Catégorie : Notre colloque

  • Table ronde n° 4 : Les mobilisations citoyennes pour le climat et l’environnement

    Table ronde n° 4 : Les mobilisations citoyennes pour le climat et l’environnement

    Gerry Liston, de Glan Law, commence la table ronde pour nous présenter le recours climatique de sept jeunes portugais intenté contre de nombreux Etats européens devant la Cour européenne des droits de l’homme. Ce recours est inédit à plusieurs égards : il est intenté contre une multiplicité d’Etats européens, directement devant la CEDH (en se prévalant d’une exception au principe d’obligation d’épuisement des recours internes) et soulève la question de l’extraterritorialité des obligations prévues dans la CESDH.

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    Ils ont commencé leur campagne de crowdfunding en septembre 2017. Ce lancement a suscité beaucoup d’attention médiatique, notamment, parce que le recours était intenté contre de multiples Etats européens. Leur défi maintenant est que le recours ne reste pas qu’un titre d’article accrocheur mais que les arguments de fond soient aussi mis en lumière.

    Dennis Van Berkel, qui a mené la campagne d’Urgenda, en relate les différentes étapes : la genèse de l’idée en 2007, grâce aux travaux de Roger Cox ; le lancement de la campagne en 2012 lors d’une conférence de presse au cours de laquelle ils ont demandé formellement au gouvernement de réduire les émissions de GES ; en même temps, lancement d’un site internet permettant aux citoyens de proposer des arguments à utiliser dans le cadre du recours (crowdpleading) et leur permettant de devenir co-demandeurs au recours. Les interviews de politiciens par un enfant ont contribué à la popularité de la campagne.  La victoire devant le tribunal a créé un énorme buzz, davantage dans les médias internationaux que dans les médias nationaux. Dennis Van Berkel reconnaît que même si le mouvement grandit, le financement est toujours un challenge.

    Serge de Gheldere de Klimaatzaak (Belgique), admet avoir beaucoup copié la campagne de Urgenda. Ils ont fait appel à des personnalités médiatiques pour populariser le recours. Pour le lever de fonds, ils ont lancé une campagne sur internet “un café pour le climat”, tout en étant transparents sur l’utilisation des fonds. Ils ont aussi facilité la procédure pour devenir co-demandeur, possible en quelques clics sur le site internet.

    Elizabeth Brown – Our children’s trust (États-Unis), nous explique ensuite que leur campagne est axée sur les témoignages des jeunes jeunes requérants. Ils sont invités à raconter leur histoire, et dire comment les catastrophes (incendies, inondations,etc..) liées au changement climatique ont bouleversé leur vie. Ces témoignages sont recueillis par vidéo, sont diffusés sur internet, peuvent faire l’objet de documentaires présentés à des festivals.

    Ridhima Pandey, 10 ans, qui a introduit un recours climatique devant les tribunaux en Inde, nous livre un poignant témoignage et nous fait part de sa crainte pour son avenir si rien n’est fait.

    Amy Rose  – ClientEarth (UE) revient sur les différentes campagnes internet qu’elle a mené, presque  toujours au soutien d’un recours devant les tribunaux. Elle constate que les choses peuvent bouger indépendamment du résultat du recours. L’utilisation de gestes avec les mains, de #, sont des outils pour populariser et diffuser un message (ex : NO2# (no to dirty air) utilisé par Coldplay).

    Anne Mahrer – Les Aînées pour la protection du climat (Suisse), nous raconte enfin sa campagne, depuis la naissance du mouvement en 2016, le lancement du recours lui même, puis la présence de l’association lors de différents événements internationaux (à Davos au World Economic Forum, pour une distribution de biscuits en forme de planète, notamment).

  • Table ronde n°3 : Des propositions nouvelles pour la justice environnementale et climatique

    Table ronde n°3 : Des propositions nouvelles pour la justice environnementale et climatique

    Mathilde Hautereau-Boutonnet cherche à déterminer la particularité juridique du procès climatique. Selon elle, il formerait un complex à trois dimensions constituées par: la multiplicité des intérêts défendus (des humains et des non humains, des individus et des collectivités, etc.), la difficulté soulevée par l’apport de la preuve, la démonstration du lien de causalité, et l’utilisation de l’expertise scientifique et, enfin, la globalité tirée du caractère total, illimité du risque climatique. C’est cette globalité qui caractériserait notamment les procès climatiques.

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    Christel Cournil explique ensuite l’utilisation qui peut être faite des droits de l’homme au sein des procès climatiques. Le droit à la vie, le principe de dignité humaine, ont ainsi pu être invoqués par le biais des Constitutions nationales (cf. Our Children’s Trust) ou de conventions internationales (cf. Convention européenne des droits de l’homme), pour faire reconnaître la violation par l’Etat de ses obligations positives en laissant cours au changement climatique. Le lien ainsi tissé entre droits de l’homme et questions environnementales pourrait par ailleurs être renversé, et mener à l’inscription, dans les constitutions, de droits environnementaux.

    Emilie Gaillard en arrive à traiter du droit des générations futures. Selon elle, nous sommes entrés dans une nouvelle ère qui nous amène à prendre en compte l’équité intergénérationnelle et transgénérationnelle: il y a abus de pouvoir vis-à-vis des générations futures dès lors que l’on n’agit pas contre les changements climatiques. Deux outils sont à promouvoir : le principe de non discrimination temporelle, et le principe de dignité des générations futures. Dans cette ouverture du droit aux générations futures, les droits de l’homme jouent un rôle important: c’est à travers leur métamorphose que pourront être protégées, directement et indirectement, les générations futures.

    Valérie Cabanes clôt la table-ronde en pointant du doigt l’inadaptation du droit tel que conçu actuellement aux défis environnementaux et climatiques qu’il doit être amené à relever. Parce que les limites des communs planétaires ont été atteintes, et parce qu’il est scientifiquement prouvé que le changement climatique a des conséquences dévastatrices sur la paix, et plus largement sur la vie sur Terre, il est inadmissible que les Etats et autres responsables de ce changement ne modifient pas leurs politiques en conséquence. Le crime d’écocide vise à pénaliser, au niveau international, les atteintes ainsi portées à l’environnement. Il est nécessaire de réinventer le droit international, et de le délivrer de l’anthropocentrisme qui l’empêche de mettre en place un respect réel de la nature et de consacrer une place centrale à sa régénérescence.

     

     

  • Table ronde n°2 : Preuve et causalité pour la justice climatique

    Table ronde n°2 : Preuve et causalité pour la justice climatique

    Fanny Giansetto, docteur en droit privé, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, nous présente les problématiques de détermination du juge compétent et de la loi applicable dans le cadre des recours climatiques, qui sont caractérisés par des causes et des impacts diffus, et met en lumière le caractère inadapté des règles actuelles.

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    En effet, en vertu des règles de droit international privé françaises actuelles, la détermination de la juridiction compétente (devant laquelle une victime va pouvoir porter son recours) et la détermination de la loi applicable (en vertu de laquelle le recours va être jugé), dépendent du lieu du fait générateur du dommage et du lieu du dommage. Or, dans le cas du réchauffement climatique, les faits générateurs sont multiples et ont lieu dans de multiples endroits du monde. De même, les dommages peuvent arriver un peu partout dans le monde. L’application des règles telles qu’elles existent conduit à des questions sans réponse : la victime doit-elle saisir tous les juges de tous les lieux où il y a eu un fait générateur ? Un  juge qui aurait été saisi est-il compétent pour  juger tout le litige ?

    Fanny Giansetto, plaide donc pour un renouveau du droit international privé : il pourrait être pertinent, pour déterminer la compétence du juge, de se fonder sur le lieu du domicile du défendeur voire même de créer une compétence internationale pour saisir la justice internationale. Concernant la détermination de la loi applicable, il pourrait être judicieux de désigner la loi la plus favorable à la victime.

    François Lafforgue, avocat, Cabinet Teissonnière Topaloff Lafforgue Andreu et Associés, croit voir un certain infléchissement de la jurisprudence relative au lien de causalité favorable aux victimes, et se propose de faire un panorama des décisions  les plus récentes.

    En matière civile, dans l’arrêt de la CJUE du 21 juin 2017 en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, dans l’arrêt de la Cour de Cassation du 10 septembre 2017 (affaire du Médiator), ou encore dans la décision de la Cour de Cassation du 9 mars 2017 (contentieux sur la reconnaissance de maladies professionnelles), l’incertitude scientifique a été dépassée pour retenir le lien de causalité.

    Même en matière pénale, où le lien de causalité est envisagé de façon très restrictive, on peut constater un léger assouplissement (affaire AZF – CA Paris, 31 octobre 2017 « fautes caractérisées qui auraient créées ou contribuées à créer la réalisation du dommage »).

    En matière administrative, dans le cadre des recours liés aux algues vertes, les juridictions administratives ont admis l’existence d’un lien de causalité entre la prolifération des algues vertes et la carence fautive de l’Etat à agir.

    Les techniques juridiques du faisceau d’indices (contentieux de la pollution de l’air) et des présomptions (contentieux du préjudice d’anxiété des personnes exposées à l’amiante) peuvent permettre de surmonter les difficultés à établir un lien de causalité.

    Mathilde Vervynck, avocate FIDAL, revient sur les caractéristiques des pollutions diffuses (multifactorielles, effets répartis dans le temps, etc) et s’interroge sur leur compatibilité avec l’exigence de démontrer un lien de causalité (qui doit être établi pour engager juridiquement la responsabilité). Elle rappelle qu’en principe, pour établir la violation d’une obligation, il faut qu’une faute ait entraîné un dommage et qu’un lien de causalité direct et certain soit établi entre les deux. S’il y a des sources et des dommages multiples, la mise en oeuvre de ce principe est particulière difficile. Des théories classiques ont été développées pour surmonter les difficultés liées à l’établissement de la causalité et favoriser l’indemnisation des victimes : la théorie de l’équivalence des conditions et la théorie de la causalité adéquate, responsabilité in solidum, mais ces concepts classiques ne sont pas suffisants.

    Chancia Plaine, juriste en droit de l’environnement, a participé à la recherche documentaire sur le contentieux climatique mondial (voir Ouvrage de Maître Christian Huglo à ce sujet), souligne l’existence d’une reconnaissance par le juge national du lien de causalité avec la science climatique depuis 2007. Celle-ci reste complexe, du fait de la fragilité de la science du climat et de ses incertitudes, ainsi que dans l’affaire Massachusetts v. EPA (États-Unis).

    Le juge met en oeuvre un double lien de causalité : général qui vise les liens réels entre le facteur causant un dommage et le dommage lui-même ; individuel qui traite des facteurs et d’un dommage précis. Les juges éprouvent des difficultés à établir le lien de causalité individuel. Deux approches sont alors possibles :

      • l’approche dite flexible : les preuves sont basées sur les possibilités de survenance du risque ; les preuves sont basées sur un lien substantiel entre la cause et le dommage (affaire Klimaatzaak).
      • la théorie des dommages causés au public; le contentieux américain illustre cette dernière. Cette théorie est fondée sur les incertitudes scientifiques et économiques. Elle a permis au juge national de consacrer le lien de causalité aux Etats-Unis.

    Le juge consacre toutefois progressivement un lien de causalité climatique : en 2007, dans l’affaire Massachussets v. EPA comme encore Greenpeace New Zealand v. Northland regional Council (Nouvelle-Zélande) où il a ordonné à l’Etat de réduire de 25% ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2020 par rapport aux années 90, en s’appuyant sur les données du GIEC. Ce fut à nouveau le cas dans l’affaire Urgenda en 2015.

    De fait, le GIEC insiste dès 1995 sur la nécessité de prendre des mesures de précaution « réelles et adéquates ». Sur plusieurs recours (Klimaatzaak, Philippines, Pakistan) font effectivement appel au principe de précaution dans le droit national, allant jusqu’à la méthode procédurale de l’inversion de la charge de la preuve, comme en témoigne l’affaire Massachusetts v. EPA (États-Unis). De nombreuses difficultés restent à surmonter : solidarité passive des présumé-e responsables, présomption d’intérêt à agir, absence de fonds prévus pour l’indemnisation ou encore compétence du juge, fut-elle universelle ou non.

    Depuis la salle, Michel Prieur souligne l’importance du droit et des jurisprudences en matière de droits humains pour le contentieux climatique, ainsi que le rôle des comités internationaux, certes non juridictionnels, mais disposant d’un grand impact sur les juridictions internationales. Tout comme Yann Aguila, il partage l’analyse du besoin d’un 3 Pacte international contraignant sur l’environnement afin de dépasser les limites étudiées au long de cette table-ronde.

  • Table-ronde n°1 : les fondements des recours

    Table-ronde n°1 : les fondements des recours

    Le réchauffement climatique ne peut être enrayé que si les Etats mettent en oeuvre des mesures à cette fin. Deux acteurs ont un rôle à jouer pour les y inciter : les juges, et la société civile. Tous deux entrent en relation lorsque la seconde dépose, auprès des premiers,  un recours contre l’Etat.

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    Yann Aguila s’attèle à la présentation des deux voies de recours françaises qui peuvent servir dans ce contexte, détaillant leurs avantages et leurs inconvénients : l’action en responsabilité de l’Etat, et l’action en annulation.

    Raphaël Mahaïm pour les Aînées pour la Protection du Climat (Suisse), Amy Rose pour ClientEarth (Royaume-Uni), Dennis Van Berckel pour Urgenda (Pays-Pays), Dinesh Pandey pour Wildlife Trust (Inde), Elizabeth Brown pour Our Children’s Trust (Etats-Unis), Anaïs Wolf pour Klimatzaak (Belgique), Gerry Liston pour Glan-Law (affaire des petits portugais) et Tony Lowes (Irish Friends of the Environment) interviennent successivement.

    Il ressort de leurs interventions que les faits allégués dans les recours sont souvent les mêmes : les dégâts engendrés par la combustion du charbon, l’augmentation du niveau des océans et leur acidifciation pour Our Children’s trust, les conséquences du réchauffement climatique sur la vie d’un groupe spécifique de personnes pour les Aînées… Urgenda s’est particulièrement servi des rapports du GIEC pour apporter les preuves nécessaires à son argumentation.

    Les instruments juridiques mobilisés sont de plusieurs ordres. Certains recours se sont principalement fondés sur le droit national des Etats dont la responsabilité est mise en cause. Our Children’s trust, par exemple, a fondé ses arguments sur la violation de la Constitution américaine (par le biais du duty of care et du substantive due process). Urgenda a aussi principalement utilisé le droit national: l’association ne s’est servie du droit international qu’en filigrane.

    D’autres recours ont consisté à allier les sources nationales et internationales. Wildlife Trust a ainsi fait appel à des lois environnementales nationales, mais aussi à un principe international du développement durable ; Klimatzaak a puisé dans le code civil belge et dans la jurisprudence de la Cour de Cassation tout en se servant également des articles 2 et 8 de la Convention européennes de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, interprétés par la Cour européenne de manière favorable aux victimes de la pollution.

    D’autres recours, enfin, ont majoritairement orienté leur argumentation juridique vers le droit international. C’est le cas de la Suisse, qui se réfère aux articles pré-cités de la Convention européenne.

    En somme, les stratégies juridiques, incarnées par les recours et leurs fondements juridiques, sont adaptées aux systèmes nationaux des Etats dont la responsabilité doit être engagée, et aux faits qui sont brandis ; c’est là tout le sens des six programmes de ClientEarth qui adapte les outils juridiques invoqués aux Etats dans lesquels elle intervient et aux allégations portées. Et toute l’inspiration de notre démarche qui vise, au-delà des actions prises en faveur du climat, à réclamer un droit adapté à l’urgence climatique.