’auto-réguler comme nulle autre planète encore connue
    12.  L. ESTUPINAN ACHURY, C. STORINI, R. MARTINEZ DALMAU, F. CARVALHO DANTAS, La naturaleza como sujeto de derechos en el constitucionalismo democrático, Bogotá: Universidad Libre, 2019, p. 284
    13. P. DESCOLA, Par-delà nature et culture, Gallimard, 2005
    14. R. FERNANDEZ, « Constitucionalismo plurinacional en Ecuador y Bolivia a partir de los sistemas de vida de los pueblos indígenas », thèse de doctorat, Université de Coimbra, 2017, p.109 ; [En ligne] https://estudogeral.uc.pt/bitstream/10316/36285/2/Constitucionalismo%20plurinacional%20en%20Ecuador%20y%20Bolivia%20a%20partir%20de%20los%20sistemas%20de%20vida%20de%20los%20pueblos%20ind%C3%ADgenas.pdf (consulté le 19/04/2021)
    15. V. PINEDA, Cultura peruana a historia de los Incas, Fondo de Cultura Económica, Lima, 2001, p.333
    16. E. ZAFFARONI, La Pachamama e el humano, Madres de Plaza de Mayo, Colihue, Argentine, 2011, p.118
    17. F. CAMPAÑA, « Los derechos de la Naturaleza en la Constitución ecuatoriana del 2008 : alcance, fundamentos y relación con los derechos humanos », Revista Esta 17, 2019, p.242
    18.  F. MARTINAT, La reconnaissance des peuples indigènes entre droit et politique, deuxième partie, Cosmovisions indiennes et conflits de représentation, Presses universitaires du Septentrion, 2005
    19.  L. JAVIER, Qhapaq Ñan: la ruta Inka de Sabiduría, CEnES, Lima (Perú), 2003, p.148-149
    20. E. ZAFFARONI, La Pachamama e el humano, Madres de Plaza de Mayo, Colihue, Argentine, 2011, p.111
    21. A. ACOSTA, O Bem Viver – Uma oportunidade de imaginar outro mundo, tradução de Tadeu Breda – São Paulo : Autonomia Literária, Elefante, 2016
    22. Aussi appelés de droits de la Terre-Mère ou droits de la Pachamama
    23. V. CABANES, Un nouveau droit pour la Terre – Pour en finir avec l’écocide, Editions du Seuil, 2016, p.281
    24.  V. OLIVEIRA, « Dignidade Planetária no Capitalismo Humanista », thèse de doctorat, Université Catholique de São Paulo, 2014 ; [En ligne] https://tede2.pucsp.br/bitstream/handle/6671/1/Vanessa%20Hasson%20de%20Oliveira.pdf (consulté le 15/04/2021)
    25. Voir en ce sens l’article de Xavier Idziak, « Ethique environnementale et droits ; réflexions autour d’une évolution de la perception du droit », blog Notre Affaire A Tous, 6/01/2021 ; [En ligne] https://preprod.notreaffaireatous.org/ethique-environnementale-et-droits-reflexions-autour-dune-evolution-de-la-perception-du-droit/ (consulté le 16/04/2021)
    26.  Entendu ici comme la création divine, matrice de toute vie
    27.  Article 3 et article 25 – Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, 1948
    28.  E. MARTINEZ, A. ACOSTA, La Naturaleza con Derechos – De la filosofía a la política, Serie Debate Constituyente, Abya Yala, Quito (Equateur), 2011, p.112
    29. Préambule et article 71 – Constitution équatorienne de 2008
    30. Loi n°071, Loi des Droits de la Terre Mère, Assemblée Législative Plurinationale de Bolivie, 21/12/2010 : « Aux fins de protection et de la tutelle de ses droits, la Terre Mère revêt le caractère de sujet collectif d’intérêt public. La Terre Mère et tous ses éléments y compris les communautés humaines, détiennent tous les droits inhérents reconnus dans la présente loi, et son application tiendra compte des spécificités et des particularités de ses divers éléments » 
    31. Ce terme s’entend comme l’ensemble des règles juridiques applicables et en vigueur dans un État à un moment donné