Traduction disponible en shimaoré (oral) en bas de page.
Communiqué de presse, 23 juin 2025 – Les difficultés d’accès à une eau potable dans les territoires dits d’Outre-mer représentent une crise majeure, aux conséquences quotidiennes dramatiques et croissantes sur les droits humains des adultes et enfants qui y vivent. Face à cette situation alarmante, associations locales et nationales publient aujourd’hui un rapport collectif et alertent les autorités ainsi que les Nations Unies sur cette grave discrimination environnementale.
Dans ce contexte, nous avons établi un état des lieux accablant, qui a vocation à mettre en lumière le ressort de la discrimination environnementale qui cible les territoires dits d’Outre-mer par rapport au territoire hexagonal. Les constats que nous y faisons, autour des problématiques d’accès à l’eau potable et des violations des droits fondamentaux qui en résultent, sont d’une gravité telle que nous transmettons également ce rapport au Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’eau potable. Il est important que la France soit amenée à répondre de ce scandale devant les Nations-Unies.
Le rapport en quelques mots :
– Le droit international, comme le droit européen et français, reconnaît le droit humain à l’eau potable, tout comme la nécessité de – prendre en compte les difficultés particulières qui pourraient concerner certaines populations, notamment en fonction de leur lieu de vie ou de leurs revenus. Pourtant, le cadre juridique encadrant le droit à l’eau potable en Francene permet pas une telle prise en compte des réalités des territoires dits d’Outre-mer. – Cela emporte des conséquences extrêmement fortes dans les territoires dits d’Outre-mer, de plusieurs ordres et de différents degrés selon les territoires, mais qui concernent notamment : des difficultés techniques et infrastructurelles engendrant des coupures d’eau régulières ; des pollutions très fortes qui impactent la potabilité de l’eau ; une tarification par endroits extrêmement élevée, à mettre en regard avec le service défaillant et les difficultés économiques des territoires dits d’Outre-mer. – Ces difficultés impactent fortement les différents droits fondamentaux – à la santé, à la vie privée et familiale, à la dignité humaine, mais aussi au logement décent ou au travail – des habitant·es dits ultramarin·es de façon générale, et des enfants encore plus intensément. – Ces difficultés sont de plus amenées à s’intensifier avec le changement climatique.
Dans les Antilles, les enfants perdent 20% de jours d’école à cause du manque d’eau selon l’UNICEF. En Guyane, dans l’Ouest du pays, l’accès à l’eau n’est pas garanti, affectant disproportionnellement les populations précaires et vulnérables de cette zone enclavée. Pendant la sécheresse qui a frappé Mayotte en 2023, les Mahorais·es n’avaient accès à de l’eau au robinet qu’environ 8h tous les trois jours, et un mois après Chido, une mission parlementaire a constaté la pénurie d’eau potable affectant toute l’île. Les Guadeloupéen·nes paient l’eau la plus chère de France bien qu’elle soit régulièrement impropre à la consommation, polluée et que sa distribution soit sujette àdes coupures quotidiennes qui peuvent durer plus d’un mois.
Ces difficultés, si elles représentent un défi technique, ne sont pas une fatalité ou une coïncidence qui toucherait par hasard les territoires dits d’Outre-mer : ces situations réunissent tous les éléments constitutifs d’une discrimination environnementale indirecte résultant de l’inaction de l’État. Il est urgent que la situation des territoires dits d’Outre-mer soit comprise pour ce qu’elle est – une discrimination environnementale – pour que les actions mises en place soient suffisamment dimensionnées et aient enfin un impact positif sur le quotidien des habitant·es.
Collectivement, nous formulons plusieurs demandes sans lesquelles il n’est pas possible d’espérer une amélioration. Elles concernent :
La reconnaissance de la situation pour ce qu’elle est – une discrimination environnementale territoriale.
Un augmentation forte des crédits alloués par l’État, à la hauteur minimale des besoins précisément évalués pour assurer à ces territoires un accès normal à l’eau potable.
Une responsabilisation des acteurs impliqués et une intégration réelle des populations à la construction des politiques publiques.
Une construction holistique des politiques publiques déployées dans les territoires dits d’Outre-mer autour de ces objectifs de justice environnementale.
Le sujet doit être traité proportionnellement à son ampleur : près de 3 millions de personnes en France subissent de graves problématiques pour accéder à un service public vital, l’eau potable. Ce n’est pas un problème local, c’est un sujet qui met à mal notre conception même d’égalité nationale.
Collectifs et associations signataires, dans l’ordre alphabétique : l’ASSAUPAMAR (Martinique), le Collectif des luttes sociales et environnementales, Guyane Nature Environnement, Kimbé Rèd F.W.I. (Antilles), Lyannaj pou dépolyé Matinik, Mayotte a soif, Mayotte Nature Environnement, Notre Affaire à Tous, l’association VIVRE (Guadeloupe).
Pour en savoir plus, retrouvez le rapport collectif faisant l’état des lieux des problématiques d’accès à l’eau dans les territoires dits d’Outre-mer et explicitant le ressort de la discrimination et les impacts sur les droits humains :
« Depuis 2021, suite au plaidoyer de Kimbé Rèd FWI, l’ONU a interpellé la France à de nombreuses reprises sur la crise de l’eau en Guadeloupe et la pollution au chlordécone aux Antilles, révélant des défis communs à la plupart des “Outre-mer”. Le présent rapport, fruit d’un précieux travail collectif coordonné par Notre Affaire à Tous, confirme une discrimination systémique, appelant des politiques nationales et des solutions locales adaptées. » – Sabrina Cajoly, fondatrice de Kimbé Rèd FWI.
«Les informations que nous avons réunies démontrent de manière dramatique à quel point les territoires dits d’Outre-mer ne sont pas traités comme le reste du territoire français. Nulle part ailleurs en France on n’accepterait une telle situation. On parle ici d’accéder à de l’eau potable, la première condition de toute vie humaine, en 2025.» – Jérémie Suissa, délégué général de Notre Affaire à Tous.
« Pendant deux années consécutives, 2023 et 2024, nous n’avons pas été capables d’assurer l’accès à l’eau potable à l’intégralité des citoyens guyanais sur une période de l’année notamment du fait des conséquences du réchauffement climatique. Cette situation ne saurait durer davantage et il est urgent d’apporter des solutions car il s’agit d’un droit fondamental. » – Nolwenn Rocca, coordinateur de Guyane Nature Environnement.
« Alors que le changement climatique intensifie les sécheresses, les territoires ultramarins sont en première ligne face au manque d’eau potable. Les réponses apportées doivent être à la hauteur des réalités propres à chaque territoire. » – Léna Lessard, juriste de Mayotte Nature Environnement.
Communiqué de presse de l’association Notre Affaire à Tous et des collectifs La Goutte d’Eau et PADO, 05 septembre 2024 – À l’heure où de graves pollutions au chlordécone privent encore d’eau les habitant.e.s de nombreuses communes en Guadeloupe, c’est en soutien aux initiatives locales lancées par les collectifs La Goutte d’Eau en Guadeloupe et PADO à Mayotte que l’association Notre Affaire à Tous se joint aux procédures pénales engagées pour déterminer les responsables de la crise de l’eau dans ces deux territoires. Il est grand temps de faire reconnaître les fautes à l’origine de ces crises et de réparer les préjudices subis par des centaines de milliers d’habitants des territoires français dits d’Outre-mer, engendrés par les problématiques graves d’accès à l’eau potable.
Suite aux plaintes déposées en février 2023 par plus de 200 plaignants du collectif La Goutte d’eau en Guadeloupe, et en décembre 2023 par une trentaine de plaignants du collectif PADO à Mayotte, des enquêtes préliminaires ont été ouvertes pour déterminer les responsabilités de toutes les personnes physiques et morales susceptibles d’être engagées en raison du manque d’accès à l’eau en quantité et en qualité suffisante dans ces deux territoires. Ces plaintes, portées par le cabinet VIGO, ont aussi été soutenues par la Ligue des droits de l’Homme. Comme l’affirme Sabrina Cajoly, plaignante de La Goutte d’eau et fondatrice de Kimbé Rèd – French West Indies, association antillaise de droits humains ayant porté l’action au niveau international : “La population guadeloupéenne est résiliente mais elle n’est pas résignée. Elle réclame justice, égalité et de l’eau potable au robinet”. Désormais, pour le collectif PADO, “seul on va plus vite, ensemble on va plus loin : les collectifs ultramarins commencent à travailler ensemble pour faire reconnaître les politiques discriminatoires qui touchent systématiquement les territoires d’Outre-Mer”.
Toutefois, malgré les mois qui passent, les coupures d’eau encore régulières et la multiplication des interdictions officielles de consommer l’eau, les phases d’instruction de ces enquêtes n’ont toujours pas été ouvertes, privant les plaignants mahorais et guadeloupéens d’un accès effectif à la justice. En faisant part à la juridiction de son intention de se constituer partie civile dès l’ouverture d’une instruction, Notre Affaire à Tous souhaite rappeler le droit à un procès équitable dans un délai raisonnable, aujourd’hui mis à mal. Si la justice manque de moyens partout en France, cette problématique est accentuée dans les territoires dits d’Outre-Mer. Il n’est pas acceptable que des victimes dont les droits fondamentaux et les besoins vitaux sont ignorés ne puissent pas faire valoir leurs préjudices devant la justice rapidement. Les associations et collectifs appellent donc à une ouverture urgente des instructions, afin de pouvoir apporter leur concours à la manifestation de la vérité sur les raisons qui ont mené à ces graves problèmes d’accès à l’eau potable en Guadeloupe et à Mayotte.
Pour rappel, la Guadeloupe souffre depuis des décennies de problématiques de coupures, de pollutions graves de l’eau – notamment au chlordécone, un pesticide hautement toxique – et d’infrastructures défaillantes. Ce constat a conduit plus de 70 experts des Nations Unies – dont plusieurs comités et rapporteurs – à exhorter la France à prendre des mesures d’urgence pour assurer l’accès à l’eau potable de la population tout en réalisant des travaux sur le moyen et le long terme pour remédier durablement à la situation. À Mayotte, la sécheresse de 2023 et l’apparition du choléra en 2024 ont révélé des difficultés structurelles aggravées depuis des années par tous les acteurs de la gouvernance de l’eau, dans un territoire particulièrement vulnérable.
Ces situations, qui résultent d’un désengagement de l’État sur ces questions et d’une inadaptation discriminatoire des politiques publiques d’accès à l’eau, impactent lourdement la dignité et les droits fondamentaux des habitant.e.s : droit à la santé, droit à l’éducation, droit à un environnement sain, droit au logement, droit à un niveau de vie décent, droit à la vie privée et familiale… Pour Jérémie Suissa, délégué général de Notre Affaire à Tous, “les scandales se succèdent dans les territoires d’Outre-Mer et l’hexagone continue à refuser de prendre le problème au sérieux et à mettre chacun devant ses responsabilités. Nous espérons que les tribunaux contribueront à la reconnaissance de ces injustices. Les habitant.es de Guadeloupe et de Mayotte ont le droit d’avoir de l’eau potable comme tous.tes les citoyen.nes français.es.”
Communiqué, Paris, le 11 juillet 2024 – Dans un rapport inédit, Notre Affaire à Tous met en lumière les risques climatiques et environnementaux auxquels font face les prisons françaises et alerte sur l’urgence d’adaptation du milieu et des politiques carcérales.
Sur la base de données publiques (Ministère de la Justice, CGLPL, OIP, site Géorisques, Météo France, etc.), Notre Affaire à Tous a évalué la vulnérabilité des prisons françaises en fonction de 9 risques climatiques et environnementaux, ainsi que 8 aspects récurrents du système pénitentiaire français actuel que nous avons retenus comme facteurs aggravants, car renforçant la vulnérabilité des personnes face aux conséquences des événements climatiques extrêmes et des pollutions. Les risques ont été évalués pour l’ensemble des 188 établissements pénitentiaires de France, hexagonale et d’Outre-Mer ouverts en décembre 2023 au plus tard.
Le changement climatique redessine une carte des prisons en fonction de leur exposition aux risques climatiques qui doit nous alerter.
Aucune des 188 prisons françaises n’échappe aux risques climatiques et environnementaux. Les prisons du sud de la France, notamment les DISP Marseille et Toulouse, sont les plus impactées.
100% des prisons sont concernées par le risque de canicule.
1 établissement sur 2 est en zone à risque de retrait et gonflement des argiles.
Près d’1 établissement sur 3 est exposé aux tempêtes et cyclones.
Plus d’1 établissement sur 4 est concerné par le risque d’inondation.
7 établissements sur 10 sont situés sur des sols potentiellement pollués.
1 établissement sur 10 est situé à proximité d’un site classé ICPE.
Près d’1 établissement sur 4 est situé à proximité d’un aéroport, d’une voie ferrée, et/ou d’un axe routier important.
15 prisons cumulent les 8 facteurs aggravants.
Malgré cette indéniable vulnérabilité, l’enjeu de l’adaptation des conditions de vie et de travail dans les lieux de privation de liberté à l’aune de la crise écologique n’est ni sérieusement documenté, ni véritablement abordé. Il ne fait l’objet d’aucune politique publique et ne semble pas être pris en compte dans les programmes de construction et de rénovation des prisons.
L’Etat a pourtant la charge et le devoir de protéger l’ensemble de ses administré·es.
Les personnes détenues sont particulièrement vulnérables en raison de leur exposition aux risques climatiques et environnementaux, de leur privation de liberté, de leur dépendance aux autorités pour assurer leur sécurité, des conditions actuelles de détention très souvent indignes, enfin de leur accès à un environnement sain fortement contrôlé et limité du fait de leur enfermement dans un environnement extrêmement minéral. La France ayant d’ores et déjà été condamnée à multiples reprises par la CEDH concernant les conditions de détention, et les effets du changement climatique impactant déjà les 76 000 personnes détenues (au 1er janvier 2024) et le personnel pénitentiaire, il est urgent d’adapter le système carcéral français.
Recommandations
Quelle que soit la trajectoire de hausse des températures qui se dessine, l’enfermement massif doit être revu à l’aune des conséquences du changement climatique car il n’est ni compatible avec le respect des droits humains, ni compatible avec la nécessaire adaptation de notre société.
Depuis trois décennies, les gouvernements successifs choisissent de répondre à la surpopulation carcérale en dédiant une partie considérable du budget de la Justice à l’augmentation du nombre de places dans les établissements pénitentiaires. Plusieurs rapports pointent pourtant l’incapacité de ces programmes de construction à répondre au problème chronique de la surpopulation carcérale, qui restera donc un facteur aggravant des conséquences du changement climatique tant pour les détenu⋅es que pour le personnel pénitentiaire. De plus, les nouveaux bâtiments construits ne prennent pas ou très peu en compte les besoins d’adaptation au changement climatique, en particulier de par leur localisation.
Face à ces constats, Notre Affaire à Tous formule 17 pistes d’actions pour une adaptation urgente et efficace des prisons françaises aux risques climatiques, en adéquation avec les préconisations généralement portées par les institutions et organisations qui s’intéressent aux conditions de détention.
Le rapport complet est disponible sur le lien suivant :
Dans la lignée de ses précédents travaux sur les impacts du changement climatique et les inégalités qu’ils aggravent ou génèrent, Notre Affaire à Tous propose une synthèse de son futur rapport inédit sur les risques climatiques et environnementaux auxquels sont exposées les prisons françaises.
Le changement climatique impacte tous les pans de la société, y compris le milieu carcéral
Sur la base de données publiques (Ministère de la Justice, CGLPL, OIP, site Géorisques, Météo France, etc.) nous avons évalué neuf risques climatiques et environnementaux auxquels les prisons sont exposées, ainsi que huit aspects récurrents du système pénitentiaire français actuel que nous avons retenus comme facteurs aggravants, car renforçant la vulnérabilité des personnes face aux conséquences des événements climatiques extrêmes et des pollutions.
Quelle que soit la trajectoire de hausse des températures qui se dessine, l’enfermement massif, à l’aune du changement climatique, n’est pas compatible avec la nécessité de mettre en œuvre rapidement des politiques d’adaptation réellement efficaces et respectueuses des droits humains. Nous formulons de nombreuses recommandations destinées à répondre aux enjeux climatiques et environnementaux auxquels font face les prisons.
Retrouvez dès maintenant notre rapport et sa synthèse :
Les conséquences des changements climatiques sont déjà visibles. Notre Affaire à Tous met régulièrement en avant les différences d’impacts et les inégalités qui y sont liées, tant au niveau international que national. Si nous sommes toutes et tous concernées par le réchauffement climatique, nous ne sommes pas tous responsables au même niveau ni n’avons les mêmes moyens (financiers mais aussi sociaux, juridiques, etc.) pour nous protéger de ces conséquences ou nous adapter. Ces questions sont anciennes et de plus en plus abordées et documentées, notamment au niveau international. On parle de pertes et préjudices (loss and damages), c’est-à-dire les conséquences du changement climatique qui ne peuvent être évitées ce qui amène la question des réparations des préjudices subis (perte de revenus à cause d’une inondation ou d’une vague de chaleur) et celles des compensations pour les pertes qui ne peuvent pas toujours être évaluées en termes économiques (vies humaines ou non, perte d’une culture, etc.). Cependant, si ces problématiques sont bien présentes dans les discussions, leur prise en compte effective et leur intégration dans des plans d’action concrets sont encore trop lentes et limitées.
Dans ce numéro d’IMPACTS, dans le cadre d’une clinique Notre Affaire à Tous et des étudiant.e.s de Sciences Po Toulouse (Manon MERLE & Léo RICHER) font un point détaillé sur la question des pertes et préjudices en retraçant notamment son évolution dans le régime climatique.
La lente consécration des pertes et préjudices comme troisième pilier du régime climatique international : retour sur l’historique de la mise à l’agenda 1. Années 1990 : La lutte des PEID pour la reconnaissance de leur particulière vulnérabilité aux effets résiduels des changements climatiques 2. Premières apparitions de l’expression « loss and damage » dans la soft law : de la COP de Bali en 2007 à la création du Mécanisme international de Varsovie en 2013 3. La consécration des pertes et préjudices comme troisième pilier de l’action climatique internationale avec l’Accord de Paris de 2015 4. L’application concrète de ce troisième pilier : la création du Fonds pour les pertes et préjudices à la COP 27
Compenser les pertes et préjudices ? 1. Le refus de la responsabilité et le choix de la solidarité internationale 2. Dans le cadre de la CCNUCC, une évolution laborieuse du traitement financier des pertes et préjudices depuis la COP 21 3. Le Fonds pour les pertes et préjudices 4. Compenser les pertes non-économiques
La préparation de Mayotte aux changements climatiques et les pertes et préjudices 1. Un habitat fragile face aux évènements climatiques extrêmes 2. La crise de l’eau de 2023 : une crise révélatrice d’une mal-adaptation 3. Les pertes et préjudices auxquelles Mayotte fait ou fera face
La Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) adoptée en 1992 à l’issue du Sommet de la Terre de Rio, constitue le socle du régime international de la lutte contre les changements climatiques. Ce régime est complété par deux autres traités, à savoir le Protocole de Kyoto (1997) et l’Accord de Paris (2015). Sur la base du premier rapport du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) paru en 1990, les Nations Unies reconnaissent au sein de la CCNUCC un principe devenu notoire, celui des responsabilités communes mais différenciées des parties à la convention dans la contribution aux changements climatiques. En conséquence, il appartient « aux pays développés parties d’être à l’avant-garde de la lutte contre les changements climatiques et leurs effets néfastes » (Article 3 de la CCNUCC).
L’action climatique a d’abord été concentrée sur une stratégie d’atténuation des changements climatiques, c’est-à-dire de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), fondée sur l’idée que les effets des changements climatiques pouvaient être évités. Puis, l’échec des politiques d’atténuation, et de l’existence future d’effets inévitables des changements climatiques, font prendre acte aux Etats parties à la CCNUCC de la nécessité de se préparer face à ces effets néfastes. L’adaptation devient alors le second pilier du régime climatique international au côté de l’atténuation. Il est définitivement entériné en 2010 avec la création du Cadre de l’adaptation de Cancún.
En parallèle, est discuté au sein des négociations internationales la reconnaissance d’effets résiduels des changements climatiques, c’est-à-dire d’effets qui se produisent et se produiront en dépit de la mise en place de politiques d’atténuation et d’adaptation, aussi conceptualisés sous le vocable de « pertes et préjudices ». Ces effets résiduels peuvent être les conséquences d’événements climatiques extrêmes (ouragans, typhons, submersions, etc.) comme de phénomènes climatiques à évolution lente (montée du niveau des mers, salinisation des sols, etc.). Pour comprendre rapidement et concrètement ce que sont ces pertes et préjudices, il est courant de les distinguer en deux catégories : d’une part, les pertes et préjudices économiques (destruction d’infrastructures, pertes de revenus, etc.) et d’autre part les pertes et préjudices non-économiques (perte de souveraineté, perte d’identité culturelle, etc.), donc difficilement évaluables en termes monétaires. Nous reviendrons sur la construction de cette définition au cours de l’article.
L’identification et la compensation des pertes et préjudices devient le troisième pilier du régime climatique international en 2015 avec l’adoption de l’Accord de Paris. Or, si l’établissement de ce troisième pilier est le plus récent, et que la décision de mettre en place un Fonds dédié au traitement des pertes et préjudices n’est intervenu qu’à l’issue de la COP 27 (et qu’il n’est pas encore opérationnel), des débats, concernant la reconnaissance de dommages inévitables futurs et la mise en place de mécanismes d’assurance pour y faire face, animent les négociations internationales dès le Sommet de la Terre de Rio de 1992. Ces questions, portées par des Etats particulièrement vulnérables aux effets des changements climatiques, s’accompagnent au départ d’une demande d’implémentation de mécanismes assurantiels, auxquels seraient soumis à participation les Etats développés, opérant par là la reconnaissance de leur responsabilité juridique.
Les pertes et préjudices se présentent donc clairement comme une illustration des inégalités climatiques : certaines régions sont particulièrement exposées aux conséquences des changements climatiques. Comme l’ont souligné Marianne Moliner-Dubost et Sabine Lavorel (2024), les pays en développement supportent de manière disproportionnée ces pertes et préjudices. Tout d’abord, ces pays sont plus fréquemment touchés par des événements climatiques extrêmes et leur capacité à y faire face est entravée par leur faible revenu. Qui plus est, une injustice climatique encore plus flagrante réside dans le fait que les pays les plus touchés et les plus vulnérables aux pertes et préjudices sont souvent ceux qui émettent le moins de gaz à effet de serre. En effet, le sixième rapport du GIEC révèle que les contributions historiques des émissions de CO2 varient considérablement en fonction des régions. D’une part, il apparaît qu’historiquement les pays développés représentent près de 45% des émissions de CO2 entre 1850 et 2019. D’autre part, le GIEC souligne que :
« Les pays les moins avancés (PMA) et les petits États insulaires en développement (PEID) ont des émissions par habitant beaucoup plus faibles (1,7 tCO2-eq et 4,6 tCO2-eq respectivement) que la moyenne mondiale (6,9 tCO2-eq) […]. Les 10% de ménages présentant les émissions par habitant les plus élevées contribuent à hauteur de 34 à 45% des émissions de GES des ménages basées sur la consommation à l’échelle mondiale, tandis que les 50% les moins riches contribuent à hauteur de 13 à 15% » (GIEC, AR6, GTIII: 5).
Le problème étant que les territoires faiblement responsables des changements climatiques sont plus durement frappées par leurs conséquences. A ce titre, une étude datant de 2022 révèle que 97% des victimes d’événements météorologiques extrêmes depuis 1991 résidaient dans des pays en développement, ce qui représente en moyenne 189 millions de personnes chaque année. De plus, cette étude indique également qu’entre 2021 et 2022, les pays en développement auraient subi environ 119 événements climatiques extrêmes. En outre, rien que durant la première moitié de 2022, six entreprises du secteur des combustibles fossiles auraient généré suffisamment de bénéfices pour compenser tous les dommages subis par ces pays, tout en dégageant 70 milliards de dollars de profits supplémentaires.
Partant, l’objectif de cet article est d’abord de faire une synthèse de l’histoire de la reconnaissance des pertes et préjudices au sein du régime climatique international ainsi qu’une présentation du traitement de ces effets résiduels et des limites de l’action internationale en la matière. Puis, il s’attache à appliquer le concept de pertes et préjudices, consacré en droit international, aux Outre-mer français, compte tenu de leur particulière vulnérabilité aux effets des changements climatiques, en développant particulièrement le cas du département de Mayotte.
Partie 1 – Pertes et préjudices : compenser les inégalités climatiques au niveau international
La « science de l’attribution » : les preuves de sur-risques de survenue de pertes et préjudices dues aux changements climatiques anthropiques
Pour attribuer les pertes et préjudices au changement climatique, encore faut-il prouver le lien de causalité, ce qui ne va pas de soi puisqu’il existe une pluralité de facteurs de risque. Par ailleurs, il existe aujourd’hui de nombreuses études et méthodes d’attribution des aléas climatiques aux émissions anthropiques de gaz à effet de serre. Les derniers rapports du GIEC soulignent le rôle important joué par les émissions de gaz à effet de serre dans la hausse globale des températures à l’échelle du monde depuis la période préindustrielle.
La « science de l’attribution » permet en effet de mettre en avant les sur-risques de survenue de phénomènes en raison du changement climatique. A ce propos, certains événements à évolution lente, tels que la hausse globale des températures, l’élévation du niveau de la mer ou encore la fonte des glaces, sont facilement imputables à la hausse des émissions anthropiques. En 2016, une étude a démontré qu’il y avait 95% de probabilité que la moitié des inondations auxquelles les États-Unis ont été confrontés soient attribuables aux changements climatiques d’origine humaine (Strauss, 2016). De même, la probabilité d’attribution des pluies et inondations qui ont frappé la France en 2016 a été estimée à 90% plus probable en raison du changement climatique (McSwenney et Pidcock, 2016).
Par ailleurs, d’autres aléas climatiques sont plus difficilement attribuables aux changements climatiques : c’est le cas notamment de la salinisation des sols, de la perte de la biodiversité, ainsi que des événements extrêmes (vagues de chaleur, sécheresse, inondations) (European Capacity Building Initiative, 2018: 21). Pour ce qui est des événements extrêmes, le GIEC affirme par ailleurs que les émissions anthropiques entraînent vraisemblablement une augmentation de leur fréquence et de leur intensité.
Une des limites de cette science de l’attribution repose sur le fait que les pays développés ont davantage de moyens et de données de qualité pour la mettre en œuvre par rapport aux pays en développement.
Le territoire français est pluriel et s’étend sur trois océans, avec les territoires d’Outre-mer disséminés à travers l’océan Atlantique, Indien et Pacifique. Dès lors, il faut se garder de l’imaginaire géographique unique de la France qui n’est souvent représentée qu’à travers son territoire européen (Ferdinand, 2018). Malcom Ferdinand souligne en effet l’exclusion symbolique des territoires d’Outre-mer de la France dans le récit géographique national, à l’instar des JT météo qui ne mentionnent que le territoire hexagonal. Pour comprendre la relation de la France au changement climatique, il est donc nécessaire de l’aborder au prisme de ses territoires d’Outre-mer.
Le changement climatique n’épargne aucun territoire, et la France – dans toute sa diversité – ne fait pas exception. D’après le dernier rapport du Haut conseil pour le climat (septembre 2023), la température globale en France aurait augmenté de 1,9°C (moyenne sur la dernière décennie : de 2013 à 2022) par rapport à la période préindustrielle (1850-1900). Pour comparaison, le niveau de réchauffement à l’échelle du monde est de l’ordre de + 1,15°C sur cette même période. Plusieurs événements météorologiques extrêmes ont frappé la France en 2022 : perte de 5 km3 de volume pour l’ensemble des glaciers alpins, baisse d’environ 20% de la production hydroélectrique, baisse des rendements agricoles (à hauteur d’environ 10 à 30% pour certaines filières), une baisse des précipitations de 25% par rapport la période 1991-2020. Le changement climatique a donc d’importantes conséquences sur les écosystèmes, la santé humaine, les infrastructures et les activités économiques en France. Le GIEC le constate dans son sixième rapport, le changement climatique rend plus probables et fréquentes les vagues de chaleur, les pénuries d’eau, la diminution du rendement agricole et les inondations.
Par ailleurs, nous l’avons vu, les conséquences du changement climatique diffèrent en fonction des territoires, certains étant bien plus vulnérables que d’autres. Appliqués au cas français, les territoires les plus vulnérables au changement climatique sont indéniablement les Outre-mer (Réseau Action Climat, 2022).
Mayotte fait partie des quatre îles de l’archipel des Comores qui se situe au Nord-Est de Madagascar. Cet archipel était sous protectorat français de 1848 à 1974, date à laquelle un référendum quant à son indépendance est organisé par la France. Parmi les quatre îles, seule la population de Mayotte vote contre l’indépendance. Un second référendum est organisé en 1976 uniquement à Mayotte, confirmant la volonté des Mahorais de rester rattachée à la France, tandis que le reste de l’archipel des Comores devient indépendant. En 2011, à la suite d’un référendum organisé en 2009, Mayotte devient département et région d’Outre-mer (DROM).
Mayotte constitue de loin le département et la région la plus pauvre de France, avec 77,3% de la population mahoraise vivant en dessous du seuil de pauvreté en 2018 alors que le taux de pauvreté en France hexagonale est de 14,8% (Insee, Revenus et patrimoine des ménages, 2021). Surtout, l’intensité de la pauvreté, c’est-à-dire l’écart relatif entre le niveau de vie médian de la population pauvre et le seuil de pauvreté rapporté au seuil de pauvreté, est de 87,3%, ce qui montre la très grande pauvreté des ménages mahorais. Le taux de chômage de l’île s’élevait à 34 % de la population active en 2022, faisant de Mayotte la région présentant le plus haut taux en France, mais également en Europe.
Par ailleurs, de part son histoire liée au Comores, Mayotte a connu une forte immigration comorienne depuis 1976. Alors qu’en 1976, l’île comptait 45 000 habitants, elle en compte environ 131 000 en 1997. En 1995, le gouvernement français met en place une procédure de visa pour les Comoriens souhaitant venir à Mayotte, alors que jusque-là il y avait un régime de libre circulation entre l’île française et le reste de l’archipel. Dès lors, il y a eu une forte immigration clandestine. Aujourd’hui, selon l’Insee, la population de Mayotte est estimée à 321 000 personnes, avec un taux de croissance démographique de 3,8% par an entre 2012 et 2017. Néanmoins, beaucoup de Mahorais critiquent le recensement de l’Insee et estiment que ce nombre est largement sous-estimé en raison de l’immigration illégale mal comptabilisée. Dans un rapport de 2022, la Cour des Comptes rapporte que « la plupart des interlocuteurs s’accordent sur le chiffre de 350 000, voire 400 000 habitants ». Et il n’est pas rare de voir des chiffres encore plus haut mentionnés par des personnes lorsqu’elles sont interrogées par la presse. Lors d’un entretien mené avec Nicolas Salvador, secrétaire de l’association Mayotte à soif, celui-ci parle de 600 000 personnes.
La mise à l’agenda international des pertes et préjudices a donc été le fait des pays les plus vulnérables, pour la plupart insulaires, qui ont alerté sur leur vulnérabilité particulière face au risque de montée du niveau de la mer, menaçant à la fois leur intégrité territoriale et politique. L’Alliance des petits Etats insulaires en développement (AOSIS) s’est rapidement constituée pour porter la voix de ces Etats sur la scène internationale.
Dès lors, la définition des pertes et préjudices s’est progressivement construite depuis 1992 au fil des Conférences des Parties à la CCNUCC et notamment avec la mise en place du mécanisme international de Varsovie relatif aux pertes et préjudices en 2013. Bien qu’il ne semble pas y avoir de définition officielle, il est commun de définir les pertes et préjudices comme les effets résiduels des changements climatiques qui se produisent et se produiront en dépit de la mise en place de politiques d’atténuation et d’adaptation : ces dommages peuvent être la conséquence d’événements météorologiques extrêmes comme de phénomènes climatiques à évolution lente et se distinguent notamment selon leur caractère économique ou non.
L’accord de Paris de 2015 a marqué une étape significative dans l’inscription des pertes et préjudices à l’agenda politique, en établissant ces derniers comme le troisième pilier de l’action climatique internationale, aux côtés de l’atténuation et de l’adaptation. Ainsi, l’action climatique doit reposer sur ces trois piliers pour traiter à la fois des causes et des conséquences des changements climatiques, pour ne s’attaquer pas seulement aux responsables mais pour se concentrer également sur ses victimes.
Par ailleurs, force est de constater que le régime climatique international ne repose nullement sur un principe de responsabilité. En effet, les pays développés, qui ont une responsabilité historique dans les émissions anthropiques de gaz à effet de serre à l’origine des changements climatiques, ont toujours lutté pour que ne soit pas reconnu leur responsabilité juridique. Ainsi, le régime climatique international repose davantage sur une logique de solidarité internationale. Par conséquent, bien que la décision de créer un Fonds pour les pertes et préjudices à la COP 27 constitue un pas significatif vers la voie de la compensation de ces dommages résiduels, elle ne traduit pas une volonté de réparation : en droit, la réparation sous-entendrait la reconnaissance d’une responsabilité dans le préjudice.
Par ailleurs, un autre point de tension limitant des politiques de compensation réside dans le fait qu’une partie non-négligeable des pertes et préjudices n’est pas évaluable en termes monétaires. En effet, c’est le cas des pertes non économiques, telles que la souveraineté politique et l’identité culturelle, qui ne sont pas commensurables. Compenser de telles pertes sous-entendrait la possibilité de trouver un bien substituable. Or, la particularité de ces biens est qu’ils ne sont pas substituables à d’autres, alors qu’ils sont déjà menacés par les effets des changements climatiques.
Les rapports du GIEC n’ont cessé de réaffirmer la responsabilité des activités humaines dans les changements climatiques : « Il est sans équivoque que l’influence humaine a réchauffé l’atmosphère, les océans et les continents » (GIEC, AR6, GTI). Par ailleurs, l’influence humaine n’a pas eu le même poids de part et d’autre du globe : certaines régions du monde sont en effet nettement plus responsables des émissions historiques de GES. L’injustice réside ainsi dans le fait que la part des émissions passées et présentes de certaines régions du monde est faible alors qu’elles subissent frontalement et très concrètement les effets des changements climatiques. A l’échelle du monde, il s’agit des pays en développement en général et des petits États insulaires en développement plus spécifiquement. A l’échelle de la France, il s’agit principalement des Outre-mer, qui pour la plupart (à l’exception de la Guyane) sont insulaires. En effet, les études montrent que les Outre-mer sont responsables de seulement 5,4% des émissions de GES en 2019 alors qu’ils sont directement victimes des conséquences des changements climatiques, sources de pertes et préjudices : leur caractère insulaire les expose à des risques accrus liés à la montée du niveau de la mer ; leurs économies, fortement dépendantes des secteurs du tourisme et de l’agriculture, sont fragilisées par les impacts du changement climatique ; ils sont également plus exposés aux événements climatiques extrêmes, ce qui entraîne des conséquences économiques et sociales graves, alors qu’ils disposent de peu de ressources pour y faire face, etc.
Le cas de Mayotte est particulièrement criant : il s’agit d’un département français depuis 2011, le plus pauvre de tous, avec près de 80% de la population vivant sous le seuil de pauvreté, contre environ 15% pour la France hexagonale. Mayotte subit par ailleurs de plein fouet les conséquences du changement climatique : la moitié des habitations étant construites en tôle, l’île est particulièrement vulnérable aux événements météorologiques extrêmes ; les sécheresses, devenues plus fréquentes et intenses, contribuent à l’importante crise de l’eau dont Mayotte est victime depuis des années ; en outre, l’état de la barrière de corail, cruciale pour l’équilibre de l’écosystème, est préoccupant à Mayotte. Par conséquent, Mayotte subit des préjudices financiers et moraux dus aux changements climatiques.
Ainsi, cet article s’est attaché à mettre en lumière dans quelles mesures les pertes et préjudices constituent une illustration manifeste des injustices résultant des changements climatiques dus aux émissions anthropiques de gaz à effet de serre à l’échelle du monde.
Communiqué de presse, 09 avril 2024 – Les décisions rendues ce matin dans les affaires Carême, “Ainées suisses pour le climat” et Duarte Agostinho, constituent un tournant dans la bataille juridique contre le réchauffement climatique. Ce qu’il faut retenir avant tout de ces décisions, c’est la reconnaissance par la Cour du changement climatique comme une menace pour les droits fondamentaux des citoyen.ne.s européen.ne.s.
En dépit de conditions d’accès complexes et exigeantes, et face à des États dont la défense se résumait à plaider l’irrecevabilité procédurale des demandes, la CEDH a choisi de déployer des arguments de fond extrêmement denses et complets dans ses décisions “KLIMASENIORINNEN” et, dans une moindre mesure, “DUARTE AGOSTINHO” du 9 avril. La CEDH a ainsi choisi de traiter sur le fond la question de la responsabilité climatique des Etats signataires de la Convention, en en donnant une interprétation limpide.
Ainsi, pour la CEDH, “le changement climatique peut avoir des effets négatifs très importants sur les droits fondamentaux protégés par la convention”. Cette reconnaissance ouvre la voie à un nouveau champ contentieux devant la CEDH sur les questions climatiques, considérées comme une menace directe pour les droits fondamentaux.
Ces décisions consacrent, au niveau européen désormais, l’obligation d’agir pour les Etats dans la lutte contre le changement climatique, dans la continuité des décisions des tribunaux néerlandais (Urgenda), français (l’Affaire du Siècle, Grande-Synthe) ou encore belges (Klimaatzaak). Elles reconnaissent également que les générations futures paieront un lourd tribut, confirmant ainsi un principe reconnu par la Charte de l’environnement française et plus récemment par le Conseil constitutionnel français.
Un rappel à l’ordre est également effectué sur le plan scientifique, la Cour rappelant aux Etats l’insuffisance de leur prise en compte des preuves scientifiques de l’urgence absolue que représente la crise climatique. Pour la CEDH, “le changement climatique est un problème véritablement existentiel pour l’humanité”.
Pour Jérémie Suissa, délégué général de Notre Affaire à Tous, “ces décisions sont historiques. Déjà acculés par de nombreuses décisions nationales, les États européens sont aujourd’hui avertis au plus haut niveau par une Cour suprême européenne et ne peuvent plus ignorer les tribunaux. La question climatique est une menace directe et immédiate pour les droits fondamentaux, il faut agir de manière beaucoup plus ambitieuse ou les contentieux se multiplieront.”
Dans ces affaires, Notre Affaire A Tous, à l’origine notamment de l’Affaire du Siècle en France, a apporté son soutien aux jeunes Portugais.e.s de l’affaire Duarte Agostinho en présentant un Amicus Curiae à la CEDH.
Rendez-vous mercredi 17 avril de 19h à 20h pour un webinaire de décryptage avec Paul Mougeolle, juriste de Notre Affaire à Tous et Justine Ripoll, responsable des campagnes de Notre Affaire à Tous : « retour sur les décisions climatiques historiques de la CEDH Aînées suisses et Duarte Agostinho« .
Communiqué de presse des associations Notre Affaire à Tous et Mayotte a soif, Paris, 29 décembre 2023 – Dans le cadre d’un référé-liberté lancé par les associations Notre Affaire à Tous et Mayotte a soif, et soutenu par une quinzaine de Mahorais.e.s, le Conseil d’État reconnaît en appel l’impact de la crise de l’eau sur les droits fondamentaux les plus essentiels des Mahorais tels que la dignité humaine et le droit à la santé. Pour autant, la justice ne s’estime pas compétente pour imposer à l’Etat d’agir plus vite et plus efficacement, alors même qu’elle reconnaît la crise et ses “conséquences extrêmement lourdes pour la population”.
Cette décision confirme un constat évident, mais reste décevante pour les requérant.e.s qui espéraient que l’État soit contraint à faire le nécessaire pour mettre fin aux atteintes aux droits fondamentaux. Le tribunal, comme l’Etat, semblent considérer que miser sur l’arrivée rapide de la pluie constitue une mesure à la hauteur des drames quotidiens que connaissent les habitant.e.ss de l’île.
Les mesures déployées jusqu’à présent par les services de l’État, pourtant manifestement insuffisantes et inadaptées, laissent donc les Mahorais.e.s sans autres solutions que de faire la queue par milliers et chaque jour, sous des températures ressenties de 38°C, dans des points de distribution trop rares et aux stocks insuffisants. L’épidémie de gastro-entérite continue, les écoles continuent de fermer faute de cuves remplies, les alertes aux métaux lourds dans l’eau au sud-est de Mayotte se répètent, les tours d’eau comme le gel des prix ne sont toujours pas respectés… Face à cette réalité, le Conseil d’Etat estime que l’action de l’Etat est suffisante.
Avec cette décision, la Justice retire aux Mahorais.e.s et aux habitant.e.s des autres territoires d’Outre-Mer, dont la plupart subissent également des problématiques d’accès à l’eau potable, tout espoir d’une amélioration rapide de leur situation.
Si une décision en réponse à la crise mahoraise était une étape essentielle pour répondre à l’urgence, les problèmes d’accès à l’eau à Mayotte, comme dans les autres territoires d’Outre-Mer, sont structurels. La juge le reconnaît : la crise “révèle un certain nombre de défaillances dans l’organisation et la gestion de l’eau dans ce département”, et appelle à “des efforts renforcés pour identifier les moyens d’action afin de prévenir autant que possible et limiter les conséquences des tensions sur l’approvisionnement en eau potable à Mayotte, en tenant compte des vulnérabilités particulières et des spécificités du territoire concerné”. Sans politique de long-terme adaptée aux spécificités ultramarines, la question se reposera de façon accrue l’année prochaine et à toutes les prochaines saisons sèches.
Pour plus d’informations sur la situation mahoraise et le référé :
Communiqué de presse des associations Notre Affaire à Tous et Mayotte a soif, Mamoudzou, 28 novembre 2023 – Ce samedi 25 novembre, alors que la préfecture de Mayotte annonçait que l’île entrait « dans la période la plus critique de la crise de l’eau », le tribunal administratif de Mayotte a rejeté le référé-liberté porté par Notre Affaire à Tous, Mayotte a soif ainsi qu’une quinzaine de Mahorais.e.s. Par ce rejet, le juge refuse d’établir une responsabilité et élude complètement la réalité : les mesures actuelles sont manifestement insuffisantes et seul l’Etat peut agir pour renverser une tendance qu’il a lui-même aggravée par son inaction depuis des années. Ce n’est pas acceptable, à l’heure où persistent les atteintes aux droits fondamentaux causées par la crise de l’eau et l’insuffisance de l’action de l’État et de ses services. Les associations et requérant.e.s font appel de cette décision, afin de porter devant le Conseil d’État le sujet du manque d’action de l’État pour garantir l’accès à l’eau potable à Mayotte, carence visiblement marquée d’un prisme discriminatoire à l’encontre des citoyen.ne.s d’Outre-Mer.
Le tribunal administratif de Mayotte concède pourtant que la « situation d’urgence n’est pas contestable ». Dans son ordonnance de rejet, il souligne également que, si la cause première de la crise de l’eau actuelle est la sécheresse particulièrement importante cette année, cette dernière révèle « un certain nombre de défaillances dans l’organisation et la gestion du service en charge de la gestion de l’eau dans ce département depuis plusieurs années ». Malgré ces constats évidents, le tribunal conclut ensuite que les demandes des associations et requérant.e.s sont insuffisamment fondées, notamment au regard des mesures déployées par l’État en réponse à la crise (voir notre dossier de presse).
Pourtant, la situation des Mahorais.e.s s’aggrave, preuve de la faiblesse et de l’inadaptation de ces mesures. Une nouvelle fois, la préfecture a ainsi appelé la population à baisser sa consommation, alors que cette dernière est déjà bien inférieure à des besoins de base en eau. De plus, les mesures mises en œuvre renforcent des inégalités de fait. Depuis le 20 novembre, la distribution de l’équivalent d’un litre d’eau en bouteille par personne a commencé. Or, au-delà de l’insuffisance évidente de cette quantité pour les besoins d’hydratation et d’hygiène, Mayotte a soif dénonce la logistique de la distribution des bouteilles d’eau. Elle ne tient pas compte de la réalité des habitant.e.s : obligation de se déplacer, de se rendre disponible à des heures compliquées pour les personnes travaillant ou avec des enfants scolarisés, de faire la queue debout – parfois pendant des heures -, etc.
C’est précisément par son échec à mettre en place des mesures suffisantes pour atteindre un accès à l’eau potable de base (équivalent à 100 L / jour / personne) que l’État se rend responsable des atteintes aux libertés fondamentales des Mahorais.e.s. Pour Jérémie Suissa, délégué général de Notre Affaire À Tous, « les mesures déployées par l’État ces dernières semaines restent insuffisantes pour apporter une réponse décente aux difficultés dramatiques auxquelles font face les habitant.e.s de l’île. Surtout, ces mesures prises dans l’urgence, par à-coups et sans vision de long terme ne constituent en aucune manière un plan global de sortie de crise ». C’est précisément à ce besoin que devrait répondre le déclenchement du plan ORSEC eau potable demandé par les requérant.e.s, et dont la plus-value est bien de constituer un document de « planification et de gestion de crise ». Pour Racha Mousdikoudine, présidente de l’association Mayotte a soif, ce plan est « un dispositif qui permet d’identifier les problématiques engendrées par la pénurie d’eau et d’apporter ainsi des mesures correctives indispensables à la gestion de la crise. Il n’est donc pas substituable aux mesures prises par l’État au compte-goutte. Ce plan est le garant d’une meilleure coordination de tous les acteurs en place », qui fait défaut depuis des années à Mayotte.
Pour plus d’informations sur la situation mahoraise et le référé :
Communiqué de presse des associations Notre Affaire à Tous et Mayotte a soif Mamoudzou, 16 novembre 2023
Les habitantes et habitants de Mayotte affrontent actuellement un pic dans la crise qui les prive d’eau potable depuis des mois. Via un référé liberté, les associations Notre Affaire à Tous et Mayotte a soif ainsi que 15 victimes requérantes demandent au tribunal administratif de Paris de reconnaître l’impact de la crise sur les droits fondamentaux et la réponse insuffisante de l’État. Pour elles, la situation à Mayotte est le résultat de plusieurs années d’un désengagement de l’État sur ces questions et d’une inadaptation discriminatoire des politiques publiques déployées. Les associations espèrent que ce référé permettra d’ordonner en urgence à l’Etat de prendre des mesures de sortie de crise équitables, à la hauteur du drame sanitaire et humain qui se déroule sur l’île, et durablement adaptées aux problématiques propres à ce territoire français ultramarin.
Depuis plus de sept mois, la crise de l’eau, qui s’aggrave progressivement depuis 2016, s’est intensifiée à Mayotte. Les Mahorais·e·s vivent désormais au rythme des coupures d’eau de plus de 48h et ne reçoivent souvent qu’une eau brune et odorante, déjà signalée impropre à la consommation à certains endroits par l’ARS, lorsque les robinets coulent à nouveau. Les conséquences sanitaires sont manifestes,selon Santé Publique France : épidémie de gastro-entérite, mais aussi risques d’épidémies de choléra, d’hépatite A, de fièvre typhoïde et de poliomyélite. L’agence nationale de santé publique évoque ainsi une « menace sanitaire importante », dans un contexte où l’hôpital de Mayotte manque déjà de soignant.e.s.
Par ailleurs, cette crise n’est pas seulement sanitaire. Plusieurs écoles et lycées ont été fermés faute d’eau potable pour les élèves et enseignant·e·s, et les tensions sociales ont repris autour du partage de cette ressource vitale dans le département le plus pauvre de France. Pour Racha Mousdikoudine, présidente de l’association Mayotte a soif, « les Mahorais vivent en situation de crise humanitaire ignorée, loin des standards d’un département français, et il est pourtant attendu d’elles et eux de continuer à remplir leurs obligations professionnelles, citoyennes et personnelles comme si de rien n’était, avec des répercussions sur leur dignité inimaginables pour toute personne qui ne le vit pas ».
Mayotte a soif, et l’État regarde ailleurs. Pire, il laisse la situation s’empirer depuis des années. En se retirant progressivement de la gestion de l’eau sans tenir compte des particularités mahoraises, il a transféré des responsabilités et compétences de ce service public aux collectivités territoriales, au syndicat de la Mahoraise des Eaux (SMAE) qui fait l’objet de suspicions de corruption et de favoritisme depuis des années, et à l’entreprise Vinci dont des irrégularités sur leurs activités de travaux ont entraîné la suspension du versement des fonds européens entre fin 2020 et mars 2023. Force est de constater que l’État n’assure plus son rôle de pilote du bon fonctionnement de ce service public depuis des années. Même dans la crise actuelle, vouée à s’aggraver du fait des effets du dérèglement climatique, sa réponse ne suffit pas à protéger l’intégrité physique et psychologique de la population : 34 000 000 de litres par jour vont manquer à l’appel.
Pourtant, l’eau n’est pas qu’un service public relevant de telle ou telle compétence administrative : c’est un droit fondamental, reconnu en droit international comme en droit français. Ce droit semble rester théorique à Mayotte, comme dans d’autres territoires d’Outre-Mer, faute d’une véritable volonté politique et d’instruments adaptés pour garantir sa mise en œuvre. Cette situation est révélatrice d’une attitude discriminatoire de l’État Français envers ces territoires : jamais on ne pourrait imaginer en France hexagonale qu’un département puisse connaître une telle pénurie d’eau sans que l’État n’en fasse une priorité absolue.
Via ce référé-liberté, Notre Affaire à Tous et Mayotte a soif demandent notamment de :
1 – Faire reconnaître l’impact de la crise sur les droits fondamentaux des Mahorais·e·s ;
2 – Imposer à l’État et à ses services le déclenchement du plan d’urgence normalement prévu pour répondre à la crise : le plan ORSEC eau potable ;
3 – Rétablir au plus vite la fourniture d’eau potable pour tou·.te·.s, en qualité et quantité suffisante, en priorité au sein des établissements scolaires et de santé ;
4 – Savoir comment l’État compte gérer la crise sanitaire imminente déclenchée par la crise de l’eau actuelle, en commençant par établir un diagnostic des impacts sanitaires de la crise.
Le mois de juin s’est achevé. Il marque chaque année depuis plus de 50 ans un temps important de la lutte contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle et aux identités de genre, avec l’organisation de “prides” et d’événements partout dans le monde. Dans le prolongement de ce “mois des fiertés”, Notre Affaire à Tous revient sur les liens entre climat et mouvement LGBTQIA+ dans un nouveau numéro d’IMPACTS, sa revue mettant en lumière les conséquences des changements climatiques et les inégalités de leurs impacts.
Le mouvement LGBTQIA+ témoigne du pouvoir de l’action collective, de la poursuite de l’égalité et de l’acceptation de tous·tes les individu·es, quelle que soit leur orientation sexuelle ou leur identité de genre. Né d’une riche histoire de lutte, de résilience et d’activisme, le mouvement est devenu un phénomène international qui participe de manière significative aux progrès vers l’inclusivité.
Les origines du mouvement LGBTQIA+ remontent au début du XXe siècle, lorsque certain·e·s courageux·euses ont commencé à défier les normes sociétales et les lois oppressives qui marginalisaient les minorités sexuelles et de genre. Cependant, ce sont les événements du 28 juin 1969, connus sous le nom d’émeutes de Stonewall, qui ont déclenché une étincelle qui façonnera le cours de l’histoire LGBTQIA+.
Le Stonewall Inn, un bar gay de New York, est devenu l’épicentre d’un mouvement de résistance lorsque des clients ont riposté à une descente de police violente et injustifiée. Ce soulèvement a marqué un tournant, galvanisant la communauté et entraînant l’émergence d’un militantisme LGBTQIA+ à plus grande échelle.
S’appuyant sur l’élan généré par le soulèvement populaire de Stonewall, la première “Pride March” officielle a eu lieu aux États-Unis le 28 juin 1970, commémorant le premier anniversaire du soulèvement.
Marsha P Johnson, une femme trans, noire et militante est désormais reconnue comme une figure de proue du soulèvement de Stonewall et est aujourd’hui devenue un symbole de l’activisme LGBTQIA+«
Quelques années plus tard, outre-Atlantique, la communauté LGBTQIA+ française organise sa propre manifestation, la toute première « Marche des fiertés » à Paris le 25 juin 1977. Moins connue que son équivalent américain, la « Marche des fiertés » de 1977 est également une des toutes premières initiatives sur le continent européen.
La première Marche des fiertés LGBT, le 25 juin 1977 à Paris. (ANNE-MARIE FAURE-FRAISSE) (Source : FranceTV Info)
Cette marche, menée par le Mouvement de Libération des Femmes (MLF) et le Groupe de Libération Homosexuelle (GLH), a rassemblé 300 manifestant·es. Marie-Jo Bonnet, l’une des participantes de la marche de 1977, a partagé dans une interview pour FranceTV que l’événement constituait la première instance française où les personnes LGBTQIA+ “existaient” fièrement et visiblement dans le pays (1). Elle poursuit en soulignant les interconnexions profondes entre le mouvement queer des années 70, alors émergent, et le mouvement féministe déjà établi depuis les années 30 et 60 (2) :
« C’était une manifestation de femmes, il y avait très peu d’hommes […] C’était une action féministe avant tout. L’idée de manifester avait été transmise par les femmes du MLF, et en particulier les homosexuelles présentes au sein du mouvement. » Marie-Jo Bonnet, historienne et militante féministe
Depuis ces événements pionniers, les marches des fiertés se sont grandement développées, tant en termes de portée géographique que de nombre de participant·es. Au fil des années, le mouvement LGBTQIA+ a gagné en visibilité, mobilisant diverses communautés et allié·es à se rejoindre dans la défense des droits des personnes LGBTQIA+. L’évolution de la “Pride” ne se limite pas aux États-Unis et à la France ; c’est devenu un phénomène mondial, des villes du monde entier organisent leurs propres événements Pride. De Londres à Sydney, de São Paulo à Tokyo, environ 20 millions de personnes dans le monde descendent dans la rue pour célébrer l’amour, la diversité et l’égalité.
Néanmoins, il semble également important de souligner que le mouvement “Pride” trouve ses racines dans une lutte contre l’injustice; et de faits bien plus sombres que les couleurs arc-en-ciel attribuées au mouvement aujourd’hui. À l’époque de Stonewall, le mouvement queer émerge du plaidoyer des personnes trans et non-binaires noir·es contre les violences policières répétitives qu’iels subissaient. Et malgré ce que beaucoup considèrent maintenant comme une célébration mondiale, 64 pays du monde criminalisent encore les relations de même sexe et beaucoup d’autres exercent toujours une violence systémique sur leurs citoyen·es LGBTQIA+ à l’aide de lois et normes qui limitent leurs droits et leur existence (3). De nombreuses personnes ignorent encore les inégalités exacerbées auxquelles la communauté LGBTQIA+ est confrontée, à l’école, au travail, ou encore face à la justice et au changement climatique. Pour Notre Affaire à Tous, cette édition est l’occasion de s’engager sur une perspective queer et féministe de l’écologie et de réitérer son combat pour la justice sociale et climatique. Nous espérons que cette édition participera humblement au combat que les précédentes générations ont entrepris et donnera la parole – à travers le prisme de la question climatique – à des communautés trop souvent ignorées.
Inégalités climatiques : la communauté LGBTQIA+ parmi les premiers concernés
Les personnes LGBTQIA+ sont concerné·es par les inégalités climatiques : iels font partie des populations particulièrement à risque face aux impacts des changements climatiques du fait des discriminations et des violations de leurs droits fondamentaux. Iels sont également confronté·es à des difficultés spécifiques qui ne sont pas prises en compte par les politiques publiques, ce qui renforce leur vulnérabilité.
Discriminations et accès au logement digne : des facteurs de risque face aux changements climatiques et aux nuisances environnementales
Les personnes LGBTQIA+ sont parmi les plus concerné·es par les impacts du réchauffement climatique tout d’abord du fait de leur situation face au logement. Au niveau mondial, les personnes LGBTQIA+ sont surreprésenté·es parmi les personnes en situation de pauvreté selon l’OCDE et la Banque Mondiale (4), la situation économique ayant un impact évident sur l’accès et la qualité du logement. Si les études sont peu nombreuses en France, des chercheurs anglo-saxons ont démontré que les personnes LGBTQIA+ étaient nombreux·ses parmi les sans-abris et les personnes en situation d’errance, leur identité de genre ou leur orientation sexuelle amenant une rupture avec leurs réseaux familiaux ou étant à l’origine de discriminations leur rendant plus difficile l’accès au logement. Aux Etats-Unis, une étude estime que les jeunes de 18 à 25 ans s’identifiant comme LGBTQIA+ avait 2,2 fois plus de risque de vivre dans la rue que les jeunes du même âge s’identifiant comme hétérosexuel·les (5). Pour le cas français, dans son 28ème rapport sur le mal-logement publié en février 2023, la Fondation Abbé Pierre rappelle que les discriminations au travail et au logement des personnes LGBTQIA+, invisibilisé·es en France, sont monnaie courante et entraînent les personnes dans des situations de mal-logement ou de sans-abrisme (6). Or, le mal-logement et le sans-abrisme sont synonyme d’absence de protection ou de protection limitée face aux intempéries ou aux fortes chaleurs, de difficultés d’accès à l’eau (pour boire, se laver, cuisiner…), de difficultés d’accès à l’énergie (et donc à la fois au chauffage mais aussi aux équipements nécessaires en cas de canicule comme les réfrigérateurs), etc. Les personnes mal-logé·es en France, parmi lesquel·les un nombre important de personnes LGBTQIA+, sont donc en première ligne face aux impacts des changements climatiques.
Ces mauvaises conditions de logement ont des impacts sur la santé des personnes (7). Santé Publique France a déjà souligné le lien entre mal-logement et décès lors des canicules (8). Les personnes mal-logé·es ont plus de chance d’avoir des problèmes de santé que les personnes bien logé·es. Ces problèmes de santé rendent ensuite les personnes encore plus vulnérables aux conséquences du réchauffement climatique, créant un véritable cercle vicieux. De nombreuses maladies chroniques (maladies cardiovasculaires, maladies rénales, allergies, asthme, santé mentale, etc) sont renforcées par les changements climatiques et leurs conséquences (9). Et ce alors que les personnes LGBTQIA+ sont déjà statistiquement plus exposé.e.s aux problèmes de santé mentale comme la dépression ou l’anxiété; aux maladies sexuellement transmissibles comme le VIH; aux addictions; et qu’iels subissent des discriminations au cours de leurs parcours de soins (10). Le cercle vicieux des problèmes de santé face au réchauffement climatique est donc exponentiel pour les personnes LGBTQIA+.
Les conséquences des événements climatiques extrêmes : une hausse des violences anti-LGBTQIA+
Face aux événements climatiques extrêmes, les personnes s’identifiant comme LGBTQIA+ sont généralement défavorisé·es par rapport aux personnes s’identifiant comme hétérosexuel·les. Tout d’abord car les discriminations subies sont un frein à une protection efficace contre les impacts du changement climatique. Les discriminations à l’embauche, les difficultés d’insertion liées aux préjugés, les problèmes de santé liés aux parcours de vie difficiles, etc, ont un impact sur la situation économique des personnes qui n’ont pas toujours les moyens de déménager, de rénover leur logement, ou de le reconstruire après un événement météorologique extrême.
Lorsqu’un événement extrême survient, des personnes LGBTQIA+ peuvent se voir refuser l’accès aux lieux de mise à l’abri ou à différentes aides du fait de leur identité de genre ou de leur orientation sexuelle. Cela a été le cas par exemple suite au tremblement de terre à Haïti en 2020 (11). Mais ces problématiques émergent également dans des pays où la reconnaissance des droits des personnes LGBTQIA+ est plus avancée. Des études menées aux Etats-Unis ont montré que les personnes LGBTQIA+ ont été victimes de violences et / ou marginalisé·es suite à l’ouragan Katrina en 2005 (12). Des personnes trans se sont vu·es refuser de l’aide humanitaire en raison de l’absence de documents d’identité correspondant à leur genre et leur nom actuel, tandis que des couples de même sexe n’ont pas été considérés comme des familles par des organismes fédéraux limitant l’aide reçue – en général au détriment de leurs enfants – du fait de la définition par ces organismes du termes « foyer » (« household »)(13). A cela s’ajoute la difficulté d’accès aux médicaments ou la prise en compte de leurs problématiques particulières.
Dans les situations post-catastrophes, les personnes LGBTQIA+ ont plus de risque de subir du harcèlement et des violences, y compris physiques (14). Lors des inondations de 2011 en Australie, 43% des personnes s’identifiant comme LGBTQIA+ indiquaient craindre pour leur sécurité dans les rues, les parcs mais aussi les centres d’évacuation (15).
Encore une fois, les études menées en France sur les conséquences des événements climatiques extrêmes, de leurs impacts et des suites pour les personnes LGBTQIA+ sont très limitées amenant une véritable invisibilisation de la problématique (16).
Déplacements et migrations climatiques : discriminations tout au long du parcours migratoire et absence de véritable protection pour les personnes LGBTQIA+
Le réchauffement climatique est également générateur d’importants déplacements de populations : tant du fait de conséquences d’événements climatiques extrêmes et soudains (inondations, feux de forêts, tempêtes, etc) que de phénomènes de long terme (désertification de certaines régions, hausse du niveau de l’océan, etc), des personnes sont obligé·es de quitter leurs lieux de vie. La Banque Mondiale estime à 216 millions le nombre de déplacé·es climatiques à horizon 2050 (17). Or, du fait de leur vulnérabilité aux conséquences des changements climatiques, les personnes LGBTQIA+ sont plus susceptibles de devoir fuir pour survivre. Les discriminations qu’iels subissent leurs font alors courir des risques supplémentaires (18). Au cours de leurs parcours migratoires, iels peuvent subir des violences et abus du fait de leurs orientations sexuelles ou de leur identité de genre. L’arrivée dans une nouvelle communauté peut les amener à subir de nouvelles discriminations et violences. Iels peuvent également n’avoir d’autre choix que de traverser une frontière les amenant dans un État où les relations homosexuelles ou leurs identités de genre sont criminalisées (19), et parfois même punies de mort (20). Iels courent alors d’importants risques de persécutions. Si finalement iels arrivent en Europe ou en France (ce qui est le cas pour un petit pourcentage de personnes exilé·es, la plupart d’entre elleux s’installant dans les pays limitrophes de leur pays d’origine (21)), iels risquent l’expulsion du fait de l’absence de protection et de statut de « réfugié·e climatique ».
Les personnes LGBTQIA+ sont confronté·es à des problématiques particulières et à d’importantes discriminations qui les placent dans des situations de forte vulnérabilité face aux impacts des changements climatiques mais également dans les politiques et pratiques d’atténuation ou d’aide post-catastrophe. Malgré leur importance, ces inégalités climatiques sont peu étudiées au niveau mondial, et encore moins en France. Pourtant, de plus en plus d’activistes montrent qu’il existe des liens forts entre les questions climatiques et la lutte contre les discriminations des personnes LGBTQIA+.
10 activistes LGBTQIA+ pour la justice climatique et environnementale
Les luttes LGBTQIA+ et écologiques convergent encore peu en France mais dans les pays anglophones, notamment aux Etats-Unis, et dans les pays dit « du Sud », de nombreux et nombreuses militant·es LGBTQIA+ pour le climat et la justice sociale sont visibles et influent·es, que ce soit dans des associations ou d’autres mouvements de la société civile, des organisations politiques et/ou sur les réseaux sociaux. Toutes et tous revendiquent plus ou moins explicitement une démarche d’intersectionnalité.
Voici 10 d’entre elleux, présenté·es par ordre alphabétique.
Deseree Fontenot (elle / iel)
Deseree est la co-directrice du Movement Generation : Justice and Ecology Project, qui sensibilise des centaines d’organisations et d’individus aux enjeux de la justice écologique par le prisme de la relation à la terre, aux écosystèmes et des interactions entre des individu·es et des communautés réparties dans tous les Etats-Unis.
Deseree a aussi co-fondé le Queer EcoJustice Project en 2016. Cette plateforme met en avant des projets collaboratifs mêlant justice écologique et droits des personnes LGBTQIA+, afin de créer un ensemble de ressources et une communauté autour de ces sujets. Par exemple, le projet Rhizomatique cherche à comprendre les liens entre les mouvements queer et environnementaux grâce à des entretiens qui mettent en avant des militant·es LGBTQIA+ pour l’environnement et l’émergence de ce mouvement. Ce projet vise aussi à présenter une « contre-mémoire » aux mouvements passés, en visibilisant les luttes queer jusque-là non historicisés et reconnues. Enfin, le projet souhaite proposer des pistes de stratégies possibles pour les organisations environnementales afin de construire des mouvements plus diversifiés.
Elle travaille actuellement au Center for Lesbian and Gay Studies in Religion and Ministry à Berkeley en Californie.
Gabriel Klaasen (il / iel)
Gabriel vit au Cap en Afrique du Sud, où il est coordinateur de l’African Climate Alliance, un mouvement de jeunes né en 2019 après les premières manifestations d’ampleur pour le climat en Afrique du Sud. Ce mouvement appelle à une véritable justice climatique intersectionnelle et développe un réseau d’organisations et de jeunes militant·es dans toute l’Afrique.
Gabriel est également responsable de la communication de l’organisation Project 90 by 2030 qui poursuit les mêmes objectifs. Il a notamment permis de faire reconnaître au sein du mouvement climatique sud-africain la façon dont l’imbrication des crises liées aux inégalités sociales et au dérèglement climatique affecte davantage les personnes et les zones les plus touchées de la société (Most Affected People and Areas, ou MAPA), telles que les communautés indigènes noires et les personnes de couleur (Black Indigenous and People of Colour, ou BIPOC), ainsi que les personnes LGBTQIA+. Il a aussi mis en avant le rôle majeur de ces populations dans la construction d’un futur plus désirable.
Isaias Hernandez (il)
Isaias est un éco-influenceur mexicano-américain vivant en Californie. Diplômé en sciences de l’environnement, il utilise les réseaux sociaux pour parler de façon accessible de justice environnementale, de véganisme et de modes de vie zéro déchet. Il traite également des inégalités climatiques, en particulier celles subies par les communautés pauvres, racisées et/ou LGBTQIA+. Ayant lui-même été confronté à ces inégalités, il souhaite offrir un espace d’échanges bienveillant via ses réseaux sociaux.
Izzy vit à Cardiff au Pays de Galles. Sur son blog The Quirky Environmentalist et ses réseaux sociaux, iel lie questions écologiques, inégalités et droits des personnes LGBTQIA+. Iel traite en particulier de la mode, défendant un système soutenable pour la planète et qui n’exploite pas les travailleurs et travailleuses impliqué·es dans la chaîne de production. Iel a notamment lancé en 2019 la campagne « Who made My Pride Merch » qui appelle les marques affirmant soutenir les personnes LGBTQIA+ à être plus transparentes sur les conditions de fabrication de leurs produits et à mieux protéger les droits des travailleurs et travailleuses, ces dernier·ères étant particulièrement vulnérables et exploité·es dans les pays où iels ont peu, voire aucun droit.
Izzy cherche également à mettre en avant sur ses réseaux des personnes de communautés marginalisées afin de montrer les inégalités qu’iels subissent, et de découvrir et apprendre des façons différentes d’être au monde.
Jerome siège au Conseil consultatif sur la justice environnementale de la Maison Blanche depuis 2021, dont il est le plus jeune membre. En 2019, il a notamment parlé de la crise climatique devant le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme et le Comité spécial sur la crise climatique de la Chambre des représentants. La même année, il a organisé des grèves pour le climat du mouvement Fridays for the Future devant la Maison Blanche.
Il a également créé une organisation, OneMillionOfUs devenue Waic Up, qui cherche à impliquer les jeunes dans la vie civique et à informer sur des sujets tels que la violence liée aux armes à feu, le changement climatique, l’immigration, l’égalité de genre et de race.
En 2022, Jerome et son partenaire, Elijah McKenzie-Jackson, un autre activiste climatique, ont écrit une lettre à l’ONU appelant l’institution internationale à ne pas organiser la COP27 en Égypte en raison des atteintes aux droits des personnes LGBTQIA+ et des femmes.
Mitzi est une militante écologiste philippine qui met en particulier en avant les enjeux de justice climatique – notamment entre pays « du Nord » et « du Sud » – dans un pays très vulnérable au changement climatique (typhons, inondations…) et particulièrement dangereux pour les militant·es.
Elle a co-fondé en 2019 l’organisation Youth Advocates for Climate Action Philippines (YACAP), l’équivalent de Fridays for the Future aux Philippines, qui réclame des actions concrètes et systémiques pour répondre à la crise climatique, protéger les défenseur·euses de l’environnement et œuvrer en faveur de la justice climatique. Elle est aussi impliquée dans les mouvements Fridays for the Future International et Fridays for the Future MAPA (Most Affected People and Areas), au sein desquels elle milite pour l’anti-impérialisme, l’anti-colonialisme et met en avant l’intersectionnalité de la crise climatique. Elle encourage les jeunes des pays « du Sud » à s’impliquer dans des organisations locaux et internationales, et dans les processus politiques.
Natalia est une écoféministe et artiste Afro-Caribéenne vivant à Porto Rico aux Antilles. Elle revendique elle aussi une démarche intersectionnelle.
Natalia est impliquée dans le mouvement #Queers4ClimateJustice (Q4CJ) lancé en 2018 qui demande à ce que le rôle des communautés LGBTQIA+, particulièrement vulnérables aux conséquences du changement climatique, soit reconnu par les mouvements écologistes. En tant qu’organisatrice de Q4JC, elle a notamment permis d’aborder la question de l’inclusion des personnes LGBTQIA+ avec les militant·es pour la justice climatique à Porto Rico. Elle a également permis à des personnes LGBQTIA+ de Porto Rico d’assister à la conférence nationale Creating Change 2023 à San Francisco. Cette dernière est organisée chaque année par le National LGBTQ Task Force afin de faire progresser la justice et l’égalité en faveur des personnes LGBTQIA+ aux Etats-Unis.
Enfin, Natalia a publié en 2022 son premier livre, Desamor y Memorias de una Virgo (Le chagrin d’amour et les souvenirs d’une vierge), qui témoigne de son expérience en tant que femme racisée.
Pattie Gonia est une drag queen créée par le photographe Wyn Wiley passionné par la nature. Pattie Gonia s’inscrit ainsi dans une démarche de justice sociale mais aussi d’activisme environnemental. Elle est connue pour parvenir à attirer l’attention sur les dommages environnementaux grâce à ses messages et ses tenues, telles que des robes fabriquées à partir de déchets plastiques, de feuilles et d’autres matériaux. Son compte rassemble désormais une communauté de personnes queer et d’allié·es sensibles aux questions écologiques et passionné·es d’expéditions dans la nature.
Precious est une femme transgenre vivant à Chicago. Elle est consultante sur les sujets de diversité, d’équité et d’inclusion, et directrice régionale adjointe de la communication pour la campagne Beyond Coal du Sierra Club, qui réclame la fermeture de toutes les centrales à charbon des États-Unis pour les remplacer par une production d’énergies renouvelables. Elle a été nommée en 2023 à la sous-commission de transition pour les droits de l’homme, l’équité et l’inclusion du maire de Chicago, Brandon Johnson.
Precious est également conférencière et autrice de I Have Always Been Me publié en 2021, témoignage de son enfance et de son parcours en tant que femme transgenre de couleur.
Tori est une éco-activiste queer Hong-Kongaise vivant actuellement au Royaume-Uni. Elle a co-fondé la plateforme Bad Activist Collective qui permet de rassembler, dans une démarche d’intersectionnalité, des militant·es pour la justice raciale, climatique et les droits LGBTQIA+ au travers de l’art et de l’activisme. Tori traite en particulier de la santé mentale et du catastrophisme environnemental. En juillet 2023, elle publiera son livre It’s Not Just You qui explore les relations entre la crise climatique et la santé mentale. Dans cet ouvrage, elle appelle à ne pas individualiser « l’éco-anxiété », mais à s’en saisir collectivement afin d’interroger le rôle du système socioéconomique et politique dans le développement de cette « anxiété ».
Elle a participé à un projet nommé « Sail For Climate Action » visant à donner une voix aux jeunes d’Amérique latine, des Caraïbes et de communautés indigènes afin de mieux représenter ces régions et communautés invisibilisées alors qu’elles font parties des premières touchées par les conséquences du réchauffement climatique. Avec d’autres militant·es pour le climat, elle a également lancé une campagne appelée « Pass The Mic » qui a pour but d’amener des personnalités et des marques influentes à mettre en avant des militant·es pour la justice climatique et des personnes déjà particulièrement affecté·es par la crise climatique.
Notre Affaire à Tous a eu la chance d’apprendre de Vani Bhardwaj, qui a pris le temps de répondre à nos questions. Vani poursuit son doctorat sur les intersections entre le changement climatique et le genre, en se concentrant plus particulièrement sur la façon dont les femmes et les populations queer en Inde et au Bangladesh sont touchées par les politiques liées à l’eau. En plus d’être doctorante à temps plein, Vani participe également à différentes initiatives de volontariat axées sur le genre et le changement climatique, notamment avec des organisations féministes queer aussi bien mondiales que locales.
Vani a gentiment accepté de partager son expertise avec Notre Affaire à Tous, ainsi pour préserver l’authenticité académique de ses mots et de son travail, et pour maintenir l’intégrité des personnes à qui elle prête sa voix, cette interview sera rendue en anglais, avec seulement des points clés traduits en français.
Notre Affaire A Tous (NAAT) : How do you think the experiences of LGBTQIA+ people, queer individuals intersect with environmental concerns and climate change impacts?
(Traduction : Comment pensez-vous que les expériences des personnes LGBTQIA+ s’entrecroisent avec les préoccupations environnementales et les impacts du changement climatique ?)
Vani Bhardwaj (VB) : I believe environmental change is now known to have an exaggerated impact for women and girls, but what often gets omitted is that the queer population is also completely ostracized – there is a “queer blind narrative” around ecology and how we approach ecology. So in order to incorporate the queer population within our climate change narratives, we need to reframe the way we understand ecology itself. For instance, when we look at public spaces that are somewhat “taboo” – which are ostracized, or at the outliers of a city or even a rural hinterland – that is very similar to the way the queer population is treated in India.
So when we look at, say, climate disasters, and we think of restabilizing the lives of the people afterwards, we never cater to the queer population. And there are particular intersectionalities that even the queer population is not really acknowledging themselves. I once talked to a queer person living in Delhi [capital of India] which observed a certain position of power compared to people living on the periphery of the country, like Guwahati [city in North-East India, between Bengladesh and Butan], the city I am located as we speak. Guwahati is home for Dalit people [i.e. lowest caste in India, “outcastes” and “underprivileged”) and when I addressed the conditions of life for Dalit queer people, the person living in Delhi completely denied the terms “Dalit queers” stating that the queer population itself is not “casteist”, it does not have caste-based discrimination. But that is not true, when we look not only at literature but also lived experiences of many Dalit scholars, they talk about how even the “Dalitality” (a concept attributed to Dr. Suraj Yengde) actually matters in everyday lives: Dalits are ostracized, and discriminated against when it comes to their career just on the based off caste, so they are doubly marginalized if that individual is Dalit and queer.
There is some kind of a blind spot within the Queer community regarding that. So when this Dalit queer individual was embedded in such a society, faces displacement due to climate disasters, which are caused by climate change, they are doubly and triply marginalized. They are almost silenced in the mainstream narrative, and I think that is why it is very crucial to focus on the queer narratives within the climate change impacts, and not only impacts, but consequences as well. We really need to reframe how we approach ecology as such and I think the particular stance of queer feminist political ecology is the most inclusive frame.
🔑 Points clés en français :
Dans le contexte du changement climatique, il est largement reconnu que les femmes et les filles subissent un impact disproportionné. Cependant, un aspect souvent négligé est la marginalisation des populations queer. Les discours sur l’écologie et l’approche des problèmes environmentaux perpétuent l’invisibilisation des populations queer. Pour intégrer pleinement ces populations dans nos récits sur le changement climatique, Vani suggère de reformuler notre compréhension de l’écologie elle-même.
Il existe un parallèle significatif entre la marginalisation des personnes queer et celle d’espaces publics « tabous », en périphérie des zones urbaines et rurales. De même, lorsqu’il s’agit de catastrophes liées au climat et de l’aide post-catastrophe, les besoins et les expériences des populations queer sont souvent négligés. Ce manque de considération perpétue leur marginalisation au sein de la société.
Même au sein de la communauté queer, les expériences intersectionnelles sont insuffisamment reconnues. Une conversation avec une personne queer vivant à Delhi a mis en évidence sa position de pouvoir relative par rapport à celleux qui résident en périphérie du pays, comme à Guwahati, où se concentrent les Dalits – la caste la plus basse de l’Inde, historiquement opprimée et marginalisée. Lorsqu’il est question des conditions de vie des queer Dalits, l’individu de Delhi nie l’existence de la « queer dalititude », affirmant que les personnes queer ne sont pas affectées par la discrimination basée sur la caste. Cependant, à la fois la littérature existante et les expériences vécues des chercheur·euses queer Dalits démontrent que l’identité Dalit influence considérablement leur vie quotidienne. Ainsi, les personnes queer Dalits font face à une double marginalisation, non seulement en raison de leur orientation sexuelle, mais aussi en raison de leur caste.
Face aux déplacements induits par le climat, les personnes queer Dalits se trouvent davantage marginalisé·es et réduites au silence. Leurs expériences et leurs voix sont souvent absentes des discours dominants. Il est crucial de se concentrer non seulement sur les impacts du changement climatique, mais aussi sur les conséquences auxquelles sont confrontées les communautés queer. Il devient donc impératif de reformuler notre approche écologique et d’adopter un cadre plus inclusif, tel que la perspective écologique politique queer féministe, qui offre une vision globale pour aborder ces questions.
NAAT : Are there any specific initiative, policy or advocacy efforts that have emerged from the collaboration between queer and ecological movements you can think of and how effective have they been in addressing the concerns and claims of both groups ?
(Traduction : Connaissez-vous des initiatives, des politiques ou des efforts de plaidoyer spécifiques qui ont émergé de la collaboration entre les mouvements queer et écologiques, et dans quelle mesure ont-ils été efficaces pour aborder les préoccupations et revendications des deux groupes ?)
VB : I would say that the convergence of climate change issues and the queer population is really not clear in India. Living and working in a place which itself is at the periphery in India, we are already trying to normalize the narrative that people are not to be ostracized, because the narrative against LGBTQIA+ population is very much prevalent in the peripheries. We are still working on normalizing the fact that we are also human you know. That’s the kind of narrative that we need to normalize first.
I think the convergence between climate change issues and how it is exaggeratedly impacting LGBTQIA+ population has not really taken off in small Indian towns, it is much more prevalent in Mumbai or Delhi, which are the metro cities of the country. But in my own activism I have created a global and online community of practice approach in which we do invite grassroots scholars and academia together so people who are theoretically engaged in this space and who are practically on the ground, implementing and designing climate adaptation-related projects can come together and have these dialogue sessions. Many times when we talk about gender and climate justice frameworks, we have queer political activist from outside of the periphery who say that we need to go beyond these dialogue sessions but I think the ground realities are very different from the theory, particularly in Guwahati where the inclusion narrative has not really emerged. A local convergence of activism is not relevant and is almost ahead of its time in that sense.
🔑 Points clés en français :
Il y a encore peu de convergence des problématiques liées aux changements climatiques et au mouvement LGBTQIA+ en Inde, notamment dans les zones périurbaines et rurales. Ces convergences sont encore à créer dans ces régions, mais il semble d’abord nécessaire de lutter contre les discriminations subies par les personnes LGBTQIA+ et de normaliser un discours d’inclusion et de reconnaissance de droits.
NAAT : What are some of the challenges or barriers faced by people either from the Global South, from the periphery, or even more locally in Guwahati in engaging with climate justice movements, and how would you say these challenges differ from the ones from the Global North or “Centre”?
(Traduction: Quels sont les défis et/ou obstacles auxquels sont confrontées les personnes queers issues de la Périphérie ou plus localement à Guwahati lorsqu’elles s’engagent dans les mouvements pour la justice climatique? Comment diriez-vous que ces défis diffèrent de ceux des populations du Nord Global ou du « Centre » ?)
VB : So first of all, if we look at it from a scholarly and theoretical manner, I always find it difficult to find any kind of literature regarding climate justice, queer population and their intersectionalities being explored in the “majority world’s academia”. Most, if not all the research available, usually comes from scholars from South Africa or Australia exploring the intersectional relations between the Global South and the queer population(s) getting impacted by climate change and climate disasters. In addition to being scholarly and theoretically limited, in a practical approach and real ground realities, when you do your ethnographic research and when you go to different households, you can’t expect a closeted person who has not come out yet to just be vulnerable to you outright for the sake of research. There is an inherent and prevalent patriarchy, transphobia and homophobia on ground realities within rural Bangladesh or India.
Picture this, the Brahmaputra river is flooding year after year, and we want to talk about disaster relief efforts with locals. What we see is that there is no sex disaggregation or gender disaggregation based data and there is a high degree of chance that people who have not revealed their sexual or gendered identities, and are part of a minority, may again be at a disadvantage because the shelter camps and post-disaster recovery efforts are completely blind to gender. They are blind when it comes to women and girls so they are also completely blind about queer populations.
For queer communities, there’s a concept of housing, and then there’s a concept of home, right? Where exactly is “home” is a question many queer people problematize and wonder their entire lives. If they do not have the support within their families, which without the intention to do a generalization is very often the case in hegemonic heteronormative families in India and Bangladesh, and that creates settings that are transphobic and homophobic, it is very difficult for them to come out to their own family. The entire concept of home becomes irrelevant, they feel alienated inside their so called home, and so they try to find community and networks outside of their bloodline. That is to say that in situations of climate disaster, it is not automatically their home being taken away, it is more their housing if they have one.
Lots of queer people in India will battle the trauma and this protracted conflict of what really is “home” their entire lives and I think that wound reopens when climate disasters keep striking again and again. It is kind of a double or a triple displacement, a displacement at the social, economic, psychological and psychosocial level. I think the government has particularly been very much blind up until 2-3 years ago to the fact that queer population even existed when climate disasters happened because there is a very apparent transphobic and homophobic attitude within disaster relief volunteers themselves which participates in ostracizing the queer community with disaster relief efforts.
So in this part of the country, when climate disaster strikes, not only does hegemonic masculinity and femininity get affected, but we also observe that indigenous masculinity and indigenous femininity get swept away in the disaster too. They get swept away in the disaster, in the sense that for example indigenous masculinity gets challenged as they no longer are the breadwinner of the household because of the climate disaster. So amongst all of these complex notions for a queer individual to even come out, and, you know, reveal “I am part of the queer community and I have exaggerated impacts due to the climate disasters” is quite difficult. In addition, asking the government for measures or policies, or to simply have queer activists sitting on the round table for policy making is even more of a challenge.
The Indian civil society is trying to eliminate transphobia and homophobia through pride marches and push for community networking spaces like open libraries for queer community-members to come, sit and read together. More of these initiatives are emerging but intersectionality with climate change still hasn’t been mainstreamed because queer people are missing in the public policy-making spaces dedicated to disaster management policies.
Frankly, heteronormative people are not going to sit there and you know, be so much as sensitive regarding the queer population’s relation to climate disasters while they’re transphobic and homophobic in their private sphere. We really need the queer population to actually be part of that policy circle which decides disaster management policies. And I think because the indigenous masculinity and indigenous femininity also get challenged by climate disasters, and within that, we need to find this queer narrative to challenge these multidimensional marginalities in relief efforts.
🔑 Points clés en français :
Il existe un manque de littérature académique sur la justice climatique et les intersections avec la population queer. La plupart des recherches existantes provient de chercheur·euses en Afrique du Sud ou en Australie, se concentrant sur l’impact du changement climatique et des catastrophes sur les populations queer du Sud Global. En termes pratiques, mener des recherches ethnographiques dans ces régions présente des défis, car les personnes qui ne sont pas encore “out” peuvent ne pas révéler ouvertement leur identité en raison du patriarcat, de la transphobie et/ou de l’homophobie prévalentes dans les zones rurales du Bangladesh et de l’Inde.
L’absence de données par sexe et genre dans les efforts de secours en cas de catastrophe désavantage encore plus les individu·es qui n’ont pas révélé leur identité sexuelle ou de genre. Les camps d’hébergement et les efforts de reconstruction post-catastrophe naturelle ne sont que peu sensibilisés autour des questions de genre, notamment auprès des femmes et filles, mais aussi auprès de la communauté LGBTQIA+.
Pour les communautés queer, le concept de « foyer » est complexe, car beaucoup font face à des environnements familiaux hostiles et hétéronormés en Inde et au Bangladesh. Ils se sentent souvent marginalisé·es au sein de leur propre foyer et cherchent des communautés et des réseaux en dehors de leur famille. Lors de catastrophes climatiques, ce n’est pas nécessairement leur foyer physique qui est emporté, mais plutôt leur sentiment d’appartenance à un lieu et/ou logement.
Les personnes queer en Inde luttent fréquemment contre les traumatismes et les conflits liés au concept de « foyer » tout au long de leur vie. Les catastrophes climatiques exacerbent cette blessure, entraînant des déplacements multiples à des niveaux sociaux, économiques, psychologiques et psychosociaux. Le gouvernement a historiquement fermé les yeux sur l’existence de la population queer lors des catastrophes climatiques, perpétuant ainsi une attitude transphobe et homophobe parmi les secouristes et les efforts de secours en cas de catastrophe, marginalisant davantage la communauté queer.
NAAT : What role do you think this intersection plays in the relationship between the climate justice movement and the LGBTQIA+ movement, and how does it change the experiences and priorities of individuals who identify as part of both groups?
(Traduction: Quel(s) rôle(s) attribuez vous à la convergence des luttes dans la relation entre le mouvement pour la justice climatique et le mouvement LGBTQIA+, et comment cela modifie-t-il les expériences et priorités des personnes qui s’identifient à ces deux groupes ?)
VB : First, let me make it clear that the LGBTQIA+ community is not homogeneous so we need to recognize the heterogeneity of the community. Then secondly, we need to ensure that the spaces in which the community is embedded are comfortable so that it becomes comfortable for individuals to reveal their place on the entire sexual and genital spectrum, which is still very much of a struggle, at least in India, as I can’t speak for the entire Global South.
For instance in India, there’s a great difference and disparity between how much the lesbians and the gays get discussed in mainstream queer narratives, and how much the asexuals* are completely marginalized. They are basically the “plus” in LGBTQ+. So obviously there are always differentiations but no categorization, because the moment you categorize anything, then you are endangering the entire community to exclusion. The moment you start categorizing, you are essentially trying to exclude somebody. So the moment you’re trying to set boundaries by categorizing by putting a nomenclature, you are bound to exclude somebody or the other.
And I think that is how climate justice narratives and activism need to incorporate everybody within the LGBTQs if you really want to have a separate networking or like a separate community or civil society organization focusing only on lesbians then another organization focusing only on transgenders, those can be separate, because they don’t have these separate differentiated demands , although they do have a common thread of getting ostracized multidimensionally. So it is very much essential for LGBTQ population because.
When a climate disaster strikes, what happens is that whatever landscape that has been established completely gets dismantled and you have to rebuild it once again. So in that same way, when we’re talking about gender and sexuality spectrum, I think we can completely dismantle the way we have been heteronormative in discussing it and we can rebuild all of that. Climate disaster recovery and recovering and gender narratives are very much closely linked together.
There is this entire strand of queer feminist political ecology that talks about how the so called “unkempt and the pristine” forests that have not been touched, that are at the outsides and the outskirts of the city, or the towns which are basically the embodiment of the ostracized – where nobody is living. Those are places which the local queer community can completely relate to, because of a shared sense of ostracization. Queer political ecology is how ecology is being understood by the queer population, how the queer community experiences the environment, how they experience ecology, how they experience, you know, the flow and flood of the river within the city or the polluted air around them? You know we only have cis-heteronormative and capitalistic narratives about our understanding of the environment. I remember like in primary school we were taught that there are biotic and abiotic components and so there are always binaries, there is the normal life and then there is the disrupted life due to climate disaster so that’s again a binary. But if you really look at the queer activists and how they will see a climate disaster or even climate change, maybe it won’t be that much in a binary context, it won’t be so dualistic in classification and categorization and that is why would benefit from more trans and queer scholars to understand environment itself; we need to reframe how we understand the concept of environment itself. We need to go to the basics and unpack those to really dovetail queer activism with climate change and climate justice.
🔑 Points clés en français :
Tout d’abord, il est important de souligner que la communauté LGBTQIA+ n’est pas homogène, et il est donc nécessaire de reconnaître cette hétérogénéité. Deuxièmement, il est primordial de veiller à ce que les espaces dans lesquels la communauté évolue soient confortables, de manière à ce que les individu·es puissent se sentir à l’aise pour exprimer leur place sur l’ensemble du spectre sexuel et de genre. Cela reste encore un défi, du moins en Inde. Vani note également l’hétérogénéité du “Sud Global” et l’importance d’éviter les généralisations pour des régions/pays si disparates.
Par exemple, en Inde, il existe une grande différence et disparité entre la visibilité accordée aux lesbiennes et aux gays dans les récits queer dominants, et la marginalisation complète des personnes asexuel·les, qui constituent en quelque sorte le « plus » dans LGBTQ+. Il y a toujours des différenciations, mais pas de catégorisation, car dès lors que l’on catégorise quelque chose, on exclut potentiellement toute une partie de la communauté. Le fait de poser des catégories et des limites de démarcation peut entraîner l’exclusion de certaines personnes.
Dans le cadre de la justice climatique, il est essentiel d’inclure tout le monde au sein de la communauté LGBTQIA+. Il est possible d’avoir des organisations spécifiques se concentrant sur des sous-groupes particuliers, comme les lesbiennes ou les personnes transgenres, tout en reconnaissant le fil conducteur commun de l’ostracisation multidimensionnelle. Lorsque des catastrophes climatiques surviennent, le paysage établi est démantelé, nécessitant une reconstruction. De même, les discussions sur le genre et la sexualité peuvent être déconstruites depuis une perspective hétéronormative pour être reconstruites de manière plus inclusive. La récupération après les catastrophes climatiques et les récits de genre sont étroitement liés.
La politique écologique queer féministe met en évidence le lien entre les espaces marginalisés, tels que les forêts préservées à la périphérie des villes, et les expériences de la communauté queer locale. Elle offre un cadre pour comprendre comment la population queer perçoit l’environnement, y compris l’impact de facteurs tels que le débit des rivières ou la pollution de l’air. En dépassant les récits cis-hétéronormatifs et capitalistes, une compréhension plus nuancée de l’environnement peut être développée. Cela nécessite une plus grande implication de chercheurs trans et queer afin repenser notre compréhension de l’environnement et de concilier l’activisme queer avec la lutte contre le changement climatique et la justice climatique.
NAAT : Climate movement(s) in France have lacked the perspective of the periphery in both academic circles and mainstream narratives. Would you have any recommendations for “Global North » countries and organizations to 1) better include the “Global South”, or rather the situated knowledge(s) and local experiences within international climate justice movements, and how can the Global North better include LGBTQIA+ people in their climate justice initiatives?
(Traduction: Le(s) mouvement(s) de justice climatique en France omettent majoritairement la/les perspective(s) de la Périphérie – à la fois dans les cercles académiques et dans les discours dit “mainstream”. Auriez-vous des recommandations à l’intention des pays et organisations du Centre, pour 1) mieux inclure la Périphérie, ses expertises et ses expériences au sein du mouvement du justice climatique internationale, 2) mieux inclure les personnes LGBTQIA+ dans ses initiatives de justice climatique ?)
VB : Thank you for that wonderful question. I think it has many parts to it. So let me just talk about this classification of Global North and Global South and the moment you say Global North and South, they’re juxtaposed into binaries and it becomes “Global North” versus “Global South”. Or at least that’s what it comes off as in more general settings. Whenever I use those terms, they are defined by power dynamics and positionality. So most people have now started saying “majority world” instead of Global South, but I refrain from even using that because when you use “majority world” that it itself shows a very majoritarian thinking. You know, trying to do like a reverse discrimination that if you colonized us with a certain perspective or approach, we’re going to reverse the power hierarchy. So I don’t think we have found the particular terminologies to reflect this complexity yet, whether it should be “Global South” or “majority world” or “periphery”.
But I think as far as including localized narratives and knowledge within the LGBTQ and climate activism, in the Global North or the South, we need to have localizing vernacular language-based climate justice narratives. So even if you see global organizations or even local and national organizations, they are mainly dealing with the dominant language. For example, if an Assamese queer civil society organization approaches the climate justice perspective they would still frame their ideas and their advocacy in the dominant language, which is Assamese – and most probably English – but these are the 2 dominant languages of the state. These are not the only languages, we have hundreds and thousands of languages within a few 1000 kilometers so I think to really localize climate justice impacts on queer populations and even for women and young girls, what we really need to do is to make the entire queer and climate advocacy toolkits, and implementation guides, and scholarly literature very much localized and embedded in vernacular languages. And that is something that is also missing at the global level in the sense that when you are talking about voluntary national reviews and.sustainable development goals and “not leaving anyone behind” – what we’re really doing pushing the ostracization as we’re not having an audit or we are not conducting vernacular language based voluntary national reviews. If they are all dominant language based, the language becomes an issue.
To say that Global North and Global South have completely juxtaposed to each other is also correct. Wendy Harcourt talks about how there are “margins within the centre” and periphery within the Global North. The Global North is also not a homogeneous entity itself. Because there are margins, we can create solidarity from the margins in Global South to the margins and periphery in the Global North. We also have power dominant and hierarchical places within the Global South who try to completely suppress the voices of the periphery in our countries. I think creating solidarity from the periphery in the Global South to the periphery in the Global North is what we’re really looking at when we’re talking about climate justice solidarities from queer population across the spectrum.
🔑 Points clés en français :
L’utilisation des termes Nord Global et Sud Global est souvent juxtaposée, reflète certes les dynamiques de pouvoir, mais imposant également un aspect dualitaire; ou binaire* du monde. Des termes alternatifs tels que « monde majoritaire » ou « périphérie » sont aussi utilisés, mais posent également problème, car ils peuvent perpétuer une pensée majoritaire ou inverser les hiérarchies de pouvoir. Vani considère que la terminologie reflétant la réelle complexité du sens derrière ces termes reste encore à être identifiée.
Pour inclure les récits et les connaissances localisé·es dans les mouvements LGBTQIA+ et climatiques, il est crucial de développer des récits de justice climatique basés sur les langues vernaculaires. Actuellement, la plupart des organisations mondiales et locales travaillent principalement avec les langues dominantes, négligeant la multitude de langues au sein d’une région. Pour véritablement aborder les impacts de la justice climatique sur les populations queer, ainsi que sur les femmes et les jeunes filles, il est nécessaire de créer des outils, des guides de mise en œuvre et une littérature savante localisées dans les langues vernaculaires. Cet aspect de localisation fait également défaut au niveau mondial, où les approches basées sur les langues dominantes entravent l’inclusion et laissent certaines populations de côté.
Il est important de reconnaître que le Nord global et le Sud global ne sont pas des entités homogènes. Vani fait référence au travail de Wendy Harcourt et souligne la présence de « marges au sein du Centre » et de Périphéries au sein du Nord Global lui-même. Une solidarité peut être développée des marges du Sud Global aux marges et aux Périphéries du Nord Global. Il est crucial de reconnaître l’existence de dynamiques de pouvoir et de hiérarchies également au sein du Sud Global, où les voix de la périphérie sont souvent réprimées. La création d’une solidarité à travers l’ensemble du spectre des populations queer est un aspect clé de l’activisme pour la justice climatique.
Les questions climatiques et écologiques prennent encore aujourd’hui trop peu en compte les vécus des personnes LGBTQIA+, les problématiques spécifiques auxquelles iels font face et les discriminations qu’iels subissent, ce qui crée un véritable angle mort dans l’étude des impacts des changements climatiques et des pollutions sur ces personnes. Par conséquent, les politiques climatiques et écologiques ainsi que les aides post-catastrophes renforcent les inégalités et les discriminations existantes. Pour une transition écologique juste, il est urgent de tenir compte des multiples discriminations, dont celles envers les personnes LGBTQIA+, qui sont particulièrement vulnérables face aux risques climatiques et environnementaux, comme nous l’avons vu dans ce hors-série.
Plusieurs pistes d’actions sont possibles pour rendre les politiques publiques plus inclusives, par exemple :
Développer la collecte de données et les recherches sur les conséquences du réchauffement climatique pour les communautés LGBTQIA+ pour pouvoir mieux répondre aux besoins de ces dernier·ères.
Faire évoluer les pratiques de reconnaissance du statut de réfugié·e et repenser l’accueil des personnes LGBTQIA+, notamment les pratiques de l’OFPRA et de la CNDA concernant les preuves de persécutions liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre, afin de permettre un meilleur accès au statut de réfugié·es pour les personnes LGBTQIA+ qui font face à des discriminations et des violences du fait de leur orientation sexuelle et/ou de leur genre suite à des événements climatiques extrêmes ou autre et qui ont du fuir de ce fait.
Améliorer l’information et la participation des personnes LGBTQIA+ dans les processus décisionnaires face aux changements climatiques et aux problématiques environnementales.
Renforcer les plans santé-environnement et les élargir en y incluant les impacts inégaux du réchauffement climatique sur certaines parties de la population, dont les personnes LGBTQIA+.
Ces évolutions impliquent également une plus grande inclusion et reconnaissance des activistes climat mettant en avant les problématiques LGBTQIA+. Inclure les militant·es écologiques LGBTQIA+ dans les mouvements environnementaux tant dans les pays du Nord que du Sud Global est extrêmement important car iels lient souvent intrinsèquement et concrètement lutte pour la justice environnementale et sociale. Cela pourrait être utile aux mouvements écologistes actuels qui revendiquent de plus en plus, pour l’instant plutôt dans leurs discours, agir pour une transition écologique socialement juste. Prendre en compte les difficultés spécifiques auxquelles sont confrontées les personnes LGBTQIA+ face aux conséquences du réchauffement climatique permettrait également aux mouvements écologistes de proposer des alternatives au système actuel plus inclusives. Cependant, cela suppose que ces difficultés soient rendues visibles et connues au sein des milieux militants, et plus globalement, de parvenir à sortir de récits hétéronormés, souvent binaires, de notions jamais remises en question car considérées comme “naturelles” alors qu’elles relèvent d’une construction sociale. Un travail de documentation et de sensibilisation serait ainsi à effectuer dans les mouvements écologistes. Une première piste pourrait être de davantage mettre en avant les militant·es écologistes LGBTQIA+ encore trop peu visibles, notamment en Europe. En particulier, donner et écouter la voix des militant·es des pays du Sud Global constituerait un enrichissement formidable pour les luttes écologiques et sociales, afin d’élargir notre vision du monde, prendre conscience des multiples situations et expériences de vie, rendre visible les nombreuses inégalités qui se renforcent mutuellement et ainsi pouvoir imaginer des solutions plus inclusives et pertinentes.
Lexique
Asexuel·e : Personne qui ressent peu ou pas de désir sexuel.
Binaire : Le terme fait référence aux deux identités de genre qui ont longtemps été les seules reconnues dans nos sociétés occidentales (homme et femme). Ce s’oppose au terme non-binaire qui inclut l’ensemble des identités de genre (transsexuel, intersexe, etc).
Bisexuel·e : Personne qui éprouve une attirance pour les deux genres binaires, homme et femme.
Cisgenre : Personne dont le sexe et le genre attribués à la naissance correspondent à son identité de genre.
Dysphorie de genre : Angoisse et souffrance liées à l’assignation d’une identité de genre qui ne correspond pas à celle à laquelle la personne s’identifie.
Fluide : Personne dont l’identité de genre et/ou l’orientation sexuelle varie au fil du temps.
Gay : Homme qui éprouve une attirance sexuelle ou romantique pour d’autres hommes.
Hétérosexualité : Dans une structuration binaire (homme / femme), le fait d’être attiré par des personnes de sexes opposés.
Homosexualité : A l’inverse de l’hétérosexualité, il s’agit, dans le cadre d’une structuration de genres binaires (homme / femme) d’être attiré par des personnes du même sexe.
Homophobie : Comportement ou discours haineux / méprisant à l’encontre des personnes homosexuelles, et plus généralement à l’encontre des personnes LGBTQIA+.
Intersexe : Personne née avec des caractéristiques sexuelles (chromosomes, hormones, anatomie) qui ne correspondent pas à la définition binaire des sexes.
Lesbienne : Femme éprouvant une attirance sexuelle ou romantique pour d’autres femmes.
LGBTQIA+ : Acronyme pour Lesbienne, Gay, Bisexuel·le, Transgenre, Queer, Intersexe, Asexuel·le et toute autre orientation sexuelle.
Nord Global et Sud Global / Centre et Périphérie : Les notions de Nord Global (i.e. Global North en anglais) et Sud Global (i.e. Global South en anglais) ne reposent pas sur la position géographique des pays qu’elles qualifient.
Le Nord Global désigne les pays, certes principalement situés dans l’hémisphère nord, qui ont historiquement été identifiés comme « l’Occident » ou « le premier monde » en raison des dynamiques de pouvoir géopolitiques dont ces régions bénéficient. Cette dominance s’exerce à travers le prisme du système capitaliste néo-libéral; et s’exprime avec une richesse relative, des technologies avancées, un passé d’empire colonial, le tout souvent associé à un contexte hégémonique.
Quant au terme “Sud global”, on lui attribue plusieurs définitions. Le Sud Global a traditionnellement été utilisé pour désigner les nations dites du “tiers monde”, “sous-développées” ou “économiquement défavorisées”. Ces pays ont historiquement été colonisés par les pays du Nord (en particulier par les pays européens). Le terme “Sud Global” est également utilisé pour décrire les populations qui sont négativement affectées par la mondialisation capitaliste. Bien que l’utilisation du terme “Sud Global” soit devenue commune dans les cercles académiques, et de part son aspect “essentialiste”, elle est souvent critiquée et décrite comme confuse, inexacte et possiblement offensante en fonction du contexte.
Pour ces raisons, les chercheurs représentés par ce terme l’emploient en juxtaposition avec d’autres concepts tels que “la Périphérie” (en opposition au “Centre”) qui fait référence à la théorie de la dépendance économique, ou le “monde majoritaire” (“majority world” en anglais) qui met en lumière la grande majorité démographique représentée par ces pays.
Pansexuel·e : Personne éprouvant une attirance sexuelle pour tous les genres, binaires ou non-binaires.
Queer : Issu de l’anglais signifiant « bizarre », le mot queer a d’abord été utilisé comme une insulte avant d’être repris par les personnes LGBTQ+ pour revendiquer leurs différences. Le terme désigne désormais toute personne ne se reconnaissant pas dans la vision binaire de genre (homme / femme) et d’orientation sexuelle (hétéro / homo).
Transgenre : Personne ne s’identifiant pas au genre qui lui a été assigné à la naissance.
Selon le UNHCR, 70% des réfugiés sont accueillis dans un pays voisin : Aperçu statistique
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