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  • Coup porté au projet “Montagne d’Or” : Une application ambiguë de l’article 1 et 3 de la charte de l’environnement par le Conseil constitutionnel

    Article Rédigé par James LEGRIS, Adrian LAKRICHI, avec la participation de Céline LE PHAT VINH

    Lors d’une décision inédite, le Conseil constitutionnel a déclaré le 18 février 2022 la deuxième phrase de l’article L-144-4 du code minier contraire à la constitution et plus particulièrement contraire à la Charte de l’environnement, dans sa version antérieure à la loi climat et résilience (1). Le code minier fait depuis quelques temps face à des modifications, quatre ordonnances viennent compléter la réforme du code minier, initiée par la loi climat et résilience du 22 août 2021 (2). Il est en fait irrémédiable pour le code minier de connaître certains changement: le texte est initialement issu de la loi impériale du 21 avril 1810, qui donna lieu au code minier par décret du 16 août 1956 (3).

    Soutenue par Guyane Nature Environnement, l’association France Nature Environnement (FNE), avait saisi le Conseil constitutionnel par une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) afin d’éviter la prolongation d’une concession minière d’or en Guyane (4). La saisine renvoyée par le Conseil d’Etat au Conseil constitutionnel avait pour but de freiner la prolongation de quatre concessions minières sous la direction de la Compagnie Minière de Boulanger. Le projet dit Montagne d’or était donc visée au premier plan.

    Bien que la décision ait des répercussions sur tout le territoire français, elle s’inscrit tout de même dans un cadre particulier, celui de l’exploitation minière dans les territoires d’outre mer. Le projet Montagne d’or, nom repris aussi par la compagnie maître d’ouvrage, est le nom donné à un grand projet minier d’extraction d’or en Guyane (5). Détenu par Nordgold-Orea mining (auparavant Columbus gold), une société russo-canadienne, le projet devait s’adonner à l’exploitation minière sur une surface totale de 125 kilomètres, dont une partie de 8 km² à ciel ouvert. Entre mars et juillet 2018 un débat public a eu lieu afin de recueillir l’avis des guyanais sous la forme d’une consultation, bien qu’il ne fit pas l’unanimité.

    Toutes les concessions minières affectées par la décision du Conseil constitutionnel ne sont pas du même ordre. En effet, alors que le projet Montagne d’or est issu de l’initiative d’une entreprise privée, la société Nordgold-Orea mining, le projet était en fait finalement rejeté par l’Etat. Alors que l’autorisation du projet de concession par Compagnie minière de Boulanger, lui, fut délivré par l’Etat et contesté devant les juridictions administratives par FNE. C’est ainsi qu’une décision du Conseil d’Etat du 28 juillet 2022 vient annuler le décret du gouvernement accordant à la compagnie Boulanger le renouvellement de quatre concessions minières en Guyane en se basant sur la décision du Conseil constitutionnel que nous allons commenter (6).

    I. Un droit minier en lente évolution

    L’association France nature environnement (FNE), par une question prioritaire de constitutionnalité, enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2021-971 QPC, contestait la conformité à la Constitution des articles L. 142-7, L. 142-8 et L. 142-9 du code minier et de la seconde phrase de l’article L. 144-4 du même code, tels qu’issus de l’ordonnance n° 2011-91 du 20 janvier 2011 (7). L’article L. 144-4 était le principal article querellé, les autres articles ne l’étant qu’à titre incident. Ce premier article disposait que la prolongation des concessions minières, initialement accordées pour une durée illimitée, est « accordée de droit. » Pour FNE, une telle prolongation aurait eu pour conséquence de prolonger des concessions sans que l’autorité administrative ait pu analyser ou constater des dégradations sur l’environnement.

     Cette QPC s’inscrit dans une évolution lente du droit minier. La loi n° 77-620, du 16 juin 1977, avait mis fin aux concessions à durée illimitée, pour limiter leur octroi à une durée de 50 années. Il était prévu que les concessions originellement perpétuelles devaient expirer le 31 décembre 2018. L’article L. 142-14 du même code permettait la prolongation desdites concessions pour autant que soient respectées les règles en vigueur au moment de la soumission de la demande de prolongation et dans le respect de l’article L. 144-4 (qui est l’article déclaré contraire à la Constitution par cette décision). Ce dernier article disposait que « la prolongation des concessions correspondant à des gisements exploités à cette date est accordée de droit dans les conditions prévues à la sous-section 2 de la section 1 du chapitre 2 du présent titre [c’est-à-dire les articles L. 142-7, L. 142-8 et L. 142-9 du code minier]. ».  Ces derniers articles précisaient, en particulier, que lorsqu’à la date d’expiration de la concession, il n’a pas été statué sur la demande de prolongation, le titulaire peut continuer d’exploiter ladite concession jusqu’au prononcé de sa décision par l’administration.

        Toutefois, la loi du 22 août 2021 a modifié l’article L. 114-3 du code minier, afin d’ajouter que la demande de prolongation est refusée si l’autorité compétente émet un doute sérieux sur la possibilité de procéder aux recherches ou à l’exploitation du type de gisement mentionné sans porter une atteinte grave aux intérêts mentionnés à l’article L. 161-1, qui vise en particulier la protection  de l’environnement.

    C’est bien les textes antérieurs à la loi du 22 août 2021 qui ont été déclarés contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel.

    II. Sur le débat entre les deux parties à propos de la constitutionnalité de l’article L 144-4 du code minier

    L’article L. 144-4 du code minier dans sa version de 2011 disposait : “Les concessions de mines instituées pour une durée illimitée expirent le 31 décembre 2018. La prolongation des concessions correspondant à des gisements exploités à cette date est accordée de droit dans les conditions prévues à la sous-section 2 de la section 1 du chapitre 2 du présent titre.”

        D’une part, FNE estimait qu’antérieurement à l’entrée en vigueur à la loi du 22 août 2021, l’article L. 144-4 était contraire à la Charte de l’environnement, en ce que la protection de l’environnement ne pouvait pas être prise en compte par l’autorité administrative lorsqu’elle se prononce sur la délivrance d’une prolongation d’une concession

    Au contraire, les représentants des entreprises concessionnaires et le Premier ministre  estimaient que la Charte de l’environnement n’était pas pertinente en l’espèce (8). Ceux-ci faisaient valoir que la concession constitue un titre immobilier qui, en tant que tel, ne peut avoir aucune conséquence sur l’environnement. Ce titre ne permet pas la réalisation de travaux de recherches et d’exploitation, qui supposent l’obtention d’une autorisation subséquente, soumise à des conditions spécifiques, censées garantir la prise en compte des intérêts environnementaux (articles L. 162-3 à L. 162-10). Ils ajoutaient, d’une part, que la loi du 22 août 2021, en imposant la prise en compte des intérêts environnementaux, n’avait pas pour objectif de combler, une lacune —qui précisément n’existerait pas. Pour eux, dans un contexte de contestation des exploitations minières, la prise en compte de ces intérêts, dès le stade de la concession du « titre minier », permettrait de légitimer aux yeux du public cette décision administrative. D’autre part, ils rappelaient que l’administration n’était pas en situation de compétence liée (9). L’article L. 144-4 garantissait seulement l’absence de mise en concurrence de la concession, mais n’exonérait pas l’administration de l’obligation de « s’assurer que, en fonction de la durée d’exploitation accordée, l’exploitant de la concession disposera des moyens économiques et financiers pour exploiter le site et le remettre en état à l’issue de cette exploitation, afin de préserver les intérêts [notamment environnementaux] mentionnés à l’article L. 161-1 du code minier » (CE, 18 décembre 2019, Société Vermilion REP, n° 422271). 

    Autrement dit, et ainsi que la  Cour administrative d’appel de Bordeaux l’avait précédemment précisé, « l’impact direct des travaux d’exploitation sur les intérêts mentionnés à l’article L. 161-1 ne peut être opposé, au regard des dispositions en vigueur du code minier, que dans le cadre de l’instruction de cette demande d’autorisation de travaux, distincte de l’autorisation de prolongation de la concession » (CAA Bordeaux, 16 juillet 2021, Projet « Montagne d’Or », n° 21BX00295). Les intérêts environnementaux ne devraient être pris en compte pour la délivrance d’un titre que pour déterminer la durée de celui-ci. En revanche, pour la délivrance d’une autorisation de travaux, ces intérêts bénéficient d’une protection plus large, afin de vérifier qu’aucune atteinte grave n’est leur est portée.

    III. La première déclaration d’inconstitutionnalité sur le fondement des articles 1 et 3 réunis de la Charte de l’environnement par le Conseil constitutionnel

    Le juge constitutionnel commence par vérifier si la Charte est applicable en l’espèce. Cela suppose que l’application de la norme contrôlée soit susceptible de porter atteinte à l’environnement. Le juge estime que tel est le cas. Cela n’était pas nécessairement évident. Ainsi qu’il a été précédemment montré, le renouvellement d’une concession ne concerne que de façon médiate l’environnement. La concession est un titre patrimonial et ne permet pas, à elle seule, d’entamer des travaux de prospection et d’exploitation, qui supposent l’obtention d’une autorisation subséquente. Seule cette dernière a une influence directe sur l’environnement. Cependant, la concession « détermine notamment le cadre général et le périmètre des travaux miniers » (pt. 11). Selon le juge, elle conditionne de façon suffisante les travaux qui pourront ensuite être réalisés pour être susceptible de porter atteinte à l’environnement. Dès lors, une atteinte médiate suffit, pour autant que cette atteinte ne soit pas minimale, voire dérisoire (par ex. voir la décision n° 2014-394 QPC concernant les servitudes légales de voisinage). Cette appréciation du Conseil constitutionnel s’inscrit pleinement dans sa décision n° 2020-843 QPC, du 28 mai 2020 (10), par laquelle il estimait qu’afin de déterminer si une disposition a une incidence sur l’environnement, « est indifférente à cet égard la circonstance que l’implantation effective de l’installation puisse nécessiter l’adoption d’autres décisions administratives postérieurement à la délivrance de l’autorisation. »

        Le juge évalue de façon concomitante le respect des articles 1er et 3 de la Charte. Le premier consacre le droit de chacun « de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. » Le Conseil constitutionnel ne s’était encore jamais basé sur cet article pour déclarer une disposition inconstitutionnelle. Tout au plus, il peut être rappelé que le juge a dégagé, sur le fondement des articles 1er et 2 de la Charte de l’environnement, une obligation de vigilance, s’imposant à l’État et aux particuliers, à l’égard des atteintes à l’environnement qui pourraient résulter de leurs activités (décision n° 2011-116 QPC). Néanmoins, ce devoir de vigilance constitue une obligation autonome qui ne permet pas réellement d’interpréter l’article 1er. La portée de celui-ci apparaît donc encore imprécise.

        L’article 3 consacre le principe de prévention : « toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences. » L’utilisation du principe de prévention dans le contentieux environnemental est relativement faible, que ce soit devant le Conseil constitutionnel, que devant le Conseil d’État ou la Cour de justice de l’Union européenne. Ce principe impose de traiter à la source les atteintes qui pourraient être commises à l’environnement. Dès lors qu’une telle atteinte est possible, des mesures doivent être prises pour en empêcher la réalisation. Il semble aussi que, dès lors qu’une atteinte a déjà commencé à se produire, la manière d’y mettre fin doit immédiatement être recherchée et mise en œuvre, sans attendre une aggravation de la situation.

        Le Conseil apprécie la légalité de la disposition en cause au regard de deux périodes différentes, à savoir avant et après l’entrée en vigueur de la loi du 22 août 2021. 

    Avant l’entrée en vigueur de cette loi, la prise en compte des intérêts environnementaux, au stade de la concession du titre minier, était limitée. Il était essentiellement question d’évaluer la durée du titre minier au regard des capacités économiques et financières pour exploiter le site et le remettre en état à l’issue de l’exploitation. Le juge semble estimer que ce contrôle est insuffisant pour être conforme aux articles 1er et 3 de la Charte. Le contrôle de la conformité de la procédure à la Charte ne s’accomplit pas globalement, au regard des deux autorisations qui sont nécessaires pour exploiter le site. Autrement dit, est « indifférente la circonstance que certaines de ces conséquences pouvaient être, le cas échéant, prises en considération ultérieurement à l’occasion des autorisations de recherches et de travaux devant se dérouler sur le périmètre de la concession » (pt. 12). 

    En revanche, la disposition en cause est conforme aux deux dispositions de la Charte depuis l’entrée en vigueur de la loi du 22 août 2021. Le Conseil rappelle qu’une telle prolongation « est refusée si l’administration émet un doute sérieux sur la possibilité de procéder à l’exploitation du gisement sans porter une atteinte grave aux intérêts environnementaux mentionnés à l’article L. 161-1 du même code. »
    Le Conseil estime, en revanche, que les articles 2 et 7 de la Charte de l’environnement ne sont pas méconnus. L’article 7, principal fondement de la mise en œuvre de la Charte par le juge constitutionnel, garantit l’accès « aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement. » Le juge semble considérer, implicitement, mais nécessairement, que l’article L. 144-4 ne fait pas obstacle à l’application de l’article L. 132-3 du même code, qui dispose que « la concession est accordée après une enquête publique réalisée conformément au […] code de l’environnement. »

    IV. Un risque d’appauvrissement de la Charte de l’environnement ?

    Plusieurs remarques peuvent être faites. Il convient, tout d’abord, de ne pas revenir à la sempiternelle, mais toujours aussi juste critique, concernant la pauvreté rédactionnelle des décisions du juge constitutionnel. Si la brièveté du raisonnement peut être source de bonne administration de la justice pour une cour régulatrice interprétant des règles de droit, tel n’est pas le cas pour un juge constitutionnel interprétant des principes qui appellent, à la fois, un travail plus lourd d’interprétation et à une mise en balance au cas par cas desdits principes.

         D’abord, le juge estime que l’article L. 144-4 est conforme à la Charte depuis l’entrée en vigueur de la loi du 22 août 2021. Il précise bien que cette disposition exige que le site puisse être exploité « sans porter une atteinte grave aux intérêts environnementaux » (nous soulignons). Est-ce à dire que les articles 1er et 3 de la Charte imposent une action de l’administration seulement en cas d’une atteinte « grave » ? Autrement dit, le juge vient-il implicitement, mais nécessairement, ajouter un critère d’applicabilité à ces deux articles ?

        Ensuite, il est possible de continuer à s’étonner, malgré l’habitude prise par le Conseil, de l’utilisation simultanée de plusieurs articles de la Charte. Il aurait été préférable de distinguer les articles 1er et 3, d’autant plus dans une décision qui apparaît comme la première à se fonder sur l’article 1er.

        Enfin, une troisième critique reprend les deux qui précèdent. Il pourrait être intellectuellement acceptable d’utiliser un critère de la « gravité » pour moduler l’obligation de prévention (article 3). Le cas échéant, des mesures devraient être adoptées afin de prévenir les atteintes graves à l’environnement. En revanche, pour les atteintes peu graves, seule l’obligation de réparation s’appliquerait (article 4, appliqué dans la décision n° 2020-881 QPC du 5 février 2021). Cependant, il ne fait pas sens d’introduire un critère de gravité pour l’application de l’article 1er, qui dispose que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. » Ce droit a vocation à innerver (nous n’oserions plus écrire aujourd’hui « irradier ») l’ensemble du droit et donc de la société. Si une limitation de ce droit peut entrer en jeu, c’est au seul stade de son application, c’est-à-dire au titre du contrôle de la proportionnalité —et non de son applicabilité.

        Le Conseil n’exclut pas clairement une telle interprétation. Cependant, son raisonnement ne permet pas pour autant de la soutenir. Il semble même que son raisonnement s’en éloigne davantage qu’elle s’en approche. En admettant que l’article 1er n’est pas violé, alors que la loi n’impose à l’administration de refuser un titre de concession qu’en présence d’une atteinte « grave », le juge constitutionnel ne se positionne pas dans une logique de mise en balance. La loi de juillet 2021 n’impose pas de mettre en balance la « gravité » de l’atteinte à l’environnement avec l’intérêt à exploiter telle ou telle mine spécifique. La « gravité » n’est pas relative à l’intérêt de poursuivre tel ou tel projet d’exploitation spécifique. La loi pose ce critère de « gravité » pour l’exploitation d’une quelconque mine. Il est question d’une limitation abstraite et générale de la protection accordée à l’environnement.

        Il est dès lors possible de voir, dans une telle décision, un appauvrissement de la Charte qui, s’il devait être confirmé, serait plus que contestable.

    NOTES

    1. Conseil constitutionnel, Décision n° 2021-971 QPC du 18 février 2022, disponible sur : 

    <https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2022/2021971QPC.htm

    2. Ordonnances disponibles sur : 

    <https://www.vie-publique.fr/loi/284827-ordonnances-13-avril-2022-reforme-code-minier#:~:text=Elle%20vise%20%C3%A0%20s’assurer,la%20base%20de%20crit%C3%A8res%20environnementaux

    3. Diana Cooper-Richet, France Archives Loi sur les mines, les minières et les carrières, disponible sur :  

    <https://francearchives.fr/fr/pages_histoire/40091 >

    4. Communiqué de Presse France Nature Environnement, Victoire historique pour l’environnement devant le Conseil Constitutionnel et coup d’arrêt à la mine d’or en Guyane, 18 février 2022, disponible sur : 

    <https://fne.asso.fr/communique-presse/victoire-historique-pour-l-environnement-devant-le-conseil-constitutionnel-et

    5. https://cpdp.debatpublic.fr/cpdp-montagnedor/

    6. CE, 6ème et 5ème chambres réunies, n°456524, disponible sur : 

    <https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-40160-CE-decision-annulation-prolongation-concessions-minieres.pdf

    7. Ordonnance n° 2011-91 du 20 janvier 2011 portant codification de la partie législative du code minier, disponible sur : 

    <https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000023478661/>

    8. Audience du 8 février 2022 de l’affaire n° 2021-971 QPC, disponible sur : 

    <https://www.dailymotion.com/video/x87q0ig>

    9.  En droit administratif, la compétence liée est un pouvoir que son détenteur (ici, l’administration) est obligé d’utiliser, qu’il le veuille ou non. On dit que la compétence est « liée » car elle est encadrée par d’autres textes qui déterminent l’action de l’administration.

    10. Conseil constitutionnel, Décision n° 2020-843 QPC du 28 mai 2020, disponible sur : 

    <https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2020/2020843QPC.htm

  • Dérèglement climatique : quel impact sur vos droits ?

    Dérèglement climatique : quel impact sur vos droits ?

    Le dérèglement climatique a des conséquences dévastatrices sur les conditions de vie de millions de personnes, particulièrement les plus vulnérables. Recentrer le discours sur les droits humains peut obliger les gouvernements et les entreprises à faire le lien entre préoccupations environnementales et justice sociale.

    Nous sommes tous.tes concerné.es. En répondant à ces 5 questions simples, nous espérons vous donner un aperçu de l’impact du dérèglement climatique sur vos droits fondamentaux.

    Ce test respecte le RGPD : vos réponses sont anonymes et ne sont ni utilisées ni conservées.

  • Rapport « Vigilance climatique des multinationales » 2022

    Analyse des plans de vigilance climatique 2020 de 27 multinationales françaises

    Mercredi 13 juillet, Notre Affaire à Tous publie le Benchmark 2022 de la vigilance climatique des multinationales, qui passe au crible la conformité de 27 multinationales françaises à leurs obligations légales. L’objet de cette étude est d’évaluer la mise en œuvre de la loi sur le devoir de vigilance en matière climatique. Pour ce faire, des critères de notation ont été développés afin d’évaluer l’action des multinationales.

    Ces critères s’appuient sur :

    • Les bases légales instaurant une responsabilité climatique aux multinationales, notamment l’obligation de vigilance environnementale, la prévention du préjudice écologique ou la loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères.
    • Les objectifs internationaux de l’Accord de Paris.
    • Les données scientifiques du GIEC et de l’Agence Internationale de l’Energie.

    Ces critères constituent une tentative de contribution à un modèle d’évaluation de la conformité du devoir de vigilance en matière climatique.

    À travers le prisme de ces critères, les différentes informations réglementées publiées par les entreprises (des “documents de références” – DDR, document rassemblant le rapport de gestion, la déclaration de performance extra-financière, le plan de vigilance, les comptes consolidés, etc.) sont analysées dans le détail afin d’identifier les nombreuses et persistantes défaillances de 27 multinationales françaises en matière de vigilance climatique. 

    Le Benchmark 2022 porte sur les informations réglementées publiées en 2020 par les entreprises analysées. Notre Affaire à Tous publiera fin 2022-début 2023, son Benchmark 2023 actualisé des informations réglementées publiées par les entreprises en 2021. 

    Rapport Benchmark 2022 de la vigilance climatique des multinationales

    POURQUOI UN RAPPORT SUR LA VIGILANCE CLIMATIQUE DES MULTINATIONALES ?

    Si les pouvoirs publics doivent jouer un rôle fondamental dans la lutte contre le réchauffement climatique, les entreprises partagent aussi cette responsabilité. Très fortement contributrices au réchauffement, les multinationales françaises doivent répondre de leurs actes et accélérer leur transition écologique. Ainsi, Notre Affaire à Tous cherche à remédier au vide juridique concernant la non-application de l’Accord de Paris aux entreprises en s’appuyant notamment sur la loi relative au devoir de vigilance.

    L’objectif final de ce benchmark est de renforcer l’application de la loi sur le devoir de vigilance et de montrer son utilité en matière de lutte contre le dérèglement climatique. 

    SYNTHESE DES RESULTATS

    Aucune entreprise analysée n’est en mesure de démontrer sa conformité avec l’ensemble des obligations et des mesures de vigilance raisonnables nécessaires pour faire de la transition écologique une réalité.

    Jérémie Suissa, Délégué général de Notre Affaire à Tous : “Comme l’a rappelé le Haut Conseil pour le Climat dans son dernier rapport, les impacts de la crise du Vivant sont d’ores et déjà visibles en France et les conséquences quotidiennes et imprévisibles. Et nous ne sommes pas prêts. Si l’Etat doit être le pilote de la transition nécessaire à laquelle la France s’est engagée, les entreprises doivent aussi prendre leur part. Or, une majorité des entreprises que nous avons analysées ne montrent pas de signes de changements structurels. Il est urgent de mettre en œuvre des outils de contrainte proportionnés à l’ampleur des manquements de ces acteurs clés pour la transition.” 

    Alors que l’empreinte carbone cumulée des 27 multinationales évaluées s’élève à 1 651,60  millions de tonnes équivalent CO², soit près de 4 fois le total des émissions territoriales de la France en 2020 (396 Mt CO²), on observe majoritairement :

    • de nombreuses défaillances persistantes en termes d’identification des émissions indirectes, en particulier celles dites du “scope 3” (critère 1-A de la méthodologie) ;
    • une absence générale de reconnaissance de responsabilité, alors qu’il est indiscutable que chacun.e doit faire sa part en matière climatique (critère 1-B) ;
    • de nombreux engagements demeurent non-alignés avec l’objectif 1,5°C de l’Accord de paris et/ou ne portent pas sur l’ensemble des émissions des entreprises (critère 2-A) ; 
    • des carences sérieuses dans la mise en œuvre  de ces engagements (critère 2-B). 
    • certains plans de vigilance n’intègrent toujours pas suffisamment le climat (critère 3).

    L’absence de conformité avec ces critères expose les entreprises au risque contentieux. La justice, dans les contentieux en cours contre Total et Casino, ainsi que dans d’autres potentiels dossiers de vigilance climatique que Notre Affaire à Tous étudie actuellement, aura un rôle déterminant à jouer sur de nombreux dossiers. 

    Au-delà de la France, les institutions européennes et membres du Parlement Européen joueront également un rôle clé, dans le cadre des travaux en cours sur le projet de directive sur le devoir de vigilance uniformisée au sein de l’Union. Ce texte est depuis le début vivement attaqué par les lobbys des grands secteurs polluants, qui multiplient en parallèle les campagnes de greenwashing auprès de leurs salariés et clients. 

    Découvrez nos actions contentieuses contre des multinationales.

    ZOOM SUR LES MULTINATIONALES LES PLUS PREOCCUPANTES

    Société Générale, Auchan, Casino, Eiffage, Bolloré, Total Energies, Bouygues et BNP Paribas se situent tout en bas de notre classement, en raison de politiques climatiques particulièrement insuffisantes.

    Les scores de ces 8 multinationales sont très préoccupants. Une entreprise qui publierait  correctement les scopes 1, 2 et 3 d’émissions et prévoirait une stratégie climat dans le plan de vigilance (des mesures de pur reporting, hors analyse des risques, politiques et mesures d’action),  obtiendrait déjà 25 points. Aucune de ces 8 entreprises ne dépasse 33 points.

    LES ENSEIGNEMENTS CLÉS DU RAPPORT

    1- MANQUE D’INTÉGRATION DU CLIMAT AU PLAN DE VIGILANCE

    3 entreprises sur 27 n’intègrent toujours pas le climat à leur plan de vigilance. Pourtant, l’analyse du risque climat au sein du plan de vigilance devrait être faite de manière systématique, en particulier pour les entreprises fortement contributrices au réchauffement climatique. En effet, la science climatique est extrêmement claire : les différents rapports du GIEC démontrent que l’aggravation du changement climatique comporte des risques d’atteintes graves aux droits humains et à l’environnement, en particulier au-delà de 1,5°C. Le risque climatique doit donc être intégré dans le plan de vigilance de chaque entreprise. Si 24 entreprises intègrent désormais le climat dans leur plan de vigilance, plus de la moitié (14) d’entre elles ne le font que très partiellement.

    2- EMPREINTE CARBONE ET COMMUNICATION INCOMPLÈTE

    Les entreprises analysées dans le benchmark ont toutes un lourd impact climatique : selon leurs propres communications, l’empreinte carbone cumulée des vingt-sept multinationales analysées s’élève à 1652 Mt CO²e, soit plus de quatre fois les émissions territoriales de la France. Une baisse de l’empreinte carbone cumulée peut être observée pour 2020, mais elle ne pourrait être que conjoncturelle (Covid-19). Par ailleurs, l’impact climatique des entreprises reste encore très insuffisamment retracé. Dix-huit des entreprises sur 27 ne publient pas ou de manière très incomplète leur empreinte carbone.

    3- UNE RECONNAISSANCE LIMITÉE DU RISQUE CLIMATIQUE

    La loi sur le devoir de vigilance exigeant une identification des risques pesant sur les droits humains et sur l’environnement, chaque entreprise doit explicitement reconnaître les conséquences de ses émissions de GES et de sa contribution au changement climatique.

    Pourtant, seules 4 entreprises analysées reconnaissent explicitement leur contribution au changement climatique et analysent correctement les conséquences de ce dérèglement sur les droits humains et l’environnement. Une réelle prise de conscience demeure donc nécessaire afin de saisir l’ampleur de leur responsabilité et de mettre en œuvre les mesures adéquates pour lutter contre le changement climatique.

    4- DES ENGAGEMENTS PEU PRÉCIS ET RAREMENT AMBITIEUX

    Pour prévenir les risques graves d’atteinte aux droits humains et à l’environnement, les entreprises doivent adopter une stratégie efficace et cohérente avec l’Accord de Paris. Pour ce faire, les engagements pris doivent être chiffrés et détaillés en plusieurs étapes avec des objectifs intermédiaires précisés à l’horizon 2030, 2050 et au-delà.

    La trajectoire 1,5°C (visant la neutralité carbone en 2050) est la seule trajectoire permettant de réaliser les objectifs de l’Accord de Paris avec une probabilité raisonnable (voir infra – méthodologie). Seule 1 entreprise sur 27 s’engage sur la trajectoire 1,5°C pour l’ensemble de ses émissions et avec une trajectoire chiffrée dans le temps.

    5- L’ABSENCE MISE EN OEUVRE DE MESURES COHÉRENTES

    La loi sur le devoir de vigilance oblige les entreprises à rendre compte publiquement de la mise en œuvre effective des mesures adaptées de prévention contre les risques d’atteintes graves aux droits humains et à l’environnement. Autrement dit, les entreprises doivent communiquer les mesures adoptées pour limiter le réchauffement planétaire en-deçà des 2°C, limite au-delà de laquelle le dérèglement climatique est extrêmement dangereux pour nos écosystèmes.

    Les mesures présentées concernent rarement l’ensemble des activités émettrices des groupes et nombre d’entre elles sont basées sur des technologies indisponibles à l’heure actuelle, telles que les technologies de capture et de séquestration du carbone. Par ailleurs, le maintien de certaines activités (par ex. hydrocarbures non conventionnels) ou l’absence de plan de transition pour certains produits (par ex. voitures thermiques) remettent fréquemment en question la cohérence de la stratégie communiquée par l’entreprise. Enfin, aucune entreprise ne publie des informations suffisamment précises pour qu’un observateur extérieur puisse évaluer la mise en œuvre des mesures annoncées.

    En somme, toutes les entreprises font face à un risque de non-conformité avec la loi sur le devoir de vigilance. Si elles ne se conforment pas à ces demandes, les multinationales pourront être attaquées en justice.

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  • Les parcs naturels français constituent-ils aujourd’hui une réponse efficace à l’enjeu de l’érosion de la biodiversité ?

    Réalisé par Malo Viennet, Antoine Moreau et Léa Ricard

    Master D3P1 “Risques, Science, Environnement et Santé”, Sciences Po Toulouse

    En partenariat avec l’association “Notre Affaire à Tous” (NAAT)

    Remerciements:

    Nous tenons à remercier les personnes qui ont bien voulu accorder du temps à cette étude et participer aux entretiens :

    • Gilles Martin, Professeur émérite de l’Université Côte d’Azur et Président du conseil scientifique du parc national de Port-Cros
    • Simon Jolivet, Maître de conférences en droit public à l’Université de Poitiers et secrétaire général de la Société française pour le droit de l’environnement

    “Le parc n’a de sens que s’il parvient à protéger ce qui est remarquable mais aussi

    ce qui est tout à fait ordinaire.”

    Gilles Martin, Président du conseil scientifique du parc national de Port-Cros

    Cette affirmation, à première vue contre-intuitive, questionne en réalité l’essence même d’un parc naturel, à savoir protéger le vivant. Mais quel type de vivant au juste ? Les écosystèmes et espèces rares et menacées ? Ou bien, sans hiérarchie aucune, tout type de vivant, “ordinaire” compris ? Cet article se propose d’explorer ces réflexions, avec un principal objectif : comprendre si les parcs naturels français représentent aujourd’hui une réponse efficace à l’enjeu de l’érosion massive de la biodiversité.

    La Convention sur la diversité biologique des Nations Unies (CDB, 1992) définit la biodiversité comme suit : “variabilité des êtres vivants de toute origine y compris, entre autres, les écosystèmes aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie : cela comprend la diversité au sein des espèces, ainsi que celle des écosystèmes” (art. 2). Elle comprend ainsi trois niveaux d’organisation : la diversité des écosystèmes, la diversité des espèces et la diversité génétique, le tout étant en perpétuelle interaction. Si aujourd’hui 55% de la population mondiale vit en zone urbaine, l’humanité ne dépend pas moins entièrement de la biodiversité. Différentes raisons l’expliquent : celle-ci produit l’oxygène grâce aux végétaux terrestres et microalgues marines, fournit les sociétés en matières premières, bois, fibres, mais aussi ressources fossiles (pétrole dérivé du plancton ou charbon issu d’anciennes forêts), constitue la base de l’alimentation (végétaux, viandes, poissons), régule le climat, et est enfin gage de la santé humaine, plus de la moitié des principes actifs pharmacologiques étant extraits du monde vivant. Cependant, sans précédent non seulement dans l’histoire de l’humanité, mais aussi dans celle de la Terre aux échelles géologiques, la biodiversité connaît aujourd’hui un effondrement massif et rapide. Selon l’IPBES, les ¾ des zones terrestres et 2/3 des zones marines ont été modifiées de manière significative, et 60% des populations de vertébrés ont décliné entre 1970 et 2014 au niveau mondial. Cette véritable annihilation biologique est le fait des activités humaines. Cinq causes majeures sont à l’origine de cette érosion : les changements d’usage, les destructions, et fragmentations des terres dus à la déforestation, l’agriculture, et l’urbanisation ; l’exploitation directe de certains organismes ; le changement climatique ; la pollution ; et les espèces exotiques envahissantes. À ces causes s’ajoute également le commerce de la faune sauvage, 4ème marché mondial illégal le plus lucratif. L’érosion de la biodiversité représente donc une crise incommensurable en soi, tout en étant l’une des plus importantes menaces pour la santé humaine.

    Face à ces constats, une mise à l’agenda des enjeux de biodiversité – étroitement liés à ceux du climat – s’est progressivement opérée au niveau international et national, et des outils ont été mis en place. Citons par exemple la Convention sur la diversité biologique (1992), la convention CITIES, certaines directives européennes telles que les directives habitats, directives oiseaux, directive cadre sur l’eau, et le réseau Natura 2000, mais aussi, au niveau national, la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (2016), le Plan National Biodiversité, la trame verte et bleue et, enfin, les parcs naturels, terrestres et marins.

    Les parcs naturels font donc partie intégrante des outils de protection de la biodiversité, et sont reconnus juridiquement. De fait, il faut souligner la distinction entre parc naturel régional et parc national, rattachés à des régimes juridiques différents. La vocation des parcs est double :

    1. Protéger et gérer des milieux naturels remarquables, des espèces rares ou menacées et des patrimoines géologique et paléontologique exceptionnels
    2. Sensibiliser le public à ces richesses.

    L’objectif est donc assez délicat, puisqu’il s’agit d’allier actions humaines et protection de la nature. Le classement d’un parc témoigne donc d’une volonté politique de doter un territoire d’une forte visibilité nationale et internationale, et d’y mener une politique stricte et intégrée de protection et de gestion de valeurs patrimoniales naturelles et culturelles. Aujourd’hui, le territoire français comporte 58 parcs naturels régionaux et 11 parcs naturels nationaux, représentés sur la carte ci-dessous.

    Source: http://geoconfluences.ens-lyon.fr/

    Afin de comprendre si les parcs naturels français représentent aujourd’hui une réponse efficace à l’enjeu de l’érosion massive de la biodiversité, ou si, au contraire, leur portée se limite à des outils dits compensatoires insuffisants face à l’érosion massive et globale de celle-ci, nous avons interrogé deux acteurs de terrain : Gilles MARTIN, Professeur émérite de l’Université Côte d’Azur et Président du conseil scientifique du parc national de Port-Cros, et Simon JOLIVET, maître de conférence en droit public à l’université de Poitier et spécialiste des questions de conservation. L’article se propose ainsi de mettre en lumière les distinctions et spécificités juridiques de chaque type de parc, régional et national, avant d’analyser concrètement les enjeux quant au fonctionnement et à la finalité des parcs en matière de biodiversité.

    Le cadre juridique des parcs naturels français : Bien faire la différence entre des entités administratives distinctes

    Gilles Martin le rappelle, parler de « Parc naturels » renvoie à « deux choses très différentes ». En effet, la confusion est vite arrivée entre Parcs Nationaux et Parcs Naturels Régionaux, lesquels correspondent en réalité à des vocations et des régimes propres.

    Les Parcs Nationaux (PN) sont des espaces essentiellement consacrés à la sauvegarde des milieux naturels. Il s’agit d’y mener une politique de conservation « de la faune, de la flore, du sol, du sous-sol, de l’atmosphère, des eaux et en général du milieu naturel »1. Ils relèvent d’un régime d’exception, à portée contraignante, pouvant conduire à « interdire ou réglementer toute action susceptible de nuire au développement naturel de la faune et de la flore ».2

    Statut = Établissement public administratif.

    Les Parcs Naturels Régionaux (PNR) ont quant à eux une vocation double : la protection des espaces naturels est mêlée à l’ambition de développement économique durable. Ils s’inscrivent ainsi dans la politique plus large d’aménagement durable des territoires : « ce sont des territoires de projet et d’aménagement beaucoup plus que de protection. »3. Ils restent en somme partie du droit commun, et présentent «beaucoup moins de contraintes en matière de protection »4… À titre d’illustration, les pratiques de la chasse et de la pêche n’y sont pas limitées.5 Le PNR est constitué par une charte, adoptée par décret et valable pour 15 ans, dans laquelle les parties contractantes s’engagent à réaliser un « projet de protection et de développement » du territoire concerné — Autrement dit, « les règles du jeu que se donnent les partenaires ».6

    Statut = Syndicat mixte de collectivités locales.7

    En bref, entre les deux régimes, la distinction la plus saillante est à trouver dans la portée de leurs mesures de gestion et de protection : elle est « réglementaire » pour les PN, et « contractuelle » pour les PNR.8 Pour grossir le trait, les seconds agissent indirectement, à travers les collectivités parties prenantes de leur charte, et ultérieurement en jouant un rôle d’animateur, d’incitation, de sensibilisateur, de coordinateur… À noter que sur leur nature même, le degré d’anthropisation des territoires fait aussi la différence, très faible pour les PN quand il s’agit de zones beaucoup plus habitées dans les PNR.

    À la décharge du profane, il y a bien un facteur de confusion que nous avons volontairement laissé de côté jusque-là : les Parcs nationaux se décomposent en deux zones spécifiques dont l’une se rapproche du régime des PNR. En effet, autour des « cœurs» où le pouvoir réglementaire du parc s’applique, on trouve une « aire d’adhésion » qui répond à une charte, à l’instar des PNR. Cet espace, déterminé au préalable par le décret de création du parc, est délimité au territoire des communes signataires, les autres étant placées en « aire potentielle d’adhésion ».9

    L’encadrement juridique des parcs naturels français en textes clés :

    Parcs naturels

    • Loi relative à la création de parcs nationaux (22 juillet 1960) — Crée les PN
    • Loi relative aux Parcs nationaux, aux Parcs naturels marins et aux Parcs naturels régionaux (14 avril 2006) — Rénove l’esprit des parcs français pour le réancrer dans les enjeux du développement durable, et renforce la capacité de protection des PN : Elle crée notamment des instruments spécifiques de protection pour les espaces marins comme « l’Agence des aires marines protégées ».10

    Parcs naturels régionaux

    • Décret instituant des Parcs naturels régionaux (1 mars 1967) — Crée les PNR
    • Décret relatif aux Parcs naturels régionaux (25 avril 1988) — Met en conformité les parcs avec les lois de décentralisation, « réaffirme l’objectif premier des Parcs, reconnaît aussi leur rôle de développement économique et social, ainsi que leur objectif d’expérimentation, d’exemplarité et de recherche ».11
    • Lois de décentralisation et la Loi sur la protection et la mise en valeur des paysages (8 janvier 1993) – Confère un poids réel aux chartes, principe étant établi que « les documents d’urbanisme doivent être compatibles avec les orientations et les mesures de la charte ».12
    • Conseil d’État, 29 avril 2009, arrêt Commune de Manzat – Consacre la portée réglementaire des chartes.13

    Pour aller plus loin :

    Les parcs ne sont pas les seuls types d’espaces naturels protégés en France. Pour compléter le tableau, il faut d’abord inclure les Réserves naturelles. Ces zones correspondent à un espace relativement restreint où s’applique une réglementation plus stricte que dans les parcs. C’est d’autant plus le cas pour les Réserves intégrales, qui ont elles une vocation de préservation.14 Prévues par les Parcs nationaux, on dénombre sur le territoire français 3 de ces espaces les plus réglementés en matière de protection de l’environnement — toute activité humaine y est proscrite. Ajoutons enfin les Sites classés et Sites inscrits, lesquels ne couvrent pas nécessairement des espaces naturels, mais des lieux « exceptionnels d’intérêt national »15. Précisons que tous les espaces que nous venons d’évoquer peuvent se situer au sein du territoire d’un parc naturel — seulement au sein des

    PN, pour ce qui est des réserves naturelles. Seuls les territoires d’un PN et d’un PNR ne peuvent se chevaucher.16

    Sur le terrain : Les parcs naturels français face à l’érosion de la biodiversité

    La question de la pertinence des parcs comme outils d’action publique de lutte contre l’érosion de la biodiversité

    Les personnes interrogées reconnaissent unanimement l’utilité des parcs naturels contre l’érosion de la biodiversité, en soulignant aussi bien leurs effets externes que internes. Concernant leurs effets externes, Gilles Martin souligne en effet que, contrairement à certaines idées préconçues, les parcs ne sont pas “sous cloche”, la faune et la flore interagissant entre extérieur et intérieur du parc. Par exemple, dans le parc national de Port-Cros, est observé un phénomène dit “effet réserve”, des zones fortes de protection du parc bénéficiant à des zones hors parc, et certains poissons protégés pondant ainsi des larves atteignant les côtes voisines, parfois jusqu’à Marseille. De plus, les deux interlocuteurs mettent également en avant l’importance de la création de réseaux écologiques, de corridors. Ceux-ci sont indispensables puisque certaines espèces, protégées au sein des parcs, ont besoin de se déplacer. C’est le cas des espèces migratrices, mais aussi de celles se déplaçant pour accomplir leur cycle de vie, alimentaire et reproductif.

    Face aux effets bénéfiques des parcs sur la biodiversité, la question de leur extension et multiplication mérite d’être posée. Ici, les deux interlocuteurs mettent en avant les limites d’une certaine course à l’extension, et ce pour diverses raisons. Tout d’abord, Simon Jolivet souligne “la course au gigantisme des aires protégées” ayant lieu actuellement: une course entre Etats, avec en ligne de mire 30% d’aires protégées dans le monde d’ici 2030. Or, selon lui, cet effet d’annonce est en réalité souvent inversement proportionnel au degré de protection de l’écosystème. Concrètement, des stratégies de communication étatiques sont en jeu, puisque plus l’environnement monte à l’agenda des préoccupations politiques internationales, plus cela devient un enjeu de puissance pour les Etats, et plus il devient nécessaire de manifester son engagement. Gilles Martin met également en avant le risque de baisse d’ambition dans la multiplication des aires protégées, avec par exemple des activités humaines perpétuées au sein des parcs pour atteindre les 30%… Conséquence ? Une non protection de la biodiversité. Un autre enjeu de taille est celui de la régulation des espèces au sein des parcs, mais aussi celui du choix de protection du type de biodiversité. En effet, le chercheur D. Thierry dénonce le cloisonnement affectant l’action publique française en matière de protection de la biodiversité, et les échecs que cela entraîne. Les mesures selon lui sont trop largement centrées sur les espèces rares, en danger d’extinction, les protections tendant à s’apparenter donc à de la muséographie, et ce au détriment de la biodiversité ordinaire. Partiellement en opposition, Simon Jolivet indique que les espaces protégés ont au contraire été mis en place historiquement indépendamment des espèces, tout en soulignant effectivement que le droit de l’environnement dans son ensemble reste trop centré sur la nature extraordinaire, au détriment de l’ordinaire. Néanmoins, celle-ci ne relève selon lui pas entièrement des parcs naturels potentiels, puisqu’une grande partie se trouve en milieu agricole. C’est donc également à d’autres secteurs, notamment l’agriculture et l’habitat, plus éloignés a priori des problématiques biodiversité, d’intégrer ces dimensions de protection. Gilles Martin s’inscrit aussi dans cette perspective, puisque, selon lui, ce serait une erreur que de déconsidérer l’outil des parcs naturels au motif qu’il ne peut protéger l’entièreté de la biodiversité dite ordinaire. Si les parcs s’avèrent donc nécessaires aujourd’hui pour la protection de la biodiversité, ils ne sont néanmoins pas suffisants pour contrer à eux seuls l’érosion de la biodiversité. Enfin, ces territoires ne sont pas statiques et même en leur sein, peuvent survenir des contentieux juridiques, impactant de près ou de loin la biodiversité.

    Un aperçu des contentieux juridiques ayant trait à la protection de la biodiversité au sein des parcs

    Si les formes d’espaces protégés et tout le panel d’institutions et de mesures concrètes mises en place pour protéger la biodiversité semblent relativement efficaces, dans bien des cas les principes de protection de la nature avancés sont mis face à la complexité du terrain. Cette réalité, ce sont évidemment des intérêts socio-économiques propres à l’activité humaine et qui peuvent se trouver en contradiction avec ceux de la préservation de la nature (exploitation agricole, halieutique, tourisme, habitat…etc). Ce qui a pour effet de provoquer un certain nombre de litiges. On remarque à ce sujet que l’implication du juge dans la vie des parcs s’est nettement accrue au fil du temps. Si l’on prête attention aux chiffres dans les parcs naturels régionaux, on constate que le nombre d’arrêts et de jugements engageant les parcs entre 2002 et 2006 est supérieur au nombre d’arrêts et jugements constatés entre 1967 (date de création des parcs) et 2002, soit une période de 35 ans17. Dans le cadre de ces recours en contentieux, le juge qui sera alors amené à se prononcer sur la base du droit en vigueur peut mobiliser le droit des espaces protégés comme le droit commun de manière plus générale.

    En l’occurrence, dans le droit des parcs, on retrouve les chartes précédemment évoquées. Les chartes des parcs nationaux ont toujours par essence fait office d’acte administratif, elles sont d’ailleurs reconnues par le préfet à la création du parc. Rappelons que leur portée réglementaire est consacrée depuis 200918. Ce socle juridique, défini dernièrement par la loi de 2006, implique ainsi tout un apanage d’acteurs qui vont eux aussi produire du droit. Parmi ceux-ci on peut citer les directeurs des parcs nationaux qui émettent des décisions, ou encore un corps de police qui adresse des procès-verbaux. En somme, on parle ici de tous les inspecteurs, agents administratifs assermentés, qui sont habilités à constater les infractions dans les espaces protégés. Ces agents sont détachés par l’Office français de la biodiversité (OFB), dont la compétence administrative découle directement du Ministère de la transition écologique et solidaire. Lors d’un entretien, Simon Jolivet nous dépeint l’OFB comme le “bras armé du Ministère”.

    Ainsi, à l’échelle de l’espace protégé, en cas de désaccord avec un acte administratif relatif à la gestion des parcs, toute personne physique ou morale est en droit d’introduire un recours en contentieux auprès du Tribunal administratif de son lieu de résidence. Dans la pratique, les motifs de ces contentieux croissants sont multiples. Cela peut tenir à la contestation de procès-verbaux, de décisions de la direction, ou encore à la remise en cause d’une interdiction d’activité. Gilles Martin nous donne l’exemple dans le Parc national du Mercantour d’une association de cyclistes qui attaque une décision de la direction du parc limitant la circulation des vélos sur une zone protégée. L’association va alors fonder son action sur le droit commun, en mobilisant, par exemple, une atteinte à la liberté d’aller et venir. Toujours dans la lignée de litiges semblables, Gilles Martin nous cite un contentieux avec des commerçants qui contestent une décision d’interdiction d’activité. Ces derniers, gérants de magasins dédiés à la location de jet-skis, vont alors s’opposer à l’interdiction de ce loisir au sein du parc et considérer la décision de la direction comme une atteinte à la liberté d’entreprendre.

    Après avoir évoqué les contentieux où les requérants contestent l’avancée de la législation protectrice, venons-en aux contentieux où les dégâts sont déjà palpables, où c’est cette fois le parc qui demande des réparations face aux dommages constatés sur son territoire. À ce sujet, Gilles Martin nous donne l’exemple d’un serial-killer jugé il y a quelques années pour avoir tué 104 chamois dans les parcs nationaux du Mercantour et des Écrins. Dans ce cas, le loisir de braconnage de cet individu se heurte à la législation protectrice du parc, l’infraction se constatant sur son territoire. Toutefois, dans bien d’autres cas, les responsables du dommage constaté se trouvent à l’extérieur de l’aire protégée, ce qui peut s’avérer problématique. Comme nous le rappelle Gilles Martin, la nature n’est jamais mise « sous cloche », les éco-systèmes communiquent entre eux et s’affectent sur des superficies toujours plus vastes que celle du territoire tel qu’il est établi juridiquement. Les animaux effectuent des migrations, de même que l’eau suit son cycle à une échelle bien plus large. On a encore une fois l’exemple à Port-Cros d’une pollution par des hydrocarbures, due à la percussion de deux bateaux au large de la Corse ayant impacté des côtes constituantes du cœur du Parc national en octobre 2019. Un procès est sûrement à venir, où il faudra avancer la notion de préjudice écologique. Or, la difficulté sera d’évaluer et de prouver ce préjudice. Le parc étant Parc national, il aura qualité pour agir en réparation des préjudices subis.

    Une problématique classique : Comment concilier l’augmentation de la fréquentation touristique avec la protection de la biodiversité ?

    La pandémie de Covid-19 a généré une hausse sensible de la fréquentation des parcs naturels. Elle vient renforcer une tendance déjà observable pendant la décennie, comme l’illustre cette statistique concernant les Parcs nationaux : En 2018, plus de 10 millions de visites sont recensées, soit une augmentation de 60% par rapport à 2011.19 Cette nouvelle manne économique bienvenue ramène néanmoins les parcs à un enjeu de taille : comment s’accommoder de l’augmentation du tourisme tout en menant à bien la mission de conservation des espaces naturels ? La question se pose avec d’autant plus d’acuité pour les Parcs naturels régionaux où, pour rappel, la valorisation et le développement économique sont parties prenantes de leurs objectifs.

    S’agissant de la faune, par exemple, certains temps de l’année sont difficilement conciliables avec un flux important de visiteurs ; quand le printemps ouvre la saison des reproductions, l’hiver correspond à une phase de raréfaction de la nourriture, soit autant de périodes où la quiétude est de mise pour les espèces animales.20

    « Quiétude Altitude » est justement le thème d’un dispositif mis en place par le parc régional des Vosges du Nord pour répondre à ce défi.21 Depuis 2015, le public est informé en temps réel sur les comportements à observer pour favoriser une expérience la plus harmonieuse possible avec les espaces naturels. Certaines zones peuvent ainsi être placées en vigilance renforcée, quand elles ne sont pas tout simplement interdites à la visite. Même son de cloche au parc des Landes de Gascogne22, où la fréquentation a doublé pendant la pandémie. La direction reste alerte ; si elle entend « aller à la rencontre des attentes des clientèles d’aujourd’hui et de demain », décision a déjà été prise de cesser de communiquer sur ses espaces les plus prisés. C’est tout particulièrement le cas de l’attraction phare du parc, le site labellisé “rivière sauvage” de La Leyre. Par ailleurs, tourisme et biodiversité ne sont pas nécessairement antagonistes ; c’est justement l’essence de l’éco-tourisme que de fusionner les deux. Prônée par les parcs, cette forme de tourisme est fondée sur “l’observation de la nature et l’éducation du public, en lien avec les spécificités de chaque territoire et le patrimoine culturel”. Le Birdwatching en est une pratique probante, à travers laquelle amateurs et professionnels s’adonnent à l’observation respectueuse des oiseaux. En France, les parcs seraient d’ailleurs “à la pointe” de l’accompagnement des acteurs dans le cadre de la mise en œuvre de la Charte européenne du tourisme durable.23

    Oui, les parcs naturels peuvent concilier tourisme et biodiversité, à condition de s’en donner les moyens. À bien des égards, cette problématique restera à l’avenir un des enjeux primordiaux pour la gestion de la biodiversité en leur sein. En atteste, s’agissant des PNR, la nouvelle stratégie pour le tourisme – “Destination Parcs” – déployée par la Fédération des parcs naturels régionaux de France qui entend bien développer le secteur avec une offre « spécifique aux parcs »24 ; En 2021, 15 d’entre eux font partie de l’initiative.25

    Pour autant, imputer au tourisme la responsabilité principale des nuisances de l’activité humaine sur la biodiversité des parcs serait une erreur. De fait, l’empreinte du secteur est à relativiser en comparaison avec d’autres activités humaines. Dans une enquête réalisée auprès des directeurs de Parcs naturels régionaux, le secteur arrive troisième au rang des plus concernés par la question de la biodiversité (45% de réponse positive), loin derrière l’agriculture/agroalimentaire (85%) et la filière bois/sylviculture dans une moindre mesure (50%).26

    Somme toute, s’il peut être un poids, le tourisme peut être dans une certaine mesure un levier à disposition des parcs dans leur mission de protection de la biodiversité. Au-delà d’un apport économique utile, le secteur offre la possibilité de mettre en scène la mission des parcs et par extension justifier leur existence. C’est bien ce que ces derniers font en encadrant les pratiques du public autour des impératifs de la biodiversité, en le sensibilisant à sa richesse, en le rappelant à son indispensabilité pour l’Homme. Ici aussi, par rayonnement, les parcs naturels français apportent une réponse au phénomène d’érosion par delà leurs frontières.

    1 Contributions collectives – Chercheurs ENS Lyon. (2020, décembre). Parc national en France / parc naturel régional (PNR) — Géoconfluences. Géoconfluences.ENS-Lyon.fr. Consulté le 18 mars 2022,

    2 Idem.

    3 Idem.

    4 Entretien avec Gilles Martin.

    5 Ibid. Géoconfluences.

    6 Parcs naturels régionaux de France. (2018). Questions – Réponses sur les Parcs naturels régionaux. Argumentaire.

    7 Ibid. Géoconfluences.

    8 Idem.

    9 Parcs Nationaux. (s. d.). L’organisation du territoire d’un parc national français | Portail des parcs nationaux de France. parcsnationaux.fr. Consulté le 15 mars 2022.

    10 Ibid. Géoconfluences.

    11 Parcs naturels régionaux de France. (2007, août). Les parcs naturels régionaux : 40 ans d’histoire. . .

    12 Ibid. Géoconfluences.

    13 Patrick Janin, “De la charte des parcs naturels régionaux en particulier et des chartes territoriales en général” in Revue juridique de l’Environnement, 2010-4, p. 591-603.

    14 Ibid. Géoconfluences.

    15 Ibid. Géoconfluences.

    16 Ibid. Argumentaire PNR.

    17 Aurélie Tournier, “Les tribulations du droit des chartes : regard d’une juriste des parcs”, Revue juridique de l’environnement, année 2006, HS, p. 65-74.

    18 Patrick Janin, “De la charte des parcs naturels régionaux en particulier et des chartes territoriales en général” in Revue juridique de l’Environnement, 2010-4, p. 591-603.

    19 Ministère de la Transition Écologique. (2021, 30 juin). Les parcs nationaux de France – Chiffre clés – Edition 2021 (Partie 3). statistiques.developpement-durable.gouv.fr. Consulté le 15 mars 2022.

    20 Barroux, R. (2021, 21 janvier). Les 56 parcs naturels régionaux français à la recherche d’un juste équilibre. Le Monde.fr. Consulté le 15 mars 2022.

    21 Idem.

    22 Idem.

    23 CDC Biodiversité. (2015, novembre). Biodiv’2050 – Mission économie de la biodiversité (No 8). Groupe Caisse des dépôts.

    24 Ibid. Barroux, R.

    25 Destination Parcs : la plateforme d’offres touristiques des Parcs Naturels Régionaux. (2022, 17 mars). Hospitality ON. Consulté le 15 mars 2022.

    26 Ibid. CDC Biodiversité.

    BIBLIOGRAPHIE

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    CDC Biodiversité. (2015, novembre). Biodiv’2050 – Mission économie de la biodiversité (No 8). Groupe Caisse des dépôts. URL :

    http://www.mission-economie-biodiversite.com/wp-content/uploads/dlm_uploads/2015/12/biodiv-2050- n8-fr-md.pdf

    Contributions collectives – Chercheurs ENS Lyon. (2020, décembre). Parc national en France / parc naturel régional (PNR) — Géoconfluences. Géoconfluences.ENS-Lyon.fr. Consulté le 18 mars 2022, à l’adresse :

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    https://hospitality-on.com/fr/tourisme/destination-parcs-la-plateforme-doffres-touristiques-des-parcs-na turels-regionaux

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    https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/les-parcs-nationaux-de-france-chiffres-cles-ed ition-2021

    Parcs Nationaux. (s. d.). L’organisation du territoire d’un parc national français | Portail des parcs nationaux de France. parcsnationaux.fr. Consulté le 15 mars 2022, à l’adresse : http://www.parcsnationaux.fr/fr/des-decouvertes/les-parcs-nationaux-de-france/lorganisation-du-territo ire-dun-parc-national-francais

    Parcs naturels régionaux de France. (2007, août). Les parcs naturels régionaux : 40 ans d’histoire. . .

    :https://www.parcs-naturels-regionaux.fr/sites/federationpnr/files/document/centre_de_ressources/hist oire-40_ans.pdf

    Parcs naturels régionaux de France. (2018). Questions – Réponses sur les Parcs naturels régionaux. Argumentaire. :

    https://www.parcs-naturels-regionaux.fr/sites/federationpnr/files/document/centre_de_ressources/pnr_ argumentaire_2018_bd.pdf

    Office français de la biodiversité. (2020, janvier). Préserver la biodiversité, c’est aussi nous préserver.

    file:///C:/Users/missl/Downloads/pr-server-la-biodiversit-c-est-aussi-nous-pr-server–67932.pdf

    Thierry Damien, « Atteintes à la biodiversité et risques épidémiques », Revue juridique de l’environnement, 2020/HS20 (n° spécial), p. 81-93. URL

    https://www-cairn-info-s.biblio-dist.ut-capitole.fr/revue-revue-juridique-de-l-environnement-2020-HS20- page-81.html

    Aurélie Tournier, “Les tribulations du droit des chartes : regard d’une juriste des parcs”, Revue juridique de l’environnement, année 2006, HS, p. 65-74.

    Patrick Janin, “De la charte des parcs naturels régionaux en particulier et des chartes territoriales en général” in Revue juridique de l’Environnement, 2010-4, p. 591-603.https://www.cairn.info/revue-revue-juridique-de-l-environnement-2010-4-page-591.html

  • La CEC : un réel changement de paradigme ou un nouvel outil de greenwashing ?

    Réalisé par Marie-Esther Duron, Willy-Boris Gence, Indra Garnier Master D3P1 “Risques, Sciences, Environnement et Santé”

    En partenariat avec l’Association Notre Affaire à Tous

    Remerciement : Nous tenons à remercier les chercheur-euses et bénévoles qui ont accepté de répondre à toutes nos questions et qui ont aidé à la réalisation de l’article.

    Introduction

    S’inspirant de la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC), la Convention des Entreprises pour le Climat (CEC) a pour objectif d’établir des propositions en faveur du climat pouvant être mises en œuvre non pas par des citoyens mais au sein des entreprises. Ce projet a pour ambition notamment de réduire de 55% les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 avec un impératif de protection de la biodiversité et de régénération du vivant. Ce pourcentage s’aligne ainsi sur l’effort européen de réduction des émissions de gaz à effet de serre voté en 2021 par les Eurodéputés et les Etats de l’Union.

    Lancée le 9 septembre 2021, la CEC est organisée en 6 sessions de 2 jours réparties sur 11 mois dont la fin est programmée le 1er juillet 2022. La CEC réunit plus de 150 dirigeant.e.s avec leur “planet champion”, souvent des responsables RSE, mais aussi des expert-es indépendant-es, un comité garant de la mission, des facilitateurs et facilitatrices et des participant-es du monde étudiant.1

    I – Origine et objectifs de la CEC

    Suite aux propositions énoncées par la Convention citoyenne pour le climat, les entreprises ont été invitées à agir pour la protection de l’environnement : la transition ne se fera pas sans l’implication active du monde économique. Cependant, le cadre législatif n’est pas, selon de nombreux-ses chef-fes d’entreprise, assez contraignant pour entamer une réelle transition : s’engager en faveur du climat est plus coûteux que l’inaction climatique à court terme, ce qui met en danger la survie des structures engagées. Dans ce cadre, la Convention des Entreprises pour le Climat a été imaginée notamment par Eric Duverger2 pour résoudre la dissonance entre urgence écologique et priorités économiques. Deux objectifs se cumulent :

    • au niveau microéconomique : permettre à chaque entreprise participante de repartir avec sa propre feuille de route à l’horizon 2030, spécifique à son activité et en adéquation avec les objectifs environnementaux, qui lui permettra de faire évoluer son business model.
    • au niveau macroéconomique : co-construire le cadre réglementaire et les normes applicables aux entreprises avec l’appareil politique et législatif

    La Convention des Entreprises pour le Climat pourrait sembler être le miroir économique de la Convention Citoyenne pour le Climat, pourtant elles sont relativement différentes. Contrairement à la Convention Citoyenne, l’objectif premier de la CEC n’est pas de faire des propositions concrètes de lois mais de fournir au législateur des axes de réflexion pour accompagner le monde économique vers la transition écologique. En outre, les entreprises participant à la CEC ont postulé au dispositif, le système de tirage au sort de la convention citoyenne étant considéré comme inadapté pour obtenir un échantillon représentatif de la diversité des entreprises françaises. Elles ont été sélectionnées sur des critères de taille, de territoire et d’intérêt pour les enjeux climatiques afin de s’assurer que les dirigeant-es jouent le jeu jusqu’au bout.3

    II – Quel est le bilan de la CEC à mi-parcours ?

    À ce jour, 4 sessions sur 6 prévues ont eu lieu, dans lesquelles les dirigeant-es ont pu prendre conscience de l’urgence climatique et du dépassement des limites planétaires, puis travailler sur leur modèle économique dans le but de l’adapter aux enjeux écologiques de demain. A l’échelle collective, des propositions commencent également à émerger afin de donner aux pouvoirs publics une trajectoire souhaitable pour rendre le tissu économique plus résilient.

    Le 19 janvier 2022, à mi-parcours du dispositif, trois chef-fes d’entreprises ont présenté les premiers résultats devant la Commission du Développement Durable de l’Assemblée Nationale4. Trois grands axes ont alors été discutés :

    • la formation : après avoir participé aux conférences et ateliers pédagogiques proposés par la CEC, les dirigeant-es impliqué-es estiment que les entreprises sont trop peu formées aux enjeux de la transition écologique. Ainsi, iels espèrent qu’un tel programme de formation de 20h minimum aidant à établir le bilan carbone de la structure et une feuille de route à 2030 puisse être généralisé à toutes les entreprises : l’enjeu des pouvoirs publics est de créer un label définissant ce qui atteste une formation suffisante sur ces sujets, ainsi qu’une aide financière pouvant passer par un crédit pour la réaliser. En ce qui concerne la formation professionnelle, au vu du manque d’offre à ce sujet, l’idée d’un MBA vert a été proposée sur le modèle de la CEC, dans un cadre apolitique.
    • les indicateurs et la mesure d’impact : au-delà du bilan carbone qui semble nécessaire, les entreprises demandent aux pouvoirs publics de mettre en place un cadre clair pour comptabiliser l’impact de leurs activités sur la biodiversité notamment. Les dirigeant-es proposent par ailleurs de mettre en place une forme d’index qui en fonction de la taille de l’ent permettrait de mesurer la capacité de l’entreprise à progresser (index égalité homme-femme par exemple…).
    • la transition des métiers : pour la CEC, l’accompagnement public à la reconversion est insuffisant. Plusieurs propositions ont donc émergé : un plan Marshall Vert qui permettrait de rediriger l’emploi et l’économie vers les métiers de la transition ou encore des primes à l’innovation verte pour orienter les investissements des entreprises.5

    Pour les participant-es à la CEC, il est inévitable de passer par une refonte du cadre réglementaire car les chef-fes d’entreprise n’ont ni le temps, ni les moyens d’établir un autre cadre, plus durable. Ainsi, il faut coupler coercition et incitation, voire même intégrer des mécanismes d’intracting : un dispositif qui permet de mener des réformes énergétiques grâce à un prêt, remboursé par les économies réalisées.

    Ces propositions ont été bien accueillies par la Commission du Développement Durable qui propose davantage de dialogue avec la CEC.

    III – L’analyse critique de la CEC

    Malgré la bonne presse de la Convention des entreprises pour le climat, nous observons plusieurs limites. Tout d’abord, la CEC se vante de représenter « la diversité, la richesse et les défis de l’économie française. » Pourtant les entreprises basées à La Réunion, en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane manquent à l’appel.6 Également, dans l’ensemble de nos entretiens avec les bénévoles internes, nous avons eu le sentiment que beaucoup d’entre eux se sont engagés afin d’étendre leur réseau professionnel. En effet, la majorité des bénévoles sont aussi des consultants indépendants. De plus, l’impact de la Convention est avant tout en termes d’image : malgré la volonté sincère de la majorité des entrepreneurs et entrepreneuses de changer leur business model pour l’adoption d’une trajectoire plus éco-responsable, ils ne sont contraints par aucune obligation, ni aucun contrôle. À cet effet, le risque de greenwashing est une réalité.7

    Toutefois, depuis la fondation de l’association, on peut souligner plusieurs points positifs. Premièrement, on remarque une forte décentralisation des sessions de formation qui ont eu et vont avoir lieu dans plusieurs métropoles à savoir Paris, Lille, Nantes, mais également à Marseille et à Lyon. Dans un second temps, le profil des entreprises sélectionnées est assez hétérogène. Les multiples entreprises ont toutes leur singularité, mais également des points communs qui leur permettent d’échanger et de s’enrichir mutuellement. Dans le même temps, plusieurs représentants ont le sentiment que la Convention est réellement bénéfique pour leur structure économique et pour l’environnement. Par exemple, Matthieu Brunet, PDG de l’entreprise Arcadie, pense la Convention comme une véritable impulsion qui va les aider à changer concrètement de

    modèle économique8. Aussi, on constate que depuis la première session, un engouement des entrepreneurs pour la cause environnementale s’est concrétisé. En effet, plusieurs professionnels du monde entrepreneurial s’approprient le rôle “d’ambassadeur” pour l’environnement. Enfin, la Convention des entreprises pour le climat a obtenu une reconnaissance des institutions avec notamment une audition par la Commission du développement durable de l’Assemblée Nationale du 19 janvier 2022 mais a aussi retenu une attention particulière de la Ministre de la Transition Écologique Barbara Pompili lors de la Convention des entreprises pour le climat à Nantes le 3 décembre 2021.9

    Conclusion

    L’initiative de la Convention des entreprises pour le climat est par conséquent une preuve de la volonté d’une partie de la sphère économique de faire bouger les lignes. Même si l’argument de l’image est souvent avancé et que la CEC peut être un terrain propice au greenwashing, le dialogue instauré avec le législateur incite à créer un cadre réglementaire réellement contraignant. Un bilan sera à tirer en juillet, date de fin de la CEC, mais il est d’ores et déjà clair qu’un tel dispositif a vocation à se pérenniser, peut être avec la mise en place d’un évènement annuel qui regrouperait toutes les entreprises françaises et même européennes en vue de leur donner les moyens d’effectuer leur transition.10

    1Convention des Entreprises pour le Climat. (2022, 18 mars). Accueil : https://cec-impact.org

    2 Eric Duverger a exercé des missions diversifiées dans le domaine du marketing, de la stratégie et des finances chez Michelin à Clermont-Ferrand mais aussi aux Etats-Unis ou au Mexique. Aujourd’hui, il se consacre à la CEC

    3 Frédéric Brenon. (2022, 9 mars). Après la Convention citoyenne pour le climat, les entreprises lancent leur Grand défi. 20

    minutes.https://www.20minutes.fr/planete/3249631-20220309-apres-convention-citoyenne-climat-entreprises-lancent-grand-defi

    4 Commission du développement durable : représentants de la Convention des entreprises pour le climat (CEC). (2022, 19 janvier). videos.assemblee-nationale.fr.de-la-convention-des-entreprises-pour-le-climat–19-janvier-2022

    5 Entretien d’un.e intervenant.e sur la CEC

    6 Entretien d’un.e bénévole impliqué.e dans la CEC

    7 Entretien d’un.e intervenant.e sur la CEC

    8 https://cec-impact.org/les-participants/arcadie/

    9 Entretien d’un.e universitaire invité.e sur la CEC

    10 LE « GRAND DÉFI » DES ENTREPRISES POUR LA PLANÈTE, UNE INITIATIVE « TREMPLIN » POUR ACCÉLÉRER LA TRANSFORMATION DURABLE. (2022, 21 février). Novethic.598.html

    Bibliographie

    ●      Sites internet

    Convention des Entreprises pour le Climat. (2022, 18 mars). Accueil : https://cec-impact.org

    ●      Articles en ligne

    Frédéric Brenon. (2022, 9 mars). Après la Convention citoyenne pour le climat, les entreprises        lancent leur      Grand  défi.     20

    minutes.https://www.20minutes.fr/planete/3249631-20220309-apres-convention-citoyenne-cl imat-entreprises-lancent-grand-defi

    LE « GRAND DÉFI » DES ENTREPRISES POUR LA PLANÈTE, UNE INITIATIVE « TREMPLIN » POUR ACCÉLÉRER LA TRANSFORMATION DURABLE. (2022, 21 février).

    Novethic.https://www.novethic.fr/actualite/environnement/climat/isr-rse/le-grand-defi-incite-le s-entreprises-a-s-entendre-avant-d-agir-150598.html

    Jaworski, V. (2021). De nouvelles infractions de mise en danger de l’environnement pour un changement de paradigme juridique. Revue juridique de l’environnement, 46, 475-497. https://doi.org/

    COQUET, N. C. (2021, 18 juin). Eric Duverger : « Je lance un appel aux chefs d’entreprises de           la         Loire    ».         L’essor Loire. https://www.lessor42.fr/eric-duverger-je-lance-un-appel-aux-chefs-d-entreprises-de-la-loire-2 7033.html

    Barroux, R. (2021, 13 septembre). Une convention pour le climat réunit 150 patrons, déterminés         à          trouver un        nouveau                        modèle              économique.         Le              Monde.fr. https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/09/13/150-chefs-d-entreprise-reunis-dans-une-c onvention-pour-le-climat-travaillent-a-un-nouveau-modele-economique_6094481_3244.html

    Gelin, Y. (2021, 21 octobre). Convention des Entreprises pour le Climat, de quoi s’agit-il ? EWAG Média positif – EWAG.fr est un portail sur l’actualité des entreprises en Martinique, Guadeloupe, Guyane et à La Réunion. Commerces, services, réseaux. . . tout l’actualité positive des                                       Outre-Mer                est                                      sur EWAG.fr.https://www.ewag.fr/2021/10/convention-entreprises-climat/

    MARIN, L. M. (2021, 26 novembre). ouest-france.fr. Nantes. Barbara Pompili à la Convention   des   entreprises   pour   le   climat,   le   3   décembre.

    https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/nantes-44000/nantes-barbara-pompili-a-la-conve ntion-des-entreprises-pour-le-climat-le-3-decembre-59ec8d92-4e9e-11ec-a154-8043ea2ede 2d

    Grelier, J. G. (2021, 13 décembre). A la Convention des entreprises pour le climat, des industriels         en        quête   d’entrain          et                          d’idées. L’usine       Nouvelle. https://www.usinenouvelle.com/editorial/a-la-convention-des-entreprises-pour-le-climat-des-i ndustriels-en-quete-d-entrain-et-d-idees.N1167857

    ●      Vidéos en ligne

    Commission du développement durable : représentants de la Convention des entreprises pour         le         climat  (CEC). (2022,  19              janvier).            videos.assemblee-nationale.fr. https://videos.assemblee-nationale.fr/video.11761507_61e7c99fe35c0.commission-du-devel oppement-durable–representants-de-la-convention-des-entreprises-pour-le-climat–19-janvie r-2022

  • La lutte contre l’artificialisation des sols – Etude de terrain en métropole toulousaine et son aire d’attraction

    Réalisé par Mélissa Bernard, Solange Coupé, Elora François, Marie Grandjean et Gabriel Theil du Master D3P1 « Transition Ecologique, Risques et Santé, à SciencesPo Toulouse

    En partenariat avec l’association Notre Affaire à Tous

    Remerciements :

    Nous tenons à remercier les personnes qui ont bien voulu accorder du temps à cette étude et à participer aux entretiens

    Dans le cadre de la Clinique de Sciences Po Toulouse, les étudiant.e.s du Master D3P1 « Transition Ecologique, Risques et Santé » ont pu approfondir des sujets forts à Notre Affaire A Tous concernant le dérèglement climatique. Ici, la lutte contre l’artificialisation des sols touche sensiblement le territoire toulousain et son aire d’attraction. Cet article fait part des recherches effectuées pour l’étude de terrain et des interviews réalisées auprès des acteurs de terrain par les étudiant.e.s.

    La lutte contre l’artificialisation des sols représente un enjeu fort en matière de lutte climatique et environnementale, à tel point que la loi Climat et Résilience s’est emparée de la question via notamment l’objectif de Zéro Artificialisation Nette. Pour comprendre les différents enjeux et problèmes liés à l’artificialisation des sols, nous avons mené une enquête de terrain sur l’aire d’attraction de la métropole toulousaine afin de dresser une cartographie des différents acteurs et actrices concerné.e.s par les enjeux de lutte contre l’artificialisation.

    Notre terrain comprend l’ensemble de l’aire d’attraction de la métropole toulousaine, afin de prendre davantage en compte la répartition différenciée des efforts de diminution d’artificialisation des sols, et ainsi mettre en lumière les interactions entre métropole et territoires à proximité.

    Récemment, le rapporteur public a obtenu l’annulation pure et simple du PLUi-H de Toulouse Métropole pour une mauvaise appréciation de la consommation des espaces artificialisés sur les dix années précédentes. En effet, la loi Climat et Résilience à pour objectif à l’horizon 2031, pour chaque commune, la réduction de de moitié la consommation d’espaces par rapport à la consommation des années précédentes. Ainsi, en gonflant l’estimation des terrains artificialisés, Toulouse Métropole pouvait diminuer ses efforts de réduction de consommation des sols prévus à l’horizon 2030. Plus l’artificialisation était importante sur les dix dernières années, plus la marge de manœuvre pour respecter l’objectif de 2030 sera importante pour les communes, d’où la tentative de gonfler les chiffres de l’artificialisation des sols par la métropole de Toulouse.

    Notre étude vise à établir un état des lieux et une cartographie des acteurs ayant un impact quant à l’artificialisation des sols de l’aire d’attraction de la métropole de Toulouse. Nous nous sommes intéréssé.e.s à la manière dont l’objectif Zéro Artificialisation Nette est appréhendé par différent.e.s acteur.rice.s, quelles étaient les difficultés auxquels iels sont confronté.e.s au quotidien et leurs biais cognitifs expliquant des situations de conflits entre volonté de développer et volonté de ne pas artificialiser.

    L’artificialisation des sols : une définition non consensuelle

    Chaque année en France, entre 24.000 et 30.000 hectares de terres agricoles et naturelles sont artificialisées1. Il n’y a pas de définition scientifique internationale de l’artificialisation des sols. Ce manque de définition scientifique explique que l’artificialisation puisse être comprise différemment en fonction des acteurs concernés. L’artificialisation des sols, selon le gouvernement, consiste à « transformer un sol naturel, agricole ou forestier, par des opérations d’aménagement pouvant entraîner une imperméabilisation partielle ou totale« .

    La loi Climat et Résilience parue en 2021 précise cette définition dans son article L101-2-1 énonçant que l’artificialisation est “l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage2.

    Lutter contre l’artificialisation des sols est un enjeu primordial pour la transition écologique au vu de ses nombreux impacts sur l’environnement. En effet, elle entraîne une perte de biodiversité, une amplification des risques d’inondation dûe à l’imperméabilisation des sols, une baisse de rendements productifs des terres agricoles, un accroissement des dépenses énergétiques liées au réseau, une amplification de la fracture territoriale avec l’étalement urbain et la construction en périphérie qui relègue une partie des habitants à l’écart des centres-villes, et enfin, elle constitue l’une des premières causes des changements climatiques car un sol artificialisé n’absorbe plus le dioxyde de carbone (CO₂)3.

    Les processus d’artificialisation peuvent être “légers”, tels que la création de jardins, d’espaces verts ou de friches intra-urbaines, et donc modifient peu les caractéristiques physico-chimiques des sols en comparaison avec les sols d’espaces naturels. Mais ils peuvent également être “lourds” et aller jusqu’à imperméabiliser totalement les sols ce qui entraîne des conséquences sévères, comme la fragmentation des écosystèmes.

    De plus, pour pouvoir apprécier le processus d’artificialisation, il serait pertinent de connaître la nature des perturbations apportées au sol (déboisement, pose d’un revêtement temporaire, minéralisation…), le type géographique d’espace concerné (urbain dense, périurbain, rural), le type d’activité développée sur les terres artificialisées (activités commerciales, industrielles, logements, espaces verts…) et enfin leur degré de réversibilité4.

    L’objectif ZAN en 2050, fixé dans le cadre du Plan National Biodiversité de 2018 a été confirmé par l’adoption de la loi Climat et Résilience à l’Assemblée Nationale le 24 août 20215. Comme il est précisé sur le site de France Stratégie, il est urgent de freiner l’artificialisation (près de 31.000 hectares d’espaces naturels et agricoles perdus en 20196) et l’objectif ZAN est l’outil qui permettrait d’y faire face. L’objectif ambitionne de diviser par deux le rythme d’artificialisation des sols par rapport à la consommation d’espaces observée depuis 2011, d’ici 2031 et d’arriver à zéro artificialisation nette des sols en 2050.

    L’objectif Zéro Artificialisation Nette (ZAN)

    Les principales avancées rendues possibles par la mise en place de cet objectif sont doubles:

    • un objectif contraignant, ce qui n’était pas le cas du Plan National Biodiversité. Désormais les régions sont contraintes à décliner leur plan d’action de lutte contre l’artificialisation.
    • la possibilité démontrer plus facilement les irrégularités au yeux du législateur grâce au développement d’outils de mesure (perfectibles) de l’artificialisation comme peut l’être la carte du Portail national de l’artificialisation des sols en France développée par le CEREMA7.

    Les projets de décret publiés en mars 2022 ont précisé le contenu minimal du rapport que doivent établir les collectivités territoriales. Ce rapport devra présenter le rythme de l’artificialisation et de consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF)8. De plus, le décret apporte des précisions sur l’observatoire national de l’artificialisation des sols mis en place par l’État. Ces précisions devront permettre de mieux prendre en compte et qualifier les types d’artificialisation.

    Une notion importante que nous aimerions préciser ici est la séquence ERC (Éviter, Réduire, Compenser) qui s’applique aux projets, plans et programmes soumis à évaluation environnementale. Les collectivités territoriales se basent notamment sur cette séquence pour réaliser leur PLUiH. Cette séquence est relevée comme intéressante par certains de nos interlocuteurs.trices même si en pratique la compensation est parfois utilisée avant même de tenter d’Éviter et de Réduire, contrairement à ce qui est préconisé.

    Les faiblesses relevées lors de nos entretiens; la loi manquerait de définitions, par exemple, elle ne définit pas ce qu’est une friche, ni ce qu’est une zone de pleine terre. Or, une note de l’Institut Paris Région consacrée à cette notion démontre qu’en l’absence de définition partagée, on trouve une hétérogénéité des solutions retenues ainsi qu’une appréhension du phénomène imparfaite9. Dans cette même loi, la distinction entre les différents types d’artificialisation et leur importance n’est pas non plus établie. Or, en fonction de la façon dont le sol est artificialisé, les conséquences ne sont pas les mêmes.

    En effet, la Fabrique Ecologique distingue 4 sols artificialisés10 :

    • Sol transformé : Jardins, terrains d’agriculture urbaine sur sols reconstitués,
    • Sol reconstruit ou reconstitué : Abords végétalisés d’installations industrielles ou de voiries, carrières réhabilitées,
    • Sol ouvert : Friches urbaines ou industrielles, remblais ferroviaires, carrières abandonnées,
    • Sol scellé et/ou imperméabilisé : Surface bâties, voiries, trottoirs…

    Les impacts de l’artificialisation sont plus faibles pour les sols transformés et augmentent jusqu’à être très importants pour les sols scellés ou imperméabilisés. C’est pourquoi l’objectif ZAN mériterait de prendre en compte ces différences d’impact.

    La cartographie des acteurs

    Le schéma ci-dessus synthétise les positionnements des 7 acteur.rice.s interrogé.e.s concernant la loi Climat et Résilience et son objectif ZAN. Nous les avons regroupés en 5 catégories : associatifs (FNE), collectifs de citoyen.ne.s (Le Bocage Autrement et Gamasse Rébeillou), agricoles (la Chambre d’Agriculture du Tarn, et la Confédération Paysanne Haute-Garonne), institutionnels (CEREMA) et territoriaux avec la commune de Saint Sulpice La Pointe.

    L’ensemble de nos enquêté.e.s reconnaissent une certaine avancée avec la promulgation de l’objectif ZAN dans la loi Climat et Résilience. Cependant l’objectif leur semble encore flou et difficile à cerner, et il faudra attendre les différents décrets d’application pour avoir une meilleure appréhension des avancées. Malgré cela, nombre d’’entre elleux dénoncent certaines facettes de l’objectif, comme le risque de sur-utilisation du principe de compensation ou l’accord de dérogations pour les surfaces commerciales. Certain.e.s craignent également des contraintes supplémentaires pour les zones rurales

    En prenant de la hauteur, on se rend compte que l’artificialisation des sols met en exergue des conflits d’acteurs relevant d’une priorisation différente des enjeux. Les impératifs économiques spécifiques à certain.e.s acteur.rices sont nécessaires à prendre en compte, car ils se répercutent en influençant les biais cognitifs des individus.

    Chaque acteur.rice représente plus ou moins consciemment ses propres intérêts. Les collectivités ont une approche particulièrement technique. Elles sont soumises à de nombreuses contraintes, notamment économiques, accentuées par les opérations de décentralisation et de déconcentration. Elles ont de moins en moins de moyens pour répondre aux enjeux environnementaux et sociaux et de plus en plus de dépenses. Ainsi, les projets d’aménagement permettent de répondre à ces besoins financiers (par l’apport de nouvelles taxes), et de rendre le territoire plus attractif. Les agricult.eur.rice.s elleux sont soumis.e.s à des impératifs économiques forts, dans un marché concurrentiel qui favorise les grosses productions

    Ainsi, le modèle relationnel des collectivités et des agents économiques à la nature est principalement détaché, elle est perçue comme peu importante face aux projets urbains, voire comme une contrainte pour le développement économique. Face à cela, avec les collectifs et certaines associations comme FNE, qui ne sont pas diamétralement opposées au développement territorial, mais à la façon dont celui-ci est réalisé, on est davantage dans une relation tutélaire où la nature nécessite une protection bienveillante, entraînant des règles et des normes permettant la délimitation d’espaces spécifiques.

    Le fait que les nouveaux projets d’aménagement soient de plus en plus contestés (Projet Terra2, PLUi-H de la métropole toulousaine, mais aussi les recours contre les entrepôts Amazon etc.)11 illustre en réalité des différences de paradigmes entre les collectivités territoriales, les acteurs économiques, et les acteurs citoyens et associatifs. Pour atteindre le compromis sociétal, il faut comprendre quelles sont les visions des différents acteurs, ainsi que les freins empêchant d’arriver au compromis. C’est notamment le rôle de la concertation publique, afin d’accroître l’acceptabilité sociale des projets; mais nos différents entretiens montrent que cet objectif n’est pas toujours atteint.

    Tout d’abord, une différence d’appréhension des enjeux économiques est en jeu. Les collectivités territoriales en ont une approche particulièrement technique. Elles sont soumises à de nombreuses contraintes, notamment économiques, accentuées par les opérations de décentralisation et de déconcentration. Les collectivités ont de moins en moins de moyens pour répondre aux enjeux environnementaux et sociaux et de plus en plus de dépenses. Ainsi, les projets d’aménagement permettent de répondre à ces besoins financiers (par l’apport de nouvelles taxes), et de rendre le territoire plus attractif. De plus, les communes doivent répondre à certains besoins qui se heurtent à l’objectif ZAN; notamment fournir assez de logement aux populations toujours plus nombreuses qui arrivent dans l’aire d’attraction toulousaine.

    Les agricult.eur.trice.s sont également soumis.e.s à des impératifs économiques forts, dans un marché concurrentiel qui favorise les grosses productions. Rappelons que le terme d’artificialisation tel qu’il a été consacré dans la loi renvoie principalement à l’altération des sols pour des fonctions urbaines ou de transport. Or, la question de l’altération des terres agricoles peut aussi être compromise par l’utilisation de certains produits pesticides, ou par l’utilisation des terrains pour y installer des panneaux photovoltaïques. Dans tous les cas, on voit s’opposer des modèles relationnels à la nature différents. Ainsi, le modèle relationnel des collectivités et des agents économiques à la nature est principalement détaché, où elle est perçue comme peu importante face aux projets urbains, voire comme une contrainte

    pour le développement économique, même si ces enjeux sont de plus en plus pris en compte du fait de l’évolution des mentalités.

    Face à cela, nous avons des collectifs et associations comme FNE, qui ne sont pas diamétralement opposés au développement territorial, mais à la façon dont celui-ci est réalisé. On est davantage dans une relation tutélaire où la nature nécessite une protection bienveillante, entraînant des règles et des normes permettant la délimitation d’espaces spécifiques.

    Ainsi, l’artificialisation des sols est de fait l’une des conséquences de nombreux choix faits aux niveaux globaux et locaux, chaque acteur.rice a ses propres biais cognitifs. Si l’on veut pouvoir penser une transition réellement efficiente, il est nécessaire de comprendre ces biais et donc d’écouter les différents acteurs. Or, la question de l’artificialisation des sols est aussi révélatrice d’un certain échec de la démocratie territorialisée, qui semble nécessaire pour co construire des territoires résilients. Dans les collectifs, on a retrouvé cette volonté de participer aux différentes enquêtes publiques afin de faire entendre leurs voix et de proposer des alternatives. Cependant, ce n’est déjà pas possible pour tous les individus de se saisir des outils parfois très complexes mis en place lors de la consultation, d’autant plus que ces avis ne disposent d’aucun pouvoir contraignant. On retrouve alors une certaine défiance envers les collectivités territoriales, qui mettent en place des projets déconnectés de certaines aspirations, sans réellement prendre en compte les opinions de leurs propres contribuables.

    La nécessité de nouveaux paradigmes de développement territorial

    Si la lutte contre l’artificialisation des sols vise à protéger les terres agricoles, la biodiversité, les paysages, elle ne répond pas intrinsèquement aux impératifs de logement soulevés par l’accroissement démographique des décennies à venir et par le regain d’attractivité des zones périurbaines et rurales.

    Pour faire en sorte que la zéro artificialisation nette ne se charge pas d’externalités négatives et pour répondre aux besoins en logement, il est nécessaire d’abord de densifier le bâti. Si, pendant longtemps, les urbanistes et architectes ont cherché à éviter la densification du bâti, c’est aujourd’hui un thème qui est l’objet d’un regain d’intérêt politique, et qui semble être indissociable des objectifs de « durabilité » des ville12], notamment dans la mesure où la densification est la principale marge de manœuvre que laisse l’objectif de zéro artificialisation nette. Cet attrait pour la densité s’explique facilement : en plus de permettre la sobriété de la consommation foncière, c’est un outil privilégié pour limiter l’utilisation de la voiture en ville. Construire en hauteur permet également de limiter la consommation énergétique des bâtiments, et de bousculer l’inertie de l’offre immobilière en centre ville. L’enjeu réside dans le juste milieu entre densité trop faible ou trop forte. Les maux d’une

    densité trop élevée sont bien connus : l’urbain trop dense étouffe et amplifie, à raison, les désirs de quitter la ville et s’aérer loin chaque weekend, ce qui, en France, est souvent synonyme de recours à l’utilisation de l’automobile. Cette densité, pour rester attractive, se doit d’être mesurée. Le plus judicieux est de favoriser la densification des banlieues et des polarités périphériques13, qui sont encore relativement peu concernés par rapport aux centres urbains.

    Ensuite, la densification concerne autant l’habitat individuel que collectif, il semble nécessaire de l’accompagner d’un changement dans la perception que revêt l’habitat collectif, qui est particulièrement économe en consommation foncière. En effet, les représentations psychosociales sont davantage favorables à l’habitat pavillonnaire, notamment dans son opposition à l’habitat collectif, qui éloignerait les individu.e.s de la nature et ne permettrait pas l’épanouissement personnel14. Or, des projets d’habitat collectif ambitieux sont pensés et réalisés : les représentations que l’on peut s’en faire les rattachent à des idées préconçues et donc faussées.

    Enfin, peut-être faut-il également se pencher sur l’approche, uniquement quantitative, choisie par le législateur. Ainsi, Eric Charmes, dans la revue Etudes foncières, dénonce un débat public alarmiste qui « illustre en réalité un biais en défaveur du périurbain et de l’habitat individuel »15,. Eric Charmes propose de questionner l’artificialisation davantage à travers ses modalités : si on ne peut dénier que l’artificialisation progresse de plus en plus vite, il faudrait plus s’inquiéter de l’émiettement territorial induit par un processus d’étalement urbain relégué sans cesse plus loin16.

    Car si cet émiettement a l’avantage de permettre de concrètement vivre entre ville et campagne, il renforce les effets sur le paysage, la biodiversité et l’agriculture en démultipliant les zones de contacts17.

    1 La Fabrique Écologique. (2021, 14 octobre). Les défis de la lutte contre l’artificialisation des sols. Consulté     le         1          mars     2022,    à                              l’adresse https://www.lafabriqueecologique.fr/les-defis-de-la-lutte-contre-lartificialisation-des-sols/

    2 Légifrance. (2021, août 24). LOI n° 2021–1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. Consulté le 1 mars 2022, à l’adresse https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043956924

    3 La Fabrique Écologique. (2021, 14 octobre). Les défis de la lutte contre l’artificialisation des sols. Consulté     le         1          mars     2022,    à                              l’adresse https://www.lafabriqueecologique.fr/les-defis-de-la-lutte-contre-lartificialisation-des-sols/

    4 Ibid.

    5 Fédération Nationale des SCoT. (2021). Objectif ZAN : Évaluez l’impact sur votre territoire. Objectif-ZAN. Consulté le 16 mars 2022, à l’adresse https://www.objectif-zan.com/#/

    6 Cerema. (2020, 5 novembre). Zéro Artificialisation Nette : de forts enjeux, des leviers d’action pour les acteurs des territoires. Consulté le 16 mars 2022, à l’adresse https://www.cerema.fr/fr/actualites/zero-artificialisation-nette-forts-enjeux-leviers-action

    7 Gouvernement français. (2021, septembre). Le suivi de la consommation d’espaces NAF. Portail de l’artificialisation des sols. Consulté le 23 février 2022, à l’adresse https://artificialisation.developpement-durable.gouv.fr/suivi-consommation-espaces-naf

    8 Consultations publiques. (s. d.). Projet de décret relatif au rapport local de suivi de l’artificialisation des sols. Ministère chargé de la Transition écologique. Consulté le 17 mars 2022, à l’adresse http://www.consultations-publiques.developpement-durable.gouv.fr/projet-de-decret-relatif-au-rapport-l ocal-de-suivi-a2612.html

    9 Étude citée dans F. Fortin (2021, 9 mars), Documents d’urbanisme : une étude souligne la nécessité d’une définition partagée de la « pleine terre », MCM Presse pour Localtis. Consulté le 20 mars 2022 à l’adresse

    https://www.banquedesterritoires.fr/documents-durbanisme-une-etude-souligne-la-necessite-dune-def inition-partagee-de-la-pleine-terre

    10 La Fabrique Écologique. (2021, 14 octobre). Les défis de la lutte contre l’artificialisation des sols.

    11 Voir la rubrique “Recours locaux/“Revue de presse” sur le site de Notre Affaire à Tous

    12 Charmes, E. (2010, mai-juin) La densification en débat, Effet de mode ou solution durable ? Études foncières, 145. https://www.aurm.org/uploads/media/f7018dfe821c61135f2016a5d277c984.pdf

    13Charmes, E. (2010, mai-juin) La densification en débat, Effet de mode ou solution durable ? Études foncières, 145. https://www.aurm.org/uploads/media/f7018dfe821c61135f2016a5d277c984.pdf

    14 La Fabrique Écologique. (2021, 14 octobre). Les défis de la lutte contre l’artificialisation des sols.

    15 Charmes, E. (2013, 31 juillet). L’artificialisation est-elle vraiment un problème quantitatif ?) https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00849424/document

    16 Ibid

    17 Ibid

  • Droit à l’alimentation

    Sommaire

    Introduction : Quelles promesses offre le droit à l’alimentation dans la lutte contre les inégalités climatiques ? 

    I : Le droit à l’alimentation, une notion encore floue?  

     Quelques éléments de définition

    Délimiter le droit à l’alimentation 

    Une apparition progressive du droit à l’alimentation dans les sources normatives 

    II : Vers l’applicabilité du droit à l’alimentation 

    De rares mobilisations du droit à l’alimentation par des cours étrangères

    Les prises de position non contraignantes des Comités onusiens 

    Une protection indirecte du droit à l’alimentation par la CEDH

    Des procès à portée symbolique dans certains cadres nationaux

    III : Comment mobiliser le droit à l’alimentation aujourd’hui ? 

    Par la mobilisation/ le truchement de notions adjacentes 

    Quelques recommandations des instances des Nations Unies 

    Politiques publiques : la proposition du Collectif Sécurité sociale de l’alimentation 

    Conclusion

    Bibliographie

    Table des abréviations

    CADHP : Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples

    CCPR : Comité des droits de l’Homme

    CEDAW : Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes

    CEDH : Cour européenne des droits de l’Homme

    CESDH : Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales

    CODESC : Comité des droits économiques, sociaux et culturels

    CRC : Comité des droits de l’enfant

    OCDE : Organisation de coopération et de développement économiques

    ONU : Organisation des Nations Unies

    PIDCP : Pacte international relatif aux droits civils et politiques

    PIDESC : Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels

    Introduction : Quelle promesse offre le droit à l’alimentation dans la lutte contre les inégalités climatiques ? 

    Le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté a laissé entendre que nous nous dirigions vers un « scénario d’apartheid climatique dans lequel les nantis paient pour échapper à la chaleur excessive, à la faim et aux conflits, tandis que le reste du monde est laissé à sa souffrance » (A/HRC/41/39, par. 51). 

    Les récentes sécheresses et inondations dans la Corne de l’Afrique, en Afrique australe, en Amérique centrale, en Asie, dans les Caraïbes et dans le Pacifique illustrent l’impact de la crise climatique sur les cultures des pays du Sud, annonçant une crise alimentaire croissante. Si la situation des réfugiés climatiques est maintenant plus connue, celle des personnes souffrant d’insécurité alimentaire reste encore confidentielle. Pourtant, cela concernait en 2016 le sort de 31,1 millions de personnes dans la Corne de l’Afrique. Avec la multiplication des événements météorologiques extrêmes, la faim et la malnutrition se présentent comme des enjeux primordiaux, d’autant plus qu’ils rendent explicites les inégalités climatiques qui frappent les pays défavorisés. 

    A l’échelle mondiale, la crise sanitaire du Covid-19 a été pour une partie de la population une crise alimentaire et de subsistance. Les effets économiques causés par la pandémie et l’insuffisance de dispositifs de protection sociale ont engendré une perte soudaine de leur seule source de revenus pour des millions de personnes. Les discriminations et les inégalités de richesse se sont accentuées de manière frappante pendant la première année de la pandémie. Selon le rapport de 2021 sur l’état du droit à l’alimentation et à la nutrition, “le nombre de personnes souffrant de faim a augmenté de 161 millions en seulement un an”. Plus que jamais la question du droit à l’alimentation se pose de manière cruciale, dans un contexte d’enrichissement illimité des grandes fortunes et des multinationales. 

    Malheureusement, le droit à l’alimentation ne fait pas consensus. Selon les ordres juridiques, il est plus ou moins défini, reconnu ou contraignant. De manière générale, ce droit reste faiblement mobilisé, voire totalement inexistant. Pourtant, l’arsenal juridique se renforce progressivement, et ce à tous les niveaux, et les organes juridictionnels ou quasi-juridictionnels font évoluer leur jurisprudence.

    Ainsi, il faut se demander quelle promesse offre le droit à l’alimentation dans la lutte contre le changement climatique ?

    Encore confidentielle, la notion même du droit à l’alimentation demeure floue (I). Cela complique les moyens d’appliquer ce droit devant les juridictions des différents ordres juridiques (II). Il devient donc urgent, aujourd’hui, de savoir s’il est possible de mobiliser le droit à l’alimentation, et par quels moyens (III).

    1. Le droit à l’alimentation, une notion encore confidentielle 

    Il n’existe pas de définition unique du droit à l’alimentation, mais les travaux de l’Organisation des Nations unies (ONU) permettent d’en tracer les contours. 

    Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies (ci-après “CODESC”), chargé du suivi de la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (ci-après “PIDESC”) par les États parties, précise les éléments fondamentaux qui constituent le droit à l’alimentation. Ce sont ces critères, repris par les Conventions internationales ou autres institutions internationales, qui participent à concrétiser une potentielle application de ce droit. 

    Le Rapporteur spécial de l’ONU synthétise ce premier essai de définition dans un rapport sur le droit à l’alimentation datant de 2001 : 

    Le droit à l’alimentation est le droit d’avoir un accès régulier, permanent et libre, soit directement, soit aux moyens d’achats monétaires, à une nourriture quantitativement et qualitativement adéquate et suffisante, correspondant aux traditions culturelles du peuple dont est issu le consommateur, et qui assure une vie psychique et physique, individuelle et collective, libre d’angoisse, satisfaisante et digne”.

    Le Rapporteur spécial revient sur celle-ci dans un nouveau rapport publié le 22 juillet 2020, où il souligne le rôle de l’alimentation dans la vie en communauté et dans le lien que des populations nouent avec leurs terres : 

    “Le droit à l’alimentation ne se cantonne pas au droit de vivre à l’abri de la faim. Il correspond au droit de tout un chacun de célébrer la vie au moyen de repas partagés en communion avec autrui. Une communauté se définit notamment par la question de savoir ce qu’elle mange, comment, quand et avec qui. Ainsi, les communautés se créent grâce au partage de fêtes, de souvenirs, de recettes, de saveurs et de pratiques alimentaires. Les peuples édifient leurs institutions sociales et politiques sur la base de ces pratiques”.

    Contours et contenu du droit à l’alimentation 

    Le CODESC, dans son observation générale n° 12,  définit le droit à l’alimentation comme le droit pour chacun (homme, femme et enfant, seul ou en communauté) de toujours bénéficier d’une nourriture suffisante, disponible et accessible physiquement et économiquement à tout moment. 

    Cette définition permet de dégager plusieurs critères cumulatifs pour constituer le droit à l’alimentation : 

    • L’accessibilité physique et économique :  l’accessibilité économique signifie qu’une personne ou un ménage doit pouvoir acheter des denrées alimentaires sans que cette dépense ne porte atteinte aux dépenses liées aux autres besoins élémentaires. L’accessibilité physique, quant à elle, signifie que toute personne, y compris celles qui sont physiquement vulnérables, doit avoir accès à une nourriture suffisante.
    • La disponibilité de la nourriture : pour cela, cette dernière peut, soit « être tirée directement de la terre ou d’autres ressources naturelles », soit être acheminée du lieu de production jusqu’à l’individu grâce à des systèmes de distribution, de traitement et de marchés opérants.
    • La suffisance et l’adéquation de la nourriture : celle-ci doit être adaptée à la personne qui la consomme, et fournie en quantité suffisante. Elle doit satisfaire aux besoins alimentaires des personnes, compte tenu de leur âge, de leurs conditions de vie, de leur état de santé, de leur profession, de leur sexe etc. 
    • L’exclusion des substances nocives : les gouvernements doivent adopter des normes et mesures de sécurité pour la protection des aliments, que les personnes privées doivent ensuite respecter. Les mesures s’étendent à toutes les étapes de la chaîne alimentaire. 
    • L’acceptation de la nourriture sur le plan culturel ou pour le consommateur : il ne s’agit ici non pas de critère lié à la qualité nutritive des produits, mais au respect de la culture alimentaire (traditions culinaires, religions…) propre à chacun. 
    • La durabilité : les sources des aliments doivent être disponibles pour les générations actuelles, mais aussi futures. 

    Ces six critères permettent de mieux cerner le droit à l’alimentation, et permettent d’harmoniser les divergences de définitions.

    Une apparition progressive du droit à l’alimentation dans les sources normatives 

    Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le droit à l’alimentation fait timidement son apparition dans les sources de droit international visant à protéger les droits fondamentaux. 

    C’est d’abord la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, au paragraphe 1 de son article 25, qui fait du droit à l’alimentation un élément constitutif d’un niveau de vie suffisant, au même titre que les soins médicaux, le logement, ou encore l’habillement. Les composantes de ce droit visent le bien-être et la santé de toute personne, et des membres de sa famille.

    En 1966, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels dote le droit à l’alimentation d’une définition plus précise au paragraphe 2 de son article 11 en reconnaissant “le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture |…] suffisant[e]». En ratifiant le Protocole facultatif au Pacte, adopté en 2008, les Etats reconnaissent la compétence du CODESC en matière de communications individuelles. Cela signifie que les individus peuvent saisir le Comité en cas de violation, par leur État, de leur droit à l’alimentation. 

    Le CODESC lui consacre en 1999 une place importante dans son Observation générale n°12 (précitée), dont la précision de la définition permet de guider l’effectivité du droit à l’alimentation. La Déclaration de Rome sur la sécurité alimentaire mondiale, inspirée des réflexions menées lors du Sommet mondial de l’alimentation de 1996 réaffirme le droit de chaque être humain d’avoir accès à une alimentation saine et nutritive conformément au droit à une nourriture adéquate et au droit fondamental de chacun d’être à l’abri de la faim » dans son premier paragraphe. 

    Le droit à l’alimentation est théorisé et défendu par de nombreuses organisations, l’ONU en première ligne. Cette mobilisation se retrouve au niveau régional dans le Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits de l’Homme (Protocole de San Salvador), dont l’article 12 consacre explicitement le droit à une alimentation adéquate. Certaines constitutions nationales, notamment celle de l’Afrique du Sud, protègent aussi ce droit. Cependant, ces cas de reconnaissance dans des instruments contraignants restent relativement rares. 

    Également bien reconnu et protégé au niveau international, le droit à l’alimentation ne retrouve pas cet arsenal juridique en droit français et en droit européen. Cela rend l’application de ce droit particulièrement difficile, voire hasardeuse.

    1. A la recherche d’une applicabilité du droit à l’alimentation 

    Au niveau international et européen, l’applicabilité par le juge du droit à l’alimentation demeure rare. Certaines cours nationales étrangères reconnaissent ce droit, notamment la Cour constitutionnelle colombienne. Au niveau international, les Comités onusiens reconnaissent le droit à l’alimentation de manière directe ou indirecte. Des procès fictifs, menés par la société civile, cherchent à mettre en lumière l’importance de l’alimentation. Au niveau régional, la Cour européenne des droits de l’Homme (ci-après “CEDH”) ne semble pas disposée à reconnaître pleinement le droit à l’alimentation, contrairement à la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples (ci-après “CADHP”).

    De rares mobilisations du droit à l’alimentation par des cours étrangères existent, comme l’illustre la décision de la Cour constitutionnelle de Colombie du 22 janvier 2004, “Acción de tutela instaurada por Abel Antonio Jaramillo y otros, T-025/04, § 9.4”. Dans son interprétation de la Constitution, la Cour s’est notamment inspiré des travaux du CODESC pour reconnaître un droit à un minimum de subsistance, comprenant la fourniture des aliments essentiels, qui doit être accordé en toutes circonstances aux personnes déplacées sur leur territoire.

    Si ces affaires se révèlent intéressantes pour entrevoir une application du droit à l’alimentation dans des situations de crises, elles restent éminemment spécifiques et peu transposables à d’autres législations nationales.

    L’inapplication en droit interne de nombreuses conventions internationales

    Une des plus grandes difficultés vient du fait que de nombreuses conventions ne sont pas d’application directe en droit interne, soit en totalité, soit partiellement. Cela signifie que le juge interne ne peut pas rendre une décision sur le fondement de cette norme, il ne peut pas l’appliquer au niveau national. En droit français, pour qu’une norme soit applicable directement par le juge, il faut qu’elle soit suffisamment claire et précise, et qu’elle s’adresse aux personnes privées. Or, la plupart des articles du PIDESC, notamment l’article 11 dont découle le droit à l’alimentation, ne remplissent pas ces conditions. Il faut alors passer par d’autres fondements juridiques tels que la torture qui, eux, sont d’application directe et/ou inclus dans les droits nationaux d’une manière ou d’une autre. Cela permet de contourner le problème et de protéger indirectement le droit à l’alimentation. passage sans doute peu clair pour les non initiés. 

    Les prises de position non contraignantes des Comités onusiens 

    Les Comités onusiens prévoient une procédure pour connaître des plaintes individuelles des personnes physiques concernant la violation de leurs droits (seulement si l’État de nationalité du plaignant a ratifié le protocole correspondant). Bien que ces procédures ressemblent fortement aux procès tenus par des cours, les décisions prononcées par les Comités ne sont pas contraignantes. L’Etat n’est pas tenu de les appliquer dans son droit interne, contrairement aux décisions des cours de justice. Ainsi, les Comités onusiens sont qualifiés par la doctrine d’institutions quasi-juridictionnelles.

    Certains Comités, instaurés par les Conventions onusiennes de protection des droits de l’Homme, reconnaissent et protègent le droit à l’alimentation de manière directe. C’est le cas du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (ci-après “CEDAW”). Dans deux décisions  rendues le 24 février 2020, le Comité condamne la Macédoine du Nord pour violation de l’article 12 de la Convention. Les faits, similaires dans les deux affaires, concernaient la destruction d’un campement rom par le gouvernement. Les habitants sont expulsés et ne sont pas relogés dans des conditions convenables. Plusieurs femmes enceintes et mères de jeunes enfants saisissent le CEDAW pour violation de leurs droits. Dans les deux affaires, le Comité conclut à une violation de l’article 12 de la Convention, qui oblige l’Etat à fournir aux femmes une nutrition adéquate pendant la grossesse et l’allaitement. 

    La reconnaissance directe du droit à l’alimentation demeure rare. Dans la plupart des cas, les Comités onusiens utilisent d’autres droits pour le défendre, de manière indirecte. 

    Le Comité des droits de l’Homme (CCPR) mobilise différents fondements juridiques pour protéger le droit à l’alimentation. Le 15 juillet 2019, dans une affaire concernant un enfant népalais arrêté et torturé par les autorités lors de sa détention, le Comité s’est fondé sur l’article 7 du PIDCP, lequel prévoit l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. L’enfant ne mangeait qu’un jour sur deux, et la nourriture était insalubre. Cela était un élément justifiant la condamnation du Népal.

    Dans une autre affaire, le Comité s’est fondé sur l’article 17 du PIDCP (protection de la vie privée) pour condamner le Paraguay. En l’espèce, une petite communauté d’agriculteurs vivait à côté de grandes exploitations agricoles, lesquelles utilisaient des pesticides interdits par la loi paraguayenne. De nombreux membres de cette communauté sont tombés malades, et l’un d’eux est décédé. Le Comité déclare que 

    “l’Etat partie n’a pas procédé à des contrôles adéquats des activités illégales qui étaient source de pollution. [C]e manquement […] a permis la poursuite des fumigations massives et contraires à la réglementation interne […] qui ont provoqué non seulement la contamination de l’eau du puits du domicile des auteurs, […] mais aussi la mort des poissons et des animaux d’élevage et la perte de cultures et des arbres fruitiers sur les terres sur lesquelles les auteurs vivent et qu’ils cultivent, qui sont des éléments constitutifs de leur vie privée et familiale et de leur domicile”.

    Ainsi, le manque de surveillance de l’État du respect des normes environnementales constitue une immixtion arbitraire dans la vie privée des agriculteurs. Le Paraguay a violé l’article 17 du PIDCP.

    Le Comité des droits de l’enfant (CRC) se fonde principalement sur l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants pour reconnaitre le droit à l’alimentation. C’est le cas dans une décision de 2019. Dans cette affaire, un enfant avait tenté de franchir la frontière de l’enclave espagnole de Melilla. Il a été arrêté par les autorités espagnoles et renvoyé directement au Maroc. Le CRC déclare qu’avant de refouler un enfant, l’Etat à l’obligation d’évaluer s’il peut subir un dommage irréparable et doit tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, notamment les conséquences qu’une alimentation insuffisante dans le pays de destination pourrait avoir sur lui. L’Espagne a été condamnée sur le fondement de l’article 37 de la Convention relative aux droits de l’enfant, pour avoir manqué à cette obligation.

    Invocation des décisions des comités onusiens de protection des DH devant les juridictions internes :

    Les décisions des Comités onusiens ne sont pas contraignantes. Elles ont tout de même une certaine valeur. De plus, les Etats parties ont une obligation générale de coopérer avec les Comités, dont découle une obligation de prêter attention et de réagir aux décisions. 

    Il serait donc envisageable que devant les juridictions internes, les personnes privées invoquent les décisions des Comités pour inciter les Etats à réagir.

    En France, les juridictions prennent en considération les décisions mais ne leur donnent pas d’effet contraignant. (exemple : Conseil d’Etat, 1er avril 2019, n° 417652, Cour de cassation, Ass. plén., 28 juin 2019, no. 19-17.330, 19- 17.342, affaire Vincent Lambert).

    Cependant, certains Etats, tels que l’Espagne, considèrent que les décisions des Comités sont contraignantes. Le Tribunal Suprême espagnol avait conclu, en 2018, que les décisions et les mesures provisoires ordonnées par le CEDAW ont un caractère obligatoire en Espagne. C’est une décision progressiste, qui pourrait peut-être inciter les juridictions françaises à faire de même.

    Dans tous les cas, les prononcés peuvent être invoqués devant les juridictions internes pour faire pression, même si les Cours ne sont pas obligées de s’y conformer.

    Finalement, les Comités onusiens reconnaissent assez largement le droit à l’alimentation, que ce soit de manière directe ou indirecte. Le problème est que leurs décisions ne sont pas contraignantes devant les juridictions internes françaises.

    Ici, il convient d’expliquer que le caractère contraignant de la décision fait référence au contenant, à l’instrument qui contient le raisonnement du Comité. Il se distingue du caractère obligatoire de la décision, qui se rapporte au contenu, au fond. Il est possible que le contenu dispose d’un tel rayonnement, d’une telle valeur, qu’il en devient obligatoire pour l’Etat, même si l’instrument qui le contient n’est, lui, pas contraignant.

    Cette distinction peut aussi s’appliquer aux décisions des Comités. Les Etats, en ratifiant les protocoles additionnels aux Conventions onusiennes prévoyant les mécanismes de communications individuelles, ne s’engagent pourtant pas à respecter les décisions des Comités. Celles-ci n’ont pas de caractère contraignant. Or, il est possible de relever un certain caractère obligatoire. Si les Etats acceptent la procédure de communication individuelle, c’est  probablement l’illustration d’une certaine volonté à respecter et suivre les décisions des Comités. La décision serait alors non contraignante et obligatoire.

    La limite au caractère obligatoire est que l’Etat peut décider de ne pas respecter une décision : il serait alors dans son droit, du fait de l’absence de caractère contraignant. Ainsi, la portée des décisions des Comités reste limitée.

    Une protection indirecte du droit à l’alimentation par la CEDH

    La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (ci-après “CESDH”) ne garantit pas le droit à l’alimentation. Il n’y a donc pas de fondements juridiques sur lesquels la CEDH puisse protéger directement ce droit. Elle est obligée de recourir à la méthode de protection par ricochet, indirecte, en utilisant un autre droit reconnu par la CESDH. 

    Ainsi, la Cour s’est fondée sur l’article 3 de la CESDH interdisant les traitements inhumains et dégradants, ainsi que la torture pour protéger le droit à l’alimentation. Elle s’est aussi fondée sur l’article 8 qui protège la vie privée. Dans ces deux cas, le droit à l’alimentation n’est pas explicitement mentionné, et il semble qu’il n’est pas ce que la Cour cherche à protéger en premier lieu. En effet, la Cour n’invoque les carences de nourritures que pour aider à caractériser les violations des articles 3 et 8. Ce n’est jamais un élément central du raisonnement, mais plutôt un indice supplémentaire. 

    Un exemple intéressant serait la décision d’irrecevabilité CEDH, Budina c. Russie, 18 juin 2009 : la requérante invoquait une violation de l’article 3 de la CEDH car sa pension de retraite était trop faible pour survivre. Dans son raisonnement, la Cour examine le niveau de la pension : celle-ci lui permet de se loger et de se nourrir (mais pas d’acheter des vêtements ou d’avoir accès à des services culturels). Elle avait accès à des services médicaux, ce qui a permis à la Cour de confirmer que le niveau de pension ne créait pas de souffrances concrètes incompatibles avec la dignité humaine. Toutefois, le raisonnement est intéressant car, même si ce n’est pas le cas ici, cela laisse entendre que la difficulté d’accès à la nourriture (entre autres) pourrait être contraire à la dignité humaine.

    Le droit à l’alimentation semble pouvoir être protégé sous le couvert de la liberté religieuse (article 9 CESDH). Dans cette affaire, un détenu boudhiste était forcé de manger de la viande, ce qui est contraire aux règles de sa religion. La CEDH fait de l’alimentation adéquate un élément central de son raisonnement. En ne fournissant pas une nourriture adaptée à la religion du détenu, la Pologne a été condamnée pour violation de l’article 9. Dès lors, dans ce cas, il semblerait que la Cour protège, d’une certaine façon, le droit à l’alimentation adéquate par ricochet.

    Finalement, les jurisprudences de la Cour ne sont pas très concluantes. La plupart du temps, elle ne cherche pas à protéger le droit à l’alimentation, elle semble s’en servir comme un indice, un critère pour caractériser une autre violation. La seule protection par ricochet se fait sous le couvert de l’article 9. 

    Plus généralement, au-delà de l’aspect de la religion, il convient également d’ajouter toute la protection liée à l’alimentation et la nourriture pour les personnes privées de liberté (en prison, rétention, etc).. Par exemple, la décision CEDH, Ebedin Abi c. Turquie, 13 mars 2018 condamne la Turquie car le prisonnier n’avait pas accès à l’alimentation qui lui était médicalement prescrite. Celui-ci avait de nombreux problèmes de santé grave, notamment un diabète de type 2 et des problèmes cardiaques. Il devait suivre un régime alimentaire strict, riche en volaille et en légume. Or, le centre pénitentiaire refuse de fournir des repas conformes au régime du détenu, malgré plusieurs demandes de ce-dernier. Cela a entraîné une détérioration de sa santé, La Cour déclare une violation de l’article 3 qui implique une protection de l’intégrité physique des personnes emprisonnées et de prendre les mesures nécessaires pour la santé et le bien-être de la personne. En cas d’alimentation non conforme aux prescriptions médicales, il y a donc manquement au devoir d’ « assurer des conditions de détention adéquates et respectueuses de la dignité humaine”. 

    La Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples, quant à elle, est beaucoup plus audacieuse, dans son rapport avec le droit à l’alimentation. Dans l’affaire du peuple Ogoni, la Commission affirme que le droit à l’alimentation est inséparable de la dignité humaine. Ce droit est protégé implicitement par le droit à la vie, le droit à la santé et le droit au développement économique, social et culturel, respectivement contenus dans les articles 4, 16 et 22 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples. Le droit à l’alimentation entraîne, pour le Nigeria, une obligation de protection et de développement des sources de nourritures existantes, ainsi qu’une obligation de garantir l’accès à une nourriture adéquate pour tous les citoyens. Or, en autorisant des compagnies pétrolières à détruire les sources de nourriture du peuple Ogoni, le gouvernement a violé les trois obligations découlant du droit à l’alimentation. 

    Les cours régionales n’ont pas toutes la même approche du droit à l’alimentation. La CADHP n’hésite pas à consacrer ce droit, mais la CEDH est plus réticente.

    Des procès à portée symbolique

    En octobre 2016, à La Haye, l’Assemblée des peuples, tribunal citoyen informel concernant le géant américain Monsanto a mené ses travaux. Il s’agissait d’un procès citoyen, sans reconnaissance officielle, dont le but est d’alerter l’opinion et de faire avancer le droit.

    Ce tribunal a réuni cinq juges issus de différents continents, doit respecter les opinions contradictoires et émettre des avis juridiques. Des experts et des personnes se présentant comme victimes liées aux produits de Monsanto se sont succédés pour débattre de ses impacts sur la santé, sur les sols et les plantes, la santé animale, la biodiversité, l’agriculture et la sécurité alimentaire. La firme est régulièrement mise en cause pour la diffusion de ses semences OGM et de ses produits phytosanitaires. 

    Le tribunal d’opinion  a rendu son avis consultatif le 18 avril 2017. La compagnie américaine a été reconnue coupable de pratiques portant atteinte à de nombreux droits fondamentaux. Monsanto a été reconnue responsable  de crimes contre l’humanité et d’écocide (notamment par la commercialisation de produits toxiques causant la mort de milliers de personnes comme l’agent orange, l’herbicide pulvérisé par avion par l’armée américaine durant la guerre du Vietnam). Monsanto a rejeté l’assemblée de La Haye. 

    L’avis consultatif relève que le droit à l’alimentation est reconnu en droit international (art. 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, art. 24.2 (c) et (e) et 27.3 de la Convention relative aux droits de l’enfant, art. 25 (f) et 28.1 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes). Les entreprises ont en outre la responsabilité de respecter ce droit, notamment par application des Principes directeurs pour les entreprises multinationales de l’OCDE et des Principes directeurs sur les entreprises et les droits de l’homme. L’avis conclut que Monsanto s’est engagée dans des pratiques qui ont un impact négatif sur le droit à l’alimentation, en ce qu’elles conduisent à affecter la disponibilité de l’alimentation pour les individus et les communautés et à réduire leur capacité à se nourrir par eux-mêmes directement ou à choisir des semences non génétiquement modifiées. 

    1. Le tribunal rappelle que le droit à un environnement sûr, propre, sain et durable est reconnu en droit international. Pas moins de cent quarante États ont consacré ce droit au niveau constitutionnel, ce qui en fait une norme de droit international coutumier.
    1. Le tribunal rappelle que le droit de jouir du meilleur état de santé possible est reconnu en droit international (art. 12 du Pacte international préc., art. 24 de la Convention préc.). Il est lié à d’autres droits fondamentaux, tels que le droit à l’alimentation, à l’accès à l’eau et à l’assainissement ou encore à un environnement sain.
    1. L’avis relève que la liberté indispensable à la recherche scientifique est garantie en droit international (art 15, § 3, du Pacte international préc.). Le droit à la liberté de la recherche scientifique est intimement lié au droit à la liberté de penser, d’expression et au droit à l’information. Cette liberté est indispensable pour la protection des droits à l’alimentation, à l’eau et à un environnement sain et pour que les chercheurs puissent s’exprimer librement et soient protégés lorsqu’ils agissent comme lanceurs d’alerte. 

    Le but de ce tribunal est d’avertir sur la nécessaire amélioration du droit international afin de mieux protéger l’environnement. Aucun effet contraignant n’est donné à cet avis, ni même aucune condamnation a été prononcée contre Monsanto. Cependant la symbolique portée par ce procès, se déroulant dans deux instances emblématiques du droit international, laisse à penser que la protection des droits fondamentaux en lien avec l’environnement doit enfin se trouver dans l’arsenal juridique. phrase à reformuler 

    III. Comment mobiliser le droit à l’alimentation aujourd’hui ? 

    Le droit à l’alimentation, de par ses spécificités et la complexité du système dont il dépend, trouve difficilement son applicabilité par les recours juridiques actuels. D’autres pistes sont envisagées pour tendre vers un accès à une alimentation durable pour toutes et tous, dans un mouvement conjoint d’action politique et juridique. 

    Garantir le droit à l’alimentation par le truchement de notions adjacentes 

    Plusieurs notions adjacentes au droit à l’alimentation ont été déployées pour tendre vers des objectifs sensiblement similaires. 

    La sécurité alimentaire, approche fondée sur les droits humains, rompt avec d’une part la posture d’urgence, voire d’assistanat, dans laquelle se situe l’aide alimentaire et d’autre part avec une posture technologiste et productiviste d’évolution des conditions de production de la nourriture. 

    Cette notion a été employée dans la Loi sur la sécurité alimentaire (“Food Security Act”) qu’a adoptée l’Inde pour traiter le problème de la faim et de la malnutrition. Ce programme de distribution alimentaire visant à attribuer une certaine quantité de féculents, blé et riz à près de 820 individus, rend compte d’une première tentative de mettre en place une sécurité alimentaire à grande échelle. 

    Bien que cette mesure politique ne fait pas office de protection directe du droit à l’alimentation, la Cour suprême indienne a pu tenter de renforcer l’effectivité de celui-ci. Lors d’une décision de 2001, elle a reconnu par le truchement du droit à la vie, une valeur constitutionnelle au droit à l’alimentation. Ce litige a eu lieu dans le cadre d’un Public Interest Litigation, procédure par laquelle tout justiciable peut porter un pourvoi devant la Cour suprême s’il estime que ses droits fondamentaux ont été bafoués. La Cour a ainsi rendu une décision intéressante en termes d’applicabilité du droit à l’alimentation, en se basant sur les obligations auxquelles l’Inde s’était engagée en ratifiant le PIDESC. Il n’en reste que l’effectivité de ce droit reste aux mains du gouvernement, faute de normes contraignantes. 

    En France, bien que ni le droit à l’alimentation, ni celui d’être à l’abri de la faim ne soient reconnus juridiquement, des politiques alimentaires sont aussi mises en place pour tendre vers une certaine effectivité. C’est ici, dans une éventuelle mise en œuvre d’un droit à l’alimentation, que la notion de démocratie alimentaire paraît aussi intéressante : elle met l’accent sur l’idée de penser ce droit à partir de tous les acteurs et actrices de la chaîne, de la production à la consommation, en prenant en compte les enjeux environnementaux. Le professeur Tim Lang, qui a théorisé la notion de “démocratie alimentaire”, l’utilise en contrepoint de “contrôle alimentaire”, politique conjointe des capitaux privés et des gouvernements, « pour souligner la grande lutte au cours des siècles , dans toutes les cultures, pour permettre à tous les citoyens d’avoir accès à une alimentation décente, abordable et bénéfique pour la santé, cultivée dans des conditions dans lesquelles ils peuvent avoir confiance. ». 

    Ces notions sont ainsi autant de portes d’entrées pour nourrir l’effectivité d’un droit à l’alimentation, tant d’un point de vue politique, technique que démocratique. 

    Renforcer les outils relatifs au droit à l’alimentation : quelques recommandations

    Les questions liées au droit à l’alimentation touchent la  justiciabilité du droit à l’alimentation, les droits et l’autonomisation des femmes, les changements climatiques, la malnutrition, les catastrophes naturelles et l’aide humanitaire, les conflits et la famine, les travailleurs des secteurs de l’agriculture et de la pêche et les objectifs de développement durable. 

    La mondialisation des systèmes alimentaires peut potentiellement contribuer à augmenter la disponibilité et la diversité des aliments, et permettre ainsi de lutter contre l’insécurité alimentaire et la malnutrition.  En effet, pour l’instant, cette mondialisation a l’effet inverse et contribue plutôt à la marginalisation des petits exploitants agricoles et paysans, à la  “supermarchisation” de l’alimentation et à la hausse des taux de malnutrition. Les travailleurs sont exploités et de plus en plus d’individus sont exposés à des pesticides toxiques.

    ​​Les ressources naturelles telles que l’eau, les forêts, les savanes, les terres agricoles et les pâturages sont souvent gérées collectivement selon les règles du droit coutumier. Le contrôle du marché se renforçant, ces terres font l’objet d’investissements agricoles dans le cadre du phénomène mondial d’« accaparement des terres » (Transnational Institute, « The global land grab: a primer » 2012). Ainsi, une perte de la biodiversité et une dégradation de l’environnement s’opère qui va de pair avec des conflits et crises alimentaires.

    Les personnes dont l’alimentation et la subsistance dépendent directement du secteur agricole sont particulièrement vulnérables, et les inégalités fondées sur le sexe, l’âge, le lieu, la race, l’appartenance ethnique et la situation migratoire sont accentuées. Les conflits sont en outre un moteur de migrations. 

    Un exemple frappant : Deux tiers des situations d’insécurité alimentaire aiguë dans le monde s’expliquent par les crises en Afghanistan, en Éthiopie, dans le nord du Nigéria, en République arabe syrienne, en République démocratique du Congo, au Soudan du Sud et au Yémen.  

    Bien que ceux qui affament délibérément des populations restent très souvent impunis, la communauté internationale a récemment pris des mesures pour que les États soient tenus responsables des violations du droit à l’alimentation en temps de guerre. Ainsi, en 2018, le Conseil de sécurité a adopté à l’unanimité la résolution 2417 (2018), qui condamne l’utilisation de la famine comme méthode de guerre et les refus illicites d’accès humanitaire aux populations civiles. Dans sa résolution, le Conseil a souligné le lien entre l’insécurité alimentaire provoquée par les conflits et le risque de famine, et a demandé aux parties aux conflits armés de se conformer au droit international humanitaire. 

    Transformer le système de l’alimentation : la proposition du Collectif Sécurité sociale de l’alimentation 

    Prenant le parti pris de rassembler toutes les parties prenantes de la production alimentaire, le collectif Sécurité Sociale de l’alimentation souhaite réfléchir à une transformation du système alimentaire. Sur le même modèle que celui de la Sécurité Sociale pour la santé, il s’agirait de garantir un accès à l’alimentation durable pour toutes et tous, et en faire un enjeu démocratique majeur.  

    Conclusion : pistes de réflexion et d’actions 

    Si le droit à l’alimentation peine déjà à être reconnu comme un droit fondamental à part entière, son application semble difficilement envisageable, tant devant les juridictions internes que internationales. 

    Quelques pistes restent intéressantes, comme la protection indirecte par ricochet du droit à l’alimentation devant la CEDH. Il semblerait que l’action ait le plus de chances de porter ses fruits si la requête se fonde sur l’article 9 de la CEDH, relatif à la liberté religieuse, par exemple, ou encore sur l’article 3  interdisant les traitements inhumains et dégradants et l’article 8 sur le droit au respect de la vie privée. Enfin, une piste de réflexion serait l’article 2 de la CEDH portant sur le droit à la vie. Quelles seraient les répercussions suite à des décès car les personnes n’ont pas pu se nourrir faute d’accès physique ou financier à l’alimentation ?

    Un élément intéressant qui ressort de tout cela, est l’interdépendance des droits humains : les juridictions utilisent d’autres droits pour protéger le droit à l’alimentation. Finalement, sans alimentation correcte, il n’y a pas de droit à la santé. Et sans environnement sain, il n’y a pas de droit à l’alimentation. Une piste de réflexion sur la reconnaissance et la défense des droits humains, y compris celui à l’alimentation….

    Au niveau international, les comités onusiens sont novateurs et reconnaissent, directement ou indirectement, le droit à l’alimentation. Bien que les prononcés de ces organes ne soient pas contraignants, il peut tout de même être intéressant de saisir ces institutions, car leurs décisions peuvent ensuite être invoquées devant les juridictions internes et européennes pour venir renforcer l’argumentaire des requérants. Cela pourrait conduire de nouvelles juridictions à reconnaître ce droit.

    Enfin, certes le droit à l’alimentation fait l’objet d’une application timide en droit interne mais certaines pistes sont à creuser. D’une part, les décisions du Tribunal Administratif de Lille concernant les distributions de nourriture aux exilés sur le littoral semblent puiser dans un droit à l’alimentation. En effet, une ordonnance du 22 mars 2017, n°1702397, a annulé l’interdiction des distributions alimentaires sur le fondement que “les mesures litigieuses, qui ont pour effet de priver une population en très grande précarité d’une assistance alimentaire vitale, ne sont ni adaptées, ni nécessaires, ni proportionnées au regard du but réellement poursuivi et des constatations effectuées à ce jour”. D’autre part, une autre piste est le contentieux autour de l’accès à la cantine scolaire pour tous les enfants, y compris sur la question d’accès financier.

    Il y a donc, dans une certaine mesure, une prise en compte de la question de l’alimentation dans le contrôle de proportionnalité effectué par les juridictions françaises. Ou du moins, une tentative en ce sens.  

    Annexes

    I. Entretien avec Démocratie alimentaire / Collectif SSA

    Dominique Paturel & Patrice Ndiaye 

    Qui êtes vous ? 

    Nous sommes dans le collectif SSA par le biais d’un collectif Démocratie alimentaire, créé à la fin du séminaire de recherche qu’on a mené avec Patrice et qui a nécessité qu’on trouve un prolongement qui soit dans cet espace science-société. Ce n’est pas complètement du côté de la recherche qui nécessiterait qu’on soit dans un laboratoire, et ce n’est pas non plus complètement du côté des actions et initiatives collectives en tant que telles. C’est une position assez difficile à tenir car nous rencontrons le problème de travailler avec une approche systémique en prenant en compte les quatre acteurs indispensables au système alimentaire, là où le collectif a une entrée essentiellement agricole.

    Comment mobilisez-vous le droit à l’alimentation à travers l’action de votre collectif ?

    Fondamentalement, aujourd’hui on est dans un moment particulier dans la façon de poser des nouveaux droits sociaux. L’alimentation est un bon exemple : en France, dès qu’on touche au droit social, la question de l’universalité est fondamentale. Il faut la prendre en compte.

    En ce qui concerne le droit à l’eau, cela pourrait se traduire par des politiques publiques qui décideraient, par exemple, que les 10 premiers 10m3 seraient gratuits. Même s’il existe des qualités d’eau différentes sur le territoire, on est tous dans un pays qui a accès à une eau potable.

    Sur l’alimentation, on ne peut pas réfléchir comme ça. La question de l’accès universel se confronte à la diversité des régimes alimentaires. Pas seulement à des échelles de cultures, mais simplement par rapport à des groupes d’âges : un nourisson mangera différemment d’un adolescent, ou d’une femme âgée.

    D’ailleurs, dans l’aide alimentaire, ce sujet n’est pas du tout traité : les nourrissons ont la même aide alimentaire que celle des adultes, au nom de l’universalité. Il y a une tension entre cette universalité et la prise en compte des besoins identifiés. Contrairement à la façon qu’on a pu avoir de réfléchir jusqu’à maintenant, cette tension n’est pas à résoudre actuellement. Cela nous oblige à sortir du paradigme de pensée habituel binaire “universel/différentiel”.

    Une deuxième chose, qui touche autant les questions d’alimentation que d’énergie, le problème est que le référentiel est soit les droits humains (dont droit à l’alimentation), soit de droit à la santé. Or les droits humains sont subalternes aux droits commerciaux, donc la question ne se pose pas : lorsqu’ils rentrent en conflits avec ces droits là, ils sont considérés comme mineurs. Ici se manifestent les enjeux entre droit de l’alimentation et droit à l’alimentation.

    A partir des constitutions dans lesquelles nous sommes, le droit à la santé est considéré comme un droit absolu. Si on rentre sur ces questions, il faut donc partir du droit à la santé, c’est-à-dire aborder la question de la pauvreté, c’est-à-dire, partir depuis le biais des inégalités.

    C’est un problème dans un pays où l’égalité est fondamentale pour justifier l’universalité. Cela nécessite de se demander : qu’est ce qui fait tort à l’égalité ?

    On est davantage sur le fait de constater cette tension, et de la prendre comme telle dans un continuum de réponses.

    Si l’on ne renouvelle pas notre vision du droit à l’alimentation, on a pour unique solution de moderniser l’existant, le fait de reconnaître des inégalités nouvelles, et d’y répondre par une modernisation des politiques sociales. C’est ce qui se fait depuis les années 80.

    On est dans une période rude pour les chercheurs-ses de recherche impliquée. En l’espace de 5 ans, tout notre travail est traduit en droit commercial. Je fais partie des courants classiques français autour de la critique sociale, et aujourd’hui cette critique se transforme en segment de marché quasi immédiatement.

    Notre travail sur le droit à l’alimentation a eu un effet insupportable, celui d’être rapatrié par les associations luttant contre la pauvreté, au nom de la dignité. Au-delà de ça, il n’y a jamais de dénonciation de ce droit et de sa non application.

    Magali Ramel soutient sa thèse sur le droit à l’alimentation, dans laquelle elle analyse comment ce droit pourrait avoir des voies d’application et n’est pourtant pas appliqué en France.

    Nous sommes aussi arrivées à des conclusions similaires : les seules marges de manœuvre reposent sur des protocoles, des déclarations, des conventions, qui ont pu amorcer les fondements juridiques d’une responsabilité étatique mais qui n’offrent pas de voies solides à une réelle application, ou de transformations concrètes en des politiques publiques.

    La réponse de la France au droit à l’alimentation est l’aide alimentaire. Cette filière de l’aide alimentaire s’est mise en place dans une période précise, milieu des années 80, lorsque la crise économique était largement visible dans ses 1ers effets. Cette filière a aussi son rôle dans le soutien économique à l’agriculture, qui représente une part importante du PIB. On peut même observer que la construction de la filière de l’alimentaire correspond au moment de l’arrêt de l’aide alimentaire internationale au sein de la politique agricole commune. On peut donc supposer un recyclage de cette filière, à l’échelle nationale et européenne.

    Mais nous n’avons pas accès aux textes et débats concernant ce sujet, et surtout nous n’avons pas la possibilité de nous entretenir avec les fonctionnaires de l’Union européenne. Cela montre aussi la puissance du lobby agricole qui pendant toutes ces années ont permis que l’aide alimentaire soit comprise dans la PAC.

    Comment est ce que vous incluez la question de la durabilité dans le droit à l’alimentation ? Comment définissez-vous ce caractère durable et quels sont les leviers essentiels pour le concrétiser ?

    L’entrée pour le droit à l’alimentation, c’est la démocratie, dans une société qui fonctionne par le droit. Pour moi, la démocratie alimentaire évoque 2 entrées : celles des actions collectives, qui permettent de se réapproprier les systèmes alimentaires (SSA, Amap, jardins) et celle de l’entrée par le droit, qui est fondamental pour faire avancer la question.

    Nous revendiquons un “droit à l’alimentation durable” pour marquer la rupture avec le droit à l’alimentation tel qu’il est qualifié dans les droits humains. Cette proposition s’inscrit dans la façon dont s’est définie l’alimentation durable, à la fin des années 1990.

    On a repris notamment la définition donnée par la FAO, qui inclut l’idée de “systèmes alimentaires”. C’est l’idée de partir de ce qu’il y a dans nos assiettes et de reconnecter ça avec les conditions de production de cette alimentation. Cette démarche transforme notre manière de voir ce qui se passe.

    Selon vous, quelle place le droit peut-il jouer dans la lutte pour l’accès à une alimentation durable pour toutes et tous ?

    On se pose la question de l’intérêt général, qui est une notion qu’on peut travailler d’un point de vue juridique. Un travail important a été fait sur l’analyse des obligations qui existent à l’échelle des collectivités territoriales. La notion de service public local est aujourd’hui mobilisée pour une expérimentation d’un “service public local de l’alimentation” au sein de la commune de Grande-Synthe.

    Notre hypothèse sur cette expérimentation : avec cette approche systémique, cette tension identifiée mais non résolue, ce service public local pose la question de la coordination des politiques publiques de l’alimentation. Il a déjà beaucoup d’initiatives autour de l’agriculture, de la santé et de l’écologie : comment rapatrier ces questions dans un espace qui permettrait d’en construire et d’en élaborer une politique publique ?

    Nous pourrions avoir ces espaces à l’échelle d’une région, d’une intercommunalité : des échelons qui travaillent la restauration collective publique.

    Et derrière ces échelons, la proposition politique est de travailler à une confédération de démocraties alimentaires. Partir des groupes locaux d’alimentation durable à l’échelle des bassins de vie, quitte à ce que ces groupes se regroupent pour former une caisse de sécurité sociale.

    Il s’agit d’éviter de reproduire le modèle de la démocratie représentative qui favorise la prise de pouvoir par les groupes dominants habituels. Autrement, cela continuera d’exclure les familles à petit budget, les femmes, et laissera la parole aux représentants traditionnels.

    Dans les groupes dans lesquels on travaille, certaines jeunes femmes ont proposé un “double système” basé sur le bassin de vie avec des propositions de vie démocratique varié, qui ne se limitent pas au tirage au sort, et basé sur des groupes spécifiques non mixtes.

    Il y a aussi les voix des enfants et adolescents à inclure, d’abord parce qu’ils seront responsables du monde de demain, et parce qu’il y a un gros enjeu de reconnexion avec les mécanismes de la démocratie collective.

    En effet, l’alimentation est un sujet dont tout le monde peut se saisir, dont les adolescents et enfants qui ont peu de regard sur le choix de leur alimentation.

    L’enjeu qui a là est autant l’enjeu de la transformation que celui de la transition. Si on veut réduire la consommation de viande, il faut aussi penser l’après.

    II. Textes officiels 

    A : Conventions et traités :

    Conventions et traités internationaux

    • Pacte international relatif aux droits civils et politiques, New York, adopté le 16 décembre 1966.
    • Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, New York, adopté le 16 décembre 1966.
    • Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes, New York, adoptée le 18 décembre 1979.
    • Convention relative aux droits de l’enfant, New York, adoptée le 20 novembre 1989.

    Conventions et traités régionaux

    • Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, Rome, adoptée le 4 novembre 1950.
    • Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits de l’Homme traitant des droits économiques, sociaux et culturels “Protocole de San Salvador”, San Salvador, adopté le 17 novembre 1988.

    B : Textes des organes onusiens

    Assemblée générale des Nations unies

    • AGNU, Déclaration universelle des droits de l’Homme, résolution A/RES/217.A(III), 10 décembre 1948.
    • AGNU, Le droit à l’alimentation – Note du Secrétaire général, résolution A/56/210, 23 juillet 2001, 32 p.

    Comités des Conventions onusiennes

    • CESCR, Le droit à une nourriture suffisante (art. 11), observation générale n°12, 1999, E/C.12/1999/5, 10 p. 

    Autres entités du système onusien

    • FAO, Déclaration de Rome sur la sécurité alimentaire mondiale, Rome, 13 novembre 1996.
    • Rapporteuse spéciale sur le droit à l’alimentation, Réflexion analytique sur les systèmes alimentaires, les crises alimentaires et l’avenir du droit à l’alimentation, rapport, 21 janvier 2020, A/HRC/43/44, 23 p.

    III : Bibliographie

    A : Ouvrages et manuels

    • I. ALVAREZ VISPO, L. MICHELE et A. R. SABANGAN, Rapport sur l’état du droit à l’alimentation et à la nutrition, Réseau mondial pour le droit à l’alimentation et à la nutrition, juillet 2021, 45 p.
    • Thivet, Delphine. « Chapitre 9. La constitutionnalisation d’un droit à l’alimentation en Inde », Antoine Bernard de Raymond éd., Un monde sans faim. Presses de Sciences Po, 2021, 253-278 pp.
    • D. PATUREL, M.-N. BERTRAND et C. DELGA, Manger, plaidoyer pour une sécurité sociale de l’alimentation, Paris, Arcane17, 2020, 127 p.
    • D. PATUREL et P. NDIAYE (dir.), Le droit à l’alimentation durable en démocratie, Nîmes, Champ social éditions, 2020, 242 p.

    B : Thèses

    • B. BONZI, Faim de Droits, le don à l’épreuve des violences alimentaires, thèse soutenue le 18 juin 2019 à l’EHESS.
    • B. CLEMENCEAU, Le droit à l’alimentation, thèse soutenue le 2 septembre 2020 à l’Université Paris-Est-Créteil.

    C : Articles 

    • P.-E. BOUILLOT, « L’absence de considérations du droit à l’alimentation dans la construction du droit de l’alimentation », Droit et société, vol. 101, n° 1, 2019, pp. 53-69.
    • C. NIVARD, “Le droit à l’alimentation”, La Revue des droits de l’Homme, 2012, n° 1, pp. 245-260.
    • D. PATUREL et M. RAMEL, « Éthique du care et démocratie alimentaire : les enjeux du droit à une alimentation durable », Revue française d’éthique appliquée, vol. 4, n° 2, 2017, pp. 49-60.
    • G. POISSONNIER, « Tribunal international de Monsanto : portée de l’avis consultatif », Recueil Dalloz, 2017, p. 1123.

    D : Rapports

    • “Un droit à la cantine scolaire pour tous les enfants”, Rapport du défenseur des droits, mai 2019. 

    IV : Jurisprudence

    Jurisprudence régionale

    Cour européenne des droits de l’Homme

    • CEDH, Z et autres c. Royaume-Uni, arrêt, 10 mai 2001, requête n° 29392/95.
    • CEDH, Gagiu c. Roumanie, arrêt, 24 mai 2009, requête n° 63258/00.
    • CEDH, Jakobski c/ Pologne, arrêt, 7 décembre 2010, requête n° 18429/06.
    • CEDH, Florea c. Roumanie, arrêt, 14 décembre 2010, requête n° 37186/03.
    • CEDH, Ebedin Abi c. Turquie, 13 mars 2018, requête n° 10839/09

    Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples

    • CADHP, Social and Economic Rights Action Center, Center for Economic and Social Rights c. Nigeria, 13 octobre 2001, Com. 155/96.

    Jurisprudence nationale 

    Colombie 

    • Cour constitutionnelle de Colombie, Acción de tutela instaurada por Abel Antonio Jaramillo y otros, 22 janvier 2004, T-025/04.

    France

    •  Tribunal administratif de Lille, 22 mars 2017, n°1702397 

    Prononcés des Comité onusiens

    • CCPR, Bholi Pharaka c. Népal, 15 juillet 2019, CCPR/C/126/D/2773/2016.
    • CCPR, Caceres et al. c. Paraguay, 25 juillet 2019, CCPR/C/126/D/2751/2016.
    • CEDAW, L.A. et al. c. Macédoine du Nord, 24 février 2020, CEDAW/C/75/D/110/2016. 
    • CEDAW, S.N. et E.R. c. Macédoine du Nord, 24 février 2020, CEDAW/C/75/D/107/2016.
    • CRC, D.D. c. Espagne, 31 janvier 2019, CRC/C/80/D/4/2016.
  • CP / Directive sur le devoir de vigilance des entreprises : la proposition enfin dévoilée par la Commission doit impérativement être améliorée

    Paris, le 23 février 2022 – Après de nombreux reports, la Commission européenne vient de publier sa proposition de directive imposant aux entreprises un devoir de vigilance en matière d’atteintes aux droits humains et à l’environnement. Si elle marque une première étape attendue de longue date par la société civile, cette proposition présente en l’état une série de lacunes qui menacent sérieusement sa portée. Il revient désormais au Parlement et au Conseil d’améliorer le texte.

    Cinq ans après l’adoption de la loi pionnière sur le devoir de vigilance des sociétés-mères et des entreprises donneuses d’ordre, la proposition de la Commission était attendue de toute part depuis l’annonce, en avril 2020, d’une directive sur le sujet par le Commissaire européen à la justice, Didier Reynders. Le Parlement européen avait lui-même, en mars 2021, adopté à une forte majorité une résolution appelant la Commission à légiférer.

    Comme la loi française, la proposition de la Commission prévoit de contraindre les entreprises à mettre en place des mesures de prévention des atteintes aux droits humains et à l’environnement commises par leurs filiales, leurs fournisseurs et leurs sous-traitants directs et indirects [1]. En cas de manquement, leur responsabilité pourrait être engagée, et elles pourraient être tenues d’indemniser les personnes affectées.

    Si nous saluons la publication de ce texte, il comporte en l’état de nombreuses failles qui pourraient remettre en question l’effectivité du devoir de vigilance. Le lobbying intense des organisations patronales européennes semble avoir laissé sa marque. [2]

    En particulier, la proposition repose largement sur l’adoption de codes de conduite par les entreprises, l’insertion de clauses dans les contrats avec leurs fournisseurs et le recours à des audits privés et à des initiatives sectorielles. Or c’est précisément l’inefficacité de ces mesures qui a mené nos organisations, il y a plus de dix ans, à plaider pour un devoir de vigilance contraignant. Ces dispositions sont autant de failles dans lesquelles les entreprises pourraient s’engouffrer pour échapper à toute responsabilité.

    Les demandes de la société civile visant à garantir l’accès à la justice et à la réparation pour les personnes affectées n’ont été qu’en partie entendues. Même si les entreprises pourront être tenues responsables en cas de dommage, en l’état actuel du texte, la charge de la preuve repose encore sur les victimes, à qui il revient de démontrer que l’entreprise a manqué à ses obligations. De plus, la possibilité aujourd’hui prévue par loi française de saisir le juge, avant tout dommage, afin qu’il enjoigne à une entreprise de respecter ses obligations de prévention, n’est pas explicitement envisagée dans la proposition de la Commission.

    La Commission propose en outre une approche très restrictive en matière environnementale, qui pourrait exclure du champ de la directive certaines atteintes à l’environnement aujourd’hui couvertes par la loi française [3]. Elle se limite à imposer aux entreprises d’établir un plan en matière climatique, et passe donc complètement à côté de l’urgence à réguler les trajectoires climaticides des grandes entreprises. 

    Enfin, contrairement aux ambitions initiales de la Commission européenne, cette proposition ne prévoit pas non plus de réforme en profondeur de la gouvernance des grandes entreprises. 

    Après de longs mois d’attente, il revient désormais au Parlement européen et aux Etats membres d’amender la proposition de la Commission et de négocier le texte. Nos organisations continueront de se mobiliser pour que les dispositions finales de la directive permettent de mettre fin à l’impunité des multinationales et facilitent l’accès à la justice pour les personnes affectées.

    Notes

    [1] La directive proposée s’appliquerait aux entreprises comptant plus de 500 salariés et un chiffre d’affaires annuel supérieur à 150 millions d’euros. Dans certains secteurs à risques (textile, agriculture, extractif), ce seuil serait abaissé. Son champ d’application serait donc bien plus large que celui de la loi française, qui ne concerne actuellement que les grandes entreprises de plus de 5000 salariés en France, ou 10 000 dans le monde.

    [2] Voir le rapport “Tirées d’affaire ? Le lobbying des multinationales contre une législation européenne sur le devoir de vigilance”, juin 2021

    [3] Les atteintes à l’environnement se limitent, d’une part, à des violations de certaines normes de droit international limitativement énumérées dans une annexe. D’autre part, la Commission retient une approche anthropocentrique du dommage environnemental conditionnée à ce que la dégradation de l’environnement ait des répercussions sur certains droits humains (droit à l’eau, à la santé etc.).  

    Contacts presse :

    ActionAid France – Maelys Orellana – maelys.orellana@actionaid.org – 06 34 26 54 17

    Amis de la Terre France – Léa Kulinowski – lea.kulinowski@amisdelaterre.org – 07.57.18.68.71

    Amnesty international France – Véronique Tardivel  – vtardivel@amnesty.fr – 06 76 94 37 05

    CCFD-Terre Solidaire – Sophie Rebours – s.rebours@ccfd-terresolidaire.org – 07 61 37 38 65 

    Collectif Ethique sur l’étiquette – Nayla Ajaltouni – n.ajaltouni@ethique-sur-etiquette.org – 06 62 53 34 56

    Notre Affaire à Tous – Justine Ripoll – justine.ripoll@notreaffaireatous.org – 06 42 21 37 36

    Oxfam France – Stanislas Hannounshannoun@oxfamfrance.org – 07 69 17 49 63

    Sherpa – Lucie Chatelain – lucie.chatelain@asso-sherpa.org – 07 80 90 37 97

    Note aux rédactions

    • Recommandations de nos organisations ayant porté la loi française sur le devoir de vigilance

    Les associations et syndicats membres du Forum citoyen pour la RSE ayant défendu l’adoption de la loi française sur le devoir de vigilance ont publié en décembre 2020 une série de recommandations pour que le législateur européen puisse s’inspirer des forces et corriger les faiblesses du dispositif français.

    • Rappel du processus européen en cours sur le devoir de vigilance

    Mars 2017 : La loi sur le devoir de vigilance est promulguée en France

    Avril 2020 : Didier Reynders, commissaire européen à la justice, annonce une législation européenne sur le sujet

    Mars 2021 : Le Parlement européen adopte à 504 voix une résolution qui indique à la Commission la voie à suivre

    Juin 2021 : Après la désignation de Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur, en tant que co-responsable du texte, la Commission européenne annonce un report de la publication de la proposition de directive à l’automne 2021

    Septembre 2021 : La Commission européenne repousse la publication à décembre 2021

    Décembre 2021 : Après un nouvel avis négatif du Comité d’examen de la réglementation, la Commission reporte à nouveau la publication en février 2022

    • Affaires en cours en France


    Les plans de vigilance publiés par les entreprises et les différents contentieux engagés sur le fondement de la loi française sur le devoir de vigilance sont compilés sur le site www.plan-vigilance.org.

  • Vers une censure de l’intérêt à agir des associations de protection de l’environnement dans le contentieux administratif ?

    Article Rédigé par Ambre NICOLAS, Marie PAUNER, Céline LE-PHAT-VINH, avec la participation de Edgar PRIOUR, Alexandra GALLON, membres de l’association Notre Affaire A Tous

    Les fondamentaux de l’intérêt à agir des associations de protection de l’environnement et de la nature (APNE) dans le contentieux administratif

    Le droit à un recours effectif est garanti par l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’Homme, qui dispose que « toute personne dont les droits et libertés reconnus (…) dans la convention ont été violés a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale ». Sur ce fondement, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) exige des États membres qu’ils prévoient l’existence d’un recours interne permettant « [d’]examiner le contenu d’un grief défendable fondé sur la convention et à offrir le redressement approprié » (CEDH, 26 octobre 2000, Kudia c/ Pologne), et que ce recours soit « effectif en fait comme en droit » (CEDH, 27 juin 2000, Ihlan c/ Turquie). Le Conseil constitutionnel (Cons. Const. 9 avril 1996, n°96-373 DC) et le Conseil d’État (CE, 29 juillet 1998, Syndicat des avocats de France) ont en ce sens consacré le droit au recours comme un principe à valeur constitutionnelle. 

    Ce droit fondamental est toutefois soumis à des règles procédurales internes, au premier rang desquelles figure l’intérêt à agir.

    En matière contentieuse, l’intérêt à agir est une notion centrale, en ce qu’il conditionne la recevabilité d’un recours. Le∙a requérant∙e doit donc prouver l’existence d’un intérêt à agir né, actuel, direct, personnel et légitime afin d’accéder au tribunal. 

    Si la juridiction conclut à l’absence d’intérêt à agir, elle n’examinera pas le fond de l’affaire. En contentieux administratif, cela aura pour effet de maintenir dans l’ordonnancement juridique des actes administratifs potentiellement illégaux, entraînant par ricochet l’illégalité des actes pris sur leur fondement. Tel est le cas des décisions administratives individuelles qui sont prises sur le fondement d’actes administratifs réglementaires, par exemple. 

    Le Conseil d’État, dans son célèbre arrêt du 28 décembre 1906 Syndicat des patrons-coiffeurs de Limoges, pose pour la première fois le principe selon lequel l’intérêt à agir peut être individuel ou collectif. Cette décision a pour effet de reconnaître aux associations – comme aux syndicats – un intérêt à agir en justice.    

    Concernant les associations, il est nécessaire d’établir que les mesures contestées froissent les intérêts collectifs (matériels comme moraux) de l’ensemble des membres des associations, tels qu’ils résultent de leur champ d’intervention fixé par leurs statuts ou les textes les régissant. En matière d’environnement, les associations peuvent rechercher l’annulation de décisions individuelles (par exemple, des décisions portant autorisations en matière d’urbanisme, d’installations classées, de police des eaux…), de décisions règlementaires ou encore d’actes litigieux ayant des conséquences sur l’environnement. 

    Pour décider si une association de défense de l’environnement a un intérêt à agir en justice, le juge administratif va rechercher dans quelle mesure l’acte soumis à son contrôle porte atteinte aux intérêts collectifs correspondant à son objet social. 

    Cependant, le régime de l’intérêt à agir reste dominé par le refus d’admettre l’action populaire (ou actio popularis), qui « permettrait à tout justiciable de saisir le juge administratif de recours contre tout acte administratif » [1]. Ainsi, le Conseil d’Etat a jugé que « l’article 2 de la Charte de l’environnement aux termes de laquelle « toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement » ne saurait par lui-même, conférer à toute personne qui l’invoque intérêt pour former un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de toute décision administrative qu’elle entend contester » (CE, 3 août 2011, Mme Buguet).

    En outre, nous verrons au fil de l’article qu’un mouvement contemporain de limitation du droit au recours se développe, au regard d’un double objectif : limiter l’engorgement des juridictions administratives et assurer la protection des droits nés d’une décision administrative.

    La reconnaissance croissante du rôle des APNE

    « C’est une nouvelle transformation des recours contentieux qui se prépare. Jusqu’ici individuels, ils seront de plus en plus collectifs par l’intermédiaire d’associations (…) [qui] montreront plus de hardiesse et (…) d’esprit de suite dans les réclamations contentieuses (…) [et] feront juger des questions qui ne l’ont jamais été (…). C’est une nouvelle ère qui commence » [2].

    Comme le pressentait le doyen Hauriou, la montée en puissance, depuis les années 1970, des phénomènes sociaux que sont les questions environnementales et le rôle du droit et du juge dans les rapports entre l’Etat et les citoyen·ne·s, a conduit au développement du contentieux administratif mêlant protection de l’environnement et droit de l’urbanisme [3]. L’action des associations devient alors nécessaire, afin de contrôler l’administration publique désormais garante de la préservation de l’environnement [4]. Ce développement s’est donc accompagné d’une multiplication de dispositions offrant un large accès à la justice aux associations ー notamment de protection de l’environnement ー, les investissant ainsi d’un rôle de « chien de garde » [5] dans la société démocratique et l’Etat de droit [6].  

    Conscient qu’une grande partie des recours contre les autorisations d’urbanisme sont le fait d’associations de défense et reconnaissant ainsi la pertinence de la question de l’intérêt collectif, le juge administratif avait, dès 1951, admis leur recevabilité à contester un permis de construire [7]. Poursuivant le libéralisme du juge qui entendait largement l’intérêt à agir des associations [8], leur rôle a été pour la première fois consacré par la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, dont l’article 40 conférait à toute association ayant pour objet la protection de la nature et de l’environnement la possibilité « [d’]engager des instances devant les juridictions administratives pour tout grief se rapportant à celui-ci ». Cet article permettait également aux associations « régulièrement déclarées et exerçant, depuis au moins trois ans, leurs activités statutaires dans [ce] domaine », de faire l’objet d’un agrément. Dans une logique d’extension de cette disposition, la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement (dite loi Barnier) a élargi le domaine d’activités statutaires et l’objet social des associations, qui regroupent désormais la protection de la nature, l’amélioration du cadre de vie, la protection de l’eau, de l’air, des sols, des sites et des paysages, de l’urbanisme, ainsi que la lutte contre les pollutions et les nuisances [9]. Cette loi a par ailleurs inséré à l’ancien article L.252-4 du Code rural et de la pêche maritime, au profit de toute association agréée, une présomption d’intérêt agir « contre toute décision administrative ayant un rapport direct avec son objet et ses activités statutaires et produisant des effets dommageables pour l’environnement sur tout ou partie du territoire pour lequel elle bénéficie de l’agrément ». Ces dispositions ont été transférées aux articles L.142-1 et L.142-2 du Code de l’environnement par l’ordonnance du 18 septembre 2000 relative à la partie législative dudit code. 

    Cette codification a été suivie par l’entrée en vigueur, le 30 octobre 2001, de la Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement. Ses articles 2 et 4 disposent que le terme « public » englobe les associations, et contraignent les Etats à rendre leur système juridique national compatible avec l’obligation d’accorder reconnaissance et appui à celles ayant pour objectif la protection de l’environnement. Ainsi, son article 9 prévoit la possibilité, pour toute personne ayant un intérêt suffisant pour agir ou faisant valoir une atteinte à un droit, de former un recours devant une instance juridictionnelle dans une série d’hypothèses correspondant à une violation des dispositions du droit national de l’environnement [10]. La CJUE a eu l’occasion de juger que cet article, « lu conjointement » avec l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux garantissant le droit à un recours effectif, « doit être interprété en ce sens qu’une organisation de défense de l’environnement dûment constituée et fonctionnant conformément aux exigences prévues  par le droit national doit pouvoir contester devant une juridiction une décision d’autorisation d’un projet susceptible d’être contraire » à la législation européenne en matière de protection de l’environnement [11].  

    Est ainsi reconnu le rôle important que jouent des entités telles que les associations environnementales, en leur accordant une forme de qualité pour agir de lege conditionnée aux critères pertinents prévus par le droit interne [12]. 

    Une limitation progressive de l’accès à la justice des APNE

    Cependant, alors que les recours des associations confèrent une effectivité au droit de l’environnement ー en veillant à son respect et en mettant en évidence ses lacunes ー et légitiment la volonté du peuple inscrite à l’article 7 de la Charte de l’environnement consacrant la participation à l’élaboration des décisions publiques environnementales, leur accès au juge tend, notamment dans le contentieux de l’urbanisme, à être remis en cause [14]. 

    Ce mouvement de restriction a été entamé par la loi du 13 juillet 2006, qui a introduit l’article L.600-1-1 dans le Code de l’urbanisme. Cet article disposait alors que : « Une association n’est recevable à agir contre une décision relative à l’occupation ou l’utilisation des sols que si le dépôt des statuts de l’association en préfecture est intervenu antérieurement à l’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire ». Si cette disposition avait pour fondement la limitation du risque d’insécurité juridique des porteurs de projets en paralysant les recours dits abusifs, et a donc été déclarée conforme à la Constitution [15], sa modification par la loi ELAN du 23 novembre 2018 tend toutefois à sérieusement remettre en cause le droit au recours des associations. L’article impose désormais que le dépôt des statuts soit intervenu « au moins un an avant l’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire », et apparaît donc disproportionné au regard des enjeux environnementaux dont les associations assurent la préservation devant le juge administratif de la légalité des autorisations d’urbanisme.

    Par ailleurs, en affaiblissant grandement la teneur de la participation du public, la loi ASAP du 7 décembre 2020 s’inscrit dans cette lignée. En son article 44, elle prévoit notamment la réduction du délai d’exercice des demandes de concertation préalable des associations agréées, afin de débattre des impacts significatifs sur l’environnement et l’aménagement du territoire des projets, plans ou programmes concernés, de quatre à deux mois [16]. 

    Ainsi, en dépit d’un essor de l’intérêt à agir des associations de protection de l’environnement dans le contentieux de l’urbanisme dans les années soixante-dix, force est de constater son déclin depuis quelques années, « dont l’objet inavoué n’est rien d’autre que d’empêcher l’expression d’une liberté fondamentale : le droit au juge » [17].  L’heure ne semble plus à la garantie du rôle de « chien de garde » des associations […], mais « à la limitation de la capacité de recours […] par le jeu des délais ou des conditions d’intérêt à agir » [18]. En l’état actuel de la législation urbanistique, « les intérêts économiques auront [donc] eu raison de la démocratie environnementale » [19].

    Par ailleurs, la loi de modernisation de la justice de 2016 avait créé la possibilité pour les APNE agréées ou déclarées depuis 5 ans ayant un objet statutaire approprié, d’avoir recours à l’action de groupe environnementale. Cette innovation procédurale s’est toutefois soldée par un échec du fait de la lourdeur des conditions d’accès à ce type de recours [20].

    En outre, la protection de l’environnement commence par la possibilité de dénoncer et révéler les illégalités commises au regard du droit de l’environnement interne. Or, les multiples conditions que les APNE doivent satisfaire pour ne pas risquer de voir leur recours jugé irrecevable pour défaut d’intérêt à agir freinent celles-ci dans leurs actions, lorsqu’elles ne sont pas en possession de l’agrément prévu au titre de l’article L. 141-1 du Code de l’environnement. Les associations agrées ne suffisent pourtant pas à couvrir l’ensemble du territoire français et ainsi à réaliser cette mission de « chien de garde » de l’environnement reconnu par le juge jadis. De plus, ces freins se cumulent aux pressions conjoncturelles et structurelles que subit le monde associatif (baisse des subventions, suppression des emplois aidés, procès baillons…), ce qui empêche d’autant plus ces acteurs de réaliser leur mission.

    Se pose alors la question de la compatibilité de telles régressions et insuffisances avec la jurisprudence de la CJUE, qui considère que les règles nationales « doivent […] assurer un large accès à la justice » [21], et ne peuvent être aménagées de manière à rendre impossible pour les associations d’exercer leur droit d’ester en justice pour défendre l’intérêt général [22]. 

    Etant donné les faibles moyens pour garantir le respect de la législation interne, et la prééminence des actions citoyennes, il est donc primordial de rechercher des solutions d’ordre processuel pour permettre au plus grand nombre de défendre l’environnement et la nature. Ainsi, afin d’atteindre une meilleure protection de l’environnement : « L’enjeu est toujours le même : plus les conditions d’accès au juge sont souples, plus le droit de l’environnement a des chances de s’appliquer » [23].

    Par conséquent, l’association Notre Affaire A Tous propose plusieurs pistes de réflexion pour ouvrir l’accès à la justice à l’ensemble des usager∙e∙s de la justice environnementale.

    Propositions pour une levée des freins d’ordre processuels et une extension de l’accès à la justice environnementale

    1. Supprimer la condition d’ancienneté des APNE en contentieux de l’urbanisme

    L’agrément « environnement » sert en réalité à scinder les APNE en deux catégories, et l’une serait plus légitime que l’autre à accéder au juge pour demander le respect du droit.

    « L’agrément différencie les associations ayant un intérêt focalisé, un intérêt local diversifié, un intérêt pluridimensionnel à qui l’agrément peut être conféré, des associations ayant un intérêt local ponctuel et des associations para-administratives » [24].

    Désormais, cette analyse séparatiste s’est complexifiée, enterrant le « succès de l’acronyme NIMBY (Not In My Backyard), significativement présenté comme un « syndrome » par les élus et les professionnels de l’urbanisme et de l’aménagement » [25]. Les conflits localisés ne sont en réalité que la conséquence de l’échec de l’adhésion du public à un projet qui impacte leurs droits fondamentaux, dont le droit à un environnement sain. Un projet irrespectueux de l’environnement doit donc pouvoir être contesté par les personnes désireuses de représenter l’intérêt de la protection de l’environnement.

    C’est pourquoi Notre Affaire demande que soit supprimée la condition d’ancienneté de l’association requérante d’un an avant l’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire, fixée à l’article L.600-1-1 du code de l’urbanisme, alors que le droit européen et le droit international prévoient un large accès à la justice en matière environnementale.

    2. Élargir l’accès au juge aux citoyen·ne·s et particulièrement aux victimes climatiques

    La reconnaissance de l’actio popularis permettrait à tou·te·s citoyen·ne·s de demander la réparation des dommages causés, en leur ouvrant le droit de défendre les intérêts collectifs et les droits de la nature.

    Il est possible d’encadrer l’actio popularis pour ne la permettre qu’à certaines conditions : en démontrant sa compétence spéciale dans le domaine concerné [26], en limitant cette action à celles et ceux dont les intérêts personnels ont été atteints, « ou encore en s’inspirant du droit chilien, [en admettant] que toute personne vivant dans le voisinage du lieu de pollution peut agir en défense des intérêts collectifs environnementaux » [27], par exemple.

    Notre Affaire A Tous, constatant l’impact disproportionné du dérèglement climatique et la violation des droits fondamentaux subis par les personnes les plus fragiles [28], souhaite plus particulièrement que cette actio popularis soit ouverte aux victimes climatiques, notamment par le biais du droit à un environnement sain

    Le droit à un environnement sain tend progressivement à être reconnu aux niveaux international (droit humain essentiel pour l’exercice des autres droits selon une résolution récente du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies [29]), européen (en tant que principe d’interprétation et de source de règles procédurales [30]), et interne (par déduction des articles 2 et 3 de la Charte de l’environnement, malgré la réticence du Conseil d’Etat [31]).

    Bien qu’encore insuffisamment encadré, la reconnaissance progressive du droit à un environnement sain permettrait de soutenir les actions citoyennes provenant des victimes climatiques, qui sont nombreuses en France : une première action juridique a été intentée en ce sens. 43 parents ont en effet demandé au préfet de la Drôme qu’il se saisisse de ses compétences pour assurer la santé alimentaire de leurs enfants, et demandent ainsi à ce que soit appliqué le droit de l’environnement au sein de leur territoire [32].

    Notre Affaire A Tous estime que les victimes climatiques, atteintes dans leur droits fondamentaux, doivent pouvoir accéder aux juges pour demander réparation de leur préjudice, tout en représentant les intérêts de la nature.

    3. Prévoir des espaces de démocratie locale dédiés à l’environnement

    En premier lieu, dans le but d’instaurer un dialogue environnemental dirigé au niveau local impliquant les collectivités territoriales, Notre Affaire A Tous souhaite que soient créées des Maison de l’accès à la justice écologique (MAJE) [33]. Cette proposition avait été développée par les élu.e.s du Groupe Ecologiste de Paris 20e et groupe Génération.s 20e [34]. La MAJE permettrait ainsi non seulement de mettre à disposition des ressources pour les usager∙e∙s de la justice environnementale, mais serait également un espace de médiation environnementale. En sus, elle permettrait de déployer toutes les procédures de participation et d’information du public dans un même lieu.

    Le bureau de l’accès aux ressources en justice écologique est le point central, la première ligne de la MAJE : les citoyennes et citoyens qui s’estiment en prise avec un différend écologique viennent y exposer, en confidentialité, leur problème à un membre de l’équipe technique qui les oriente vers la seconde ligne, plus spécialisée. La MAJE est un incubateur de médiations environnementales : s’y forment des médiateur·trice·s aux processus nécessaires dans un milieu visant à les développer, en amont de contentieux ou dans l’exécution de décisions. 

    Par des échanges d’expériences, par des rencontres, les initiatives ainsi conduites permettraient de donner un corps pratique aux dispositions de la Convention d’Aarhus, et de rendre visible et lisible aux citoyen·ne·s l’accès à l’information et à la justice. Cette mutualisation dès l’origine serait extrêmement porteuse de potentialités. Des premières approches sont conduites dans quelques territoires, qu’il conviendrait de concrétiser. Notre Affaire A Tous souhaite que de telles initiatives soient approfondies et mises en place.

    En deuxième lieu, Notre Affaire A Tous souhaite que soit créé un poste de Défenseur·e de l’environnement sur le modèle de celui de Défenseur∙e des droits, tel que proposé par la Convention Citoyenne pour le Climat. 

    Sur mission du Premier ministre, la députée LREM Cécile Muschotti a ainsi rendu un rapport « création d’un défenseur de l’environnement et des générations futures » le 16 juillet 2021, dans lequel sont étudiées les conditions de sa faisabilité. Le·a Défenseur·e de l’environnement serait ainsi à la fois garant·e des règles et médiateur·trice entre les acteurs.trices − notamment entre l’administration et les administré·e·s −, ce qui répondrait au manque de confiance ressenti par les citoyen·ne·s.

    L’augmentation de la médiation environnementale permettrait d’une part une résolution des conflits plus diverse, et d’autre part aux jeunes associations qui ne possèdent pas l’agrément et aux citoyen·ne·s impactées par la crise environnementale, d’exercer leur mission de « chien de garde » auprès de l’Etat, et d’accéder à une résolution des conflits.

    Il n’existe pas encore aujourd’hui d’entité publique incarnant clairement et seulement la protection de l’environnement qui servirait d’interlocuteur∙trice et d’intermédiaire entre les pouvoirs publics et les administré∙e.s.

    Notre Affaire à Tous demande que cette proposition de création du poste de Défenseur·e de l’environnement soit reçue positivement et mise en place. Néanmoins, il sera préférable de déterminer précisément les moyens donnés à ce poste en termes de pouvoirs d’investigation et de sanction. Les contours de sa mission seront donc à définir pour que ce poste apporte une réelle plus-value au manque de dialogue environnemental et au manque de ressources en justice environnementale.

    NOTES

    [1] GUINCHARD Serge et DEBARD Thierry, Lexique des termes juridiques 2021-2022

    [2] Conseil d’Etat, 21 décembre 1906, Syndicat des Propriétaires et Contribuables du Quartier Croix de Seguey Tivoli. Rec. 962. Concl. Romieu; S. 1907, 3, 33, note Hauriou; D. 1907, 3, 41, concl. Romieu, In : HOSTIOU René,  « Aménagement et environnement : le contentieux associatif devant les juridictions administratives », Droit et Ville, 1980, n° 9-10, p. 216

    [3]  BUSSON Benoist, « Le mauvais procès des recours des associations : faux arguments et vraies menaces » In: Revue Juridique de l’Environnement [en ligne], n°1, 2001. pp. 59-71, [consulté le 04/11/2021]

    [4] REHBINDER Eckard, « L’action en justice des associations et l’action populaire pour la protection de l’environnement » In: Revue Européenne de Droit de l’Environnement [en ligne], n°1, 1997. pp. 16-42 [consulté le 04/11/2021]

    [5] CEDH, 27 mai 2004, Vides Aizsardzibas Klubs c/ Lettonie

    [6] BUSSON Benoist, « Le mauvais procès des recours des associations : faux arguments et vraies menaces » In: Revue Juridique de l’Environnement [en ligne], n°1, 2001. pp. 59-71, [consulté le 04/11/2021]

    [7] Conseil d’Etat, 14 décembre 1951, Société pour l’esthétique générale de France, In : SOLER-COUTEAUX Pierre et CARPENTIER Elise, Droit de l’urbanisme (7e édition), HyperCours, Dalloz, 2019, 1128 p

    [8] HOSTIOU René,  « Aménagement et environnement : le contentieux associatif devant les juridictions administratives », Droit et Ville, 1980, n° 9-10

    [9] Ancien article L.252-1 du Code rural et de la pêche maritime

    [10] THIEFFRY Patrick, Traité de droit européen de l’environnement et du climat (4e édition), Bruxelles, Bruylant, 2020,1862 p.

    [11] CJUE, 20 décembre 2017, Protect Natur-, Arten und Landschaftsschutz Umweltorganisation c/ bezirkshauptmannschaft Gmünd, In : THIEFFRY Patrick, Traité de droit européen de l’environnement et du climat (4e édition), Bruxelles, Bruylant, 2020,1862 p.

    [12] Communication de la Commission européenne du 28 avril 2017 sur l’accès à la justice en matière d’environnement, C(2017), 2616 final

    [13] HOSTIOU René,  « Aménagement et environnement : le contentieux associatif devant les juridictions administratives », Droit et Ville, 1980, n° 9-10

    [14] BUSSON Benoist, « Le mauvais procès des recours des associations : faux arguments et vraies menaces » In: Revue Juridique de l’Environnement [en ligne], n°1, 2001. pp. 59-71, [consulté le 04/11/2021]

    [15] Conseil constitutionnel, Décision n° 2011-138 QPC du 17 juin 2011, Association Vivraviry [Recours des associations]

    [16] BOUSQUET Jérémy, « Le volet environnemental de la loi ASAP, une régression », AJ Collectivités territoriales [en ligne], 2021, p.74, [consulté le 14/11/2021]

    [17] BUSSON Benoist, « Le mauvais procès des recours des associations : faux arguments et vraies menaces » In: Revue Juridique de l’Environnement [en ligne], n°1, 2001. pp. 59-71, [consulté le 04/11/2021]

    [18]  BOUSQUET Jérémy, « Le volet environnemental de la loi ASAP, une régression », AJ Collectivités territoriales [en ligne], 2021, p.74, [consulté le 14/11/2021]

    [19] Ibid

    [20] RADISSON Laurent, “Pourquoi l’action de groupe environnementale ne fonctionne pas”, Actu-environnement, 19 juin 2020, disponible sur : <https://www.actu-environnement.com/ae/news/action-groupe-environnement-rapport-mission-assemblee-nationale-35684.php4 >

    [21] CJUE, 15 octobre 2009, Djurgården-Lilla Värtans Miljöskyddsförening c/ Stockholms kommun genom dess marknämnd, C-263/08

    [22] Communication de la Commission européenne du 28 avril 2017 sur l’accès à la justice en matière d’environnement, C(2017), 2616 final

    [23] HAUTEREAU-BOUTONNET Mathilde, et TRUILHE Eve. « Des procès pour renforcer l’effectivité du droit de l’environnement », Les Cahiers de la Justice, vol. 3, no. 3, 2019, pp. 431-440

    [24] LEOST Raymond, « L’agrément des associations de protection de l’environnement », Revue juridique de l’environnement, 1995, n°2, pp. 265-285

    [25] DECHEZELLES Stéphanie et OLIVE Maurice, « Introduction », Norois [En ligne], 238-239 | 2016, mis en ligne le 17 octobre 2016, consulté le 02 décembre 2021. Disponible sur : < Http://journals.openedition.org/norois/5843> 

    [26] GIP Mission de recherche Droit et Justice (convention de recherche n° 216.09.28.12 du 29 septembre 2016), Le procès environnemental, Du procès sur l’environnement au procès pour l’environnement, sous la direction de Eve TRUILHE,  Mathilde HAUTEREAU-BOUTONNET, CERIC (CNRS- Aix-Marseille Université), Institut de Droit de l’Environnement (UMR5600 EVS) Université de Lyon 3, Recherche achevée en 2019-05-12, disponible sur :

    < http://www.gip-recherche-justice.fr/publication/le-proces-environnemental-du-proces-sur-lenvironnement-au-proces-pour-lenvironnement/>

    [27] Ibid.

    [28] BAUDOUIN Clothilde et ZALCMAN Julie, Un climat d’inégalités, Les impacts inégaux du dérèglement climatique en France, 2020, Notre Affaire A Tous, disponible sur : <https://preprod.notreaffaireatous.org/wp-content/uploads/2020/12/InegalitesClimatiques_rapport.pdf>

    [29] Conseil des droits de l’homme, Nations Unies, A/HRC/RES/48/13, 18 octobre 2021, disponible sur : <https://undocs.org/fr/A/HRC/RES/48/13 >

    [30] CORNE James, Le droit à un environnement sain en droit de l’UE, N°9 Newsletter des affaires climatique – Droit à un environnement sain, 18 novembre 2020, disponible sur : <https://preprod.notreaffaireatous.org/wpcontent/uploads/2021/03/CORNE_UE_Partie_2.docx.pdf?utm_source=sendinblue&utm_campaign=La_newsletter_des_affaires_climatiques_n10_!&utm_medium=email#:~:text=Page%204,Le%20droit%20%C3%A0%20un%20environnement%20sain%20en%20droit%20de%20l,substantiellement%20diff%C3%A9rente%E2%80%8B7%E2%80%8B.>

    [31] V. CE, 3 août 2011, n° 330566, B. et a. : Environnement et dév. Durable, 2011, comm. 124, note P. TROUILLY

    [32] KUSY Yannick (France 3 Auvergnes Rhône-Alpes), 43 parents drômois reprochent au préfet de ne pas suffisamment agir pour leur territoire, 15 avril 2021, disponible sur  : <https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/rhone/lyon/securite-environnementale-43-parents-dromois-reprochent-au-prefet-de-ne-pas-suffisamment-agir-pour-leur-territoire-2044219.html >

    [33] Les Verts/ ALE, Notre Affaire A tous, Marie TOUSSAINT, Guide à destination des collectivités territoriales, Pour les droits de la nature, revivifier la démocratie locale et l’aménagement du territoire, disponible sur : <https://d3n8a8pro7vhmx.cloudfront.net/marietoussaint/pages/218/attachments/original/1627028835/MARIE_2021_livret_A4_20p_web.pdf?1627028835>

    [34] Conseil d’arrondissement du 29 mars 2021 Paris 20ème ,Vœu relatif à la création d’une Maison de l’accès à la Justice écologique (MAJE), Disponible sur  :

    <https://cdn.paris.fr/paris/2021/03/31/5bad228dbba54941679cfce85eb218d9.pdf