Catégorie : Inégalités climatiques

  • HORS SERIE IMPACTS – Retraites, climat, même combat ?

    HORS SERIE IMPACTS – Retraites, climat, même combat ?

    A l’occasion du 1er mai, NAAT met en lumière les liens entre les enjeux climatiques et la défense d’un système de retraites plus juste. 

    “Pas de retraités sur une planète brûlée”. Ce slogan a résonné ces derniers mois lors des manifestations contre la réforme des retraites. Le sujet est porté par différentes associations environnementales et par des militant·e·s écologistes. Ils et elles mettent en avant que l’urgence n’est pas de réformer les retraites mais d’agir pour limiter le changement climatique. Car pour celles et ceux qui auront 60 ans dans 30, 40 ou 50 ans, la problématique risque de ne pas être celle de partir à la retraite mais celle de survivre dans un monde invivable. Il s’agit avant tout d’une question de priorisation : si on ne se préoccupe pas de la question climatique, il risque de ne pas y avoir de retraite du tout. Mais au-delà de l’argument de l’urgence, d’autres éléments lient la question des retraites à celle du climat et de l’environnement. Les deux sujets qui pourraient sembler d’un premier abord sans rapport sont en fait connectés. 

    En ce 1er mai 2023 qui n’est pas seulement la fête du travail mais une nouvelle journée de mobilisation contre la réforme des retraites porté par Emmanuel Macron, nous revenons sur les principaux enjeux autour des retraites et du climat.

    I. L’impact du dérèglement climatique sur le travail : la question des conditions de travail et de la pénibilité

    Le dérèglement climatique a un impact sur tous les aspects de notre vie, y compris sur le travail. Les conséquences du réchauffement climatique modifient grandement nos conditions de travail et la pénibilité de certains métiers. L’exemple le plus étudié est celui des vagues de chaleur. Leur conséquences pour les travailleur·euse·s ont fait l’objet d’un rapport de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) en 2019. Selon ce rapport, la chaleur diminue la productivité dès que la température atteint les 24-26°C. Lorsqu’il fait 33-34°C, un·e travailleur·euse opérant à une intensité physique moyenne perd 50% de sa capacité de travail. 

    Mais c’est surtout la santé et la sécurité des personnes qui sont en jeu. L’exposition à la chaleur peut entraîner pour les travailleur·euse·s des crampes et des malaises, des coups de chaleur et des déshydratations pouvant aller jusqu’à provoquer la mort de la personne. La chaleur et le déficit de récupération lié aux températures élevées la nuit amènent une diminution de l’attention et de la vigilance et un risque plus important d’accidents. Ils aggravent également les tensions au travail, jouent sur l’humeur des personnes, sur leur tolérance vis-à-vis de collègues ou du public. Si les horaires de travail sont décalés pour s’adapter aux fortes chaleurs, cela peut interférer avec la vie privée des personnes et leurs obligations personnelles (garde d’enfant, rendez-vous, etc), ce qui ajoute à la fatigue mentale. Tous les travailleur·euse·s sont concerné·e·s (notamment du fait de la chaleur dans certains bureaux ou d’usines et de l’absence de récupération durant la nuit). D’autres éléments sont également à prendre en compte comme la plus forte volatilité de substances chimiques du fait de la chaleur (pouvant créer des risques d’inflammabilité ou d’inhalation par les personnes), ou comme le port de vêtements de protection empêchant l’évaporation de la sueur. Les personnes travaillant en extérieur dans des métiers physiques comme le BTP, les transports et l’agriculture sont particulièrement concernées. En France au cours de l’été 2022, au moins 7 personnes sont décédées dans des accidents du travail directement imputable à la chaleur, la majorité d’entre elles travaillant dans le BTP et l’agriculture. 

    Les vagues de chaleur ont également un impact par ricochet sur d’autres secteurs comme ceux de la santé et de l’aide à la personne. En plus de subir les conditions décrites précédemment, les travailleur·euse·s dont le métier est de soigner et d’accompagner les malades et vulnérables (enfants, personnes âgées, personnes en situation de handicap, etc) se retrouvent en première ligne face aux impacts de la chaleur. Leur charge de travail augmente.

    Au-delà des vagues de chaleur, de nombreuses autres problématiques émergent. Par exemple, l’augmentation des températures moyennes amènent l’arrivée de nouvelles espèces animales et végétales sur le territoire français. Cela entraîne des risques en matière de zoonoses pour les personnes travaillant avec les animaux (vivants ou morts), en matière d’introduction de nouveaux allergènes (en particulier via les pollens) et de nouveaux agents biologiques pour les métiers de l’environnement, de l’agriculture, du transport mais aussi de la gestion des déchets. Un autre exemple réside dans la modification de la fréquence et de l’intensité des aléas climatiques. Au-delà de l’annulation d’événements et de la diminution du tourisme dans certaines zones, ces aléas créent des risques et des conditions de travail plus difficiles pour les secours et les professionnels de la remise en état des réseaux (électricité, infrastructures routières, etc).  Dans un rapport publié en 2018, l’ANSES indique qu’ “à l’exception des risques liés au bruit et aux rayonnements artificiels, tous les risques professionnels sont et seront affectés par le changement climatique et les modifications environnementales”. Tout cela est clairement perçu par les travailleur·euse·s puisque 70% des répondants à une une enquête du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) publiée le 14 février 2023 considèrent que le dérèglement climatique et plus généralement la dégradation de l’environnement peut affecter la santé des salarié·e·s et des agent·e·s.

    Ces conditions de travail rendues plus difficiles et pénibles détériorent la santé des personnes. Si tous et toutes sont impacté·e·s, les actifs et actives seniors le sont plus particulièrement. L’avancée en âge augmente les problèmes de santé (maladies chroniques, usures liées aux activités professionnelles répétées au fil des années, etc). Actuellement, selon l’Observatoire de la mutualité française, dans un rapport sur la santé au travail publié en février 2023, “le vieillissement de la population des salariés et le développement des pathologies chroniques qui l’accompagne se traduisent par une augmentation de la morbidité et de la durée des arrêts de travail avec l’âge. En 2017 (dernière donnée disponible), l’accentuation est très nette chez les plus de 60 ans (+ 24 jours d’arrêt maladie en moyenne, par rapport à la classe d’âge inférieure)”. Les travailleur·euse·s seniors ne seront plus toujours en capacité de continuer à exercer leur activité professionnelle dans un environnement aux risques et à la pénibilité augmentés par le réchauffement climatique. Dans son rapport de 2019 concernant les vagues de chaleur, l’OIT insiste sur le fait que les travailleur·euse·s âgé·e·s ont une résistance physiologique plus faible à des niveaux élevés de chaleur” et explique que “pour les femmes comme pour les hommes, le vieillissement entraîne des changements dans la régulation de la température corporelle. De plus, les personnes de plus de 50 ans risquent davantage de souffrir de maladies cardio-vasculaires.” Pour l’OIT, “ces facteurs doivent être pris en compte dans la conception des mesures d’adaptation.

    Enfin, soulignons que les personnes les plus concernées par les effets négatifs de la réforme des retraites sont aussi celles qui sont le plus touchées par les conséquences du dérèglement climatique. Il s’agit des personnes exerçant les métiers les plus précaires, les métiers les plus difficiles physiquement et souvent les moins bien payés. On peut penser par exemple aux livreurs à vélo, aux plongeurs dans les cuisines, aux saisonniers agricoles, etc. Or, du fait de leur situation économique, ces personnes n’ont bien souvent pas d’autre choix que d’aller travailler malgré les conditions pouvant être dangereuses pour leur santé. Par ailleurs, cette réforme des retraites accroît les inégalités de genre. Actuellement, les femmes ont, selon la DREES, une pension de retraite de droit direct inférieure de 40% à celle des hommes. Cela est lié à des carrières souvent plus hachées car elles ont généralement la tâche de s’occuper des enfants et occupent des métiers moins rémunérateurs. Elles sont pourtant concernées par la dégradation des conditions de travail et l’augmentation de la pénibilité liées au changement climatique, du fait des vagues de chaleur mais aussi de leur surreprésentation dans certains secteurs comme les “métiers du care”. Ces actifs et actives font donc face à un véritable cumul des vulnérabilités et des risques, créant un cocktail qui impacte fortement leur fin de carrière ainsi que leur retraite. 

    II. La question du financement des retraites : un enjeu pour la transition écologique

    En parallèle, la réforme des retraites portée par Emmanuel Macron et le gouvernement d’Elisabeth Borne favorise la financiarisation des retraites. Actuellement, en plus de recevoir une pension de retraite via le financement par répartition, les personnes peuvent – si elles le souhaitent – augmenter les sommes perçues à leur retraite par des dispositifs complémentaires correspondant à une épargne par capitalisation constituée auprès d’investisseurs et d’assureurs. Par le recul de l’âge de départ et la possible diminution des pensions, la réforme pousse les personnes à épargner pour assurer un complément à leur retraite ou pouvoir partir de façon anticipée, malgré une décote. En France, plus de 6 millions de personnes possédaient un plan épargne retraite en 2022. Cependant, là encore, la question des inégalités émerge. Ce type d’épargne n’est pas accessible à tous. Les personnes les plus pauvres n’ont pas forcément les moyens d’épargner ou préfèrent opter pour des produits financiers leur permettant de retirer l’argent immédiatement en cas de besoin. 

    De surcroît, la financiarisation rend les montants des retraites dépendant des marchés financiers. Or ceux-ci sont particulièrement vulnérables face au dérèglement climatique et à ses conséquences. Les aléas climatiques extrêmes peuvent avoir des impacts sur les cours boursiers et les assurances du jour au lendemain. En 2018, le think tank Asset Owners Disclosure Project estimait qu’il y avait “près de 10 mille milliards de dollars d’actifs non protégés contre les crises économiques qui seront causées par le réchauffement climatique”. Compter sur la retraite par capitalisation, c’est donc mettre en danger les pensions de millions de personnes et prendre le risque d’une paupérisation des retraités. Ce même think tank s’inquiétait de l’absence de prise en compte du changement climatique par les grands fonds de pension pourtant censés agir sur le long terme en gérant l’épargne salariale sur plusieurs dizaines d’années avant que les personnes prennent leur retraite. Devant cette absence de préparation et de mesures concrètes d’adaptation, le Forum Économique Mondial, dans son rapport “Global Risk Report 2020”, souligne : “les fonds de pension risquent d’être confrontés à des déficits catastrophiques en raison de la consolidation et de la transition des industries”.

    La capitalisation est également problématique si elle permet de continuer de financer des projets et activités particulièrement émetteurs en gaz à effet de serre, ce qui est actuellement le cas. Nombre d’acteurs financiers continuent d’investir dans les énergies fossiles avec l’argent déposé par les épargnants. Certains acteurs majeurs dans l’épargne des retraites, français et européens comme Swiss Life ou mondiaux comme Blackrock, n’ont d’ailleurs pris aucun engagement concernant la sortie du charbon ou du pétrole, voire sont même accusés de faire obstacle à la transition écologique. Ils participent de ce fait à la crise climatique et environnementale.

    III. Emploi, âge de la retraite, nombre de trimestres cotisés… Travailler moins et mieux pour limiter les émissions de gaz à effet de serre

    Le consensus scientifique est clair : les changements climatiques en cours sont d’origine anthropique. Les activités humaines et les émissions de gaz à effet de serre qui en découlent sont la cause principale du réchauffement climatique par rapport à l’ère pré-industrielle et des importantes dégradations de l’environnement, y compris l’effondrement de la biodiversité. La solution mise en avant par les scientifiques, en accord avec les gouvernements qui participent à l’élaboration des rapports à destination des gouvernants, est la transformation systémique de notre société. Cela passe par repenser nos modes de production et de travail – et donc aussi nos retraites. 

    La première problématique est celle liée à l’absence actuelle de mesures concrètes suffisantes concernant la limitation du réchauffement climatique et une transition écologique juste. De nombreuses organisations alertent : en l’absence d’adaptation au changement climatique, de très nombreux emplois seront purement et simplement supprimés. Or, sans emploi, les personnes auront des difficultés à cotiser le nombre de trimestres nécessaires pour partir à la retraite à taux plein ou n’auront pas eu suffisamment de revenus au cours de leur carrière pour assurer une pension de retraite suffisante pour vivre dignement. 

    A l’inverse, s’engager dans la lutte contre le réchauffement climatique et une transition juste permettra la création d’emplois, notamment d’emplois dits “verts”, et de limiter la perte d’emplois. Cela correspond aussi aux aspirations des salarié·e·s puisqu’une récente étude de l’Unédic montre que 8 actifs sur 10 souhaitent que leur travail soit en adéquation avec la lutte contre le changement climatique.

    Au-delà de faire évoluer nos modes de production et le travail qui les accompagne vers des pratiques plus respectueuses de l’environnement et du climat – et donc de travailler mieux, il s’agit aussi de diminuer nos activités et notre temps de travail – travailler moins pour produire moins. Les recherches sont encore peu nombreuses sur ce sujet mais celles qui existent concluent majoritairement à une baisse de l’empreinte écologique et des émissions de gaz à effet de serre lorsque le temps de travail diminue. Plusieurs facteurs sont mis en avant : la diminution du temps de travail permettrait de diminuer la consommation d’électricité, de limiter les déplacements (trajets domicile – travail), de changer les manières de consommer (cuisiner plutôt que consommer des plats ultra-transformés par exemple), d’améliorer la santé, etc. Si cela s’applique au temps de travail hebdomadaire, cela est également valable à l’échelle d’une carrière. Dans un rapport publié en décembre dernier, l’OIT présentait la retraite anticipée comme l’une des solutions pour une transition juste. 

    Climat et travail, un lien encore sous-estimé

    La question climatique apparaît comme un véritable angle mort de la réforme des retraites. Il est pourtant essentiel de repenser le travail et la retraite dans une optique de limitation du dérèglement climatique et d’adaptation aux impacts de ces changements. La question des retraites qui est par essence un enjeu de long terme ne peut plus aujourd’hui être pensée en dehors des problématiques climatiques et environnementales. Au contraire, elle doit non seulement les prendre en compte mais faire partie des stratégies étudiées pour lutter contre le réchauffement climatique, assurer une transition écologique juste et renforcer l’adaptabilité de notre société. 

    Pour aller plus loin !

    Etes-vous incollable sur le travail et les impacts du changement climatique ? Testez vos connaissances avec notre quizz spécial 1er mai !

    (Re)lisez le n°16 de notre revue IMPACT sur le travail et le changement climatique !

  • IMPACTS HORS SÉRIE – La relance du nucléaire en France se fait-elle dans le respect de la démocratie environnementale ?

    Sur demande du gouvernement en 2019, le Réseau de Transport d’électricité (RTE) a publié fin 2021 plusieurs scénarios de mix de production permettant d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050, « Futurs énergétiques 2050 »[1]. Six scénarios de mix de production ont été proposés dont trois sans relance du nucléaire et trois avec.

    Lors d’un discours à Belfort le 10 février 2022[2], le président de la République Emmanuel Macron a annoncé la trajectoire souhaitée pour la France : l’accélération du développement des énergies renouvelables, mais aussi la construction de six nouveaux réacteurs de type EPR2[3] et l’étude de huits EPR2 additionnels. Les annonces du président rappellent deux scénarios de référence présentés dans « Futurs énergétiques 2050 » : l’un dit « N2 » impliquant la construction de nouveaux réacteurs, l’autre dit N03 prévoyant en plus le prolongement de l’utilisation des centrales nucléaires existantes. Ont donc été mises en avant les hypothèses maximalistes de réindustrialisation.

    Cette relance du nucléaire annoncée par le président a commencé à se matérialiser par un projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes présenté (« Projet de loi d’accélération du nucléaire ») en conseil des ministres le 2 novembre 2022, votée par le Sénat le 24 janvier 2023 et par l’Assemblée nationale le 21 mars 2023.

    En parallèle, la loi d’accélération des énergies renouvelables a été promulguée le 10 mars 2023.

    Il est à noter qu’une loi de programmation énergie et climat doit être votée cette année. Elle doit fixer les priorités d’action de la politique climatique et énergétique nationale en tenant compte de l’objectif européen de réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre de -55% d’ici 2030[4].

    Dans un tel contexte, quel(s) rôle(s) ont les citoyen-ne-s et quels sont leurs droits ?

    La charte de l’environnement donne valeur constitutionnelle au principe de la participation du public et au droit à l’information depuis 2005[5]. Cela s’est traduit par la mise en place de deux procédures dans le code de l’environnement :

    • En amont des plans ou projets : création des procédures de débat public ou de concertation préalable[7] afin d’associer le public à l’élaboration des projets, à un stade où toutes les options sont encore ouvertes, permettant ainsi de questionner l’opportunité du projet.
      • Les procédures de débat public et de concertation préalables sont encadrées par la Commission nationale du débat public[8] (CNDP) qui à l’obligation d’être saisie pour certains projets, ou la faculté de l’être pour d’autres projets.
    • en aval, au stade de l’approbation du plan ou de l’autorisation du projet ont été mises en place des procédures d’enquête publique[9], de participation du public par voie électronique[10] ainsi qu’un dispositif de participation du public hors procédures particulières[11]. Cette consultation porte sur un dossier finalisé, juste avant la délivrance d’une autorisation ou approbation. La procédure appliquée dépend de la nature et de la taille du projet.

    C’est dans ce cadre que le gouvernement a lancé le 20 octobre 2022 une concertation nationale sur le « Système énergétique de demain ». En parallèle, EDF et RTE ont saisi la CNDP afin d’organiser un débat sur les nouveaux réacteurs nucléaires et notamment le projet Penly, visant à agrandir ce site nucléaire en Normandie. Ce débat a eu lieu entre le 27 octobre 2022 et le 27 février 2023.

    Au cœur de ce grand chantier controversé, autant les conditions dans lesquelles la loi est élaborée (I) que les dispositions qu’elle prévoit (II), interrogent quant à la place donnée aux droits garantis par la Constitution, que sont le droit à l’information et le principe de participation du public.

    I. L’élaboration de la loi au regard de la démocratie environnementale

    Outre le contenu du projet de loi d’accélération du nucléaire qui va directement impacter l’information et la participation du public, les modalités d’élaboration de la loi sont critiquables à plusieurs égards :

    • Le rapport législatif de la commission des affaires économiques[12] constate que le gouvernement a légiféré dans le désordre. Afin de prendre en compte les retours des débats publics sur le Système énergétique de demain et le nucléaire, il aurait fallu soumettre en premier au Parlement le projet de loi de programmation énergie et climat, puis le projet de loi d’accélération du nucléaire et le projet de loi d’accélération des énergies renouvelables.
    • Le rapport reconnaît que le gouvernement a légiféré dans la précipitation. Le Sénat a été informé mi-décembre de l’examen du projet de loi nucléaire pour début janvier et de la tenue de la commission mixte paritaire sur le projet de loi des énergies renouvelables pour fin janvier.
    • Le même rapport indique que le gouvernement a omis les consultations en cours : le projet de loi a été discuté au Parlement quand bien même les débats organisés par la CNDP sur ces sujets n’étaient pas clos. La CNDP déplore elle-même cette précipitation, le rapport la cite : « l’existence même de ce projet de loi nucléaire et la publicité qui lui est donnée, alors que son utilité directe paraît faible, laisse à penser que de toute façon les consultations ne servent à rien, ce qui n’est pas un très bon signal donné pour les consultations à venir. »
    • Enfin, le projet de loi omet des questions cruciales telles que l’actualisation de la  planification énergétique et celle relative aux moyens financiers et humains nécessaires. Les retards cumulés sur l’EPR de Flamanville tiendraient plus aux difficultés d’ingénierie et de conception qu’aux procédures d’autorisations administratives. Le rapport précité cite la CNDP sur le projet : « Il [le projet de loi] paraît surtout très peu utile : le retour d’expérience de Flamanville ne fait apparaître à aucun moment les procédures comme élément déterminant du délai de réalisation du projet. La réalisation des études d’ingénierie est beaucoup plus déterminante, et les procédures sont menées en parallèle à la conduite de ces études, de fait en temps masqué. » Cette remarque a été soulevée avant même que soient  dernièrement détectées de nouvelles fissures[13] sur des conduites du système d’injection de sécurité.

    II. Les simplifications administratives prévues dans la loi et les conséquences sur la participation et l’information du public.

    L’un des éléments clés du projet de loi est la suppression de l’objectif de réduire à 50 % la part de l’énergie nucléaire dans le mix électrique à horizon 2035, ainsi que le plafond de 63,2 gigawatts de capacité totale de production nucléaire autorisée. La ministre de la transition énergétique a expliqué qu’elle ne veut «ni plafond ni plancher» sur le sujet.

    Le projet de loi prévoit une simplification des démarches administratives pour la délivrance des autorisations. Les dispositions votées concernant donc principalement les collectivités et les riverains des projets : les procédures d’urbanisme, d’autorisation environnementale et par conséquent la participation du public sont directement impactées. C’est pourquoi l’absence de prise en compte du débat public -qui s’est terminée le 27 février alors que la loi était déjà débattue dès début janvier- est inquiétante au regard de la démocratie environnementale. Le projet de loi prévoit notamment les dispositions suivantes.

    Simplification des documents d’urbanisme aux mains de l’État.

    Le projet simplifie la mise en compatibilité des documents d’urbanisme. La qualification de projet d’intérêt général devra être prononcée par décret en Conseil d’État, à la place d’un arrêté préfectoral ou d’un décret dans le droit existant. L’État pourra engager directement, et sans délai, la modification du document d’urbanisme local. Un examen conjoint étant prévu entre l’État et les collectivités, le rapporteur a souhaité renforcer la participation des collectivités en proposant un amendement leur donnant la possibilité de faire parvenir des observations à l’État. Cette étape aurait permis de mieux identifier dès l’amont les éventuels problèmes et suggestions relevés par les acteurs de terrain, mais l’amendement a été supprimé.

    Dispense d’autorisation au titre du code de l’urbanisme

    Afin de faire émerger de nouveaux réacteurs nucléaires, plusieurs autorisations doivent être délivrées par l’administration : 

    • l’autorisation de création d’une installation nucléaire de base;
    • l’autorisation environnementale qui assure la prévention des dangers et des risques pour l’environnement (eaux, milieux et habitats, sols, arbres), délivrée par décret du ministre chargé de l’environnement;
    • l’autorisation d’urbanisme comprenant le permis de construire, le permis d’aménager ou la déclaration préalable selon les éléments à construire du projet;
    • la déclaration d’utilité publique afin de justifier l’utilité publique d’un projet pour pouvoir conduire des expropriations et pour que des procédures dérogatoires puissent être mises en œuvre (notamment la mise en compatibilité des documents d’urbanisme locaux).

    Le projet de loi vise à dispenser le projet de l’autorisation d’urbanisme. Il prévoit d’unifier les procédures existantes à cet effet au sein de la procédure d’autorisation environnementale. La conformité de ces projets aux règles d’urbanisme sera vérifiée à l’occasion de la demande d’autorisation environnementale ou de la demande d’autorisation de création du réacteur. Cette dispense correspond à une dispense de permis de construire et de permis de démolir. 

    Par conséquent, cette mesure entraînerait une réduction des interlocuteurs et personnes habilitées à accéder aux éléments précis des dossiers[14] et donc limiterait les risques de fuites d’informations sensibles. Cette mesure permettrait une évolution du projet au fil de l’eau sans avoir à solliciter à chaque étape un permis modificatif. Cela permettrait également de réduire l’aléa contentieux puisque les recours devant le Conseil d’État seraient possibles uniquement sur l’autorisation environnementale et l’autorisation de création. Enfin, l’objectif principal (et objet de la loi) est un gain de temps. Celui-ci est relativiser : comme l’a noté le Conseil d’État[15], même en l’absence de permis de construire, les autres autorisations devront être recueillies: ce gain de temps ne pourrait être atteint qu’après un renforcement de l’action des administrations centrales et des services déconcentrés intervenant dans le cadre de l’autorisation environnementale[16]. 

    Dérogations : loi littoral et concession d’utilisation du domaine public maritime

    Les projets nucléaires pourront s’affranchir des restrictions de construction liées à la loi littoral. De plus, par dérogation aux dispositions de l’article L. 2124-2 du code général de la propriété des personnes publiques, les concessions d’utilisation du domaine public maritime demandées pour la construction et l’exploitation de nouveaux réacteurs implantés en façade maritime pourront être octroyées à l’issue d’une enquête publique mais sans obtention préalable d’une déclaration d’utilité publique. Il sera possible de porter atteinte à l’état naturel du rivage de la mer, notamment par endiguement, assèchement, enrochement ou remblaiement, pour la construction de nouveaux réacteurs nucléaires à proximité ou à l’intérieur du périmètre des installations existantes.

    Le projet de loi permet d’appliquer la procédure d’expropriation avec prise de possession immédiate prévue par le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.

    En outre, et sans avoir attendu la fin du débat public, un « Conseil de politique nucléaire » réuni par Emmanuel Macron avait, le 3 février dernier, acté la fusion de l’Institut de radioprotection et sûreté nucléaire (IRSN), chargé de surveillance de la radioactivité dans l’environnement et appui technique des pouvoirs publics en matière de risque nucléaire et radiologique, avec de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), le gendarme des centrales. Cette décision a aussitôt suscité l’opposition des personnels, de parlementaires et de spécialistes qui y voient une perte d’indépendance, de compétence et de capacité d’expression des experts[17]. Le 15 mars, l’Assemblée nationale a alors rejeté en première lecture cette réforme en votant pour préserver « l’organisation duale » actuelle. Le sujet reste néanmoins d’actualité et il ne peut encore être écarté une future fusion de ces deux autorités.

    Le Sénat a voté en faveur du projet de loi d’accélération du nucléaire le 24 janvier, tandis que l’Assemblée nationale a voté en faveur le 21 mars. Le texte doit encore être amendé en commission mixte paritaire le 4 mai prochain, puis soumis à un second vote parlementaire. 

    Notes

    [1] Voir ici : https://rte-futursenergetiques2050.com/ 

    [2] Voir ici : https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2022/02/10/reprendre-en-main-notre-destin-energetique 

    [3] European Pressurized Reactor = Réacteur pressurisé européen, devenu Evolutionary Power Reactor. Il s’agit d’un réacteur de “génération III+” d’une puissance électrique d’environ 1670 MW.

    [4] Introduite par la loi du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat, il s’agit d’une loi de programmation quinquennale devant être actualisée tous les 5 ans. Ses grands axes seront déclinés à travers la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) et la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). La LPEC, la SNBC et laPPE émanent de la stratégie française pour l’énergie et le climat (SFEC)

    [5] Article 7 de la Charte de l’environnement : « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement. »

    [6]Articles L.121-8 et suivants du code de l’environnement

    [7] Articles L.121-15-1 et suivants du code de l’environnement

    [8] Créée en 1995 par la loi Barnier relative au renforcement de la protection de l’environnement. Il s’agit d’une autorité administrative indépendante.

    [9] Articles L.123-2 et suivants du code de l’environnement

    [10] Article L.123-19 du code de l’environnement

    [11] Articles L.123-19-1 et suivants du code de l’environnement

    [12]  Rapport n° 236 (2022-2023) de M. Daniel GREMILLET, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 11 janvier 2023, https://www.senat.fr/rap/l22-236/l22-236.html

    [13] Des contrôles « ont permis de détecter la présence de fissures de fatigue thermique », sur des conduites d’urgence « considérées comme sensibles à la corrosion sous contrainte » dans le réacteur 2 de la centrale nucléaire de Penly (Seine-Maritime) et le réacteur 3 de la centrale de Cattenom (Moselle), selon une note de l’ASN. En outre, l’ASN a jugé que “ Cet événement n’a pas eu de conséquence sur le personnel ni sur l’environnement. Néanmoins, il affecte la fonction de sûreté liée au refroidissement du réacteur. En raison de ses conséquences potentielles et de l’augmentation de probabilité d’une rupture, l’ASN le classe au niveau 2 de l’échelle INES en ce qui concerne le réacteur 1 de la centrale nucléaire de Penly et au niveau 1 pour les autres réacteurs concernés.”

    [14] L’article L.421-5 du code de l’urbanisme prévoit déjà une dispense de formalités pour certains projets “du fait qu’ils nécessitent le secret pour des raisons de sûreté ou que la préservation de leur confidentialité est nécessaire pour la sauvegarde des intérêts de la défense nationale.”

    [15] Avis du Conseil d’Etat sur un projet de loi visant à accélérer la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants, 2 novembre 2022

    [16]  La Cour des comptes a souligné dans un rapport que les services déconcentrés de l’urbanisme ont porté la majorité des suppressions de poste au cours des dernières décennies (voir « Les effectifs de l’administration territoriale de l’État », Cour des comptes, 31 mai 2022)

    [17]  Voir https://www.irsn.fr/actualites/motion-cor-lirsn-contre-demantelement-programme-linstitut ; https://www.irsn.fr/savoir-comprendre/environnement/quel-est-role-lirsn

  • IMPACTS HORS SÉRIE – 22 mars 2023 – Sécheresse en France en plein hiver

    En début d’année, la France métropolitaine a battu son record de nombre de jours sans pluie : 32 jours, du jamais vu depuis le début des enregistrements en 1959. Si quelques gouttes ont pu tomber ici ou là, le cumul quotidien des précipitations a été inférieur à 1 mm, et ce en plein hiver – période essentielle où les nappes phréatiques se remplissent et où la neige s’accumule en montagne. Le mois de février 2023 a été le mois le plus sec jamais enregistré avec un déficit de précipitation d’environ 50%. La situation est également préoccupante dans les territoires ultra-marins, par exemple en Guadeloupe où le déficit de précipitations est de -30% depuis décembre 2022. Les prévisions pour l’été 2023 concernant la sécheresse sont inquiétantes. Les réserves en eau qui avaient permis aux territoires français de traverser la sécheresse de 2022 ne sont pas constituées pour faire face à un été chaud et sec.

    Pourquoi une telle sécheresse ? Est-ce dû au réchauffement climatique ? Quelles conséquences actuelles et à venir ? 

    Pour le 22 mars, journée mondiale de l’eau, nous vous proposons quelques éléments de réponse dans ce nouvel hors-série de notre revue IMPACT.

    Quelle sécheresse en France actuellement ?

    La sécheresse est un épisode de manque d’eau créant un déséquilibre hydrologique. La France est actuellement touchée par trois types de sécheresse : 

    • la sécheresse météorologique qui provient d’un déficit de précipitations sur une période donnée ;
    • la sécheresse agricole lorsque le déficit de précipitations créé un déficit hydrique des sols mesuré par le taux d’humidité à 1 mètre de profondeur ;
    • la sécheresse hydrologique qui est atteinte quand les niveaux des nappes phréatiques et des cours d’eau sont trop bas.

    Selon le Bureau des Recherches Géologiques et Minières (BRGM), le niveau des nappes phréatiques au 1er mars 2023 est anormalement bas, avec 80% des nappes à des niveaux modérément bas à très bas. 

    Le saviez-vous ?

    Au 16 mars 2023, sept départements français (Ain, Alpes-Maritime, Ardèche, Bouches-du-Rhône, Drôme, Guadeloupe, Isère, Pyrénées-Orientales, Var) en alerte sécheresse ont déjà pris des mesures de restriction d’eau.

    Cette situation est due à une année 2022 et un début 2023 particulièrement chauds et secs selon MétéoFrance

    Près de -25% de précipitations sur l’ensemble de la France métropolitaine en 2022, l’année dernière a été la plus chaude jamais enregistrée. La sécheresse de 2022 avait déjà coûté 2 à 3 milliards d’euros aux assureurs et 76 millions d’euros à l’État au titre des indemnisations agricoles. L’année 2022 faisait elle-même suite à d’autres étés très secs successifs depuis 2018.

    Ces phénomènes de sécheresses à répétition et sévères sont une conséquence du changement climatique comme expliqué par le GIEC dans le résumé final de son sixième rapport en trois volets sorti ce lundi  20 mars 2023.En effet, le changement climatique entraîne un changement des saisons, une réduction de la période hivernale avec un réchauffement important des étés. Or, la chaleur renforce l’évaporation de l’eau. Des chercheurs du CNRS ont prouvé pour l’été 2022 l’impact du changement climatique d’origine humaine sur la circulation atmosphérique et sur la sécheresse. Mais d’autres facteurs aggravent la sécheresse. Avec la bétonisation, l’urbanisation et l’agriculture conventionnelle qui a fortement dégradé les sols, l’eau s’infiltre beaucoup moins dans les sols, ce qui a tendance à empêcher le rechargement des nappes phréatiques.

    Les conséquences de la sécheresse sont importantes. Nous en avions déjà décrit certains dans un précédent hors-série consacré au bilan de l’été 2022.

    L’accès à l’eau des personnes : un enjeu majeur

    Sans eau, l’humain meurt. Le droit à l’eau – sans être consacré par la constitution française – est reconnu par l’article L210-1 du Code de l’environnement. Or, la sécheresse a des conséquences importantes sur l’accès à l’eau des personnes. Elle impacte tant la quantité d’eau disponible que sa qualité (développement de bactéries, concentration de composés, etc). 

    En Outre-mer, notamment en Guadeloupe, les services d’eau potable procède à des coupures face au manque de ressource. En métropole, de nombreuses communes connaissent chaque année leur “Jour Zéro”, le jour où il n’y a plus d’eau au robinet. Plus de 700 communes ont connu des difficultés d’approvisionnement en eau en 2022 et 550 ont dû ravitailler leurs concitoyens par camion-citerne.

    Au-delà de l’accessibilité physique de l’eau, le problème de l’accessibilité financière se pose. La sécheresse participe à faire monter le prix de l’eau. Or, en 2017, on estimait que 3% de la population française était déjà en situation de précarité hydrique (c’est-à-dire que le poids de l’eau dans leur budget est égal ou supérieur à 10% de leur budget total).

    L’accès à l’eau est révélateur d’importantes inégalités : 

    • inégalités territoriales, entre les territoires qui ont suffisamment d’eau et ceux qui en manquent
    • inégalités sociales, entre les ménages aisés qui ont plus facilement accès à la ressource et les ménages les plus pauvres. (Outre le revenu, d’autres facteurs renforcent ces inégalités, notamment le manque de représentativité politique, les limites de l’accès à l’information et de la participation à la décision publique). 

    Cet été 2022, le manque d’eau dans des villages du sud a montré les tensions et les inégalités que pouvait générer la sécheresse.

    La sécheresse a des conséquences pour les végétaux et les animaux

    L’eau est indispensable à la survie de nombreux végétaux sur le territoire français qui ne sont pas adaptés à des milieux très secs. Pour les plantes, la sécheresse entraîne un manque d’eau qui a un impact sur leur croissance et peut entraîner leur mort. La période de récupération des végétaux suite à une sécheresse peut être très longue, elle est en moyenne de 6 mois au niveau mondial. Les conséquences pour la flore sont donc durables dans le temps.

    Pour le monde animal, la sécheresse a également des conséquences importantes. Les animaux aquatiques sont particulièrement touchés par les bas niveaux des cours d’eau qui fragmentent leur milieu voire amènent son assèchement complet, ce qui entraîne la mort de nombreux individus. Mais toute la faune est concernée avec des difficultés pour boire et s’hydrater, mais aussi une transformation de leur habitat (diminution de la transpiration des arbres en forêt, baisse de la qualité de l’eau, diminution des végétaux disponibles pour l’alimentation, incendies, etc) qui créent une surmortalité importante. Prenons l’exemple des oiseaux qui sont en pleine période de nidification et particulièrement vulnérables à la déshydratation. 

    Bien sûr, totalement dépendant de son environnement pour sa survie, l’humain souffre par effet de rétroaction des impacts de la sécheresse sur la faune et la flore.

    La sécheresse a un impact direct sur les activités agricoles, cultures et élevages.

    En 2022, la sécheresse avait fait chuter de 54% les rendements de maïs non irrigués et cette année 2023 pourrait être encore pire. Les arbres fruitiers souffrent déjà de la sécheresse hivernale en ce début 2023 et ils ne vont pas pouvoir mobiliser suffisamment d’eau pour leur croissance et la production de fruits. La vigne est également impactée par la sécheresse des sols dans de nombreux départements, par exemple en Côte d’Or. Les conséquences se font aussi sentir pour l’élevage en jouant sur la disponibilité du fourrage et l’hydratation des animaux. Si la sécheresse actuelle se poursuit en mars et avril, il risque de ne pas y avoir assez de fourrage pour nourrir les animaux. Cet épisode précoce de sécheresse est d’autant plus inquiétant qu’il fait suite à un été 2022 qui avait fortement impacté le secteur agricole (manque d’herbe, récoltes détruites, trésorerie dégradée, baisses de revenus, licenciements dans un secteur soumis déjà à de fortes disparités sociales).

    Les ressources agricoles constituent notre alimentation. Les difficultés de production alimentaire à cause de la sécheresse vont réduire les stocks disponibles mais risquent également de faire augmenter les prix de certains produits alimentaires.

    De multiples impacts sur la santé

    La santé des personnes est également à risque face à la sécheresse. Il y a les conséquences immédiates les plus évidentes : déshydratation, problème d’hygiène lié au manque d’eau ou encore risques de dénutrition et malnutrition induits par les conséquences de la sécheresse sur l’alimentation. Mais d’autres conséquences moins connues existent sur notre santé. Peu d’études ont été faites en France, mais dans d’autres pays des chercheurs ont démontré que la sécheresse pouvait : 

    • causer ou aggraver des maladies respiratoires (concentration en poussières et en particules fines dans l’air), 
    • amener le développement de certains pathogènes (notamment les norovirus), favoriser les maladies vectorielles en particulier celles diffusées par les moustiques, 
    • augmenter les risques d’exposition à des contaminants (concentration de composés dans l’eau, mais aussi application de pesticides qui par temps sec ont plus de chance de se répandre dans une zone non ciblée et de s’accumuler),
    • ou encore favoriser les problèmes de santé mentale et le stress face au manque d’eau.

    Des conséquences aussi sur le logement

    Au-delà des limitations des permis de construire pour des maisons neuves du fait du manque d’eau dans certaines communes, la sécheresse joue également sur le phénomène de retrait et gonflement des argiles qui vient fragiliser les bâtiments. Le manque d’eau amène une perte de volume des argiles entraînant leur retrait et l’affaissement des sols où se trouvent les fondations et les dallages des bâtiments. Les sinistres liés à l’impact de la sécheresse sur les bâtiments ont été multipliés par quatre en 5 ans et touchent désormais des régions jusque-là épargnées comme l’Est de la France. Selon un rapport du ministère de la Transition Écologique publié en 2021, plus de 10 millions de maisons individuelles sont menacées et le phénomène pourrait s’aggraver jusqu’à concerner une maison sur deux en France métropolitaine.

    Quelles solutions ?

    Un Plan national sur l’eau devrait être annoncé dans les jours qui viennent dans le même format que le plan de sobriété énergétique de cet hiver. Selon les premières informations, ce plan, auquel on peut reprocher sa verticalité et l’absence d’adaptation à chaque territoire, insisterait sur la remise aux normes du réseau soumis à d’importantes fuites et sur l’effort des citoyen·ne·s pour une sobriété hydrique. 

    Face à l’annonce de ce plan, deux enjeux méritent notre attention :

    • Face aux sécheresses, attention aux bonnes solutions. Les politiques publiques trop souvent encore financent des maladaptations au détriment de solutions d’intérêt général. Par exemple, de nombreux agriculteurs se tournent vers la création de retenues d’eaux immenses pouvant aller jusqu’à couvrir la surface de 250 piscines olympiques. Ces retenues représentent des chantiers d’aménagement coûteux de plusieurs millions d’euros à 70% financés par l’État, mais celles-ci vont puiser encore plus dans les nappes phréatiques, captent dans le bassin versant déjà soumis à de fortes baisses de débit de l’eau et amènent d’importantes pertes du fait de l’évaporation. 
    • Nous ne sommes pas tou·te·s égaux face à la ressource en eau. Une réflexion collective est nécessaire pour réduire de façon intelligente et solidaire notre consommation d’eau en priorisant les usages de façon juste et équitable. L’eau est l’affaire de tou·te·s ! À cet égard, consacrer notre droit d’accès à une eau potable dans la Constitution pourrait être un bouclier juridique pour les citoyen·ne·s des générations présentes et futures.

    POUR EN SAVOIR PLUS

  • IMPACTS – La revue des inégalités climatiques

    IMPACTS – La revue des inégalités climatiques

    La revue de presse des inégalités climatiques

    La newsletter IMPACTS revient sur les inégalités climatiques afin de mettre en lumière les conséquences du dérèglement du climat sur les territoires et populations français-es. Impacts sociaux, économiques, territoriaux, etc… Le réchauffement climatique aggrave les inégalités. Nous voulons les montrer pour mieux les combattre ! 

    Nous sommes convaincu-es que la réalité des inégalités socio-environnementales a un potentiel de mobilisation fort :  ce sujet permet de prendre conscience de l’urgence climatique, qui porte dès maintenant atteinte aux conditions de vie.

  • IMPACTS HORS SÉRIE – Bilan de l’été 2022 en France

    Plusieurs journaux sont revenus sur le climat de l’année 2022 et sur l’été particulièrement hors-normes que nous avons connus. Cela était-il prévisible ? Oui, le GIEC alerte depuis les années 90 sur les conséquences du changement climatique.

    Quels impacts ces évènements climatiques extrêmes ont eu concrètement en France ? C’est cette question qui a intéressé le groupe de travail inégalités climatiques qui suit au sein de sa revue IMPACTS les impacts différenciés du changement climatique sur la population et le territoire français. Nous avons eu à cœur de dresser une synthèse à partir des nombreuses données chiffrées qui sont remontées ces dernières semaines afin de dresser un premier bilan de l’été 2022 et de vous le partager.

    Cette synthèse montre que les impacts concernent tout le territoire français et perdurent dans le temps. Ainsi, en décembre, 20 départements étaient encore en alerte sécheresse. Ce bilan fait également apparaître que si toute la France a souffert des évènements climatiques extrêmes survenus pendant l’été, des parties de la population et des territoires ont été plus touché.e.s que d’autres dessinant des vulnérabilités différenciées qui nous permettent de mieux comprendre comment le changement climatique s’ancre en France. Elle met en évidence que des politiques d’adaptation sont à prendre dès maintenant pour limiter et anticiper ces impacts et protéger en priorité les territoires et les populations les plus impactées par le changement climatique pour des raisons d’équité.

    Sommaire

    I. Retour sur les évènements climatiques extrêmes de l’été 2022 en France
    II. Bilan humain de l’été 2022
    III. Les impacts sur les sols et la biodiversité
    IV. Pertes et dommages : les sinistres pour les particuliers
    V. Autres pertes et dommages : les impacts importants sur l’agriculture et
    l’alimentation

    I. Retour sur les évènements climatiques extrêmes de l’été 2022 en France

    Cet été a été marqué par : 

    3 vagues de chaleur intenses.
    • 33 jours de canicule.

    2022 est le deuxième été le plus chaud enregistré après 2003, juste avant celui de 2018 et le mois de juin a été le plus chaud jamais enregistré (maximale à 36,2°C).
    Cet été se classe parmi les 10 étés les plus secs sur la période 1959-2022. Cette sécheresse n’est pas un événement isolé, l’été 2019 et l’été 2020 avaient déjà été particulièrement secs.

    Les orages ont été exceptionnellement nombreux et ont souvent
    été accompagnés de chutes de grêle dévastatrices ou de rafales
    de vent dépassant les 200 km/ heure ou de pluie diluvienne.

    Les orages ont occasionné 23 000 coupures d’électricité, et
    100 communes ont été ravitaillées en eau potable à cause du
    manque d’eau.

    • De très nombreux incendies, dont les feux de Gironde.
    • En France, les feux de l’été sont jusqu’à plus de 7 fois plus importants
    que la moyenne des 15 dernières années.

    Tous les départements français ont été en alerte sécheresse, 57 départements étaient en crise, une vingtaine étaient encore en alerte en décembre.
    • Des ruptures de glacier se sont produits dans les Pyrénées et les Alpes.

    Le saviez-vous ?

    Strasbourg a connu 50 jours de chaleur consécutifs (plus de 25 °C) et Marseille 113 jours de chaleur consécutifs à partir du 9 mai. La température de la mer Méditerranée était de 4 à 5 degrés au-dessus des températures normales, c’est cette hausse des températures qui explique en partie la violence des orages survenus en Corse à la fin de l’été.

    Quels impacts ont eu ces évènements au-delà de leur caractère hors-normes ?

    II. Bilan humain de l’été 2022

    Ces événements ont d’abord eu de graves conséquences sur la vie de nombreuses personnes.

    Le chiffre le plus impressionnant est le nombre de décès suite aux trois vagues de chaleur qui auraient entraîné 10 420 décès supplémentaires entre le 1ᵉʳ juin et le 15 septembre 2022.

    Autre chiffre révélateur de la vulnérabilité des travailleurs en extérieur, 7 personnes auraient été victimes d’accidents du travail mortels liés à la chaleur d’après la Direction générale du travail.

    Suite aux orages et incendies, 7 personnes ont péri dans les orages et incendies, 49personnes ont été blessées, dont de nombreux pompiers, et au moins 45 000 personnes ont été évacuées. (Ces derniers chiffres ont été récoltés en réalisant une veille de plusieurs médias sur tout l’été.

    Enfin, les recours aux soins aux urgences ont été multipliés par deux créant un effet d’engorgement dans les hôpitaux déjà fragilisés par les vagues successives de covid qui ont continué durant l’été.

    Qui a été le plus touché ?

    Les personnes les plus touchées ont été : les pompiers, les touristes, les travailleurs en extérieur et les personnes âgées de plus de 75 ans qui représentent 80 % des mort.e.s des vagues de chaleur.
    Les régions : Bretagne (+ 19,9 %), Grand Est (+ 25,7 %) et Île-de-France (+ 20,8 %) ont les
    excès de mortalité relatifs les plus importants
    Source : https://reporterre.net/Canicule-et-Covid-ont-cause-10-000-morts-en-plus

    III. Les impacts sur les sols et la biodiversité

    Le bilan des incendies

    L’impact le plus saisissant sur les paysages et les écosystèmes est celui laissé par les incendies qui ont été 7 fois plus importants en France que la moyenne des 15 dernières années. Cette augmentation du nombre d’incendies a touché tous les pays d’Europe.

    En plus des vies touchées par les feux de l’été, c’est 61 289 hectares qui ont brûlé, soit 6 fois la taille du département de Paris.

    Par ailleurs, des moyens considérables ont été déployés pour éteindre ces incendies. Le coût de chaque intervention s’élèverait d’après Le Parisien à un chiffre compris entre 750 000 à un million d’euros.

    En juillet 2022, ce sont 3 000 hommes qui ont été mobilisés, 2 000 au plus près du feu et 1000 pour gérer le déroulement des interventions. En termes de matériel, c’est 350 engins de lutte et 200 en appui qui ont été mobilisés, soit un coût global à plus de 100 millions d’euros. En plus de leur coût sur le terrain, l’indemnisation des véhicules défaillants représente un coût
    considérable. À titre d’exemple, les gros camions peuvent coûter jusqu’à 300 000 euros et 50 000 euros pour les 4×4.

    Enfin et surtout, ces interventions ont de lourds impacts en terme de santé, car elles sont génératrices de stress intense comme ont pu l’indiquer les équipes de soin qui suivent les sapeurs-pompiers à la presse.

    Impacts sur les forêts

    Les peuplements forestiers ont été fortement impactés par la sécheresse. De nombreux témoignages ont rapporté l’état dégradé de la végétation qui affichait des couleurs d’automne en plein été.

    Les forêts ont été touchées aussi par les épisodes de grêle du début de l’été durant lesquels de nombreux arbres ont été blessés sur des dizaines voire des centaines d’hectares. Les plus forts dégâts en forêt se sont produits dans les régions de : Bourgogne-Franche-Comté, la Nouvelle-Aquitaine (Dordogne, Gironde, Landes, Deux-Sèvres, Vienne et Creuse), le Centre
    (Loir-et-Cher, Indre, Maine-et Loire) et l’Allier.

    Impacts sur la faune

    Malgré le manque de données chiffrées dont nous disposons pour le moment, la LPO, le CNRS, ou encore Eau de France, ont signalé les vulnérabilités qu’occasionnaient la sécheresse mais aussi les intempéries sur la population animale

    Outre l’impact important de la sécheresse sur le bétail, les chercheur.se.s ont souligné que les milieux aquatiques ont été fortement perturbés par les vagues de canicules qui ont occasionné de faibles étiages ou des assecs, une hausse de la température de l’eau, une baisse de la quantité d’oxygène, et favorisé l’apparition de micro-algues. De nombreux sauvetages de poissons ont ainsi été effectués partout en France et de nombreuses populations de poissons sont mortes, par exemple dans la Loire ou au nord de Pau, sur le lac de Serre-Castets.

    Les chercheur.se.s ont rapporté que les oiseaux, vulnérables à la déshydratation, ont souffert plus particulièrement des intempéries de juin ou du manque d’eau lié à la sécheresse.

    Enfin, les incendies en Bretagne et en Gironde, ont tué ou privé de leur habitat de nombreux animaux sauvages : des insectes, des amphibiens, des reptiles et des mammifères.

    Impacts sur les glaciers

    L’enneigement historiquement bas dans les Écrins cet hiver et les fortes chaleurs persistantes, dès le printemps, ont eu des conséquences sur plusieurs glaciers des Hautes-Alpes, notamment pour le plus vaste glacier des Écrins, le glacier Blanc, dont la fonte a été exceptionnelle. D’autres glaciers sont en danger : les glaciers d’Ailefroide, de la Momie, des Violettes et du Pelvoux.

    IV. Pertes et dommages : les sinistres pour les particuliers

    Le terme « perte et dommage » est utilisé par les Nations Unies pour désigner les dommages causés par le changement climatique. Comme le résume le Réseau Action Climat, les pertes et dommages peuvent être de nature économique et non économique. Ils peuvent être la conséquence de phénomènes météorologiques extrêmes tels que des ouragans violents, ou de phénomènes à occurrence lente comme la montée du niveau des mers. Les populations les plus vulnérables des pays en développement, pourtant les moins responsables du changement climatique, sont les plus durement touchées et ont le moins de moyens pour faire face à ces impacts.

    En 2022, en France, la sécheresse et les intempéries ont causé des millions de sinistres pour un coût total estimé entre 6 et 7 milliards d’euros.

    Les orages de grêle survenus entre le 18 juin et le 4 juillet ont coûté 2,4 milliards d’euros:
    ▪ 624 000 sinistres au total.
    ▪ 267 000 habitations sinistrées.
    ▪ 337 000 automobiles endommagés.
    ▪ 16 000 biens professionnels sinistrés.
    ▪ 4 000 biens agricoles frappés.

    La sécheresse a provoqué de nombreux phénomènes de retrait-gonflement des sols argileux provoquant de nombreuses fissures dans les maisons pour un coût entre 1,9 et 2,8 milliards d’euros.

    Le phénomène de retrait-gonflement des sols argileux :Les terrains argileux superficiels peuvent varier en volume à la suite d’une modification de leur teneur en eau. Ils se rétractent lors des périodes de sécheresse et gonflent au retour des pluies. L’augmentation des sécheresses et des épisodes de pluie violents lié au changement climatique accélère ce type de phénomène.

    Ces chiffres sont à prendre en compte aussi dans le temps long car au total, entre 1990 et 2020, la sécheresse a coûté, selon les assureurs, 14 milliards d’euros

    Entre 2020 et 2050, la sécheresse pourrait coûter sans politique d’adaptation urgente et sérieuse au changement climatique 43 milliards d’euros. Ce sont 10 millions de maisons individuelles françaises concernées à cause notamment du phénomène de retrait-gonflement des sols argileux. 

    V. Autres pertes et dommages : les impacts importants sur l’agriculture et l’alimentation

    Le secteur français le plus fortement impacté par les évènements climatiques extrêmes a été l’agriculture, et donc conséquemment les agriculteur.ice.s mais aussi notre alimentation.

    Concrètement, qu’est-ce que cela signifie pour les agriculteurs ?

    • des récoltes détruites, 
    • une trésorerie dégradée, 
    • une baisse de revenu qui se fait ressentir sur l’année, 
    • des licenciements dans un secteur soumis déjà à de fortes disparités sociales.

    Pour notre alimentation, cela signifie une baisse de production agricole. Ainsi, l’été 2022 a été marqué par une forte baisse de : 

    – production de maïs, -17,1% par rapport à la moyenne 2017-2021, ce qui veut dire que c’est la plus faible récolte de maïs depuis 1990.

    – production d’herbe, – 33 % par rapport à la période de référence (1989-2018). C’est la production la plus faible depuis 2003.

    Ces baisses de rendement peuvent avoir d’autres impacts sur une chaîne d’approvisionnement déjà soumise à une forte tension depuis la guerre en Ukraine, et sur d’autres produits réalisés à partir de maïs. 

    À titre d’exemple, une partie de la production mondiale de maïs est utilisée en alimentation animale mais aussi par les productions industrielles d’éthanol et d’amidon. Les firmes agro-alimentaires utilisent de plus en plus l’amidon du maïs comme substitut du sucre. C’est le cas pour la confiserie, la chocolaterie, la pâtisserie, la biscuiterie, la fabrication de confitures, de conserves de fruits, de crèmes glacées, d’entremets, de plats cuisinés… Le maïs est aussi largement utilisé pour la fabrication de la bière, en complément du malt, ainsi que pour produire du whisky (bourbon).

    Comme le soulignait le Ministère de l’Agriculture, d’autres effets décalés de la sécheresse pourraient se manifester dans les mois à venir, par exemple une baisse de la production laitière ou une décapitalisation du cheptel. 

    Enfin, de nombreux labels alimentaires (AOP, IGP) n’ont pas été en mesure de respecter le cahier des charges annuel faute d’herbe suffisante dans les pâturages ou à cause du manque d’eau  : abondance, reblochon, Munster, fourme d’Ambert, bleu d’Auvergne, beurre Charentes-Poitou, beurre des Charentes, beurre des Deux-Sèvres, IGP Agneau du Quercy, les labels flageolet vert et lingot du Nord. 

    Qui a été le plus touché dans le secteur agro-alimentaire? 

    Les cultures les plus touchées ont été l’arboriculture, les vignes. Les bêtes ont fortement souffert du manque d’herbe. Les maraîchages conventionnels et agroécologiques ont été également durement touchés à l’ouest et dans le sud de la France.
    Pour exemple le plus symbolique, 11 départements victimes de la sécheresse ont été indemnisés au titre des calamités agricoles : l’Ardèche, l’Aveyron, le Cantal, la Drôme, la Loire, la Haute-Loire, le Lot, la Lozère, le Puy-de-Dôme, le Rhône et le Tarn. L’indemnisation prévisionnelle pour ces départements s’élève à 76,3 millions d’euros.

    Mais la sécheresse n’a pas  eu que des impacts sur l’agriculture, elle a eu aussi de forts impacts sur d’autres secteurs économiques :

    – le tourisme, notamment dans les Hautes Alpes et les Alpes de Haute Provence, en Corse et en Gironde. Dans le bassin d’Arcachon, le tourisme aurait enregistré une baisse de chiffre d’affaires de 10 à 50%

    des secteurs essentiels comme le transport fluvial ont été menacés, notamment sur le Rhin qui connaissait son plus faible niveau depuis 15 ans.

    Conclusion

    Ce premier bilan des impacts de l’été 2022 sur la France met en relief des vulnérabilités.

    Pour les personnes :

    – les personnes âgées de plus de 75 ans 

    les travailleurs en extérieur : secteur touristique, construction, pisciculture, agriculture

    –  les pompiers

    En terme de territoires : 

    –  les zones littorales, en particulier la côte ouest et la côté méditerranéenne, marquées par les gros orages de l’été, les incendies et des périodes de canicule très longues ;

    – les zones fluviales du Rhin, de la Loire et du Rhône fortement impactées par la sécheresse ;

    – les départements du sud de la France marqués par de graves problèmes de sécheresse et d’approvisionnement en eau ;

    – des villes comme Nantes ou Saint-Malo qui ont failli manquer d’eau potable ;

    – la région Grand Est, qui compte le plus fort taux de surmortalité lié aux canicules (+ 25,7 %) ;

    – les massifs forestiers exposés aux risques d’incendie, comme on l’a vu en Gironde ;

    – les zones montagneuses soumises à des risques de fonte comme on l’a vu avec le glacier blanc dans les Écrins ;

    – les zones de plateaux, comme la Cantal, la Drôme, le Quercy, sensibles aux sécheresses ;

    – et les zones argileuses exposées au risque de retrait-gonflement des sols argileux.

    D’autres vulnérabilités existantes ont moins été relayées par la presse : les jeunes enfants, les femmes enceintes, les habitant.e.s des centres villes exposés au phénomène de fournaise urbaine en temps de canicule. D’autres personnes ont souffert aussi pendant l’été, notamment les personnes détenu.e.s dans les prisons françaises souvent condamnées pour leur surpopulation carcérale et leurs conditions indignes de détention. 

    Quatre ans après le lancement de l’Affaire du Siècle, et la condamnation de l’État en 2021 par la justice, ce bilan montre que les catastrophes climatiques sont amplifiées par l’inaction de l’État et le manque d’adaptation des territoires français au changement climatique.

    Il montre aussi l’importance de mieux connaître les impacts du changement climatique pour penser et agir collectivement dans un souci d’efficacité et de justice dès aujourd’hui.

    Pour en savoir plus…

    Si vous voulez mieux connaître les inégalités climatiques et environnementales, ou rejoindre le groupe inégalités climatiques pour porter plus fort ce combat, vous pouvez nous écrire ou consulter notre rapport sur les inégalités climatiques et environnementales :  

    Et les combats en justice menés par Notre Affaire à tous

  • Inégalités climatiques et environnementales

    Inégalités climatiques et environnementales

    Présentation

    Les inégalités socio-environnementales sont un sujet encore peu investi en France, le dérèglement climatique étant perçu comme une menace globale et uniforme. Pourtant, selon l’âge, le sexe, et le statut social des individus, qui comprend leurs ressources économiques, culturelles et sociales, la vulnérabilité des individus face aux risques du dérèglement climatique est fortement différenciée. Nous pensons que la notion d’inégalité environnementale et climatique est au cœur de la lutte contre le changement climatique. 

    Depuis sa création en 2015, Notre Affaire à Tous s’est intéressée aux multiples victimes françaises du dérèglement climatique : agriculteurs, apiculteurs, pêcheurs, aquaculteurs, viticulteurs … C’est pour mettre en avant cette diversité des situations et pour développer un accompagnement et une protection face aux conséquences du dérèglement climatique que nous avons mis en place cette action.

    Nous sommes déterminé-es à accompagner et protéger les individus face aux conséquences du dérèglement climatique. Celui-ci nous amènera tous et toutes à subir un préjudice, qu’il soit écologique, moral, physique ou encore économique. Mais des inégalités se font déjà ressentir, selon les individus et entre les territoires, les vulnérabilités existantes s’en trouvant exacerbées. Pour mieux défendre notre cause, nous unissons les forces de la recherche et la sphère universitaire à celle de la sphère associative et de la mobilisation sociale.

    Pour en savoir plus, écoutez ce webinaire dans lequel Clothilde Baudouin de Notre Affaire à Tous, Rémi Saintagne de ATD Quart Monde France et Valentin Prelat du CRID reviennent sur les impacts différenciés du dérèglement climatique.

    Nos objectifs

    • Favoriser l’accès à la justice environnementale pour la société civile au niveau local et sensibiliser à la justice climatique
    • Documenter et sensibiliser aux impacts du changement climatique et les inégalités liées pour permettre une prise en compte réelle des risques climatiques pour la population
    • Présenter des portraits de français-es impacté-es par le changement climatique, à travers la mise en valeur des témoins par les biais journalistique et/ou universitaire
    • Rechercher les différents préjudices subis par les populations face au changement climatique et accompagner des citoyen-nes dans des recours sur fondements climatiques et faire reconnaître les préjudices
    • Favoriser une dynamique européenne autour des impacts du changement climatique et obtenir, à terme, une prise en compte réelle et adaptée des risques climatiques pour la population

    Comment ?

    Nous avons noué des relations avec des étudiant-es, des chercheurs et des spécialistes pour développer le contenu informatif disponible sur les inégalités climatiques et environnementales : nous réalisons des enquêtes, partons sur le terrain, recueillons et analysons des données…

    Pour favoriser le dialogue et diffuser l’information, le groupe est également en lien avec des journalistes et possède sa propre newsletter documentant les #IMPACTS inégalitaires de la triple-crise environnementale. Dans cette même optique de recherche-action, nous produisons des rapports thématiques étoffés pour documenter des situations d’inégalités climatiques et environnementales spécifiques. Nous mettons notre expertise juridique au service de la construction de plaidoyers collectifs, aux côtés des acteurs de terrain et des communautés premières concernées, et de réflexions prospectives pour intégrer ces enjeux aux argumentaires des contentieux stratégiques.

    Nous sommes convaincu-es que la réalité des inégalités socio-environnementales a un potentiel de mobilisation fort : ce sujet permet de prendre conscience de l’urgence climatique, qui porte dès maintenant atteinte aux conditions de vie et aux droits humains fondamentaux.

    Nos Actions

    IMPACTS – La revue des inégalités climatiques

    La newsletter IMPACTS revient sur les impacts inégalitaires de la crise environnementale afin de mettre en lumière les conséquences du dérèglement du climat sur les territoires et populations français-es. Impacts sociaux, économiques, territoriaux, etc… Le réchauffement climatique aggrave les inégalités. Nous voulons les montrer pour mieux les combattre !

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    Soif de justice dans les Outre-mer : agir contre les discriminations d’accès à l’eau potable

    Aux côtés de collectifs ultramarins, Notre affaire à tous se mobilise pour visibiliser les problématiques d’accès à l’eau potable et expliciter le ressort de la discrimination environnementale à leurs origines.

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    Prisons et risque climatique

    Notre Affaire à Tous met en lumière les risques climatiques et environnementaux auxquels font face les prisons françaises et alerte sur l’urgence d’adaptation du milieu et des politiques carcérales.

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    Crise climatique et droits humains

    Avec un plaidoyer porté au cœur des institutions protégeant des droits humains, Notre Affaire à Tous s’engage à documenter les impacts de la crise climatique et à renforcer les obligations des Etats et des acteurs privés.

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    Le rapport « Un Climat d’inégalités »

    Nous publions le rapport “Un climat d’inégalités : Les impacts inégaux du dérèglement climatique en France”, pour mettre en lumière un phénomène alors trop peu documenté : les inégalités climatiques sur le territoire français. Quatorze citoyen·ne·s témoignent des impacts directs du dérèglement climatique sur leurs conditions de vie quotidienne.

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    Une enquête inédite sur les vécus climatiques

    L’enquête « Vivre les fournaises urbaines » est le fruit d’une alliance unique et essentielle entre Notre Affaire à Tous, l’Université Lyon 2 et l’UMR Triangle pour penser de nouveaux milieux et territoires de vie plus écologiques. Cette enquête se concentre sur les vécus climatiques et les engagements écologiques dans 5 grandes villes du sud de la France, soulignant une fois de plus l’urgence à agir.

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    Le People’s Climate Case

    De mai 2018 à mars 2021,Notre Affaire à Tous a accompagné Maurice Feschet, le plaignant français du People’s Climate Case. Cette action en justice avait pour objectif de rehausser l’ambition climatique insuffisante des institutions de l’Union européenne et ainsi de protéger les droits fondamentaux à la vie, à la santé, au travail et à la propriété des familles plaignantes. Elles demandaient que des mesures efficaces pour lutter contre le changement climatique soient prises.

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    Portraits de témoins du changement climatique

    Entre 2018 et 2019, Notre Affaire à Tous a travaillé avec le JIEC – Journalistes d’Investigation sur l’Écologie et le Climat. Issu-es de cinq médias. Ils et elles se sont rassemblé-es pour dresser des portraits de témoins du changement climatique en France. Pour compléter ce travail, Notre Affaire à Tous a également lancé deux appels à témoignages sur les impacts du dérèglement climatique en France.

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    Nos ressources


    Nos autres actions

  • IMPACTS n°20 – 30 novembre 2022 – Les mobilités

    Le transport est l’activité qui contribue le plus aux émissions de gaz à effet de serre de la France. En 2019, il représente 31 % des émissions françaises de GES, et ces émissions sont en augmentation depuis les années 90 (+9 %). Ce sont les voitures des particuliers qui sont les principaux émetteurs, devant les poids lourds, les avions ou les bateaux D’après Géoconfluences, la mobilité désigne “un changement de lieu accompli par une personne (…) et rassemble à la fois un ensemble de valeurs sociales; une série de conditions géographiques; un dispositif technologique et son arsenal de techniques et d’acteurs (…). Chaque acteur dispose, du fait de ses compétences et de son insertion spatiale, d’un capital de mobilité (…). La circulation des personnes est à la source de processus d’échange et de diffusion (valeurs, idées, technologies, etc.), moteurs essentiels du développement de l’humanité.” Ce concept éminemment politique est devenu, au fil de l’histoire, un droit pour les citoyens : l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme dispose que toute personne a le droit de circuler librement ; la loi d’orientation des transports intérieurs (LOTI) de 1982 affirme un droit au transport devant permettre de se déplacer “dans des conditions raisonnables d’accès, de qualité et de prix ainsi que de coût pour la collectivité”; enfin, la loi d’orientation des mobilités de 2019 se fixe pour objectif la mise en place de transports du quotidien à la fois plus faciles, moins coûteux et plus propres. En effet, si la mobilité doit être repensée pour répondre à l’urgence climatique, elle doit aussi prendre en compte l’urgence sociale. D’une part, sur le volet financier : en 2021, 13,3 millions de personnes sont en situation de précarité mobilité en France. La crise des gilets jaunes avait fait émerger cette problématique dans l’espace public, la crise de l’énergie depuis la guerre en Ukraine la remet à l’ordre du jour. D’autre part, sur le volet sanitaire : rappelons que la pollution atmosphérique est associée à 7 millions de décès prématurés dans le monde par an, en particulier dans les zones les plus précaires. S’intéresser à la mobilité, c’est donc à la fois constater son caractère polluant et inégalitaire et s’interroger sur son avenir.

    Sommaire

    La mobilité aujourd’hui : accélératrice de précarité et polluante 

    Focus : le concept de “précarité mobilité”. Entretien avec Pierre Marion, assistant parlementaire de la députée européenne Leïla Chaibi (LFI), juin 2022.

    – Les politiques publiques de la mobilité : un investissement technologique au détriment des enjeux sociaux et écologiques

    La mobilité aujourd’hui : accélératrice de précarité et polluante

    ­­La révolution industrielle a bouleversé la mobilité en Europe : à partir des années 1820, le chemin de fer et les transports urbains changent notre rapport au temps et à l’espace. Le réseau ferroviaire s’étend sur le continent pour permettre d’abord un échange accru des marchandises, puis le voyage. Aujourd’hui, la mobilité en France est centrée autour de la voiture, ce qui a des conséquences multiples et désastreuses .­

    Focus : le concept de “précarité mobilité”

    ­­Le Fonds social pour le climat a été proposé par la Commission européenne en juillet 2021. L’objectif était de permettre aux ménages vulnérables de faire face à l’augmentation du prix de l’énergie provoqué par l’extension du marché carbone aux transports routiers et aux bâtiments (notamment en versant des aides). En avril 2021, Leïla Chaibi propose d’inscrire dans la législation européenne le concept de “précarité mobilité” en lui donnant la définition suivante :
    “Une personne est considérée comme étant en situation de précarité mobilité quand : elle a des difficultés à se déplacer pour subvenir à ses besoins essentiels et/ou que les déplacements grèvent une bonne partie de son budget.” Entretien réalisé avec Pierre Marion, assistant parlementaire de la députée européenne Leïla Chaibi (LFI), juin 2022.­

    Les politiques publiques de la mobilité : un investissement technologique au détriment des enjeux sociaux et écologiques

    Les politiques publiques, loin de faire de l’enjeu social et écologique une priorité, creusent les inégalités en octroyant des alternatives aux CSP+. Citons entre autres : la politique ferroviaire axée sur les lignes à grande vitesse alors que le réseau intermédiaire et les petites lignes se réduisent; ou l’interdiction de la vente de voitures thermiques neuves d’ici à 2035, sauf pour les voitures de luxe. Dans le même temps, la réduction à la pompe ne fait que renforcer la dépendance aux énergies fossiles. Au lieu de proposer des modes de déplacement coûteux et polluants, les politiques publiques pourraient repenser le rapport à la mobilité.

    Pour aller plus loin !

  • Dérèglement climatique : quel impact sur vos droits ?

    Dérèglement climatique : quel impact sur vos droits ?

    Le dérèglement climatique a des conséquences dévastatrices sur les conditions de vie de millions de personnes, particulièrement les plus vulnérables. Recentrer le discours sur les droits humains peut obliger les gouvernements et les entreprises à faire le lien entre préoccupations environnementales et justice sociale.

    Nous sommes tous.tes concerné.es. En répondant à ces 5 questions simples, nous espérons vous donner un aperçu de l’impact du dérèglement climatique sur vos droits fondamentaux.

    Ce test respecte le RGPD : vos réponses sont anonymes et ne sont ni utilisées ni conservées.

  • IMPACTS n°19 – Précarité énergétique 

    “Les inégalités de logement et de précarité énergétique aggravent les inégalités sociales. Résoudre ce problème, c’est résoudre des problèmes d’ordre climatique et d’ordre social.” Danyel Dubreuil

    Ce 19ème numéro d’IMPACTS est consacré à la précarité énergétique et à ses impacts sur la population dans un contexte d’augmentation sans précédent des prix de l’énergie que vient aggraver la guerre en Ukraine. Pour parler de ce sujet urgent qui croise des enjeux sociaux et climatiques, IMPACTS a rencontré Aline To Lulala, en grand témoin de la précarité énergétique, et Danyel Dubreuil, coordinateur du collectif Rénovons engagé en faveur de la rénovation énergétique.

    Aline Lo Tulala, grand témoin

    Copyright Héloïse Philippe

    “Aline, pouvez-vous vous présenter ?

    Aline Lo Tulala, militante contre les passoires thermiques au sein de l’Alliance citoyenne 93 et actuellement suppléante de Bastien Lachaud, député sur Aubervilliers et Pantin et membre de l’Union populaire. En même temps, je suis aide-soignante de fonction et je travaille dans le secteur social.

    Comment définiriez-vous une personne en situation de précarité énergétique ?

    C’est une personne qui vit dans un logement souvent très mal isolé. Comme c’est très mal isolé, cette personne a beau chauffer, il fait trop chaud l’été et trop froid l’hiver, et les factures d’électricité ne cessent d’augmenter et deviennent très chères.
     


    Entretien avec Danyel Dubreuil, coordinateur de l’initiative Rénovons

    L’initiative Rénovons, alliance de 40 organisations mobilisées sur la précarité énergétique et la rénovation du bâti français, a proposé un bouclier énergie à l’hiver 2021 pour une politique efficace de lutte contre la précarité énergétique et de rénovation énergétique des bâtiments. Cette alliance regroupe entre autres la Fondation Abbé Pierre, le Secours Catholique, SoliHa, le CLER – Réseau pour la transition énergétique, le Réseau action climat.

    En France, combien de personnes sont-elles touchées par la précarité énergétique ?

    Tu as plusieurs chiffres qui peuvent servir d’indicateurs. La plupart des gens qui ont peu de ressources sont en précarité énergétique car c’est un rapport de consommation d’énergie sur le revenu. La barre est fixée à 8% pour les consommations de chauffage et d’eau chaude…
     

    Que peut-on retenir du bouclier tarifaire mis en place par le gouvernement cet hiver ?

    Les mesures 2021 ont annulé la hausse des prix de l’énergie pour les ménages concernés. La facture des ménages a augmenté de 100 euros et le chèque supplémentaire était de 100 euros, ce qui fait que les ménages n’ont quasiment rien gagné, ils sont dans la même situation qu’avant. Ils sont protégés de la hausse des prix mais la hausse continue avec des effets de rattrapage à venir, décalés dans le temps. Sur l’assiette dont on dispose, tout le monde n’a pas besoin d’être protégé de la hausse des prix. La hausse des prix est surtout pertinente pour ceux qui ont un usage immodéré de l’énergie, que ce soit en termes de carburant ou d’énergie consommée dans le logement. Pour eux, l’énergie n’est pas assez chère, c’est à dire que le poids de l’énergie dans leur budget est faible. Le taux d’effort énergétique de l’ensemble des français est de 4% environ. 8% pour les ménages en précarité énergétique, c’est déjà le double. Et ça ne concerne que les dépenses d’énergie liées au logement. 
     


    Les catastrophes naturelles, les personnes déplacées et les inégalités climatiques : le cas de la tempête Alex dans la vallée de la Roya

    Entre 1988 et 2017 les intempéries sont à l’origine de 1121 décès par an et représentent un coût de 2,2 milliards de dollars de pertes estimées sur le territoire français. Selon le GIEC, la France métropolitaine a connu un réchauffement d’environ +1,4°C depuis 1900, une valeur plus élevée que la moyenne mondiale estimée à +0,9°C entre 1901 et 2012. La France figure parmi les pays d’Europe les plus vulnérables au dérèglement climatique.

    Le 2 octobre 2020, le département des Alpes-Maritimes a été placé en vigilance rouge « pluie-inondation ». Les cumuls de pluie sur place ont atteint en quelques heures 450 à 500 mm dans l’arrière-pays et plus de 560 millions de tonnes d’eau sur le département, soit l’équivalent de 190 000 piscines olympiques. A l’issue de cet épisode, 55 communes des Alpes-Maritimes ont été reconnues en état de catastrophe naturelle. La Fédération française de l’assurance a recensé 14 000 déclarations de sinistres enregistrées pour un coût des dommages assurés atteignant 210 millions d’euros. Le coût final de la tempête Alex se répartit entre les dégâts causés aux habitations (72 %), aux biens professionnels et agricoles (25 %) et aux automobiles (3 %). Dans la vallée de la Roya, on recense 4 ponts détruits et 40km de voiries endommagées. Ces dommages s’accompagnent de traumatismes psychologiques pour les personnes sinistrées. Au lendemain de cette catastrophe naturelle exceptionnelle, de nombreuses questions se posent : comment reconstruire la vallée ? Où reconstruire les maisons détruites ? A l’avenir, comment prévenir de tels phénomènes climatiques, de potentielles crues similaires ? 

    Les dégâts de la tempête Alex dans la vallée de la Roya interrogent l’efficacité et l’adéquation de l’actuel régime d’indemnisation des victimes de catastrophes naturelles « CatNat » (I). Par ailleurs, les catastrophes naturelles, sources d’une augmentation des facteurs de paupérisation et de vulnérabilités nécessitent de questionner le rôle des acteurs publics dans l’adaptation et dans la prévention des catastrophes naturelles (II). 


    Synthèse sur la précarité énergétique

    Alors que les ménages français les plus énergivores consomment 6 à 9 fois plus que les plus économes, une partie croissante de la population française, à cause de la hausse des prix de l’énergie, souffre de précarité énergétique, c’est-à-dire éprouve une difficulté à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins premiers. En 2020, 14% des ménages disaient avoir souffert du froid, en 2021, ils étaient 20%.  Sur les 13 millions de personnes touchées, 40% estiment que c’est à cause d’une mauvaise isolation de leur logement, et 36% à cause de raisons financières. C’est pour dénoncer cette situation que les associations ont lancé le 10 novembre 2021 la journée de précarité énergétique.

    Concrètement, la précarité énergétique a des impacts forts sur les populations touchées, leur santé, les logements, le climat  et elle représente un coût pour la collectivité. La précarité énergétique aggrave fortement les inégalités sociales, et les passoires énergétiques, ces habitations très mal isolées et très énergivores classées F ou G sur les diagnostics de performance énergétique, sont particulièrement émettrices de CO2.

    Plusieurs enjeux urgents se trouvent donc au cœur de ce problème :

    – Celui de la rénovation massive des passoires énergétiques : pour protéger les ménages, améliorer l’efficacité énergétique des logements, et réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES).
    – Celui de la réduction des inégalités sociales puisque ce sont aujourd’hui les ménages les plus modestes qui, proportionnellement à leurs revenus, consacrent la plus grosse part de leur budget à l’énergie.

    Malgré des mesures d’urgence prises en 2022 pour faire face à la flambée des prix de l’énergie, peu d’avancées ont été faites sur le terrain des politiques publiques pour protéger les ménages et rénover le bâti français.

    Sous l’angle des inégalités climatiques et environnementales, plusieurs questions se posent donc : Quel impact la précarité énergétique a-t-elle sur les populations ? Quelles populations sont les plus touchées ? Est-ce que le dérèglement climatique peut renforcer les vulnérabilités existantes ? Quelles solutions peuvent atténuer ces impacts ?

    I. La précarité énergétique, une réalité qui touche toujours plus de ménages en France et en Europe

    II. Précarité énergétique : vers une augmentation dans les années à venir ?

    III. Quelles solutions pour réduire la précarité énergétique et anticiper les effets du dérèglement climatique ?

    Conclusion

    Une réduction des consommations d’énergie est nécessaire pour faire face à la hausse des prix de l’énergie, aux risques d’approvisionnement et à l’enjeu climatique. Malheureusement, aujourd’hui en France, ce sont les besoins de base des ménages les plus vulnérables qui sont les plus menacés.
    Est-il socialement acceptable que 20% de la population ait du mal chaque année à disposer de l’énergie nécessaire pour couvrir ses besoins premiers en France ? Ce laisser-faire a non seulement des conséquences sociales et sanitaires importantes (10 milliards par an selon France Stratégies), notamment sur les enfants qui grandissent dans des foyers en précarité énergétique, et il ne permet pas de réguler les comportements qui sont en excès de consommation d’énergie, ni de régler la question des logements les plus émetteurs de CO2.

    Pour allez plus loin

    France Stratégies

    ONPE

    Fondation Abbé Pierre

    Rénovons

    Insulate Britain

    Précarité énergie

  • IMPACTS n°18 – 28 janvier 2022 – Fiscalité et justice climatique

    Ce 18e numéro de la revue de presse « IMPACTS«  se concentre sur les thématiques de la fiscalité et ses liens avec la justice climatique. D’après une étude publiée par Oxfam en novembre 2021, l’empreinte carbone des 1% les plus riches du monde sera 30 fois supérieure à celle compatible avec la limitation du réchauffement à 1,5 °C d’ici 2030, fixée lors de l’Accord de Paris. Et tandis qu’environ 50 % des émissions mondiales sont imputables aux 10% des habitant-es de la planète les plus riches, la moitié la plus pauvre de la population mondiale est quant à elle responsable de seulement 10% environ des émissions de CO2 mondiales. Considérée comme un outil essentiel dans la lutte contre les inégalités, la fiscalité est aussi pour de nombreux économistes un levier efficace pour lutter contre le changement climatique. Cependant, aujourd’hui, la fiscalité verte se pense dans le monde et en France au détriment des ménages les plus pauvres et creuse les inégalités alors que ce sont les revenus les plus élevés qui en moyenne polluent le plus. Ainsi, en France, alors que les 1% les plus riches ont une empreinte carbone dix fois plus importante que la moitié la plus pauvre des Français, la fiscalité verte représente 4,5% des revenus des 20% des ménages les plus modestes contre 1,3% pour les 20% des ménages les plus riches. En contestant la hausse de la taxe carbone, le mouvement des Gilets Jaunes a conduit à une meilleure prise en compte des enjeux sociaux et fiscaux dans la lutte contre le changement climatique même si jusqu’ici le gel effectué alors par le gouvernement sur la taxe n’a pas changé l’équilibre existant. La question que résumait bien le rapport du Réseau Action Climat en novembre 2019 est celle-ci : comment réduire de 40% nos émissions de gaz à effet de serre en 2030 en garantissant la justice sociale ? Alors que de nouvelles pistes émergent en France notamment dans le contexte des élections présidentielles 2022, redistributivité de la taxe carbone, soutien aux ménages les plus pauvres plus performant, ISF climatique, à l’échelle internationale, des pistes aussi sont étudiées comme la taxe carbone mondiale dans le sillage de l’accord sur la taxation des multinationales. Ne faudrait-il pas parler de la taxe carbone aux frontières de l’Europe ?
     

    La situation dans le monde

    La fiscalité environnementale vue par les institutions internationales

    Pour l’OCDE, la fiscalité (qui englobe les taxes sur le carbone et différentes taxes spécifiques sur la consommation d’énergie) est un levier efficace pour faire baisser les émissions dommageables liées à la consommation d’énergie.

    Une tribune publiée dans le Wall Street Journal en 2019 défendait également une taxe carbone progressive et redistributrice comme l’un des outils les plus forts pour faire diminuer les émissions carbone. Pourtant, au niveau mondial, la fiscalité appliquée actuellement sur l’énergie par 42 pays émettant 80% de la consommation mondiale d’énergie et des émissions de CO2 correspondantes – et qui inclut les taxes sur le charbon, les taxes sur le transport routier, les taxes sur les carburants – n’est pas suffisante pour lutter contre le changement climatique, selon un rapport de l’OCDE publié en 2018. La fiscalité énergétique a un impact très limité puisque selon l’organisation, 81% des émissions échappent à toute taxation, et « 97% d’entre elles sont soumises à une imposition inférieure à 30 euros par tonne de CO₂, un montant qui représente une estimation objectivement faible des coûts climatiques ». Enfin, le rapport pointe du doigt la quasi-absence d’évolution des taux dans l’ensemble des pays étudiés.

     Cette situation fiscale stagnante a trois effets : les émissions de CO2 continuent d’augmenter avec la hausse des revenus, le gain reste inférieur au coût pour l’environnement de la consommation d’énergie. Les taxes créent seulement des incitations à réduire la consommation d’énergie sans changement notable par rapport à l’urgence requise.

    La situation en Europe

    Au niveau européen, les situations sont très diverses selon les pays. La Bulgarie est le pays européen le plus en pointe concernant les écotaxes avec 9,85% de ses recettes fiscales provenant d’impôts environnementaux en 2019, devant la Grèce et la Slovénie (respectivement 9,79% et 9,58% de recettes environnementales en 2019). La moyenne dans l’Union européenne ne s’élève qu’à 5,89% des recettes.

    Cette diversité dans l’Union européenne peut s’expliquer en partie par l’obligation d’unanimité du Conseil européen en matière fiscale. Cela débouche sur une législation européenne qui inclut de manière inégale les mesures fiscales, soit laissant libre choix aux pays d’y avoir recours ou non, soit permettant aux pays d’adopter des exemptions totales ou partielles. Par exemple, la directive européenne 2003/96/EC concernant la taxation des produits énergétiques et de l’électricité permet aux Etats-membres d’inclure dans leur droit national de larges exemptions. 

    L’Union européenne réfléchit à développer la fiscalité environnementale. Cependant, les discussions semblent encore timides sur ces questions. Le parlement européen s’est prononcé favorablement en vue d’une taxe carbone aux frontières du marché commun dès 2023 mais de nombreux Etats-membres y sont réticents. La solution privilégiée par l’Union est le marché carbone (“Emission Trading System” ou “EU ETS”). Ce marché est basé sur un plafond d’émissions de gaz à effet de serre à ne pas dépasser. Les entreprises dépassant ce plafond doivent acheter des quotas d’émissions qu’elles peuvent échanger sur un marché spécialisé, le marché du carbone (CO2). Ce marché concerne pour l’instant les entreprises les plus polluantes, représentant 40% des émissions de CO2. En 2020, le nombre total de quotas pouvant être créés sur le marché européen du CO2 (le plafond des émissions) représentait 1 720 millions de tonnes d’émissions de CO2 et le prix s’élève aujourd’hui à 80€ la tonne de CO2. Pour de nombreuses ONG, ce marché est en fait un “permis à polluer” et n’incite pas les entreprises à réduire leurs émissions. Malgré les fortes critiques de ce mécanisme, Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission européenne, propose la création d’un second marché du carbone sur le transport routier et le chauffage.

    La situation en France

    Une fiscalité peu probante

    Malgré la reconnaissance du principe pollueur-payeur dans la Charte de l’environnement de 2005, en France, la fiscalité environnementale est limitée et le système fiscal actuel est défavorable à l’environnement. Selon le Réseau Action Climat, la France est à la 27ème place de la fiscalité environnementale dans l’Union Européenne. Selon les chiffres d’Eurostat, la France fait figure de mauvaise élève et se trouve en dessous de la moyenne européenne :Le Conseil des Prélèvements Obligatoires (CPO) sous l’égide de la Cour des Comptes a produit en 2019 un ensemble de rapports sur la fiscalité environnementale et l’urgence climatique

    Selon ces rapports, la fiscalité environnementale française est constituée de 46 instruments fiscaux, d’un rendement de 56 milliards d’euros en 2018, ce qui représente un peu moins de 5% des prélèvements obligatoires. 83% de cette fiscalité environnementale concerne l’énergie et se compose surtout de taxes à la consommation : taxes sur les énergies dont la TICPE, qui s’applique au pétrole utilisé pour le transport et les chauffages, la TICGN, la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel, la TICC, la taxe intérieure de consommation sur le charbon, et les taxes sur l’électricité dont la CSPE. Les transports sont peu taxés en France (taxes sur les certificats d’immatriculation, taxes sur les conventions d’assurance automobile, malus automobile, etc.), et la pollution, les déchets, et les ressources, de façon marginale. Dans ce paysage, la TICPE génère à elle seule 33 milliards de recettes, soit 62% des impôts liés au climat. En comparaison, la taxe carbone rapportait en 2019, 10 milliards à l’État. 

    Bien qu’elle ait rapporté 43 milliards d’euros en 2019 à l’Etat français, et que sa part (3,7%) augmente dans le PIB depuis 2015 pour atteindre la moyenne européenne, la fiscalité liée au climat est dénoncée pour son manque de pertinence et son incohérence. Selon l’Institut de l’Économie pour le Climat (IE4C), la TICPE, la TICGN et la TICC sur le charbon ne sont que partiellement indexées sur les émissions carbone depuis 2014. L’institut dénonce pour les transports le niveau du malus automobile qui “ne décourage pas les consommateurs d’acheter des véhicules polluants” notamment de type SUV. 

    De même, les entreprises bénéficient d’importantes exonérations. Par exemple sur les taxes de consommation des énergies fossiles : la trentaine de dérogations représentent un manque à gagner d’environ 10 milliards d’euros pour l’Etat. Les secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre comme les raffineries, le transport routier et le transport aérien bénéficient de subventions qui accentuent leurs pollutions et grèvent le budget de l’État dont les dépenses pourraient financer la transition écologique.

     Le Réseau Action Climat signalait que “de manière générale, le système fiscal français est très défavorable à l’environnement, en comparaison avec nos voisins européens. Les subventions défavorables à la transition énergétique sont supérieures aux subventions qui y sont favorables”. 

     

    La fiscalité verte à l’échelle des collectivités territoriales

    Une étude publiée par l’Agence France Locale en juin 2021 met en avant la nécessité de questionner la pertinence de la fiscalité écologique locale et de procéder à des améliorations afin de pouvoir financer la transition écologique.

    Une part de la fiscalité environnementale revient aux collectivités territoriales, notamment une part importante des recettes du TICPE (12 milliards aux collectivités sur les 30,5 milliards d’euros de recette en 2017).Or l’emploi de ces ressources par les collectivités n’est pas affecté spécifiquement aux projets environnementaux.

    Les pistes actuelles pour une taxation plus juste pour le climat

    La fiscalité a été à certains égards absente des débats sur la Loi Climat et le texte voté en août 2021 ne remet pas en cause l’architecture fiscale du pays. Pour Lucas Chancel, chercheur en économie, “la lutte contre le réchauffement climatique exige une vraie révolution fiscale”. 

    Finalement, la loi climat et résilience comporte seulement quelques mesures de fiscalité énergétique et environnementale dont les principales concernant les secteurs du transport routier et aérien. L’article 30 prévoit une hausse de TICPE pour le secteur du transport routier et l’article 38 du projet de loi entend imposer aux compagnies de navigation aérienne de compenser le carbone émis lors des vols intérieurs métropolitains, et sur la base du volontariat, lors des vols entre la métropole et l’Outre-mer. 

    En dehors de ces mesures, la fiscalité verte a peu évolué. Ainsi, en 2022, alors que le mouvement des gilets jaunes a 3 ans et que l’urgence climatique se fait toujours plus pressante, aucune réforme de fond de la taxe carbone n’a été proposée pour pallier ses défauts, et son taux étant toujours gelé, son efficacité s’en trouve réduite. Le PLF 2022 présenté le 22 septembre 2021 quant à lui ne comporte que des éléments de fiscalité sur la pollution des navires.

    Où en est-on de la taxe carbone ?

    Bien que la taxe carbone, dont les recettes s’élèvent à environ 8 milliards d’euros, rapporte moins à l’heure actuelle que la TICPE, 37 milliards, c’est pourtant elle qui en matière de fiscalité verte est devenue la plus controversée depuis le mouvement des Gilets Jaunes.

    Comme le rappelle une étude de l’OFCE, cette idée de donner un prix au carbone a été lancée en 1997 avec le protocole de Kyoto. En France, la taxe carbone a été proposée par plusieurs gouvernements successifs, en 2000 et 2009. À chaque fois, cependant, elle fut retoquée par le Conseil Constitutionnel. La taxe voit finalement le jour en 2014 sous le gouvernement Ayrault non plus sous la forme d’une taxe mais comme une composante intégrée aux taxes sur l’énergie (TICPE, TICGN, TICC), en fonction de la quantité d’émission de gaz à effet de serre qu’elle produit. Cette composante carbone, payée par les particuliers et les entreprises, est conçue pour augmenter chaque année pour s’établir à 100 euros la tonne de CO2 en 2030 afin de donner un signal prix assez fort qui à terme décourage des modes carbonés et rende les alternatives plus compétitives ; par exemple, inciter à changer de voiture ou isoler les bâtiments.
     
    Alors qu’elle était déjà passée de 7 euros à 44,60 euros depuis 2014, la hausse de la CCE a été ressentie plus fortement en 2018 par les ménages à cause de la hausse conjointe des cours mondiaux du pétrole. Depuis, la taxe est restée à son niveau de 2018 sans que l’on sache ce qu’il adviendra par la suite.
     
    De nombreux économistes et ONG environnementales considèrent que la taxe carbone, si elle doit être repensée en profondeur, ne doit pas être abandonnée. « Aucune autre mesure ne permet d’avoir un impact aussi important », assure le rapport de Réseau Action Climat. Leurs calculs projettent ainsi qu’un prix de 250 € par tonne de CO2 (contre 44,6 € aujourd’hui) permettrait de réduire les émissions de la France de 18 % par rapport à 2019. La taxe est donc toujours considérée comme l’un des outils les plus efficaces pour lutter contre nos modes de vie carboné, que ce soit par le Haut Conseil pour le Climat, le Conseil des prélèvements obligatoires, l’I4CE (Institute for Climate Economics), ou encore le Conseil d’analyse économique. Mais, sans s’accorder de façon unanime sur les solutions, tous sont d’accord sur le fait qu’à l’heure actuelle la taxe comporte de nombreux défauts.
     
    Comme le rappelle le rapport de l’OFCE, l’un de ses principaux soucis est sa régressivité. Concrètement, les études ont montré que le 1er décile des revenus les plus faibles payaient plus de taxe que le décile des revenus les plus élevés. La taxe entraîne donc un surcoût annuel pour les ménages les plus pauvres qui n’est pas compensé par un mécanisme de redistribution. Toujours selon l’OFCE, « la taxe impacte plus fortement les ménages les plus pauvres du fait d’une consommation généralement contrainte, et d’une faible capacité d’investissement dans des logements mieux isolés ou des véhicules plus sobres ». « La localisation des ménages est une autre source d’inégalité face à la taxe carbone, en raison de l’usage plus important de l’automobile en milieu rural ou dans les communes de moins de 20 000 habitants. » Enfin, la CCE est inégale dans son assiette dans le sens où comme le rappelle l’I4CE, il existe de nombreuses exonérations à cette taxe décidées à l’échelle internationale ou nationale : transport aérien et maritime international, transports aériens et fluviaux nationaux, transport routier de marchandises, taxis, usages agricoles, gazole non routier dans le BTP etc. La taxe est aussi considérée encore trop peu efficace. Concrètement, l’OFCE estime que le signal prix visé de 100 euros la tonne en 2030 ne permet pas de respecter l’objectif d’une augmentation des températures sous le seuil des 2 degrés.
     
    Selon Christian de Perthuis, professeur à l’Université Paris-Dauphine, “la fiscalité carbone reste une nécessité pour que le pays respecte ses objectifs climatiques. Mais elle ne peut fonctionner que si elle n’aggrave pas les inégalités.” Aujourd’hui, les défenseurs de la taxe prônent donc pour la rendre acceptable aux yeux de la population avec plusieurs modifications : intégrer des mécanismes de redistribution, élargir son assiette (Conseil des prélèvements obligatoires), qui ne couvre aujourd’hui que 46% des émissions. D’autres acteurs institutionnels comme l’ADEME demandent même son remplacement par une contribution climat solidarité.
     
    En 2019, le Réseau Action climat, qui propose que les recettes soient utilisées pour financer la transition écologique par un reversement sous la forme d’un revenu climat, de crédit d’impôt, ou de chèque pour les ménages non imposables, a lancé avec Oxfam et le Secours Catholique – Caritas France un calculateur qui permet de calculer le montant actuel de la taxe carbone pour un foyer et le montant que ces foyers pourraient recevoir s’il y avait un dispositif de redistribution des recettes aux ménages, pour protéger leur pouvoir d’achat. Ces calculs qui se basent en grande partie sur les travaux de Thomas Douenne et Adrien Fabre ont nourri les débats de la Convention Citoyenne pour le Climat en 2020 qui a préféré finalement laissé de côté aux termes du débat la réforme de la taxe carbone. Citons un exemple des simulations rendues publiques dans le rapport : Séverine, Adam et leurs deux enfants gagnent 17 000 euros de revenus annuels, ils ont une voiture diesel, et habitent à Lyon dans un logement de 80 mètres carrés chauffé au gaz. Le coût de leur taxe carbone s’élevant à 201 euros, le ménage recevrait 410 euros sous forme de redistribution. Des exemples de redistribution existent ailleurs dans le monde. L’exemple le plus connu est celui de la Colombie-Britannique, au Canada, dont les habitant-es des classes modestes et moyennes ont bien accepté cette taxe.
     
    Le Conseil d’analyse économique a tenté d’évaluer en 2019 dans une note « pour le climat : une taxe juste, pas juste une taxe » plusieurs calculs de mécanismes de redistribution. Leur recommandation est de reprendre le calcul fait par Terra Nova, tout en l’amendant. Celui-ci fonctionnerait sur un transfert qui diminue par décile avec la prise en compte du facteur géographique. La redistribution selon leurs conseils prendrait la forme d’un chèque simplifié, et l’élargissement de la base permettrait d’assouplir la trajectoire haussière du prix de la tonne de CO2.
     
    Les pistes de refonte de la taxe carbone restent à l’heure actuelle ouvertes. Plus largement, les auteurs du rapport d’Action climat insistent sur le fait qu’une évaluation des taxes pour le climat est importante, trop souvent le coût qu’il représente pour les ménages par tranche de revenu est mis de côté.

    Autres pistes en France

    « L’ISF climatique : la fiscalité environnementale, un enjeu dans la campagne présidentielle »

    Le patrimoine financier détenu par les ménages français est fortement émetteur aussi. L’étude menée par Greenpeace avec l’appui du cabinet Carbone 4 en exploitant les données de l’Insee conduit à une empreinte carbone de 46 tCO2eq/an pour le patrimoine financier des 10 % les plus aisés, et même de 189 tCO2eq/an pour les 1% les plus riches, contre 2,9 tCO2eq/an pour les 10 % les plus pauvres. Ainsi, conclut Greenpeace, le patrimoine financier des 1 % des ménages les plus riches est associé à une empreinte carbone 66 fois supérieure à celle des 10 % les plus pauvres. 

    Ces chiffres posent la question du « juste partage de l’effort climatique » et ce d’autant plus dans un contexte budgétaire tendu, où les investissements manquent pour financer l’urgence climatique. En 2019, l’I4CE (qui ne prend pas en compte l’argent temporairement débloqué dans le plan de relance) pointait qu’il manquait 15 à 18 milliards d’euros par an pour respecter la trajectoire du second budget carbone (2019-2023). Selon la même source, il faudrait entre sept et neuf milliards supplémentaires d’argent public d’ici à 2023 pour respecter les objectifs climatiques du pays. « Cela sans compter que les objectifs actuels de la France n’ont pas encore été rehaussés, alors que la Commission européenne propose d’atteindre une baisse des émissions de 55 % en 2030 par rapport à 1990, et qu’il faudrait en réalité viser – 65 % minimum pour se mettre sur une trajectoire compatible avec l’objectif de 1,5 °C. »

    Le patrimoine financier détenu par les ménages français est fortement émetteur aussi. L’étude menée par Greenpeace avec l’appui du cabinet Carbone 4 en exploitant les données de l’Insee conduit à une empreinte carbone de 46 tCO2eq/an pour le patrimoine financier des 10 % les plus aisés, et même de 189 tCO2eq/an pour les 1% les plus riches, contre 2,9 tCO2eq/an pour les 10 % les plus pauvres. Ainsi, conclut Greenpeace, le patrimoine financier des 1 % des ménages les plus riches est associé à une empreinte carbone 66 fois supérieure à celle des 10 % les plus pauvres. 

    Ces chiffres posent la question du « juste partage de l’effort climatique » et ce d’autant plus dans un contexte budgétaire tendu, où les investissements manquent pour financer l’urgence climatique. En 2019, l’I4CE (qui ne prend pas en compte l’argent temporairement débloqué dans le plan de relance) pointait qu’il manquait 15 à 18 milliards d’euros par an pour respecter la trajectoire du second budget carbone (2019-2023). Selon la même source, il faudrait entre sept et neuf milliards supplémentaires d’argent public d’ici à 2023 pour respecter les objectifs climatiques du pays. « Cela sans compter que les objectifs actuels de la France n’ont pas encore été rehaussés, alors que la Commission européenne propose d’atteindre une baisse des émissions de 55 % en 2030 par rapport à 1990, et qu’il faudrait en réalité viser – 65 % minimum pour se mettre sur une trajectoire compatible avec l’objectif de 1,5 °C. »

    Alors que Bruno Le Maire a lancé l’idée de “flécher les recettes fiscales liées aux énergies fossiles vers la lutte contre le réchauffement climatique”, l’idée d’un ISF climatique, né dans les bureaux de Greenpeace, est reprise par de nombreux et nombreuses candidat-es de la gauche, dès la primaire écologiste, mais aussi chez les socialistes, et la France insoumise. Le concept est tiré du rapport de Greenpeace “L’argent sale du capital : Pour l’instauration d’un ISF climatique” publié en octobre 2020 et avait fait partie aussi des pistes retenues par la Convention Citoyenne pour le Climat

    L’impôt sur la fortune climatique est pensé comme une alternative à la taxe carbone qui impacte les ménages les plus pauvres sans impacter de manière efficace la consommation énergétique des ménages les plus riches. Au contraire, l’ISF climatique se fonde sur le constat des inégalités sociales et de pollution et souhaite les corriger. Quelques chiffres de l’OFCE peuvent être cités : sur les 17 milliards d’euros distribués aux ménages lors des trois premiers budgets du quinquennat, plus du quart est allé soutenir le revenu disponible des 5 % de ménages les plus aisés. Les 5 % de Français-es les plus pauvres ont vu leur niveau de vie se réduire d’environ 240 euros par an sous l’effet des mesures fiscales du gouvernement, quand les 5 % les plus riches ont vu leur pouvoir d’achat grimper de 2 905 euros. Par ailleurs, n’échappant pas à la règle selon laquelle la hausse des émissions de carbone grimpe avec les revenus, les 10 % de ménages les plus riches ont, en effet, une empreinte carbone 2,7 fois plus élevée que les plus pauvres. 

    Un autre problème, né de la suppression de l’ISF en 2017, a été pris en compte par le rapport de Greenpeace. L’ISF en 2017 a été remplacé par un IFI, un impôt sur la fortune immobilière qui concerne les personnes détenant un patrimoine immobilier net supérieur à 1,3 million d’euros au 1er janvier de l’année d’imposition. Le problème est donc que les patrimoines financiers ne sont plus taxés. Or, comme l’a montré récemment un rapport fait par Oxfam France et Les Amis de la Terre, les actifs financiers ont une empreinte carbone non négligeable. Pour exemple, en 2018, les émissions de gaz à effet de serre issues des activités de financement et d’investissement des quatre principales banques françaises – BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale et BPCE – dans le secteur des énergies fossiles ont atteint plus de 2 milliards de tonnes équivalent CO2, soit 4,5 fois les émissions de la France cette même année.

     Le patrimoine financier détenu par les ménages français est fortement émetteur aussi. L’étude menée par Greenpeace avec l’appui du cabinet Carbone 4 en exploitant les données de l’Insee conduit à une empreinte carbone de 46 tCO2eq/an pour le patrimoine financier des 10 % les plus aisés, et même de 189 tCO2eq/an pour les 1% les plus riches, contre 2,9 tCO2eq/an pour les 10 % les plus pauvres. Ainsi, conclut Greenpeace, le patrimoine financier des 1 % des ménages les plus riches est associé à une empreinte carbone 66 fois supérieure à celle des 10 % les plus pauvres. 

    Ces chiffres posent la question du « juste partage de l’effort climatique » et ce d’autant plus dans un contexte budgétaire tendu, où les investissements manquent pour financer l’urgence climatique. En 2019, l’I4CE (qui ne prend pas en compte l’argent temporairement débloqué dans le plan de relance) pointait qu’il manquait 15 à 18 milliards d’euros par an pour respecter la trajectoire du second budget carbone (2019-2023). Selon la même source, il faudrait entre sept et neuf milliards supplémentaires d’argent public d’ici à 2023 pour respecter les objectifs climatiques du pays. « Cela sans compter que les objectifs actuels de la France n’ont pas encore été rehaussés, alors que la Commission européenne propose d’atteindre une baisse des émissions de 55 % en 2030 par rapport à 1990, et qu’il faudrait en réalité viser – 65 % minimum pour se mettre sur une trajectoire compatible avec l’objectif de 1,5 °C. » 

    Concrètement, à quoi ressemblerait cet outil fiscal ? Greenpeace France propose la création d’un ISF climatique dérivé de l’ISF en vigueur jusqu’en 2017 et qui serait pondéré en fonction non seulement du volume d’actifs financiers détenus par le ménage imposé, mais également de l’empreinte carbone de ces mêmes actifs. Cette pondération consisterait à introduire une composante carbone appliquée au patrimoine financier des ménages assujettis. Celle-ci serait identique à la composante carbone appliquée dans le cadre de la TICPE et suivrait la même trajectoire. 

    Bien que l’ISF soit souvent présenté comme ne répondant pas aux questions de différence de patrimoine au sein de la population, c’est un fait que la France manque d’instruments qui soient acceptables socialement et efficaces pour réduire l’empreinte carbone des français.

    Piste à l’échelle internationale

    Dans leur rapport Carbon and inequality From Kyoto to Paris, Piketty et Chancel montraient en 2015 que les inégalités d’émissions de CO2 mondiales sont de plus en plus expliquées par les inégalités à l’intérieur des pays et non entre pays. Si une hausse des contributions des pays du Nord est nécessaire, l’étude montre ainsi que les classes aisées des pays émergents, du fait de la hausse de leurs revenus et de leurs émissions, pourraient également contribuer à ces fonds.

    Cette étude examine par ce prisme de nouvelles stratégies en vue d’augmenter le volume global de l’aide pour l’adaptation au changement climatique, où les émissions individuelles et non les émissions nationales ou le PIB par tête, seraient la base de calcul des contributions. 

    Piketty et Chancel explorent ainsi 3 stratégies pour la mise en place d’une taxe mondiale progressive sur le CO2. Dans la stratégie 1, tous les émetteurs au-dessus de la moyenne mondiale (i.e. tous les émetteurs au-dessus de 6,2tCO2e par an) contribuent à l’effort en proportion de leurs émissions dépassant le seuil ; dans la stratégie 2, les 10% les plus émetteurs paient ; dans la stratégie 3, ce sont les 1% les plus émetteurs qui paient. Dans la stratégie 3, la plus favorable aux Européen-nes, Piketty et Chancel montrent que le volume de financement provenant du Vieux continent atteindrait 23 milliards d’euros, soit plus de trois fois sa contribution actuelle. (si l’étude date de 2015, en comparaison, le budget de la PAC en 2021 était de 55 milliards). Piketty et Chancel précisaient que d’autres idées pouvaient être mises à l’étude, comme une taxe sur les revenus ou une taxe sur les billets d’avion. 

    Les idées énoncées dans ce rapport qui a déjà 7 ans sont souvent remises au goût du jour. Ce fut le cas en 2019 et récemment en 2021 dans le sillage de l’accord obtenu sur la taxation des multinationales au niveau du G20 en octobre 2021 qui se tint juste avant la COP 26. Dans la version 2021, la taxe était évaluée en fonction non plus des émissions par tête comme recommandés par Piketty et Chancel mais en fonction des émissions nationales. 

    En attendant, c’est au niveau de l’Europe qu’un « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières », a été présenté en juillet dernier qui fixera un prix du carbone pour les importations de certains produits.