Nouvelle étape dans l’Affaire du Siècle : les quatre organisations co-requérantes ont déposé aujourd’hui leur mémoire en réplique, pour contrer les arguments que l’État avait déposé en juin dernier [1], près de 16 mois après le début de l’instruction. Notre Affaire à Tous, la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme, Greenpeace France et Oxfam France ont accompagné leur réponse d’une centaine de témoignages de personnes touchées par les impacts des changements climatiques.  Le jugement pourrait désormais intervenir très prochainement. En effet, dans les prochaines semaines, l’État devrait de nouveau avoir la possibilité d’ajouter des arguments au dossier, puis le Tribunal Administratif de Paris décidera de la clôture de l’instruction et fixera une date d’audience. La décision, qui sera rendue dans les deux semaines suivant l’audience, devrait intervenir avant la fin de l’année… un moment historique pour la justice climatique en France. Ce que l’Affaire du Siècle expose dans sa réponse, auprès du Tribunal L’État tente d’échapper à ses responsabilités, or il a un rôle essentiel  Dans sa réponse de juin dernier, l’État niait sa responsabilité, prétendant notamment que « le lien de causalité direct et certain entre l’inaction alléguée de l’État et le changement climatique ne [serait] pas établi ». Il ajoutait que « l’État n’est pas en capacité d’empêcher l’intégralité des émissions de gaz à effet de serre sur le territoire français, eu égard notamment à la circonstance qu’une part substantielle de cette pollution procède de la réalisation des activités industrielles et agricoles mais également de choix et de décisions individuels sur lesquels il n’est pas toujours possible d’influer. » Dans son mémoire en réplique, l’Affaire du Siècle rappelle au tribunal que la responsabilité de l’État est bel et bien engagée, en démontrant qu’il a « failli à établir un cadre juridique efficace, et à mettre en œuvre les moyens humains et financiers permettant d’assurer son respect », et qu’il ne peut se cacher derrière « la multiplicité des acteurs ». L’État a un rôle crucial à jouer, « de régulateur, d’investisseur et de « catalyseur » à tous les niveaux ». Il est en effet le « seul à même d’édicter les règles qui permettent de réorienter les investissements dans les filières décarbonées […], à pouvoir mettre en place les incitations fiscales et réglementaires adéquates[…]. » [2] De plus, les organisations co-requérantes rappellent que la justice a déjà condamné l’État dans des affaires où il n’était pas l’unique responsable. Ça a ainsi été le cas dans les affaires de l’amiante, en 2004, des algues vertes en 2014, du Médiator en 2016… Si la France ne peut pas à elle seule lutter contre les dérèglements climatiques, elle doit cependant faire sa part et tenir ses engagements ! Des manquements auxquels l’État a “oublié” de répondre… L’Affaire du Siècle démontre également qu’en ne respectant pas ses objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre, d’efficacité énergétique ou encore d’énergies renouvelables, il a lui-même directement contribué à la crise climatique : entre 2015 et 2019, la France a émis environ 89 millions de tonnes de CO2 équivalent en trop par rapport à ses objectifs [3] – soit l’équivalent de deux mois et demi d’émissions du pays tout entier (au rythme d’avant le confinement) [4]. Il est aussi rappelé au Tribunal les nombreux points de notre requête auxquels l’État n’a pas répondu en juin dernier :

  • L’objectif de réduire de 20% les émissions de GES d’ici à 2020, pour les ramener aux niveaux de 1990 n’est pas respecté ;
  • La part du fret ferroviaire s’est effondrée (9% en 2018, contre 30% en 1984), contrairement à ce que prévoyait la loi Grenelle I (avec un objectif de 25% en 2022) ;
  • La rénovation énergétique des bâtiments a pris un retard monumental : alors que l’État aurait dû rénover 670 000 passoires thermiques par an, il est à 33 000 par an en moyenne, soit à peine 5% du rythme nécessaire ! [5]
  • La surface agricole en bio, qui devrait représenter 20% de la surface agricole utile en 2020 se situe aujourd’hui autour de… 8%

 Lois environnementales : quantité ne vaut pas qualité Pour se défendre, l’État listait dans sa réponse des lois et mesures prises récemment. L’Affaire du Siècle rappelle au juge que quantité ne vaut pas qualité. Les avocats des quatre organisations affirment : « le nombre de textes importe peu, dès lors que l’État persiste à ne pas s’assurer de l’efficacité des mesures qu’il adopte pour lutter contre le changement climatique. » L’existence de lois et de grands objectifs ne suffit pas à garantir nos droits face au dérèglement climatique. Ces lois sont insuffisamment appliquées. Nous avons au contraire besoin d’actions concrètes et efficaces, faisant l’objet d’un suivi-évaluation rapproché, comme le recommande le Haut conseil pour le climat. 100 témoignages à l’appuiLancée en décembre dernier par l’Affaire du Siècle, la cartographie intéractive des impacts du changement climatique a récolté près de 20 000 témoignages. Les 4 organisations ont souhaité ajouter au recours une centaine d’entre eux pour démontrer au juge que les Français·es sont déjà touché·e·s par les changements climatiques et appuyer le fait que l’État se doit de protéger ses citoyens. En effet, le ministère de la Transition écologique et solidaire affirme lui même que 62% de la population française est exposée de manière forte ou très forte à des risques climatiques. Et les citoyen·ne·s s’en inquiètent : d’après une étude Harris Interactive réalisée en mai 2020 pour le Haut Conseil pour le Climat [6] “59 % des Français·es se disent inquiets des effets des changements climatiques sur leur vie”. Ce chiffre monte à 73% quand ils se projettent dans les 10 prochaines années. Cette même étude montre qu’ils sont 91% à estimer qu’il est urgent d’agir. “Le 6 septembre 2017, ma vie a été complètement bouleversée par l’ouragan Irma, qui a dévasté l’île de Saint-Martin, où j’habite : 95% des bâtiments de l’île détruits. Aujourd’hui, je vis toujours dans une maison en chantier, nous n’avons pas repris une vie normale.”Magali, 49 ans, Témoin du Climat pour l’Affaire du Siècle. “Je suis guide de haute montagne, je vois au quotidien l’impact des changements climatiques, qui rendent la pratique de l’alpinisme, et donc mon activité professionnelle de plus en plus risquée. Rien que cet été, plusieurs accidents mortels ont eu lieu, en lien avec les fortes chaleurs.”Pol, 41 ans, Témoin du Climat pour l’Affaire du Siècle. NOTES :Le contenu du mémoire en réplique de l’Affaire du Siècle est disponible ici Consulter l’intégralité des témoignages en ligne [1] Communiqué de presse du 25 juin [2] Mémoire en réplique, p. 38[3] Calculs effectués par Carbone 4 pour l’Affaire du Siècle[4] Les émissions françaises de CO2 hors secteur des terres se sont établies à 445 millions t CO2 en 2018, soit 37 MtCO2e par mois.[5] Calculs effectués par Carbone 4 pour l’Affaire du Siècle [6] “Redresser le cap, relancer la transition”, rapport du Haut Conseil pour le Climat, mai 2020