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  • Sur le « Déficit public »

    Sur le « Déficit public »

    26 mars 2018, le journal Le Monde nous annonce que la France est enfin passée en 2017 sous les 3% de déficit public. Et pourtant, nous sommes plus déficitaires que jamais…

     

    Les rapports rendus lors de la 6ème session de l’IPBES, l’organe scientifique et technique pour la biodiversité qui s’est réuni du 17 au 24 mars à Medellin en Colombie, nous ont à nouveau alerté sur l’important déclin de la biodiversité mondiale que nous sommes en train de connaître. Nous consommons plus de ressources naturelles que la terre ne peut en produire.

    Sur les quatre grandes zones géographiques du monde, seule l’Amérique du sud paraît relativement épargnée avec un bilan consommation/existence des ressources positif, alors que les 3 autres zones (l’Afrique, l’Asie-Pacifique et l’Europe-Asie Centrale) sont déficitaires. Les rapports appellent ainsi à plusieurs réactions afin d’enrayer ce déclin :

    👉 Valoriser la contribution immatérielle de la diversité biologique : c’est le sens de l’approche par services écosystémiques défendue dans les différents rapports de l’IPBES, approche qui permet d’évaluer les contributions de la nature au développement des populations de manière chiffrée. Ainsi pour l’Europe et l’Asie Centrale, la valeur médiane estimée de la valeur économique des contributions immatérielles de la nature aux populations est estimée à 1117 $ par hectare et par an.

    Pour rappel, la Convention sur la diversité biologique (UN, 1992) inscrit clairement les Etats qui y sont parties, dès son article 1er, dans un objectif d’utilisation durable de la diversité biologique. A une autre échelle, la déclaration de Rio (UN, 1992) reconnaît au niveau international l’interdépendance des humains avec les espèces qui l’environnent. Elle nous invite à penser la biodiversité comme le socle de toutes nos existences tant physiologiques que culturelles.

    👉 Agir sur nos modes de production et de consommation : les rapports de l’IPBES mentionnent explicitement que cette disparition de la biodiversité est en lien direct avec les méthodes de l’agriculture productiviste et encouragent dans le même temps le maintien et le développement d’une utilisation « traditionnelle » des terres, en lien avec les populations autochtones et locales.

    Pour rappel, la Convention sur la diversité biologique (UN, 1992), reconnaît au niveau international à son article 8j la nécessité de préserver et maintenir les modes de vies traditionnels qui représentent un intérêt pour la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité.

    👉Développer et maintenir des zones protégées : les rapports nous alertent sur la réduction globale des surfaces des zones dédiées à la conservation des espèces et de leurs habitats. C’est pourtant un des outils les plus efficaces pour protéger la biodiversité, en plus bien sûr d’apprendre à vivre avec elle de manière plus respectueuse et durable.

    Pour rappel, la Convention sur la diversité biologique (UN, 1992), reconnaît au niveau international à son article 8 la nécessité pour les Etats de développer des zones protégées afin de préserver les écosystèmes. Elle rejoint en cela d’autres conventions plus ciblées comme la Convention de Ramsar sur les zones humides (UN, 1971).

    👉Construire une politique environnementale « intégrée » : les rapports de l’IPBES rappellent quasiment unanimement que la biodiversité mondiale est notre première arme pour lutter contre les grandes catastrophes environnementales, dont le réchauffement climatique. Le Docteur Anne Larigauderie, secrétaire exécutive de l’IPBES le résume ainsi : « Des écosystèmes plus riches et plus diversifiés sont plus à même de faire face aux perturbations – telles que les événements extrêmes ou l’émergence de maladies. Ils sont notre police d’assurance contre les catastrophes imprévues et, utilisé de manière durable, ils offrent également plusieurs des meilleures solutions à nos défis les plus urgents ». Il est donc nécessaire de prendre en compte à tous niveaux dans toutes nos politiques publiques, les avantages et les risques pour la biodiversité.

    Pour rappel, les objectifs d’Aïchi pour la diversité biologique (UN, 2010) et les objectifs de développement durable (UN, 2015) tracent déjà les grandes lignes d’une politique environnementale « intégrée ».

    Dès 1970, lors de la conférence environnementale mondiale de Stockholm, les États étaient alertés sur les menaces qui pesaient sur la biodiversité et délivraient de premiers engagements sur la voie de la résilience écologique. Plus de 50 ans après, alors même que nous avons développé des instruments politiques, juridiques et scientifiques à même de nous permettre de mettre en oeuvre des solutions efficaces, nous n’avons toujours pas su prendre la mesure de l’urgence. Il est plus que temps de s’y mettre !

    Article écrit par Pierre Spielewoy, référent du Groupe de Travail Juristes de Notre Affaire à Tous

  • « Référendum local » de Notre-Dame-des-Landes : fantôme juridique et déni de justice environnementale

    « Référendum local » de Notre-Dame-des-Landes : fantôme juridique et déni de justice environnementale

    Le Président de la République, François Hollande a annoncé jeudi 11 février, la tenue d’un « référendum local » pour trancher la question de la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

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    Alors qu’une étude commandée par la ministre de l’Environnement, Ségolène Royal est en cours pour essayer de trouver les alternatives possibles au projet d’aéroport, un référendum se profile pour départager le camp des anti- et des pro-NDDL.

    Un obstacle juridique

    Le « référendum local » auquel M. Hollande fait référence n’a pas de fondement juridique.

    Le référendum prévu à l’article 72-1 de la Constitution est uniquement envisageable lorsque le projet mis au vote dépend de la compétence des collectivités locales. Lorsque le projet est « porté par l’Etat », comme c’est le cas de NDDL, un référendum local est impossible.

    Mais d’autres voies existent. Contrairement à un référendum, dont le résultat constitue un vote décisionnel qui lie l’Etat, une « consultation publique » a la valeur d’un avis.

    Afin de rénover rapidement les procédures de « dialogue environnemental », un projet d’ordonnance en cours d’examen prévoit d’introduire au sein du code de l’environnement, une procédure de « consultation locale ». Elle permettra aux collectivités compétentes ou à l’Etat d’organiser un vote sur l’opportunité d’un projet local.

    Si cette ordonnance est adoptée, une consultation publique locale pourrait donc bien être organisée pour Notre-Dame-des-Landes. Mais pas un référendum.

    Un raccourci politique trompeur

    Se pourrait-il que ce conflit vieux de 50 ans soit finalement tranché de façon démocratique ?

    Juridiquement, on l’a dit, une « consultation publique » n’a pas de force contraignante. Cela a deux conséquences immédiates.

    Si les opposants au projet l’emportent, impossible pour autant de remettre en question les contrats qui ont été passé avec les entreprises. L’Etat devra donc négocier leur résiliation, ce qui représente d’exorbitantes indemnités de rupture, comme dans l’affaire des portiques de l’écotaxe.

    Si les défenseurs du projet l’emportent, celui-ci en ressortira considérablement renforcé politiquement mais ne disposera pas pour autant d’un blanc-seing juridique! Une procédure est actuellement en cours suite à la découverte de cinq espèces protégées sur la future zone de l’aéroport. La destruction d’espèces protégées est encadrée par le droit national et communautaire et doit faire l’objet d’une procédure de dérogation. Donc rien ne dit pour l’instant que le projet est viable juridiquement.

    En revanche, le résultat du vote pourrait peser sur l’obtention du permis de détruire ces espèces, un danger pour la justice environnementale qui se retrouve pris entre le marteau de l’opinion publique et l’enclume du droit.

    La justice environnementale requiert l’indépendance de l’administration et des juridictions face aux pressions extérieures. La soumettre à l’approbation populaire en aval, c’est lui ôter toute autorité.

    On ne peut donc se satisfaire de cette annonce simpliste et juridiquement incorrecte à tout niveau.

  • Loi biodiversité, de nouveaux outils de justice environnementale pourraient voir le jour

    Loi biodiversité, de nouveaux outils de justice environnementale pourraient voir le jour

     

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    Mardi 26 janvier 2016, le Sénat a adopté à une large majorité le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (1).

    On observe une prise de conscience de l’enjeu de l’équilibre entre l’Homme et la nature. Les sénateurs approuvent l’extension de la non-brevetabilité du vivant et les principes du protocole de Nagoya sur l’accès et le partage des avantages des ressources génétiques (2). On peut regretter l’absence d’engagements en matière de chalutage profond et de limitations sur l’utilisation des néonicotinoides (3) dont les effets sont pourtant potentiellement dévastateurs pour l’environnement et la biodiversité.

    Mais juridiquement, une petite révolution est en marche. Le projet de loi consacre deux avancées majeures au soutien de la justice environnementale.

     

    La reconnaissance du préjudice écologique

    Le projet de loi crée un titre consacré à la responsabilité du fait des atteintes à l’environnement dans le Code civil. Le texte prévoit que « toute personne qui cause un dommage grave et durable à l’environnement est tenue de le réparer». Cette réparation devra intervenir « prioritairement en nature » et si celle-ci n’est pas possible « par une compensation financière versée à l’Etat ».

    Depuis le jugement de l’affaire de l’Erika en 2012 qui reconnaissait pour la première fois l’existence d’un préjudice environnemental, l’inscription dans la loi n’a jamais abouti (4). L’auteur de l’amendement, le sénateur LR Bruno Retailleau (président du conseil régional de la Vendée, il défend bec et ongles le projet d’aéroport Notre-Dame-des-Landes… étrange coïncidence, mais c’est un autre sujet) tient à rappeler que le préjudice écologique a depuis été utilisé dans « des dizaines de décisions de justice, parfois contradictoires ». Il faut donc, pour plus de sécurité juridique, l’inscrire dans la loi.

    Soutenue par la ministre de l’Environnement, Ségolène Royal, cette proposition devra être complétée. Il reste des points à éclaircir: qui aura intérêt à agir pour demander la réparation du dommage environnemental (association, état ou encore collectivités territoriales)? Quel sera le délai de prescription de l’action?

    A la demande du gouvernement, le sénateur écologiste Ronan Dantec a retiré son amendement qui proposait de définir le dommage à l’environnement comme «  l’atteinte anormale aux éléments et aux fonctions des écosystèmes ainsi qu’aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement » (5). Une définition qui comprenait une dimension anthropocentrique et biocentrique intéressante.

    La proposition retenue ne contient pas de définition du préjudice écologique, ce qui juridiquement est regrettable: comment pourrait-on condamner quelqu’un pour un dommage que l’on ne sait pas définir?

     

    L’action de groupe environnementale

    Le projet de loi biodiversité voté au Sénat prévoit d’inscrire l’action de groupe environnementale dans le code de justice administrative. Elle permettrait aux associations de protection de l’environnement agréées, d’agir devant une juridiction civile ou administrative « afin d’établir que plusieurs personnes, placées dans une situation similaire, ont subi des préjudices individuels résultant d’un dommage causé à l’environnement ayant une cause commune ».

    Comme le rappelle la sénatrice SR Nicole Bonnefoy, auteur de l’amendement, cette action de groupe n’est pas ouverte pour la réparation d’un « préjudice environnemental pur, celui de l’atteinte à l’environnement en tant que bien commun ». (6) Il ne s’agit donc pas d’une reconnaissance des droits de la nature, mais plutôt d’une modernisation des outils juridiques en matière de lutte contre les dommages causés à l’environnement.

    Le rapporteur du projet de loi au Sénat, Jérôme Bignon (LR) s’est prononcé en défaveur de l’action de groupe environnementale au motif que «  le monde associatif environnemental n’est pas encore aussi structuré [que celui des associations de consommateurs cf. action de groupe née de la loi Hamon (7)] ». Totalement objective, cette remarque se passe de commentaire.

    Le ministère de l’Environnement s’est également prononcé contre cet amendement au motif que l’action de groupe est en pratique déjà ouverte pour les associations agréées. Ségolène Royal fait à l’article L 142-2 du Code de l’environnement (8). La nécessité d’introduire l’action de groupe environnementale dans le Code civil est donc à juste titre contestable (9).

    Une proposition similaire avait déjà été rejetée lors de la première lecture à l’Assemblée nationale (10). Il semble donc peu probable que l’action de groupe environnementale soit conservée dans la version finale de la loi biodiversité.

    Par contre, on pourrait observer un progrès significatif si ces deux nouveaux outils juridiques proposés par les sénateurs étaient combinés. La possibilité de demander la réparation d’un préjudice écologique par le biais d’une action de groupe réunissant associations et particuliers permettrait de reconnaître enfin des droits défendables à la nature elle-même.

    Le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité est inscrit à l’agenda de l’Assemblée nationale pour mars 2016. A suivre.