Catégorie : Soif de justice

  • Accès à l’eau potable dans les Outre-Mer : Nous interpellons les autorités françaises ainsi que les Nations Unies sur cette grave discrimination environnementale

    Accès à l’eau potable dans les Outre-Mer : Nous interpellons les autorités françaises ainsi que les Nations Unies sur cette grave discrimination environnementale

    Traduction disponible en shimaoré (oral) en bas de page.

    Communiqué de presse, 23 juin 2025 – Les difficultés d’accès à une eau potable dans les territoires dits d’Outre-mer représentent une crise majeure, aux conséquences quotidiennes dramatiques et croissantes sur les droits humains des adultes et enfants qui y vivent. Face à cette situation alarmante, associations locales et nationales publient aujourd’hui un rapport collectif et alertent les autorités ainsi que les Nations Unies sur cette grave discrimination environnementale.

    Dans ce contexte, nous avons établi un état des lieux accablant, qui a vocation à mettre en lumière le ressort de la discrimination environnementale qui cible les territoires dits d’Outre-mer par rapport au territoire hexagonal. Les constats que nous y faisons, autour des problématiques d’accès à l’eau potable et des violations des droits fondamentaux qui en résultent, sont d’une gravité telle que nous transmettons également ce rapport au Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’eau potable. Il est important que la France soit amenée à répondre de ce scandale devant les Nations-Unies. 

    Le rapport en quelques mots :

    – Le droit international, comme le droit européen et français, reconnaît le droit humain à l’eau potable, tout comme la nécessité de – prendre en compte les difficultés particulières qui pourraient concerner certaines populations, notamment en fonction de leur lieu de vie ou de leurs revenus. Pourtant, le cadre juridique encadrant le droit à l’eau potable en France ne permet pas une telle prise en compte des réalités des territoires dits d’Outre-mer.
    – Cela emporte des conséquences extrêmement fortes dans les territoires dits d’Outre-mer, de plusieurs ordres et de différents degrés selon les territoires, mais qui concernent notamment : des difficultés techniques et infrastructurelles engendrant des coupures d’eau régulières ; des pollutions très fortes qui impactent la potabilité de l’eau ; une tarification par endroits extrêmement élevée, à mettre en regard avec le service défaillant et les difficultés économiques des territoires dits d’Outre-mer.
    Ces difficultés impactent fortement les différents droits fondamentaux – à la santé, à la vie privée et familiale, à la dignité humaine, mais aussi au logement décent ou au travail – des habitant·es dits ultramarin·es de façon générale, et des enfants encore plus intensément.
    – Ces difficultés sont de plus amenées à s’intensifier avec le changement climatique.

    Dans les Antilles, les enfants perdent 20% de jours d’école à cause du manque d’eau selon l’UNICEF. En Guyane, dans l’Ouest du pays, l’accès à l’eau n’est pas garanti, affectant disproportionnellement les populations précaires et vulnérables de cette zone enclavée. Pendant la sécheresse qui a frappé Mayotte en 2023, les Mahorais·es n’avaient accès à de l’eau au robinet qu’environ 8h tous les trois jours, et un mois après Chido, une mission parlementaire a constaté la pénurie d’eau potable affectant toute l’île. Les Guadeloupéen·nes paient l’eau la plus chère de France bien qu’elle soit régulièrement impropre à la consommation, polluée et que sa distribution soit sujette à des coupures quotidiennes qui peuvent durer plus d’un mois.

    Ces difficultés, si elles représentent un défi technique, ne sont pas une fatalité ou une coïncidence qui toucherait par hasard les territoires dits d’Outre-mer : ces situations réunissent tous les éléments constitutifs d’une discrimination environnementale indirecte résultant de l’inaction de l’État. Il est urgent que la situation des territoires dits d’Outre-mer soit comprise pour ce qu’elle est – une discrimination environnementale – pour que les actions mises en place soient suffisamment dimensionnées et aient enfin un impact positif sur le quotidien des habitant·es.

    Collectivement, nous formulons plusieurs demandes sans lesquelles il n’est pas possible d’espérer une amélioration. Elles concernent :  

    • La reconnaissance de la situation pour ce qu’elle est – une discrimination environnementale territoriale.
    • Un augmentation forte des crédits alloués par l’État, à la hauteur minimale des besoins précisément évalués pour assurer à ces territoires un accès normal à l’eau potable.
    • Une responsabilisation des acteurs impliqués et une intégration réelle des populations à la construction des politiques publiques.
    • Une construction holistique des politiques publiques déployées dans les territoires dits d’Outre-mer autour de ces objectifs de justice environnementale.

    Le sujet doit être traité proportionnellement à son ampleur : près de 3 millions de personnes en France subissent de graves problématiques pour accéder à un service public vital, l’eau potable. Ce n’est pas un problème local, c’est un sujet qui met à mal notre conception même d’égalité nationale.

    Collectifs et associations signataires, dans l’ordre alphabétique : l’ASSAUPAMAR (Martinique), le Collectif des luttes sociales et environnementales, Guyane Nature Environnement, Kimbé Rèd F.W.I. (Antilles), Lyannaj pou dépolyé Matinik, Mayotte a soif, Mayotte Nature Environnement, Notre Affaire à Tous, l’association VIVRE (Guadeloupe).

    Pour en savoir plus, retrouvez le rapport collectif faisant l’état des lieux des problématiques d’accès à l’eau dans les territoires dits d’Outre-mer et explicitant le ressort de la discrimination et les impacts sur les droits humains :

    Quelques citations :

    « Depuis 2021, suite au plaidoyer de Kimbé Rèd FWI, l’ONU a interpellé la France à de nombreuses reprises sur la crise de l’eau en Guadeloupe et la pollution au chlordécone aux Antilles, révélant des défis communs à la plupart des “Outre-mer”. Le présent rapport, fruit d’un précieux travail collectif coordonné par Notre Affaire à Tous, confirme une discrimination systémique, appelant des politiques nationales et des solutions locales adaptées. » – Sabrina Cajoly, fondatrice de Kimbé Rèd FWI.

    « Les informations que nous avons réunies démontrent de manière dramatique à quel point les territoires dits d’Outre-mer ne sont pas traités comme le reste du territoire français. Nulle part ailleurs en France on n’accepterait une telle situation. On parle ici d’accéder à de l’eau potable, la première condition de toute vie humaine, en 2025. » – Jérémie Suissa, délégué général de Notre Affaire à Tous. 

    « Pendant deux années consécutives, 2023 et 2024, nous n’avons pas été capables d’assurer l’accès à l’eau potable à l’intégralité des citoyens guyanais sur une période de l’année notamment du fait des conséquences du réchauffement climatique. Cette situation ne saurait durer davantage et il est urgent d’apporter des solutions car il s’agit d’un droit fondamental. » – Nolwenn Rocca, coordinateur de Guyane Nature Environnement.

    « Alors que le changement climatique intensifie les sécheresses, les territoires ultramarins sont en première ligne face au manque d’eau potable. Les réponses apportées doivent être à la hauteur des réalités propres à chaque territoire. » – Léna Lessard, juriste de Mayotte Nature Environnement.

    Contact presse

    Emma Feyeux, Notre Affaire à Tous : emma.feyeux@notreaffaireatous.org


    Écoutez le communiqué de presse en shimaoré, grâce à la traduction de Soidanti COMBO.

  • SOIF DE JUSTICE : Agir contre les discriminations environnementales d’accès à l’eau potable dans les DROM

    SOIF DE JUSTICE : Agir contre les discriminations environnementales d’accès à l’eau potable dans les DROM

    Présentation

    Si Notre Affaire à Tous se positionne depuis sa création sur la question de la justice climatique et environnementale, nous avons travaillé à partir de 2023 à donner au concept d’inégalités environnementales sur le terrain juridique, via l’angle des discriminations environnementales relatives aux problématiques d’accès à l’eau potable dans les territoires dits d’Outre-mer.

    Dans son avis relatif à l’accès à l’eau du 25 octobre 2022, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) constate que « l’accès à l’eau potable n’est pas garanti dans de nombreux territoires ultramarins ». La Coalition eau rappelle, elle, le constat d’un rapport de 2013 du CGEDD : les territoires dits d’Outre-mer auraient « quarante ans de retard dans la mise en œuvre de la politique de l’eau et d’assainissement ». Avec des conséquences très concrètes, qui se traduisent par des atteintes profondes à la dignité des habitant.e.s des territoires dits d’Outre-mer, et leur mise en danger au pire.C’est un cas très illustratif d’une injustice environnementale. Les habitant.e.s des départements et régions d’Outre-mer (DROM) -, la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte et La Réunion, – souffrent de graves problématiques d’accès à l’eau potable justement parce que leurs territoires sont moins bien traités que la France hexagonale, de par l’historique colonial qui s’y rattache et l’éloignement géographique. Jamais de telles situations ne pourraient perdurer dans un département hexagonal, et les moyens qui seraient mis sur la table seraient dimensionnés à la hauteur des besoins suivant une obligation de résultat d’accès effectif à l’eau potable.

    Objectifs

    • Appuyer la visibilisation des problématiques d’accès à l’eau potable dans les territoires dits d’Outre-mer dans le débat public et politique, pour sortir de son invisibilisation.
    • Accompagner les collectifs locaux et servir les intérêts des communautés premières concernées qui travaillent sur le sujet depuis longue date, et mettre notre expertise juridique au service de leurs mobilisations et de leur cadrage des situations qu’ils affrontent.

    Expliciter le ressort de la discrimination environnementale, et solidifier cet argumentaire juridique qui est une piste pour permettre au droit d’évoluer pour davantage prendre en compte les inégalités environnementales et climatiques.

    Comment ?

    Le droit ne doit pas rester aveugle aux inégalités environnementales et climatiques. Ainsi, nous mobilisons nos moyens de recherche-action pour documenter les problématiques d’accès à l’eau potable, en intégrant les retours d’expériences des collectifs locaux et en travaillant à leurs côtés. Nous mettons à leur disposition notre expertise juridique ainsi que notre capacité de mobilisation pour renforcer et relayer leurs combats. Enfin, nous travaillons, dans une perspective plus doctrinale, à renforcer et diffuser l’argumentaire de la discrimination environnementale territoriale, qui peut permettre au droit d’appréhender ces situations.

    Nos actions

    Référé Mayotte

    Dans le cadre de la sécheresse historique dont a souffert Mayotte en 2023, Notre Affaire à Tous et Mayotte a soif ont lancé un référé-liberté pour dénoncer l’insuffisance de la gestion de crise par les autorités publiques, ainsi que les difficultés structurelles révélées par la crise.

    Voir l’action

    Rapport : Agir contre les discriminations environnementales d’accès à l’eau potable dans les DROM

    Les problématiques d’accès à une eau potable sont nombreuses et croissantes dans les DROM. Avec des collectifs travaillant sur le sujet sur tous les DROM depuis des années, nous sortons un rapport qui a pour objectif de porter un constat commun quant à l’historique et l’état des lieux des difficultés d’accès à l’eau potable.

    Voir l’action

  • Crise de l’eau en Guadeloupe et à Mayotte : Notre Affaire à Tous apporte son soutien aux collectifs citoyens qui ont déposé plainte. 

    Communiqué de presse de l’association Notre Affaire à Tous et des collectifs La Goutte d’Eau et PADO, 05 septembre 2024 – À l’heure où de graves pollutions au chlordécone privent encore d’eau les habitant.e.s de nombreuses communes en Guadeloupe, c’est en soutien aux initiatives locales lancées par les collectifs La Goutte d’Eau en Guadeloupe et PADO à Mayotte que l’association Notre Affaire à Tous se joint aux procédures pénales engagées pour déterminer les responsables de la crise de l’eau dans ces deux territoires. Il est grand temps de faire reconnaître les fautes à l’origine de ces crises et de réparer les préjudices subis par des centaines de milliers d’habitants des territoires français dits d’Outre-mer, engendrés par les problématiques graves d’accès à l’eau potable. 

    Suite aux plaintes déposées en février 2023 par plus de 200 plaignants du collectif La Goutte d’eau en Guadeloupe, et en décembre 2023 par une trentaine de plaignants du collectif PADO à Mayotte, des enquêtes préliminaires ont été ouvertes pour déterminer les responsabilités de toutes les personnes physiques et morales susceptibles d’être engagées en raison du manque d’accès à l’eau en quantité et en qualité suffisante dans ces deux territoires. Ces plaintes, portées par le cabinet VIGO, ont aussi été soutenues par la Ligue des droits de l’Homme. Comme l’affirme Sabrina Cajoly, plaignante de La Goutte d’eau et fondatrice de Kimbé Rèd – French West Indies, association antillaise de droits humains ayant porté l’action au niveau international : “La population guadeloupéenne est résiliente mais elle n’est pas résignée. Elle réclame justice, égalité et de l’eau potable au robinet”. Désormais, pour le collectif PADO, “seul on va plus vite, ensemble on va plus loin : les collectifs ultramarins commencent à travailler ensemble pour faire reconnaître les politiques discriminatoires qui touchent systématiquement les territoires d’Outre-Mer”.

    Toutefois, malgré les mois qui passent, les coupures d’eau encore régulières et la multiplication des interdictions officielles de consommer l’eau, les phases d’instruction de ces enquêtes n’ont toujours pas été ouvertes, privant les plaignants mahorais et guadeloupéens d’un accès effectif à la justice. En faisant part à la juridiction de son intention de se constituer partie civile dès l’ouverture d’une instruction, Notre Affaire à Tous souhaite rappeler le droit à un procès équitable dans un délai raisonnable, aujourd’hui mis à mal. Si la justice manque de moyens partout en France, cette problématique est accentuée dans les territoires dits d’Outre-Mer. Il n’est pas acceptable que des victimes dont les droits fondamentaux et les besoins vitaux sont ignorés ne puissent pas faire valoir leurs préjudices devant la justice rapidement. Les associations et collectifs appellent donc à une ouverture urgente des instructions, afin de pouvoir apporter leur concours à la manifestation de la vérité sur les raisons qui ont mené à ces graves problèmes d’accès à l’eau potable en Guadeloupe et à Mayotte.

    Pour rappel, la Guadeloupe souffre depuis des décennies de problématiques de coupures, de pollutions graves de l’eau – notamment au chlordécone, un pesticide hautement toxique – et d’infrastructures défaillantes. Ce constat a conduit plus de 70 experts des Nations Unies – dont plusieurs comités et rapporteurs – à exhorter la France à prendre des mesures d’urgence pour assurer l’accès à l’eau potable de la population tout en réalisant des travaux sur le moyen et le long terme pour remédier durablement à la situation. À Mayotte, la sécheresse de 2023 et l’apparition du choléra en 2024 ont révélé des difficultés structurelles aggravées depuis des années par tous les acteurs de la gouvernance de l’eau, dans un territoire particulièrement vulnérable. 

    Ces situations, qui résultent d’un désengagement de l’État sur ces questions et d’une inadaptation discriminatoire des politiques publiques d’accès à l’eau, impactent lourdement la dignité et les droits fondamentaux des habitant.e.s : droit à la santé, droit à l’éducation, droit à un environnement sain, droit au logement, droit à un niveau de vie décent, droit à la vie privée et familiale… Pour Jérémie Suissa, délégué général de Notre Affaire à Tous, “les scandales se succèdent dans les territoires d’Outre-Mer et l’hexagone continue à refuser de prendre le problème au sérieux et à mettre chacun devant ses responsabilités. Nous espérons que les tribunaux contribueront à la reconnaissance de ces injustices. Les habitant.es de Guadeloupe et de Mayotte ont le droit d’avoir de l’eau potable comme tous.tes les citoyen.nes français.es.”

    Contact presse

    Emma Feyeux, Notre Affaire à Tous : emma.feyeux@notreaffaireatous.org

  • IMPACTS – Quels traitements pour les pertes et préjudices ? Historique international et expériences locales dans les Outre-mer français

    Les conséquences des changements climatiques sont déjà visibles. Notre Affaire à Tous met régulièrement en avant les différences d’impacts et les inégalités qui y sont liées, tant au niveau international que national. Si nous sommes toutes et tous concernées par le réchauffement climatique, nous ne sommes pas tous responsables au même niveau ni n’avons les mêmes moyens (financiers mais aussi sociaux, juridiques, etc.) pour nous protéger de ces conséquences ou nous adapter. Ces questions sont anciennes et de plus en plus abordées et documentées, notamment au niveau international. On parle de pertes et préjudices (loss and damages), c’est-à-dire les conséquences du changement climatique qui ne peuvent être évitées ce qui amène la question des réparations des préjudices subis (perte de revenus à cause d’une inondation ou d’une vague de chaleur) et celles des compensations pour les pertes qui ne peuvent pas toujours être évaluées en termes économiques (vies humaines ou non, perte d’une culture, etc.). Cependant, si ces problématiques sont bien présentes dans les discussions, leur prise en compte effective et leur intégration dans des plans d’action concrets sont encore trop lentes et limitées.

    Dans ce numéro d’IMPACTS, dans le cadre d’une clinique Notre Affaire à Tous et des étudiant.e.s de Sciences Po Toulouse (Manon MERLE & Léo RICHER) font un point détaillé sur la question des pertes et préjudices en retraçant notamment son évolution dans le régime climatique.

    SOMMAIRE

    La lente consécration des pertes et préjudices comme troisième pilier du régime climatique international : retour sur l’historique de la mise à l’agenda
    1. Années 1990 : La lutte des PEID pour la reconnaissance de leur particulière vulnérabilité aux effets résiduels des changements climatiques
    2. Premières apparitions de l’expression « loss and damage » dans la soft law : de la COP de Bali en 2007 à la création du Mécanisme international de Varsovie en 2013
    3. La consécration des pertes et préjudices comme troisième pilier de l’action climatique internationale avec l’Accord de Paris de 2015
    4. L’application concrète de ce troisième pilier : la création du Fonds pour les pertes et préjudices à la COP 27

    Compenser les pertes et préjudices ?
    1. Le refus de la responsabilité et le choix de la solidarité internationale
    2. Dans le cadre de la CCNUCC, une évolution laborieuse du traitement financier des pertes et préjudices depuis la COP 21
    3. Le Fonds pour les pertes et préjudices
    4. Compenser les pertes non-économiques

    La vulnérabilité des Outre-mer au changement climatique

    L’exclusion des Outre-mer de la diplomatie internationale sur le climat

    Mayotte, territoire insulaire français

    Situation socio-économique

    La préparation de Mayotte aux changements climatiques et les pertes et préjudices
    1. Un habitat fragile face aux évènements climatiques extrêmes
    2. La crise de l’eau de 2023 : une crise révélatrice d’une mal-adaptation
    3. Les pertes et préjudices auxquelles Mayotte fait ou fera face

    La Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) adoptée en 1992 à l’issue du Sommet de la Terre de Rio, constitue le socle du régime international de la lutte contre les changements climatiques. Ce régime est complété par deux autres traités, à savoir le Protocole de Kyoto (1997) et l’Accord de Paris (2015). Sur la base du premier rapport du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) paru en 1990, les Nations Unies reconnaissent au sein de la CCNUCC un principe devenu notoire, celui des responsabilités communes mais différenciées des parties à la convention dans la contribution aux changements climatiques. En conséquence, il appartient « aux pays développés parties d’être à l’avant-garde de la lutte contre les changements climatiques et leurs effets néfastes » (Article 3 de la CCNUCC).

    L’action climatique a d’abord été concentrée sur une stratégie d’atténuation des changements climatiques, c’est-à-dire de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), fondée sur l’idée que les effets des changements climatiques pouvaient être évités. Puis, l’échec des politiques d’atténuation, et de l’existence future d’effets inévitables des changements climatiques, font prendre acte aux Etats parties à la CCNUCC de la nécessité de se préparer face à ces effets néfastes. L’adaptation devient alors le second pilier du régime climatique international au côté de l’atténuation. Il est définitivement entériné en 2010 avec la création du Cadre de l’adaptation de Cancún

    En parallèle, est discuté au sein des négociations internationales la reconnaissance d’effets résiduels des changements climatiques, c’est-à-dire d’effets qui se produisent et se produiront en dépit de la mise en place de politiques d’atténuation et d’adaptation, aussi conceptualisés sous le vocable de « pertes et préjudices ». Ces effets résiduels peuvent être les conséquences d’événements climatiques extrêmes (ouragans, typhons, submersions, etc.) comme de phénomènes climatiques à évolution lente (montée du niveau des mers, salinisation des sols, etc.). Pour comprendre rapidement et concrètement ce que sont ces pertes et préjudices, il est courant de les distinguer en deux catégories : d’une part, les pertes et préjudices économiques (destruction d’infrastructures, pertes de revenus, etc.) et d’autre part les pertes et préjudices non-économiques (perte de souveraineté, perte d’identité culturelle, etc.), donc difficilement évaluables en termes monétaires. Nous reviendrons sur la construction de cette définition au cours de l’article.  

    L’identification et la compensation des pertes et préjudices devient le troisième pilier du régime climatique international en 2015 avec l’adoption de l’Accord de Paris. Or, si l’établissement de ce troisième pilier est le plus récent, et que la décision de mettre en place un Fonds dédié au traitement des pertes et préjudices n’est intervenu qu’à l’issue de la COP 27 (et qu’il n’est pas encore opérationnel), des débats, concernant la reconnaissance de dommages inévitables futurs et la mise en place de mécanismes d’assurance pour y faire face,  animent les négociations internationales dès le Sommet de la Terre de Rio de 1992. Ces questions, portées par des Etats particulièrement vulnérables aux effets des changements climatiques, s’accompagnent au départ d’une demande d’implémentation de mécanismes assurantiels, auxquels seraient soumis à participation les Etats développés, opérant par là la reconnaissance de leur responsabilité juridique. 

    Les pertes et préjudices se présentent donc clairement comme une illustration des inégalités climatiques : certaines régions sont particulièrement exposées aux conséquences des changements climatiques. Comme l’ont souligné Marianne Moliner-Dubost et Sabine Lavorel (2024), les pays en développement supportent de manière disproportionnée ces pertes et préjudices. Tout d’abord, ces pays sont plus fréquemment touchés par des événements climatiques extrêmes et leur capacité à y faire face est entravée par leur faible revenu. Qui plus est, une injustice climatique encore plus flagrante réside dans le fait que les pays les plus touchés et les plus vulnérables aux pertes et préjudices sont souvent ceux qui émettent le moins de gaz à effet de serre. En effet, le sixième rapport du GIEC révèle que les contributions historiques des émissions de CO2 varient considérablement en fonction des régions. D’une part, il apparaît qu’historiquement les pays développés représentent près de 45% des émissions de CO2 entre 1850 et 2019. D’autre part, le GIEC souligne que : 

    « Les pays les moins avancés (PMA) et les petits États insulaires en développement (PEID) ont des émissions par habitant beaucoup plus faibles (1,7 tCO2-eq et 4,6 tCO2-eq respectivement) que la moyenne mondiale (6,9 tCO2-eq) […]. Les 10% de ménages présentant les émissions par habitant les plus élevées contribuent à hauteur de 34 à 45% des émissions de GES des ménages basées sur la consommation à l’échelle mondiale, tandis que les 50% les moins riches contribuent à hauteur de 13 à 15% » (GIEC, AR6, GTIII: 5). 

    Le problème étant que les territoires faiblement responsables des changements climatiques sont plus durement frappées par leurs conséquences. A ce titre, une étude datant de 2022 révèle que 97% des victimes d’événements météorologiques extrêmes depuis 1991 résidaient dans des pays en développement, ce qui représente en moyenne 189 millions de personnes chaque année. De plus, cette étude indique également qu’entre 2021 et 2022, les pays en développement auraient subi environ 119 événements climatiques extrêmes. En outre, rien que durant la première moitié de 2022, six entreprises du secteur des combustibles fossiles auraient généré suffisamment de bénéfices pour compenser tous les dommages subis par ces pays, tout en dégageant 70 milliards de dollars de profits supplémentaires.

    Partant, l’objectif de cet article est d’abord de faire une synthèse de l’histoire de la reconnaissance des pertes et préjudices au sein du régime climatique international ainsi qu’une présentation du traitement de ces effets résiduels et des limites de l’action internationale en la matière. Puis, il s’attache à appliquer le concept de pertes et préjudices, consacré en droit international, aux Outre-mer français, compte tenu de leur particulière vulnérabilité aux effets des changements climatiques, en développant particulièrement le cas du département de Mayotte.

    Partie 1 – Pertes et préjudices : compenser les inégalités climatiques au niveau international

    La « science de l’attribution » : les preuves de sur-risques de survenue de pertes et préjudices dues aux changements climatiques anthropiques 

    Pour attribuer les pertes et préjudices au changement climatique, encore faut-il prouver le lien de causalité, ce qui ne va pas de soi puisqu’il existe une pluralité de facteurs de risque. Par ailleurs, il existe aujourd’hui de nombreuses études et méthodes d’attribution des aléas climatiques aux émissions anthropiques de gaz à effet de serre. Les derniers rapports du GIEC soulignent le rôle important joué par les émissions de gaz à effet de serre dans la hausse globale des températures à l’échelle du monde depuis la période préindustrielle. 

    La « science de l’attribution » permet en effet de mettre en avant les sur-risques de survenue de phénomènes en raison du changement climatique. A ce propos, certains événements à évolution lente, tels que la hausse globale des températures, l’élévation du niveau de la mer ou encore la fonte des glaces, sont facilement imputables à la hausse des émissions anthropiques. En 2016, une étude a démontré qu’il y avait 95% de probabilité que la moitié des inondations auxquelles les États-Unis ont été confrontés soient attribuables aux changements climatiques d’origine humaine (Strauss, 2016). De même, la probabilité d’attribution des pluies et inondations qui ont frappé la France en 2016 a été estimée à 90% plus probable en raison du changement climatique (McSwenney et Pidcock, 2016). 

    Par ailleurs, d’autres aléas climatiques sont plus difficilement attribuables aux changements climatiques : c’est le cas notamment de la salinisation des sols, de la perte de la biodiversité, ainsi que des événements extrêmes (vagues de chaleur, sécheresse, inondations) (European Capacity Building Initiative, 2018: 21). Pour ce qui est des événements extrêmes, le GIEC affirme par ailleurs que les émissions anthropiques entraînent vraisemblablement une augmentation de leur fréquence et de leur intensité. 

    Une des limites de cette science de l’attribution repose sur le fait que les pays développés ont davantage de moyens et de données de qualité pour la mettre en œuvre par rapport aux pays en développement.

    Partie 2 – Le cas des Outre-mer français

    Le territoire français est pluriel et s’étend sur trois océans, avec les territoires d’Outre-mer disséminés à travers l’océan Atlantique, Indien et Pacifique. Dès lors, il faut se garder de l’imaginaire géographique unique de la France qui n’est souvent représentée qu’à travers son territoire européen (Ferdinand, 2018). Malcom Ferdinand souligne en effet l’exclusion symbolique des territoires d’Outre-mer de la France dans le récit géographique national, à l’instar des JT météo qui ne mentionnent que le territoire hexagonal. Pour comprendre la relation de la France au changement climatique, il est donc nécessaire de l’aborder au prisme de ses territoires d’Outre-mer.

    Le changement climatique n’épargne aucun territoire, et la France – dans toute sa diversité – ne fait pas exception. D’après le dernier rapport du Haut conseil pour le climat (septembre 2023), la température globale en France aurait augmenté de 1,9°C (moyenne sur la dernière décennie : de 2013 à 2022) par rapport à la période préindustrielle (1850-1900). Pour comparaison, le niveau de réchauffement à l’échelle du monde est de l’ordre de + 1,15°C sur cette même période. Plusieurs événements météorologiques extrêmes ont frappé la France en 2022 : perte de 5 km3 de volume pour l’ensemble des glaciers alpins, baisse d’environ 20% de la production hydroélectrique, baisse des rendements agricoles (à hauteur d’environ 10 à 30% pour certaines filières), une baisse des précipitations de 25% par rapport la période 1991-2020. Le changement climatique a donc d’importantes conséquences sur les écosystèmes, la santé humaine, les infrastructures et les activités économiques en France. Le GIEC le constate dans son sixième rapport, le changement climatique rend plus probables et fréquentes les vagues de chaleur, les pénuries d’eau, la diminution du rendement agricole et les inondations.

    Par ailleurs, nous l’avons vu, les conséquences du changement climatique diffèrent en fonction des territoires, certains étant bien plus vulnérables que d’autres. Appliqués au cas français, les territoires les plus vulnérables au changement climatique sont indéniablement les Outre-mer (Réseau Action Climat, 2022).

    Partie 3 – Le cas de Mayotte

    Mayotte fait partie des quatre îles de l’archipel des Comores qui se situe au Nord-Est de Madagascar. Cet archipel était sous protectorat français de 1848 à 1974, date à laquelle un référendum quant à son indépendance est organisé par la France. Parmi les quatre îles, seule la population de Mayotte vote contre l’indépendance. Un second référendum est organisé en 1976 uniquement à Mayotte, confirmant la volonté des Mahorais de rester rattachée à la France, tandis que le reste de l’archipel des Comores devient indépendant. En 2011, à la suite d’un référendum organisé en 2009, Mayotte devient département et région d’Outre-mer (DROM). 

    Mayotte constitue de loin le département et la région la plus pauvre de France, avec 77,3% de la population mahoraise vivant en dessous du seuil de pauvreté en 2018 alors que le taux de pauvreté en France hexagonale est de 14,8% (Insee, Revenus et patrimoine des ménages, 2021). Surtout, l’intensité de la pauvreté, c’est-à-dire l’écart relatif entre le niveau de vie médian de la population pauvre et le seuil de pauvreté rapporté au seuil de pauvreté, est de 87,3%, ce qui montre la très grande pauvreté des ménages mahorais. Le taux de chômage de l’île s’élevait à 34 % de la population active en 2022, faisant de Mayotte la région présentant le plus haut taux en France, mais également en Europe

    Par ailleurs, de part son histoire liée au Comores, Mayotte a connu une forte immigration comorienne depuis 1976. Alors qu’en 1976, l’île comptait 45 000 habitants, elle en compte environ 131 000 en 1997. En 1995, le gouvernement français met en place une procédure de visa pour les Comoriens souhaitant venir à Mayotte, alors que jusque-là il y avait un régime de libre circulation entre l’île française et le reste de l’archipel. Dès lors, il y a eu une forte immigration clandestine. Aujourd’hui, selon l’Insee, la population de Mayotte est estimée à 321 000 personnes, avec un taux de croissance démographique de 3,8% par an entre 2012 et 2017. Néanmoins, beaucoup de Mahorais critiquent le recensement de l’Insee et estiment que ce nombre est largement sous-estimé en raison de l’immigration illégale mal comptabilisée. Dans un rapport de 2022, la Cour des Comptes rapporte que « la plupart des interlocuteurs s’accordent sur le chiffre de 350 000, voire 400 000 habitants ». Et il n’est pas rare de voir des chiffres encore plus haut mentionnés par des personnes lorsqu’elles sont interrogées par la presse. Lors d’un entretien mené avec Nicolas Salvador, secrétaire de l’association Mayotte à soif, celui-ci parle de 600 000 personnes.

    Conclusion

    La mise à l’agenda international des pertes et préjudices a donc été le fait des pays les plus vulnérables, pour la plupart insulaires, qui ont alerté sur leur vulnérabilité particulière face au risque de montée du niveau de la mer, menaçant à la fois leur intégrité territoriale et politique. L’Alliance des petits Etats insulaires en développement (AOSIS) s’est rapidement constituée pour porter la voix de ces Etats sur la scène internationale.

    Dès lors, la définition des pertes et préjudices s’est progressivement construite depuis 1992 au fil des Conférences des Parties à la CCNUCC et notamment avec la mise en place du mécanisme international de Varsovie relatif aux pertes et préjudices en 2013. Bien qu’il ne semble pas y avoir de définition officielle, il est commun de définir les pertes et préjudices comme les effets résiduels des changements climatiques qui se produisent et se produiront en dépit de la mise en place de politiques d’atténuation et d’adaptation : ces dommages peuvent être la conséquence d’événements météorologiques extrêmes comme de phénomènes climatiques à évolution lente et se distinguent notamment selon leur caractère économique ou non.

    L’accord de Paris de 2015 a marqué une étape significative dans l’inscription des pertes et préjudices à l’agenda politique, en établissant ces derniers comme le troisième pilier de l’action climatique internationale, aux côtés de l’atténuation et de l’adaptation. Ainsi, l’action climatique doit reposer sur ces trois piliers pour traiter à la fois des causes et des conséquences des changements climatiques, pour ne s’attaquer pas seulement aux responsables mais pour se concentrer également sur ses victimes.

    Par ailleurs, force est de constater que le régime climatique international ne repose nullement sur un principe de responsabilité. En effet, les pays développés, qui ont une responsabilité historique dans les émissions anthropiques de gaz à effet de serre à l’origine des changements climatiques, ont toujours lutté pour que ne soit pas reconnu leur responsabilité juridique. Ainsi, le régime climatique international repose davantage sur une logique de solidarité internationale. Par conséquent, bien que la décision de créer un Fonds pour les pertes et préjudices à la COP 27 constitue un pas significatif vers la voie de la compensation de ces dommages résiduels, elle ne traduit pas une volonté de réparation : en droit, la réparation sous-entendrait la reconnaissance d’une responsabilité dans le préjudice.  

    Par ailleurs, un autre point de tension limitant des politiques de compensation réside dans le fait qu’une partie non-négligeable des pertes et préjudices n’est pas évaluable en termes monétaires. En effet, c’est le cas des pertes non économiques, telles que la souveraineté politique et l’identité culturelle, qui ne sont pas commensurables. Compenser de telles pertes sous-entendrait la possibilité de trouver un bien substituable. Or, la particularité de ces biens est qu’ils ne sont pas substituables à d’autres, alors qu’ils sont déjà menacés par les effets des changements climatiques.

    Les rapports du GIEC n’ont cessé de réaffirmer la responsabilité des activités humaines dans les changements climatiques : « Il est sans équivoque que l’influence humaine a réchauffé l’atmosphère, les océans et les continents » (GIEC, AR6, GTI). Par ailleurs, l’influence humaine n’a pas eu le même poids de part et d’autre du globe : certaines régions du monde sont en effet nettement plus responsables des émissions historiques de GES. L’injustice réside ainsi dans le fait que la part des émissions passées et présentes de certaines régions du monde est faible alors qu’elles subissent frontalement et très concrètement les effets des changements climatiques. A l’échelle du monde, il s’agit des pays en développement en général et des petits États insulaires en développement plus spécifiquement. A l’échelle de la France, il s’agit principalement des Outre-mer, qui pour la plupart (à l’exception de la Guyane) sont insulaires. En effet, les études montrent que les Outre-mer sont responsables de seulement 5,4% des émissions de GES en 2019 alors qu’ils sont directement victimes des conséquences des changements climatiques, sources de pertes et préjudices : leur caractère insulaire les expose à des risques accrus liés à la montée du niveau de la mer ; leurs économies, fortement dépendantes des secteurs du tourisme et de l’agriculture, sont fragilisées par les impacts du changement climatique ; ils sont également plus exposés aux événements climatiques extrêmes, ce qui entraîne des conséquences économiques et sociales graves, alors qu’ils disposent de peu de ressources pour y faire face, etc.

    Le cas de Mayotte est particulièrement criant : il s’agit d’un département français depuis 2011, le plus pauvre de tous, avec près de 80% de la population vivant sous le seuil de pauvreté, contre environ 15% pour la France hexagonale. Mayotte subit par ailleurs de plein fouet les conséquences du changement climatique : la moitié des habitations étant construites en tôle, l’île est particulièrement vulnérable aux événements météorologiques extrêmes ; les sécheresses, devenues plus fréquentes et intenses, contribuent à l’importante crise de l’eau dont Mayotte est victime depuis des années ; en outre, l’état de la barrière de corail, cruciale pour l’équilibre de l’écosystème, est préoccupant à Mayotte. Par conséquent, Mayotte subit des préjudices financiers et moraux dus aux changements climatiques. 

    Ainsi, cet article s’est attaché à mettre en lumière dans quelles mesures les pertes et préjudices constituent une illustration manifeste des injustices résultant des changements climatiques dus aux émissions anthropiques de gaz à effet de serre à l’échelle du monde.

    Bibliographie

  • Mayotte : La justice reconnaît les atteintes aux droits fondamentaux causées par la crise de l’eau mais choisit d’attendre la pluie.

    Communiqué de presse des associations Notre Affaire à Tous et Mayotte a soif, Paris, 29 décembre 2023 – Dans le cadre d’un référé-liberté lancé par les associations Notre Affaire à Tous et Mayotte a soif, et soutenu par une quinzaine de Mahorais.e.s, le Conseil d’État reconnaît en appel l’impact de la crise de l’eau sur les droits fondamentaux les plus essentiels des Mahorais tels que la dignité humaine et le droit à la santé. Pour autant, la justice ne s’estime pas compétente pour imposer à l’Etat d’agir plus vite et plus efficacement, alors même qu’elle reconnaît la crise et ses “conséquences extrêmement lourdes pour la population”.

    Cette décision confirme un constat évident, mais reste décevante pour les requérant.e.s qui espéraient que  l’État soit contraint à faire le nécessaire pour mettre fin aux atteintes aux droits fondamentaux. Le tribunal, comme l’Etat, semblent considérer que miser sur  l’arrivée rapide de la pluie constitue une mesure à la hauteur des drames quotidiens que connaissent les habitant.e.ss de l’île.

    Les mesures déployées jusqu’à présent par les services de l’État, pourtant manifestement insuffisantes et inadaptées, laissent donc les Mahorais.e.s sans autres solutions que de faire la queue par milliers et chaque jour, sous des températures ressenties de 38°C, dans des points de distribution trop rares et aux stocks insuffisants. L’épidémie de gastro-entérite continue, les écoles continuent de fermer faute de cuves remplies, les alertes aux métaux lourds dans l’eau au sud-est de Mayotte se répètent, les tours d’eau comme le gel des prix ne sont toujours pas respectés… Face à cette réalité, le Conseil d’Etat estime que l’action de l’Etat est suffisante.

    Avec cette décision, la Justice  retire aux Mahorais.e.s et aux habitant.e.s des autres territoires d’Outre-Mer, dont la plupart subissent également des problématiques d’accès à l’eau potable, tout espoir d’une amélioration rapide de leur situation.  

    Si une décision en réponse à la crise mahoraise était une étape essentielle pour répondre à l’urgence, les problèmes d’accès à l’eau à Mayotte, comme dans les autres territoires d’Outre-Mer, sont structurels. La juge le reconnaît : la crise “révèle un certain nombre de défaillances dans l’organisation et la gestion de l’eau dans ce département”, et appelle à “des efforts renforcés pour identifier les moyens d’action afin de prévenir autant que possible et limiter les conséquences des tensions sur l’approvisionnement en eau potable à Mayotte, en tenant compte des vulnérabilités particulières et des spécificités du territoire concerné”. Sans politique de long-terme adaptée aux spécificités ultramarines, la question se reposera de façon accrue l’année prochaine et à toutes les prochaines saisons sèches.

    Pour plus d’informations sur la situation mahoraise et le référé :

    Contact presse

    Emma Feyeux, Notre Affaire à Tous : emma.feyeux@notreaffaireatous.org

  • CP / La justice sourde à la soif de Mayotte : les associations font appel devant le Conseil d’État

    Communiqué de presse des associations Notre Affaire à Tous et Mayotte a soif, Mamoudzou, 28 novembre 2023 – Ce samedi 25 novembre, alors que la préfecture de Mayotte annonçait que l’île entrait « dans la période la plus critique de la crise de l’eau », le tribunal administratif de Mayotte a rejeté le référé-liberté porté par Notre Affaire à Tous, Mayotte a soif ainsi qu’une quinzaine de Mahorais.e.s. Par ce rejet, le juge refuse d’établir une responsabilité et élude complètement la réalité : les mesures actuelles sont manifestement insuffisantes et seul l’Etat peut agir pour renverser une tendance qu’il a lui-même aggravée par son inaction depuis des années. Ce n’est pas acceptable, à l’heure où persistent les atteintes aux droits fondamentaux causées par la crise de l’eau et l’insuffisance de l’action de l’État et de ses services. Les associations et requérant.e.s font appel de cette décision, afin de porter devant le Conseil d’État le sujet du manque d’action de l’État pour garantir l’accès à l’eau potable à Mayotte, carence visiblement marquée d’un prisme discriminatoire à l’encontre des citoyen.ne.s d’Outre-Mer.

    Le tribunal administratif de Mayotte concède pourtant que la « situation d’urgence n’est pas contestable ». Dans son ordonnance de rejet, il souligne également que, si la cause première de la crise de l’eau actuelle est la sécheresse particulièrement importante cette année, cette dernière révèle « un certain nombre de défaillances dans l’organisation et la gestion du service en charge de la gestion de l’eau dans ce département depuis plusieurs années ». Malgré ces constats évidents, le tribunal conclut ensuite que les demandes des associations et requérant.e.s sont insuffisamment fondées, notamment au regard des mesures déployées par l’État en réponse à la crise (voir notre dossier de presse).

    Pourtant, la situation des Mahorais.e.s s’aggrave, preuve de la faiblesse et de l’inadaptation de ces mesures. Une nouvelle fois, la préfecture a ainsi appelé la population à baisser sa consommation, alors que cette dernière est déjà bien inférieure à des besoins de base en eau. De plus, les mesures mises en œuvre renforcent des inégalités de fait. Depuis le 20 novembre, la distribution de l’équivalent d’un litre d’eau en bouteille par personne a commencé. Or, au-delà de l’insuffisance évidente de cette quantité pour les besoins d’hydratation et d’hygiène, Mayotte a soif dénonce la logistique de la distribution des bouteilles d’eau. Elle ne tient pas compte de la réalité des habitant.e.s : obligation de se déplacer, de se rendre disponible à des heures compliquées pour les personnes travaillant ou avec des enfants scolarisés, de faire la queue debout – parfois pendant des heures -,  etc.  

    C’est précisément par son échec à mettre en place des mesures suffisantes pour atteindre un accès à l’eau potable de base (équivalent à 100 L / jour / personne) que l’État se rend responsable des atteintes aux libertés fondamentales des Mahorais.e.s. Pour Jérémie Suissa, délégué général de Notre Affaire À Tous, « les mesures déployées par l’État ces dernières semaines restent insuffisantes pour apporter une réponse décente aux difficultés dramatiques auxquelles font face les habitant.e.s de l’île. Surtout, ces mesures prises dans l’urgence, par à-coups et sans vision de long terme ne constituent en aucune manière un plan global de sortie de crise ». C’est précisément à ce besoin que devrait répondre le déclenchement du plan ORSEC eau potable demandé par les requérant.e.s, et dont la plus-value est bien de constituer un document de « planification et de gestion de crise ». Pour Racha Mousdikoudine, présidente de l’association Mayotte a soif, ce plan est « un dispositif qui permet d’identifier les problématiques engendrées par la pénurie d’eau et d’apporter ainsi des mesures correctives indispensables à la gestion de la crise. Il n’est donc pas substituable aux mesures prises par l’État au compte-goutte. Ce plan est le garant d’une meilleure coordination de tous les acteurs en place », qui fait défaut depuis des années à Mayotte.

    Pour plus d’informations sur la situation mahoraise et le référé :

    Contacts presse

    Notre Affaire à Tous, Emma Feyeux : emma.feyeux@notreaffaireatous.org
    Mayotte a soif, Racha Mousdikoudine : contact@mayotteasoif.fr

  • Soif de justice : un recours à Mayotte pour l’accès à l’eau

    Un recours d’urgence à Mayotte pour les droits fondamentaux liés à l’accès à l’eau potable : explications

    Depuis le mois de mars 2023, Mayotte vit une des plus graves crises de l’eau de son histoire, au rythme des coupures et de l’espoir d’une véritable réponse des pouvoirs publics. Aujourd’hui, et malgré les mesures annoncées par le gouvernement, ce sont 34 000 000 de litres qui manquent à l’appel. Loin de n’être qu’une crise isolée, la situation à Mayotte est le résultat de plusieurs années d’un désengagement de l’État sur ces questions d’accès à l’eau potable dans les territoires d’Outre Mer, et d’une inadaptation discriminatoire des politiques publiques déployées. 

    Accompagnés par Me Hilème Kombila (BLC avocats), Notre Affaire à Tous se joint à l’association Mayotte a soif ainsi qu’à 15 victimes mahoraises requérantes sur ce référé-liberté. Nous demandons : 
    1 – La reconnaissance de l’impact de la crise sur les droits fondamentaux des Mahorais·e·s.
    2 – D’imposer à l’État et à ses services le déclenchement du plan d’urgence normalement prévu pour répondre à la crise : le plan ORSEC eau potable.
    3 – Le rétablissement au plus vite de la fourniture d’eau potable pour tou.te.s, en qualité et quantité suffisante, en priorité au sein des établissements scolaires et de santé, via des mesures précises et chiffrées.
    4 – Savoir comment l’État compte gérer la crise sanitaire imminente déclenchée par la crise de l’eau actuelle, en commençant par établir un diagnostic des impacts sanitaires de la crise.

    Mayotte, le cas symptomatique d’une situation discriminatoire

    Pourtant, l’eau n’est pas qu’un service public relevant de telle ou telle compétence administrative : c’est un droit fondamental, reconnu en droit international comme en droit français. Ce droit semble rester théorique à Mayotte, comme dans d’autres territoires d’Outre-Mer, faute d’une véritable volonté politique et d’instruments adaptés pour garantir sa mise en œuvre. Cette situation est révélatrice d’une attitude discriminatoire de l’État Français envers ces territoires ultramarins : jamais on ne pourrait imaginer en France hexagonale qu’un département puisse connaître une telle pénurie d’eau sans que l’État n’en fasse une priorité absolue. En commençant par la crise mahoraise, il est temps que l’État prenne ses responsabilités et garantisse un accès à l’eau potable en qualité satisfaisante à l’ensemble de ces citoyen.ne.s, dont font partie les habitant.e.s des territoires d’Outre-Mer.

    Retrouvez nos explications sur la situation mahoraise, le désengagement discriminatoire de l’État, nos demandes fondées sur l’accès à l’eau et les droits fondamentaux dans notre dossier de presse.

  • CP / Recours d’urgence pour l’accès à l’eau : Mayotte a soif et l’État regarde ailleurs

    Communiqué de presse des associations Notre Affaire à Tous et Mayotte a soif
    Mamoudzou, 16 novembre 2023

    Les habitantes et habitants de Mayotte affrontent actuellement un pic dans la crise qui les prive d’eau potable depuis des mois. Via un référé liberté, les associations Notre Affaire à Tous et Mayotte a soif ainsi que 15 victimes requérantes demandent au tribunal administratif de Paris de reconnaître l’impact de la crise sur les droits fondamentaux et la réponse insuffisante de l’État. Pour elles, la situation à Mayotte est le résultat de plusieurs années d’un désengagement de l’État sur ces questions et d’une inadaptation discriminatoire des politiques publiques déployées. Les associations espèrent que ce référé permettra d’ordonner en urgence à l’Etat de prendre des mesures de sortie de crise équitables, à la hauteur du drame sanitaire et humain qui se déroule sur l’île, et durablement adaptées aux problématiques propres à ce territoire français ultramarin.

    Depuis plus de sept mois, la crise de l’eau, qui s’aggrave progressivement depuis 2016, s’est intensifiée à Mayotte. Les Mahorais·e·s vivent désormais au rythme des coupures d’eau de plus de 48h et ne reçoivent souvent qu’une eau brune et odorante, déjà signalée impropre à la consommation à certains endroits par l’ARS, lorsque les robinets coulent à nouveau. Les conséquences sanitaires sont manifestes, selon Santé Publique France : épidémie de gastro-entérite, mais aussi risques d’épidémies de choléra, d’hépatite A, de fièvre typhoïde et de poliomyélite. L’agence nationale de santé publique évoque ainsi une « menace sanitaire importante », dans un contexte où l’hôpital de Mayotte manque déjà de soignant.e.s. 

    Par ailleurs, cette crise n’est pas seulement sanitaire. Plusieurs écoles et lycées ont été fermés faute d’eau potable pour les élèves et enseignant·e·s, et les tensions sociales ont repris autour du partage de cette ressource vitale dans le département le plus pauvre de France. Pour Racha Mousdikoudine, présidente de l’association Mayotte a soif, « les Mahorais vivent en situation de crise humanitaire ignorée, loin des standards d’un département français, et il est pourtant attendu d’elles et eux de continuer à remplir leurs obligations professionnelles, citoyennes et personnelles comme si de rien n’était, avec des répercussions sur leur dignité inimaginables pour toute personne qui ne le vit pas ».

    Mayotte a soif, et l’État regarde ailleurs. Pire, il laisse la situation s’empirer depuis des années. En se retirant progressivement de la gestion de l’eau sans tenir compte des particularités mahoraises, il a transféré des responsabilités et compétences de ce service public aux collectivités territoriales, au syndicat de la Mahoraise des Eaux (SMAE) qui fait l’objet de suspicions de corruption et de favoritisme depuis des années, et à l’entreprise Vinci dont des irrégularités sur leurs activités de travaux ont entraîné la suspension du versement des fonds européens entre fin 2020 et mars 2023. Force est de constater que l’État n’assure plus son rôle de pilote du bon fonctionnement de ce service public depuis des années. Même dans la crise actuelle, vouée à s’aggraver du fait des effets du dérèglement climatique, sa réponse ne suffit pas à protéger l’intégrité physique et psychologique de la population : 34 000 000 de litres par jour vont manquer à l’appel.

    Pourtant, l’eau n’est pas qu’un service public relevant de telle ou telle compétence administrative : c’est un droit fondamental, reconnu en droit international comme en droit français. Ce droit semble rester théorique à Mayotte, comme dans d’autres territoires d’Outre-Mer, faute d’une véritable volonté politique et d’instruments adaptés pour garantir sa mise en œuvre. Cette situation est révélatrice d’une attitude discriminatoire de l’État Français envers ces territoires : jamais on ne pourrait imaginer en France hexagonale qu’un département puisse connaître une telle pénurie d’eau sans que l’État n’en fasse une priorité absolue.

    Via ce référé-liberté, Notre Affaire à Tous et Mayotte a soif demandent notamment de :

    1 – Faire reconnaître l’impact de la crise sur les droits fondamentaux des Mahorais·e·s ;

    2 – Imposer à l’État et à ses services le déclenchement du plan d’urgence normalement prévu pour répondre à la crise : le plan ORSEC eau potable ;

    3 – Rétablir au plus vite la fourniture d’eau potable pour tou·.te·.s, en qualité et quantité suffisante, en priorité au sein des établissements scolaires et de santé ;

    4 – Savoir comment l’État compte gérer la crise sanitaire imminente déclenchée par la crise de l’eau actuelle, en commençant par établir un diagnostic des impacts sanitaires de la crise.

    Contacts presse

    Notre Affaire à Tous, Emma Feyeux : emma.feyeux@notreaffaireatous.org

    Mayotte a soif, Racha Mousdikoudine : contact@mayotteasoif.fr

    Pour les questions juridiques, Me Hilème Kombila hilemekombila@blcavocats.com

  • 7 novembre 2019 – Quelles conséquences sur les populations et les territoires ultramarins français face au dérèglement climatique et aux dégradations environnementales ?

    Quelles conséquences sur les populations et les territoires ultramarins français face au dérèglement climatique et aux dégradations environnementales ? Ces territoires sont particulièrement vulnérables, de fait de leurs localisations et leur isolement par rapport à la métropole. Ils abritent pourtant une biodiversité exceptionnelle. 

    Ce numéro de la revue de presse se concentre sur les territoires français hors métropole : de la Guyane à la Guadeloupe en passant par la Nouvelle-Calédonie, la Réunion ou encore St-Pierre-et-Miquelon, ces territoires font face à des inégalités climatiques et environnementales prégnantes. Quels impacts sur les droits fondamentaux et le vivant dans ces territoires ? 

    Pour combattre les inégalités, sociales et climatiques, il nous faut les connaître. C’est le sens de cette revue de presse élaborée par les bénévoles de Notre Affaire à Tous, qui revient chaque mois sur les #IMPACTS différenciés du changement climatique, sur nos vies, nos droits et ceux de la nature.

    Les DOM-TOM seront plus touchés par le changement climatique que la Métropole. La géographe Virginie Duvat, professeure à l’université de La Rochelle et auteure-contributrice au rapport spécial du GIEC sur les océans, décrit les enjeux majeurs auxquels doivent faire face ces régions françaises. Selon elle, « l’élévation du niveau de la mer, le réchauffement et l’acidification des océans, et l’intensification des tempêtes vont combiner leurs effets sur ces territoires ». À terme, les Caraïbes, comme les atolls du Pacifique mais aussi les îles de l’Océan Indien sont menacés de disparition. 

    Alors que les territoires d’outre-mer français représentent quasiment 0% des émissions de gaz à effet de serre de la France, ils sont les plus vulnérables et les premiers impactés. Au delà de leur position géographique, le combat est non seulement celui de la justice climatique mais aussi de la justice sociale. Le prisme de l’histoire coloniale est à prendre en compte dans l’étude de ces inégalités climatiques. 

    Ces inégalités s’illustrent d’ailleurs par l’ouragan Irma de septembre 2017. A Saint-Martin, un appel à la grève générale a été lancé, le 11 avril 2019, par des syndicats et des collectifs pour dénoncer les suites de l’ouragan, avec des revendications concernant les reconstructions, le maintien du service public, ou encore la résolution d’un conflit social à la collectivité. Symbole des inégalités, Saint-Martin cumule aléas climatiques et forte vulnérabilité, exposée à des cyclones de plus en plus intenses et fréquents, et l’insuffisance des mesures de prévention et réduction des risques. Les populations s’en relèvent difficilement à cause d’un accompagnement post-catastrophe trop faible et la lenteur de la reconstruction

    Les conséquences du changement climatique sur la santé des populations dans les territoires ultramarins français se font également sentir. En 2014, des chercheurs ont établi un lien direct entre l’ucère de Buruli et le changement climatique en Guyane. Il s’agit d’une infection qui connaît des pics lors des épisodes El Niño, de plus en plus fréquents.

    Le territoire de St-Pierre-et-Miquelon est particulièrement concerné par la hausse du niveau des océans. Météo France remarque qu’après une élévation stable durant plusieurs millénaires, l’élévation du niveau de la mer s’est accélérée significativement au XXe siècle. Et les territoires ultramarins sont, en tout état de cause, les premiers concernés. Le portail Drias – Les futurs du climat propose d’ailleurs des projections climatiques pour encourager l’adaptation de nos sociétés.  

    Le scientifique Guy Claireaux cherche à montrer l’impact du comportement anthropocène sur le climat, en prenant l’exemple de St-Pierre-et-Miquelon. Il est effectivement possible d’observer que les effets du réchauffement climatique sur les côtes, tels que la submersion et le recul du trait de côte, sont aggravés par la hausse des phénomènes extrêmes et l’élévation du niveau de la mer. Xénia Philippenko écrit d’ailleurs une thèse en cherchant à partir du cas d’étude de Saint-Pierre-et-Miquelon, à élaborer une approche « bottom-up », c’est-à-dire qui parte du contexte territorial pour élaborer des stratégies d’adaptation différentes. Des projets d’adaptation sont effectivement nécessaires dans ce littoral, compte tenu de sa vulnérabilité face aux risques de recul du trait de côte et de submersion marine dans un contexte de changement climatique et d’occurrence possible de tsunamis. 

    L’enjeu de la montée des eaux inquiètent aussi près de 80% des Polynésiens, d’après une enquête menée par l’agence Alvea menée en juillet 2019Pour Franck Courchamp, docteur en écologie et directeur de recherche au CNRS, « sur les 120 îles totalement submergées d’ici la fin du siècle dans le scénario optimiste, on a à peu près 30% qui viennent de Nouvelle-Calédonie, 30% de Polynésie française ». Mais, avant même une potentielle submersion, la hausse du niveau de la mer conduit déjà à une salinisation importante des eaux souterraines, rendant l’accès à l’eau potable compliqué. 

    En septembre 2019, le GIEC publiait un rapport spécial sur les océans et les zones glacées prévoyant des conséquences irréversibles de la montée des eaux sur les outre-mers. Une étude récente paru dans Nature Communications révèle d’ailleurs que le nombre de personnes qui seront impactées par la hausse du niveau des mers d’ici 2050 a été sous-estimé. Mais à l’élévation du niveau de la mer s’ajoute le réchauffement des eaux. En Guyane par exemple, la mer s’est réchauffé de 1°C sur les trente dernières années. Ce phénomène a notamment des conséquences sur la pêche à la crevette, puisque les stocks ont considérablement diminué. Les phénomènes El Niño et La Niña sont également une cause de ce déclin.

    Dans les Antilles françaises, l’Ouragan Irma a fait des ravages en septembre 2017, causant la mort de 15 personnes et endommageant 95% du bâti à Saint-Martin et Saint-Barthélémy. Ces épisodes extrêmes deviennent de plus en plus fréquents et intenses au fil des années. En cause ? Le dérèglement du climat planétaire. 

    En Polynésie française, les coraux sont un des éléments principaux de l’écosystème de la région et sont fortement touchés par le réchauffement des océans. Or, ceux-ci sont une barrière naturelle qui protège les côtes de l’érosion et des vagues trop importantes. D’après le rapport du GIEC paru en octobre 2018 et Valeriano Parravicin, directeur d’études à l’école pratique des hautes études, « si l’on perd les coraux, en 2100, on pourrait avoir des vagues deux fois plus grandes dans les lagons ». 

    Les coraux de la Polynésie Française sont donc mis en danger. On remarque dès maintenant une accélération de leur blanchissement à cause des températures trop élevées de l’Océan Pacifique. Malgré ces effets, les décideurs politiques ne semblent pas comprendre l’ampleur de l’urgence, puisque le Parlement Européen a voté, le 4 avril dernier, une loi pour subventionner le secteur de la pêche pour la période 2021-2027, qui aura notamment des effets désastreux sur la biodiversité des “régions ultrapériphériques européennes”, dont la Guadeloupe, La Réunion, Mayotte, La Guyane, La Martinique, Saint Martin.  

    Les impacts du changement climatique sur la biodiversité de ces territoires sont très visibles. Dans les Caraïbes par exemple, les sargasses sont devenues un véritable cauchemar. Il s’agit de végétaux marins hautement toxiques qui s’amoncellent et sèchent sur les plages. D’après une étude parue dans la Revue Sciences, la masse de sargasses en juin 2018 était de plus de 20 millions de tonnes et s’étendait sur 8 850 kilomètres de long

    Quelles sont les causes de la prolifération de ces végétaux marins ? Frédéric Ménard explique que “le phénomène des sargasses est probablement lié au réchauffement climatique”Le réchauffement des eaux créerait un milieu favorable à la prolifération, tandis que l’activité humaine autour du fleuve Amazone et les quantités d’eaux polluées qui y sont déversées seraient un facteur déterminant dans la croissance de ces algues néfastes pour la santé et l’environnement. Une Martiniquaise explique à Libération que “Les békés ont quitté les mornes du François et du Robert, mais les pauvres n’ont nulle part où aller”. Le phénomène accentue alors encore un peu plus les inégalités. 

    Après une grande crise de sargasses en 2015 et deux ans d’accalmie, les Antilles ont de nouveau été envahies. Les élus antillais ont donc tiré la sonnette d’alarme, comme le sénateur de la Guadeloupe Dominique Théophile. Pourtant, la faible réactivité des pouvoirs publics face à l’ampleur du phénomène met en lumière les inégalités de traitement persistantes entre les outre-mer et la métropole et les défis de l’accès aux droits. Lors de la conférence internationale sur les sargasses qui s’est tenue en Guadeloupe fin octobre 2019, Edouard Philippe a promis une aide “dans la durée” contre ces algues brunes toxiques. Reste à voir ce qu’il en restera dans les faits.

    En plus du réchauffement climatique, les archipels polynésiens ont aussi subis des dégâts environnementaux liés aux essais nucléaires menés dans la région dans la seconde moitié du XXe siècle. Ces essais nucléaires ont des impacts sur les populations locales, que ce soit sur leur santé ou leur environnement, et l’opacité qui règne sur ces expérimentations ne permet pas d’en avoir une vision complète encore aujourd’hui. 

    Un autre exemple d’injustice environnementale subie par les outre-mers est perçu en Martinique et Guadeloupe. En effet, le chlordécone, pesticide toxique interdit aux Etats-Unis depuis les années 1970 et classé parmi les « cancérogènes probables » par l’OMS en 1979 a été interdit en métropole en 1990 mais a continué d’être utilisé pendant des années dans les bananeraies de Martinique et de Guadeloupe. Emmanuel Macron a même reconnu en 2018 qu’il s’agissait d’un “scandale environnemental”. Cette utilisation a créé une pollution durable des sols et une réelle catastrophe sanitaire. Un rapport s’alarme d’ailleurs de “la dégradation généralisée” des masses d’eau en Guadeloupe. Du point de vue sanitaire, le chlordécone augmente le risque de naissance prématurée et influe sur le développement cognitif et moteur des enfants. Le chlordécone augmente également le risque de cancer de la prostate, dont le nombre en Guadeloupe est l’un des plus élevés au monde. La contamination des sols et des eaux à la chlordécone impactent aussi durement le secteur économique et notamment les pêcheurs. 

    Enfin, les exploitations minières dans les territoires ultramarins français causent de nombreux problèmes environnementaux et sociaux. En Nouvelle-Calédonie, les mines de nickel font partie du paysage quotidien. La plus grande île de l’archipel concentre 25% des ressources mondiales de ce métal. La biodiversité exceptionnelle du territoire, l’une des plus riches de la région Pacifique, est sacrifiée au profit de cette ressource. Les dégradations environnementales liées à cette exploitation minière sont catastrophiques. Malgré les dispositions du code minier qui impose aux industriels la revégétalisation des sites miniers, les milieux sont complètement détruits. En 2006 déjà, 20000 hectares de terres étaient dégradées à cause de ces mines. Et, comme le démontre Catherine Larrère, les dégradations de l’environnement, « les pollutions de l’air, de l’eau et la répartition des sites dangereux ou toxiques affectent, en priorité, les plus pauvres », dans son livre Les inégalités environnementales

    Enfin, en Guyane, de graves problèmes environnementaux sont dûs à l’orpaillage illégal ainsi que l’exploitation minière. L’orpaillage illégal est un fléau pour l’environnement et la santé. Les populations autochtones en sont les premières victimes. En outre, les permis d’exploitation minièredélivrés par le gouvernement français, sont un réel danger pour le territoire guyanais, menaçant les forêts tropicales humides et la biodiversité. Ceux-ci sont en totale incohérence avec l’Accord de Paris et les recommandations du GIEC qui préconisent de mettre un terme à l’exploitation des énergies fossiles.

    Retrouvez le prochain numéro de notre revue de presse sur les impacts du changement climatique dans un mois !