Catégorie : Chroniques de la justice climatique

  • L’Etat néerlandais condamné à réduire ses émissions de CO2 de 25% d’ici à 2020 !

    L’Etat néerlandais a été condamné à réduire ses émissions de CO2 de 25% d’ici à la fin de 2020 par rapport à ses émissions de 1990 par la Cour d’Appel de La Haye, dans une décision historique et qui ouvre la voie à d’autres condamnations. Cet arrêt intervient dans le cadre d’une action en justice portée par Urgenda et 900 citoyen-nes néerlandais-es.

    La Cour de la Haye a considéré qu’une réduction d’une telle ampleur était absolument nécessaire pour protéger le droit à la vie des citoyen-nes européen-nes. Les conséquences du réchauffement climatique, actuelles ou à venir, sont graves et imminentes : les Etats sont donc tenus de prendre des mesures concrètes et efficaces pour protéger leurs citoyens.

    “Compte tenu des dangers immenses susceptibles de se produire, des mesures plus ambitieuses doivent être prises à court terme pour réduire les émissions de gaz à effet de serre afin de protéger la vie et la vie de famille des citoyens néerlandais” selon la Cour. Pour Urgenda, « le message est désormais clair : les États doivent agir. Leur inaction n’est pas seulement dangereuse et inconsciente, elle est également illégale ».

    La Cour constate que le Gouvernement néerlandais était au courant de la nécessité de réduire ses émissions et des dangers du changement climatique depuis des décennies, ce qui signifie qu’il aurait dû débuter ses réductions beaucoup plus tôt au regard du principe de précaution.

    L’Etat néerlandais ne table, à l’heure actuelle, que sur une réduction de l’ordre de 17%, insuffisante selon la Cour. Selon elle, pour réduire substantiellement les risques environnementaux, la réduction des émissions de CO2 doit atteindre au moins 25% comparé au niveau de 1990.

    L’Etat néerlandais ne contestait d’ailleurs pas le lien direct entre émissions de CO2 et réchauffement climatique ni que le changement climatique pourrait faire, pendant la seconde moitié de ce siècle des centaines de milliers de victimes rien qu’en Europe occidentale. Il invoquait le rôle mineur des Pays-Bas dans le réchauffement climatique, comparé aux émissions mondiales et le risque qu’une politique ambitieuse de lutte contre le CO2 ne fasse que déplacer les émissions vers d’autres Etats. La Cour n’a pas retenu ces arguments: chaque Etat doit faire sa part pour la protection de ses citoyens.

    L’Etat néerlandais invoquait le caractère politique et non juridique du cas qui était soumis à la Cours. Selon lui, il n’appartient pas à la Cour de juger une question de politique environnementale. La Cours a rejeté cet argument en affirmant que le contrôle des accords et conventions internationaux applicables à l’État néerlandais fait partie de ses attributions. En effet, la Cour s’est fondée sur la Convention Européenne des Droits de l’Homme (la CEDH) pour rendre sa décision.La Convention Européenne des Droits de l’Homme est un traité international signé par 47 Etats, dont l’ensemble des pays Européens et qui protège 820 millions de citoyens. Elle a conclu que la CEDH imposait à l’ensemble de ses Etats signataires, pas seulement les Pays-Bas, d’agir contre le réchauffement climatique en réduisant massivement leurs émissions de CO2. Cette décision ouvre donc la voie à d’autres actions comparables dans d’autres pays signataires de la CEDH. La Convention Européenne des Droits de l’Homme est un traité international signé par 47 Etats, dont l’ensemble des pays Européens et qui protège 820 millions de citoyens.

    Lire l’analyse complète du jugement 

    Lien vers la version en anglais du jugement

    Lien vers le communiqué de presse de la Cour Néerlandaise

    Lien vers le communiqué de presse de Notre Affaire à Tous

     

  • En France, les effets du réchauffement se font déjà sentir

    En France, les effets du réchauffement se font déjà sentir

    À travers la France, le climat n’est certes pas le même mais il change et se réchauffe partout. De la  Bourgogne à la Dordogne en passant pas le Vaucluse, le climat nous affecte tou.te.s.

    Les agriculteurs.trices témoignent : «  le climat affecte les petits agriculteurs aux cahiers des charges difficiles ». Ils.elles sont aussi victimes de ce changement : ce sont des viticulteurs.trices, des producteurs.trices de lavande, des éleveurs.ses de brebis ou de bovins. À la fois spectateurs.trices et victimes, les agriculteurs ne sont pas les seuls touchés par ce changement, partout sur la côte la montée de eaux réduit la taille des plages, favorise l’érosion. À Lacanau, en Gironde, tous les ans 1 à 3 mètres sont perdus, engloutis par l’eau.

    “Les pouvoirs publics voient bien ce qu’il est en train de se passer mais ils ne font rien”

    Ainsi, le principal problème d’un viticulteur que nous avons rencontré est le manque d’eau du à la sécheresse l’obligeant à augmenter ses coûts fixes. Sa capacité d’adaptation au climat dépend donc de son cahier des charges et de l’augmentation prévisionnelle des coûts fixes. Les problèmes hydrauliques sont selon lui « la plus grande peur des viticulteurs du Sud », et pourrait-t-on dire si l’inaction persiste «  la plus grande peur des viticulteurs de France »

    Sept millions de personne vivent sur le littoral français, et ce sont sept millions de personnes qui sont  directement menacées par le changement climatique.

    Dans nos champs, nos montagnes, nos côtes, nos villes, le réchauffement climatique détruit des vies, l’environnement, les exploitations, les logements… de France et d’ailleurs. Le droit à la vie, à la santé, à la propriété ne peuvent pas être ainsi bafoués impunément et sans protection légitime et effective accordée par les pouvoirs publics.

    Dans un présent certain et dans un futur proche nous sommes tou.te.s menacé.e.s par le réchauffement climatique. C’est d’un grand élan de solidarité collective dont le monde a besoin, pour sauver la planète et le vivant, et se sauver lui-même.

  • Chroniques d’un chemin vers la protection juridique de l’environnement : L’affaire URGENDA et la consécration du « duty of care » des États

    « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande ; Elle consiste à empêcher que le monde se défasse »

    Albert Camus

    Ceci est l’histoire d’une association néerlandaise, URGENDA, association qui milite pour la protection du climat et prône une transition vers une société plus responsable. Accompagnée de 886 habitant.e.s, tou.te.s poussé.e.s par le désir de proclamer leur droit à des meilleures conditions de vie ainsi que celui de faire reconnaitre le devoir de leur État face à la protection de l’environnement, une plainte est déposée contre l’État néerlandais, lui qui est alors accusé de ne pas respecter ses engagements internationaux et nationaux pour un développement plus durable.

    Après une longue étude du dossier, un appel d’experts et une médiatisation conséquente du cas qui furent  à la hauteur des enjeux en question, les juges ont finalement rendu leur décision en juin 2015. Loin d’être le premier groupe qui tente de présenter une plainte contre l’administration étatique, cette affaire se présente malgré tout comme assez essentielle et unique.

    En effet, le tribunal du district de la Haye n’a pas hésité à condamner l’Etat néerlandais et les juges sont d’ailleurs fermes et clairs sur le devoir qui repose sur lui. Il se doit ainsi de protéger l’environnement, de mettre en place des politiques visant à une amélioration des conditions climatiques et il se doit, sans pouvoir invoquer le principe de réciprocité – principe selon lequel les engagements internationaux ne sont accomplis effectivement par un Etat que si les autres pays signataires de la même convention l’appliquent aussi – de tenir à ses engagements internationaux.

    En l’espèce il était plus précisément question de la réduction de l’émission des gaz à effet de serre (GES). Les Pays-Bas avaient posé une diminution de ces gaz d’ici 2020 à hauteur de 17% alors que les traités internationaux qu’il ont souscrits exigeaient un minimum de 40%.

    Toute la question était donc là. Est-ce que URGENDA pouvait vraiment s’opposer à l’Etat pour ces raisons et exiger de ce dernier d’augmenter ses engagements ? Est-ce que l’Etat avait un réel devoir face aux affirmations de l’association ? Et surtout, sur quel fondement pourrait-on finalement affirmer que l’Etat néerlandais est effectivement « coupable » et le sanctionner ?

    Loin de vouloir faire ici une étude considérant la décision rendue, cette affaire ne peut qu’inspirer. Rappelons-le, le rapport onusien intitulé « Notre avenir à tous » en 1987 définissait déjà à l’époque la notion de développement durable comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ».

    Mais, pouvons-nous affirmer que cette idée du « développement durable » est le modèle qui prime dans nos sociétés aujourd’hui? Sommes-nous capables de dire que nos États, à l’image de tous les engagements et sommets réalisés ont, au-delà nous faire croire qu’ils veulent bien faire, effectivement mis en place des politiques qui assurent les capacités des générations à venir ? Ne serait-il pas temps de parler d’une urgence actuelle et non pas de réfléchir sans cesse ce qu’on peut faire demain, alors que la planète montre qu’on a échoué dans sa protection ?

    Peut-être qu’il serait alors temps, pour nous français, qu’on se manifeste aussi. Peut-être qu’on doit maintenant suivre ce vent qui vient d’ailleurs et qui veut que les citoyens se réveillent pour inscrire (enfin) l’environnement et sa protection dans nos mœurs, dans nos esprits et même dans nos lois. Peut-être qu’il serait vraiment l’heure de prendre conscience de la question et s’avouer que c’est notre affaire à tous.

    Retrouver l’affaire sur le site d’Urgenda

    Par Anaïs Villar, Notre Affaire à Tous Aix-Marseille

  • Justice climatique: quelles traductions sur le terrain? L’exemple des recours climat

    Justice climatique: quelles traductions sur le terrain? L’exemple des recours climat

    Tiré de l’intervention du 30 juin 2017, au nom de www.notreaffaireatous.org, lors de l’université d’été de France Nature Environnement.

    La question de la justice environnementale et climatique pose plusieurs questions importantes, dont la question de la socialisation du risque. Chaque fois que nous ralentissons les politiques de transition, les coûts pour la société, économiques comme l’a montré le rapport Stern, mais pas seulement, par exemple en termes de santé, s’accroissent.

    Les victimes du changement climatique sont nombreux-ses, particulièrement les plus précaires, ainsi qu’en France nos populations d’Outre-mer : outre les îles récemment frappées par les ouragans, l’île de Puka-Puka disparaitra notamment sous les eaux dans quelques années… Mais aussi les populations résidant en bords de côte, ayant fait des glaciers leur métier, ou disposant de petites exploitations agricoles qui seront les premières frappées. Les femmes sont également les premières sujettes à la mortalité due aux canicules, qui se multiplient du fait du changement climatique. La question des générations futures se pose aussi, remettant en cause leur avenir. Il en est de même pour la nature et les animaux : certains se battent pour la reconnaissance des droits aux animaux, aux arbres, aux glaciers et modifient notre vision des choses.

    Les recours climat se multiplient de par le monde, Notre affaire à tous étant l’organisation portant cette dynamique en France.

    La question de la justice environnementale et climatique pose plusieurs questions importantes, dont la question de la socialisation du risque. Chaque fois que nous ralentissons les politiques de transition, les coûts pour la société, économiques comme l’a montré le rapport Stern, mais pas seulement, par exemple en termes de santé, s’accroissent. Ne pas lutter contre le réchauffement climatique constitue ainsi une atteinte à de nombreux droits, dont les droits économiques.

    Aujourd’hui, il existe un droit environnemental, un droit pénal, un droit civil avec le préjudice écologique – première reconnaissance d’un droit de la nature en France – et beaucoup d’autres principes de droit administratif et institutionnel. Plus de 3500 traités internationaux sur l’environnement existent ! De nombreux liens y sont établis entre les conditions de vie, le droit humain et la question environnementale, mais force est de constater que nous sommes face à une situation d’impunité concernant les atteintes à l’environnement. A quoi est-elle due ? Au fait que les pollueurs sont principalement des entreprises multinationales dont les dispositifs permettent d’échapper à toutes sanctions juridiques.

    Mais ce n’est pas tout : la question de la justice climatique porte aussi sur les valeurs sur lesquelles nous faisons reposer notre contrat social et notre démocratie.

    Ainsi par exemple de l’interprétation a minima du principe de précaution. Dans le récent cas de l’amiante, nous étions incapables de dater le préjudice environnemental, les juges n’ont pas pu se saisir de ce fait et réparer les torts causés. Il nous faut instituer un principe de « risque de risque » afin de garantir une application réelle de ce principe de précaution.

    Se pose aussi le problème de la causalité, complexe par la multiplicité des pollueurs : c’est ce qu’on appelle les « pollutions diffuses » qui nous empêchent de mettre l’un des ou les pollueurs devant la justice. Dire que telle action, commise à tel endroit de la Terre, créée un impact sur le changement climatique global représente un des plus grands défis à affronter et qui concerne aussi bien les Etats que les personnes privées ou les entreprises. 100 firmes sont considérées, selon le rapport Heede, comme majoritairement responsables du changement climatique ; parce qu’elles sont 100, et qu’elles ne sont pas les seules, il est ainsi complexe de porter plainte à leur encontre. Nous considérons qu’il est du devoir des administrations publiques, Etats mais aussi collectivités ou institutions internationales et plus largement de tout ce qui crée le droit, de réglementer leurs activités et d’entraver les atteintes aux limites de la planète.

    Le changement climatique soulève une autre question de droit, vis-à-vis du préjudice subi : s’agit-il d’un préjudice d’affection, comme la peur ou la tristesse, ou monétaire, impliquant de donner un prix à la biodiversité ?

    Enfin se pose la question de la responsabilité objective : aujourd’hui, lorsqu’une grave atteinte à l’environnement est commise volontairement, il est possible d’établir une responsabilité et de punir les coupables. Notre législation permet plus ou moins de condamner ce type d’actes quand une intention existe, mais, s’il n’y a pas d’intention les démarches sont plus complexes. Majoritairement les actes destructeurs de l’environnement sont commis sans intention de nuire à la nature ! Les pollueurs agissent pour produire des richesses et des biens, non pour nuire à l’environnement : il est important de punir certains comportements, même non intentionnels.

    Nous n’en sommes qu’au début, mais le combat sur les limites environnementales de la planète est en cours. Les Pays-Bas ont par exemple été sommés d’élever leurs ambitions qui n’étaient pas assez proches des objectifs internationaux. En Inde, un principe de parens patriae est appliqué : on a le droit d’être tuteur de la nature, de prendre la parole à sa place. Au Pakistan, une commission a été mise en place par la Cour Suprême avec pour devoir d’élever les ambitions environnementales et de créer des politiques climatiques, qui jusqu’ici entachaient le « public trust », le bien commun des populations pakistanaises. Le mouvement international End Ecocide on Earth plaide pour la reconnaissance et l’inscription des écocides, ces crimes contre la planète, parmi les crimes les plus graves au sein des statuts de la Cour pénale internationale.

    La France est aujourd’hui largement considérée comme un pays pionnier en matière climatique. Or, il existe un écart entre les objectifs fixés et les moyens donnés. Notre rôle est d’oeuvrer à l’amélioration du droit, en permettant aux citoyen-nes d’aller devant la justice – sur le climat, ce sera au nom de la carence fautive : la France n’a pas tout fait pour protéger ses populations, n’y a pas consacré tous ses moyens. De fait, le devoir majeur de la France vis à vis de ses populations et de l’environnement, c’est de mettre en œuvre tous ses moyens pour les protéger.

    Comment relever l’écart entre les objectifs fixés et les moyens donnés, et pointer que l’Accord de Paris peut être juridiquement contraignant ou directement invocable ? Nous menons notre combat sur la responsabilité globale de l’Etat, mais aussi sur la question des victimes en allant à leur rencontre : viticulteurs, habitants des côtes, victimes d’inondations, prouvent les impacts concrets dus à cette inaction et que c’est une question de préservation des droits.

    Si cette responsabilité était reconnue dans tous les Etats, cela permettrait de créer une sorte de droit coutumier au niveau international. Si chacun, à son niveau, parvient à faire reconnaître le droit de lutter de manière proactive contre le changement climatique, cela pourrait donner lieu à une jurisprudence au niveau international qui s’appliquerait à chacun.

    D’autre part, nous croyons profondément devoir ouvrir une nouvelle page des luttes sociales, une page juridique, qui se pose sur la question de responsabilité objective. Si nous adoptons une nouvelle loi aujourd’hui, nous réglons des troubles futurs, mais nous n’aurons pas résolu la situation des individus qui sont d’ores et déjà victimes du dérèglement climatique, de ses méfaits et des inégalités qui en découlent.

    Pour la justice climatique, nous menons ainsi une initiative juridique, démocratique et sociale.

  • En Nouvelle-Zélande, une étudiante en droit attaque l’Etat en justice climatique

    Une consoeur ! La néo-zélandaise Sarah Thomson attaque en justice l’Etat néo-zélandais pour ne pas respecter les engagements de l’Accord de Paris. De ce procès qui durera trois jours dépend une nouvelle décision de justice qui, après les Pays-Bas et le Pakistan, renforce le chemin vers une responsabilité objective et contraignante pouvant à terme être reconnue internationalement.

    L’article est à lire ici.

  • Changement climatique au Pérou: l’action de David contre Goliath

    Traduit de l’allemand (retrouvez l’article d’origine sur Euractiv)

    C’est le premier recours de la sorte en Europe – et cela pourrait bien aller plus loin. Un agriculteur péruvien a poursuivi le géant de l’énergie RWE (“Rheinisch-Westfälisches Elektrizitätswerk”, conglomérat allemand de la région du Rhin-Westphalie), qu’il tient pour co-responsable du changement climatique sur sa terre natale.

    Crédit photo Edubucher

    Le guide de montagne péruvien Saúl Luciano Lliuya avait un grand objectif – moins sur le plan financier, mais pour le moins symbolique. Il voulait faire en sorte que la société d’énergie RWE soit condamnée à payer une partie des sommes nécessaires à la protection contre les effets du changement climatique dans sa région. Mais son action en dommages-intérêts contre le géant de l’énergie a échoué. C’est ce qu’a décidé le “Landgericht” (équivalent du tribunal de grande instance régional) de la ville d’Essen ce jeudi.

    Ceci pourrait cependant ne pas être le fin mot de l’histoire

    En effet, le tribunal a néanmoins consenti à faire un pas en avant et à suivre l’argumentation de l’agriculteur sur le plan moral. Bien qu’il constate l’absence de «causalité juridique», il n’exclut pas l’existence d’une «causalité scientifique». L’avocate de Lliuyas, Roda Verheyen a annoncé que son client ferait « probablement » appel de la décision devant la Haute cour de la ville de Hamm. Dans ce cas, il faudra que le demandeur apporte la preuve dans le détail que les agissements de la société RWE impliquent sa responsabilité pour la mise en danger de la propriété de Luciano Lliuya.

    Celui-ci s’est montré confiant, il espère qu’un tribunal allemand lui donnera la chance « de démontrer que RWE est conjointement responsable de notre situation dangereuse ».

    Ce recours qui est largement passé inaperçu dans l’opinion publique est le premier de la sorte en Europe. Dans la région d’origine de l’agriculteur péruvien, la ville de 120.000 habitants Huara, est menacée par un risque important d’inondation en raison de la fonte massive des glaciers. Le GIEC attribue la fonte des glaciers dans les Andes au changement climatique. À Huara, les études estiment que jusqu’à 50.000 personnes pourraient être victimes d’un tsunami dévastateur si un effondrement glacier survenait sur le lac Palcacocha .

    Le lac, à quelques kilomètres au-dessus de la ville, a vu sa taille quadrupler depuis 2003. Avec le changement climatique, le risque que de grands blocs de glace se détachent du glacier et tombent dans le lac, augmente significativement. Pour éviter le danger d’un raz-de-marée, il serait indispensable de régulièrement pomper de grandes quantités d’eau dans le lac par un nouveau système de drainage et de consolider les digues autour du lac ou d’en construire de nouvelles.

    Dans sa poursuite civile déposée fin 2015, Lliuya réclamait que RWE soit condamnée à financer les mesures de protection sur le glacier au-dessus de la ville andine à hauteur de sa contribution au réchauffement climatique. Sa démarche est soutenue par l’association environnementale Germanwatch.

    Les sommes réclamées représentent environ 17.000 euros. La société RWE, qui est un des plus grands émetteurs de CO2 en Europe, refuse de payer.

    Responsabilité historique, irresponsabilité juridique

    Selon une étude de 2014, la société d’énergie serait responsable d’environ un demi pour cent de toutes les émissions de gaz à effet de serre qui ont été globalement émises par l’action humaine depuis le début de l’industrialisation !

    Klaus Milke, président de l’association allemande Germanwatch, explique le nœud de la question : “Est ce que les principaux responsables du changement climatique peuvent écarter leur responsabilité, avec pour seul argument qu’il existe un grand nombre de coresponsables ? Pour les personnes directement touchées par le changement climatique, cela revient à en faire des victimes à la fois dépourvue de soutien matériel mais aussi de recours juridique, dit-il. Ce serait un argument en faveur de l’irresponsabilité collective. »

    Pour l’association Notre affaire à tous, ce recours met en lumière le décalage actuel entre les outils juridiques disponibles et les besoins ressentis par les victimes du changement climatique. Malgré la responsabilité scientifique évidente des grands émetteurs, le juge reste encore dépourvu d’instruments assez neufs pour rendre une justice équilibrée et trouver des solutions innovantes.

    Ce recours est emblématique de toute l’ingéniosité des défenseurs de la justice climatique. Qu’ils soient agriculteurs ou écoliers, avocats ou parents, face au refus de la société industrialisée d’agir et de réparer ses erreurs, il faut croire que la justice verra se former des recours toujours plus créatifs pour mettre les entreprises et les Etats face à leurs responsabilités.

  • Pollution atmosphérique : la victoire du cabinet ClientEarth contre les autorités britanniques

    Pollution atmosphérique : la victoire du cabinet ClientEarth contre les autorités britanniques

    Encore une victoire devant les tribunaux pour le cabinet d’avocats ClientEarth. La Haute Cour de Justice annule le plan proposé par le gouvernement britannique en matière de lutte contre la pollution atmosphérique au dioxyde d’azote.

    square-mile

    Après la publication le 17 décembre 2015 d’un nouveau plan de qualité de l’air par le ministère de l’Environnement britannique, le cabinet ClientEarth a saisi la Haute Cour de justice du Royaume-Uni. Ce plan prévoit la création d’un réseau national de « zones urbaines à faibles émissions » à l’horizon 2020. Il ne concerne pour le moment que six villes: Londres, Birmingham, Leeds, Nottingham, Derby et Southampton.

    Pour Alan Andrews, avocat au cabinet ClientEarth, il s’agit d’une réponse « inacceptable » au regard des injonctions de la Cour suprême d’avril 2015, d’agir immédiatement et efficacement pour un air sain. Il juge ces plans discriminants, les autorités ignorant ouvertement les enjeux de santé pour les habitants d’autres villes, telles que Glasgow, Manchester et Bristol, qui connaissent elles aussi des problèmes de pollution au dioxyde d’azote (NO2).

    Une épopée judiciaire

    Le marathon judiciaire qui oppose le cabinet ClientEarth et le gouvernement britannique remonte au 1er mai 2013, lorsque la Cour suprême reconnaît la violation par le Royaume-Uni de la directive européenne du 21 mai 2008 sur la qualité de l’air ambiant (1). Elle constate que les émissions de polluants et notamment de NO2 dépassent les plafonds fixés par Bruxelles.

    Ce que cela implique dans les faits: le délai de transposition de cette directive européenne est écoulé depuis 2010 et la Grande-Bretagne ne respecte toujours pas ses engagements. La Cour suprême saisit alors la Cour de Justice de l’Union européenne, afin que celle-ci donne son avis sur les mesures à mettre en œuvre.

    La Cour de Justice de l’UE, dans un avis du 19 novembre 2014 (2), rappelle que les plafonds d’émissions de NO2 « ne peuvent pas être dépassés » et constituent pour les Etats membres une obligation de résultat dans la lutte contre la pollution atmosphérique (3). Cela est notamment dû au potentiel de réchauffement global (PRG) de ce gaz 296 fois plus réchauffant que le CO2 (4) mais aussi à ses conséquences graves sur la santé.

    Elle rappelle que c’est aux juridictions nationales de prendre à l’égard des autorités compétentes une injonction (jugement de sommation à agir), pour que l’Etat établisse le plan relatif à la qualité de l’air. Ce plan est nécessaire pour que la Commission puisse accorder un délai supplémentaire pour l’application de la directive non respectée.

    Depuis cette décision, le cabinet ClientEarth n’a cessé de contester les plans proposés par le ministère de l’Environnement britannique. Il avait saisi les juridictions britanniques et obtenu une première condamnation du ministère par la Cour suprême du Royaume-Uni le 29 avril 2015. Dans cette décision, elle annulait les plans prévus pour insuffisance des moyens annoncés et condamnait le ministère à en fournir de nouveaux avant le 31 décembre 2015.

    La prochaine étape de cette épopée judiciaire devrait intervenir en mars 2016.

    La France dans le viseur de la Cour de Justice européenne

    En attendant de voir ce qui se passe outre-Manche, il est important de rappeler que la France ne respecte pas non plus ses engagements en matière de polluants atmosphériques où les émissions de NO2 sont toujours beaucoup trop élevées. La Cour de Justice de l’Union européenne a d’ailleurs menacé la France de sanctions si elle ne met pas rapidement en place des mesures efficaces. Dans de nombreuses grandes villes françaises, comme Paris, Lyon, Grenoble, Marseille, la Martinique, Nice, et Toulon, les plafonds sont régulièrement dépassés (5). L’Observatoire des statistiques français confirme ces dépassements inquiétants à la fois pour la santé et pour l’environnement (6).

    Le constat est alarmant: la commission d’enquête du Sénat a chiffré le coût de l’inaction en matière de pollution atmosphérique à 101,3 milliards d’euros (7) et les scientifiques s’accordent sur le fait que la pollution est la cause de plusieurs dizaines de milliers de morts par an (8).

    Faudra-t’il aller devant les tribunaux pour obliger le gouvernement à prendre des mesures à la hauteur des enjeux ?


    (1) Directive UE du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe
    (2) Avis CJUE, Supreme Court of the United Kingdom, 19 novembre 2014
    (3) Article Actu-environnement : « le respect des valeurs limites de NO2 dans l’air ambiant, une obligation de résultat »
    (4) Wikipedia définition : le potentiel de réchauffement global
    (5) Article Actu-environnement : « Villes respirables: cinq ans pour respecter les normes de qualité de l’air »
    (6) Observatoire et statistiques : la pollution de l’air par les oxydes d’azote
    (7) Rapport de Mme Leila AÏCHI, fait au nom de la CE coût économique et financier de la pollution de l’air
    (8) Article Science&Avenir : « Pollution atmosphérique : entre 20.000 et 40.000 décès en France »