Étiquette : Climat

  • Taux d’actualisation, prix unique du carbone, marché de quotas…Comment les économistes réchauffent la planète selon Antonin Pottier

    Antonin Pottier, auteur du livre “Comment les économistes réchauffent la planète” sorti en 2016 aux Editions Seuil a disséqué les méthodes de l’analyse économique appliquées au changement climatique et les solutions économiques proposées pour y faire face : taux d’actualisation, prix unique du carbone, marché de quotas, etc… Cet ouvrage illustre avec clarté le manque d’ancrage des théories économiques, qui argumentent à partir d’un monde idéal, loin des réalités du réchauffement planétaire.

    Cet ouvrage commence par une petite blague :

    Le naufrage de leur navire a laissé un Physicien, un Chimiste et un Économiste seuls sur une île inhospitalière. Les trois rescapés ont sauvé de l’épave quelques boîtes de conserve mais ils ne peuvent les ouvrir. Après réflexion, le physicien propose de jeter les boîtes de conserve depuis le haut d’une falaise. Il a calculé que l’énergie dissipée lors du choc au sol provoquerait leur ouverture mais projetterait les trois quarts du contenu dans le sable. Le Chimiste préfère tremper les boîtes dans l’eau de mer : après vingt jours au fond de l’eau, la corrosion par le sel sera suffisante pour les ouvrir et en récupérer le contenu. Enfin, l’Économiste prend la parole : “Supposons que nous ayons un ouvre-boîte”.

    Notre Affaire à tous : Comment vous est venu l’idée de déconstruire le mode de pensée de l’Économiste” ?

    Antonin Pottier : Je cherchais à comprendre pourquoi l’action contre le changement climatique était si lente à se mettre en place. Il m’est apparu que les outils économiques jouaient un rôle dans notre incapacité à agir et que, loin d’être neutres, ils empêchaient de prendre au sérieux le réchauffement climatique et de proposer des solutions opératoires. Ce blocage entraîné par le mode de pensée de l’Économiste agit selon moi à deux niveaux, celui du diagnostic et celui des solutions. Au niveau du diagnostic, les calculs des dommages économiques du changement climatique le font apparaître comme un phénomène bénin, rapidement effacé par quelques années de croissance. Au niveau des solutions, l’Économiste se concentre sur une solution simple: il suffit de mettre un prix sur les émissions de CO2 et de laisser faire ensuite les incitations économiques pour baisser les émissions. Pour être efficace ce prix doit, dit-on, être unique dans tous les pays et tous lessecteurs. Cette prétendue solution n’est pas opératoire. Au niveau européen, le marché de quotas de CO2 a connu de graves dysfonctionnements et n’a pas permis de réduire les émissions. Au niveau des négociations internationales, viser un prix unique du CO2 entrave toute action: soit le prix est trop bas et il ne déclenche aucune transformation dans les pays développés, soit le prix est trop haut et inacceptable pour les pays en développement. Pour sortir de ce dilemme, il faut des prix différenciés et plus généralement toute une palette de mesures qui accompagnent ou qui remplacent les prix.

    NAAT : Vous posez la question : “Quelle est la vision du monde qui permet d’être à l’aise avec des dommages d’au plus une dizaine de point du PIN (produit intérieur net) pour une hausse de 6°C ?”

    A. P. : Comme les évaluations économiques des dommages donnaient ces chiffres, je me suis effectivement demandé dans quelle vision du monde ces résultats n’étaient pas délirants. S’ils le sont pour les scientifiques de la nature, c’est parce que pour eux, 6°C de plus représente un bouleversement considérable pour les espèces vivantes et détruirait les fragiles associations qui lient les espèces aux autres. Ce qui survivrait à ce carnage est imprévisible et les assemblages de vie qui se formeraient sont rigoureusement inimaginables. Pour l’Économiste en revanche, les sociétés humaines peuvent s’abstraire de la nature et s’adapter à de nouvelles conditions. L’essentiel est de saisir les opportunités offertes par le changement et cela grâce à des marchés en parfait état de marche. En somme, des marchés impeccablement huilés sont le seul moyen pour la société de résister aux chocs. En creux, avec ce genre de chiffres, l’Économiste exprime sa confiance aveugle dans la résistance de l’économie de marché, organisation sociale née il y a à peine deux siècles.

    NAAT : Pourtant les premiers effets sociétaux du changement climatique sont déjà bien présents aujourd’hui 

    A. P. : Les premiers effets du réchauffement sont effectivement visibles et en premier lieu dans la production agricole des pays les moins développés. Ceux-ci sont incapables de faire face aux effets négatifs du réchauffement et cela crée de fortes tensions sociales. Des réactions en chaîne peuvent se produire lorsque les tensions amplifient les fractures politiques, ethniques ou religieuses préexistantes. Un exemple tragique d’un tel enchaînement est la guerre civile en Syrie qui est en partie la conséquence d’une sécheresse hors-norme qui a frappé la région. Mais on peut aussi citer des exemples moins sanglants comme la submersion progressive des petites îles du Pacifique, menaçant les habitants et leur culture. La diversité et l’ampleur des bouleversements sociaux sont très mal exprimées par une perte de PIB. Appréhender les effets du réchauffement par les pertes de production cache toutes les expériences humaines liées au bouleversement du climat et révèle l’aveuglement des économistes.

    NAAT : Vous abordez dans votre livre la question du “taux d’actualisation”, de quoi s’agit-il ?

    A. P. : Le taux d’actualisation est essentiel pour comparer des bénéfices futurs avec des coûts actuels. D’une certaine manière, il correspond au prix que l’on donne au futur. Plus le taux est fort, moins le futur a d’importance. En prenant un taux inférieur à 2%, l’économiste Nicholas Stern justifiait des politiques climatiques ambitieuses. Mais pour la plupart des économistes, le taux d’actualisation choisie par la puissance publique devrait coïncider avec le taux d’intérêt observé usuellement sur les marchés, entre 4% et 6%, ce qui condamne toute action contre le réchauffement. Cela revient à aligner une décision politique, qui met en jeu l’avenir de la collectivité, avec des décisions prises par les individus pour eux-mêmes, dans leurs achats ou leurs placements d’épargne.

    NAAT : Pourtant les décisions politiques devraient avoir plus de force que les décisions prises par les marchés ?

    A. P. : Les décisions politiques, prises après délibération dans un cadre démocratique, ont une légitimité supérieure aux transactions marchandes. Mais le discours économique exerce un attrait certain sur les décideurs politiques qui se veulent hommes d’action. D’une part parce qu’il propose des leviers facilement actionnables, traduisibles en mesures directes. D’autre part, parce qu’il affranchit de la décision, puisque le niveau de prix est dicté par le calcul économique. Le prix du carbone devient l’outil rêvé, alors qu’en réalité il est horriblement difficile à mettre en place. Des réponses sectorielles peuvent être plus effectives et efficaces mais elles sont difficiles à défendre face à une solution globale et prétendument simple. Or c’est justement l’illusion de l’ouvre-boîte !

    Par Marine Calmet

  • Criminaliser l’écocide, un enjeu pour demain ?

    Dans l’émission de France Culture « La Grande table », diffusée fin octobre, Valérie Cabanes*, juriste et cofondatrice de l’association Notre affaire à tous, est venue expliquer le concept d’écocide et la nécessité de le criminaliser pour assurer la survie des générations futures. Quelques jours plus tard, elle était de nouveau l’invitée de France culture dans l’émission « Les Nouvelles vagues », aux côtés de Marie Toussaint, présidente de Notre affaire à tous et de Christophe Bonneuil, historien des sciences et de l’environnement.

    Non, le monde ne tourne pas rond. Et les illustrations de cet état de délabrement sont criantes, énumérées à l’antenne de France Culture par Valérie Cabanes, juriste, porte-parole du mouvement Ecocide on Earth et cofondatrice de Notre affaire à tous : « Nous avons franchi un certain nombre de limites planétaires, définies par le Stockholm Resilience centre en 2009, au-delà desquelles la vie n’est plus en capacité de se régénérer».

    Ces limites planétaires, les voici : les principales sont le changement climatique qui est devenu irréversible et qui va devenir intolérable pour de nombreuses populations et le seuil d’érosion de la biodiversité qui a été dépassé, nous entraînant dans une 6e extinction des espèces. Celui de l’acidification de l’océan menace la vie marine. La pollution des sols et les rejets écotoxiques compromettent la santé des générations à venir. Enfin, la déforestation massive se poursuit.

    Un tableau peu réjouissant qui s’accompagne d’une pluie de conséquences dramatiques. « Dans les décennies qui viennent, s’alarme Valérie Cabanes lors de l’émission « Les Nouvelles vagues », on s’attend à 60 millions de réfugiés climatiques d’Afrique subsaharienne et 250 millions dans le monde entier d’ici 2050. Et si l’on garde ce cap industriel qui nous mène vers +3° à + 4°, c’est probablement une personne sur sept devra quitter son domicile. » En cause, les sécheresses à répétition, la famine, la montée des eaux…

    « Nous sommes la nature »

    Face à ces prévisions apocalyptiques, la juriste exhorte à sortir d’un état de sidération, voire de déni. Surtout, il est essentiel de repenser notre rapport à la nature : « Nous sommes la nature. Il n’y a pas l’homme exclu de son environnement. L’humain est interdépendant de tous les cycles écologiques […] A partir du moment où l’on s’exclut de cet environnement-là, on se conduit d’une manière qui met en danger les conditions d’existence des générations à venir. » Plus encore, pour l’historien Christian Bonneuil, « ce que nous vivons n’est pas juste une crise écologique globale, mais un basculement géologique, un basculement pour la terre ».

    L’urgence est constituée, et les juristes de l’association Notre affaire à tous militent pour une reconnaissance de l’écocide** – terme qui désigne cette atteinte portée à l’habitabilité de la terre – comme 5ème crime reconnu par la Cour pénale internationale. « L’écocide nous oblige à sortir du champ juridique actuel, à établir de nouvelles valeurs, à créer de nouveaux sujets de droits », tels que « la reconnaissance de droits à l’écosystème terre », mais aussi la prise en compte de «l’intérêt des générations futures », développe Valérie Cabanes. Il deviendrait alors possible, grâce à un nouveau cadre juridique contraignant, d’ester en justice au nom de l’écosystème terre et au nom du droit des générations futures à jouir d’un environnement sain. Autrement dit, criminaliser l’écocide permettrait d’engager « la responsabilité pénale des dirigeants des multinationales », « discipliner les activités industrielles qui polluent et menacent de façon globale l’existence des personnes actuelles et celles à venir ».

    Bien que la bataille juridique se livre à l’échelle des grandes instances internationales, sa présidente Marie Toussaint a précisé également – à l’antenne de l’émission « Les Nouvelles vagues » – qu’à l’échelle nationale, l’association Notre affaire à tous agit aussi pour que « la France œuvre autant qu’elle le doit du fait de sa responsabilité historique pour ne pas dépasser le réchauffement planétaire de 1,5°C, ainsi que nous y incite l’Accord de Paris. »

    « Pays les plus vulnérables »

    Reste que les militants de ce mouvement doivent faire face aux oppositions des grandes puissances, prêtes à tout pour défendre leurs intérêts. Pour Valérie Cabanes, l’espoir repose en partie sur la Cour pénale internationale, dans la mesure où, contrairement à l’ONU, les Etats qui en sont signataires sont égaux dans leurs votes. « Or, sur les 124 Etats parties de la CPI, plus des 2/3 ont la volonté de créer un cadre contraignant pour l’activité des multinationales et des états complices ou qui les subventionnent. Pour adopter un amendement au Statut de Rome, il faut obtenir 2/3 des votes des Etats parties à la CPI ». Ainsi, « l’espoir vient des pays les plus vulnérables ». En attendant, et face aux obstacles politiques, économiques et juridiques qui se dressent, « nous demandons aux juges d’être courageux et de créer des jurisprudences, de façon à ce que le droit évolue vers la reconnaissance de l’écocide dans le droit international », enjoint la juriste.

    Si le mot écocide est d’ores et déjà accepté au scrabble, le voir inscrit dans le droit international reste un défi à la charge de la société civile. Pour qu’un jour proche, des tribunaux comme celui, symbolique, qui a jugé la firme Monsanto à la Haye fin octobre 2016, deviennent enfin réalité.

    Par Elodie Crézé

     

    *Valérie Cabanes est l’auteure de l’ouvrage « Un nouveau droit pour la terre, pour en finir avec l’écocide », publié aux éditions du Seuil (2016).

    ** Terme employé pour la première fois en 1966 pour qualifier le crime de guerre qu’a constitué l’usage d’un défoliant appelé «agent orange», par l’armée américaine lors de la guerre du Vietnam

    A écouter :

    La Grande table, France culture : « Écocide : faut-il repenser les droits de la Terre ? » émission du 21 octobre 2016

    Les Nouvelles vagues, France culture : « Pour en finir avec l’«écocide» » émission du 31 octobre 2016

  • Changement climatique au Pérou: l’action de David contre Goliath

    Traduit de l’allemand (retrouvez l’article d’origine sur Euractiv)

    C’est le premier recours de la sorte en Europe – et cela pourrait bien aller plus loin. Un agriculteur péruvien a poursuivi le géant de l’énergie RWE (“Rheinisch-Westfälisches Elektrizitätswerk”, conglomérat allemand de la région du Rhin-Westphalie), qu’il tient pour co-responsable du changement climatique sur sa terre natale.

    Crédit photo Edubucher

    Le guide de montagne péruvien Saúl Luciano Lliuya avait un grand objectif – moins sur le plan financier, mais pour le moins symbolique. Il voulait faire en sorte que la société d’énergie RWE soit condamnée à payer une partie des sommes nécessaires à la protection contre les effets du changement climatique dans sa région. Mais son action en dommages-intérêts contre le géant de l’énergie a échoué. C’est ce qu’a décidé le “Landgericht” (équivalent du tribunal de grande instance régional) de la ville d’Essen ce jeudi.

    Ceci pourrait cependant ne pas être le fin mot de l’histoire

    En effet, le tribunal a néanmoins consenti à faire un pas en avant et à suivre l’argumentation de l’agriculteur sur le plan moral. Bien qu’il constate l’absence de «causalité juridique», il n’exclut pas l’existence d’une «causalité scientifique». L’avocate de Lliuyas, Roda Verheyen a annoncé que son client ferait « probablement » appel de la décision devant la Haute cour de la ville de Hamm. Dans ce cas, il faudra que le demandeur apporte la preuve dans le détail que les agissements de la société RWE impliquent sa responsabilité pour la mise en danger de la propriété de Luciano Lliuya.

    Celui-ci s’est montré confiant, il espère qu’un tribunal allemand lui donnera la chance « de démontrer que RWE est conjointement responsable de notre situation dangereuse ».

    Ce recours qui est largement passé inaperçu dans l’opinion publique est le premier de la sorte en Europe. Dans la région d’origine de l’agriculteur péruvien, la ville de 120.000 habitants Huara, est menacée par un risque important d’inondation en raison de la fonte massive des glaciers. Le GIEC attribue la fonte des glaciers dans les Andes au changement climatique. À Huara, les études estiment que jusqu’à 50.000 personnes pourraient être victimes d’un tsunami dévastateur si un effondrement glacier survenait sur le lac Palcacocha .

    Le lac, à quelques kilomètres au-dessus de la ville, a vu sa taille quadrupler depuis 2003. Avec le changement climatique, le risque que de grands blocs de glace se détachent du glacier et tombent dans le lac, augmente significativement. Pour éviter le danger d’un raz-de-marée, il serait indispensable de régulièrement pomper de grandes quantités d’eau dans le lac par un nouveau système de drainage et de consolider les digues autour du lac ou d’en construire de nouvelles.

    Dans sa poursuite civile déposée fin 2015, Lliuya réclamait que RWE soit condamnée à financer les mesures de protection sur le glacier au-dessus de la ville andine à hauteur de sa contribution au réchauffement climatique. Sa démarche est soutenue par l’association environnementale Germanwatch.

    Les sommes réclamées représentent environ 17.000 euros. La société RWE, qui est un des plus grands émetteurs de CO2 en Europe, refuse de payer.

    Responsabilité historique, irresponsabilité juridique

    Selon une étude de 2014, la société d’énergie serait responsable d’environ un demi pour cent de toutes les émissions de gaz à effet de serre qui ont été globalement émises par l’action humaine depuis le début de l’industrialisation !

    Klaus Milke, président de l’association allemande Germanwatch, explique le nœud de la question : “Est ce que les principaux responsables du changement climatique peuvent écarter leur responsabilité, avec pour seul argument qu’il existe un grand nombre de coresponsables ? Pour les personnes directement touchées par le changement climatique, cela revient à en faire des victimes à la fois dépourvue de soutien matériel mais aussi de recours juridique, dit-il. Ce serait un argument en faveur de l’irresponsabilité collective. »

    Pour l’association Notre affaire à tous, ce recours met en lumière le décalage actuel entre les outils juridiques disponibles et les besoins ressentis par les victimes du changement climatique. Malgré la responsabilité scientifique évidente des grands émetteurs, le juge reste encore dépourvu d’instruments assez neufs pour rendre une justice équilibrée et trouver des solutions innovantes.

    Ce recours est emblématique de toute l’ingéniosité des défenseurs de la justice climatique. Qu’ils soient agriculteurs ou écoliers, avocats ou parents, face au refus de la société industrialisée d’agir et de réparer ses erreurs, il faut croire que la justice verra se former des recours toujours plus créatifs pour mettre les entreprises et les Etats face à leurs responsabilités.

  • Le droit à l’eau, un nouvel outil juridique face aux industries extractivistes ?

    Le droit à l’eau, un nouvel outil juridique face aux industries extractivistes ?

    A l’occasion de la publication du rapport « Droit à l’eau et industries extractives : la responsabilité des multinationales », l’association France Libertés et l’Observatoire des multinationales ont tenu une conférence le 30 mai dernier afin de présenter leurs conclusions.

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    « C’est l’aboutissement d’un long partenariat : dix-huit mois de recherches », souligne Olivier Petitjean de l’Observatoire des multinationales. Cette association dont la mission est d’analyser les impacts sociaux, environnementaux et économiques des grandes entreprises françaises, a étudié plusieurs dizaines de cas rassemblant les problématiques de l’eau et de l’activité extractiviste. « Nous nous sommes intéressés à ce secteur parce qu’on annonce actuellement la reprise des exploitations de gaz de schiste et de gaz de couche en France, notamment en Lorraine», souligne Olivier Petitjean. En Guyane, des gisements d’or sont souvent exploités illégalement, à grands frais pour l’environnement.

    Qu’est ce que l’extractivisme ?

    « C’est un modèle qui est basé sur l’excès. Il repose sur la captation d’une grande quantité de ressources, notamment en eau »

    Alice Richomme de l’association France Libertés a tenu à rappeler que l’extractivisme est la première étape du modèle économique actuel, reposant également sur le productivisme et le consumérisme.

    L’extractivisme est un terme négatif utilisé pour dénommer ces pratiques parce qu’elles mettent en péril le droit à un environnement sain, le droit à l’eau, qu’elles détruisent également le lien social, économique et la santé des populations directement affectées par son développement. A titre d’exemple, la lutte des populations équatoriennes contre l’entreprise pétrolière Chevron qui refuse toujours d’indemniser les victimes de ses forages destructeurs pour l’environnement local.

    Les scientifiques Thibaud Saint-Aubin et Théo Roche de l’association Ingénieurs Sans Frontières se sont penchés sur les impacts de la mine, le sanctuaire de l’activité extractiviste. Conclusion : « la mine durable et responsable est un mythe ! » On retrouve sur tous les projets des conséquences environnementales majeures liées à la destruction des espaces naturels et à la contamination de ces milieux. « Le projet du géant minier Alpha coal en Australie ravage la grande barrière de corail« , rappelle Thibaud pour n’en citer qu’un.

    Mais quel est le rapport avec l’eau ?

    La question de l’eau revient systématiquement quand on étudie des projets extrativistes. Leurs impacts sont graves et la plupart du temps irréversibles, « une mine à une durée de vie limitée de 10 ans, mais elle peut condamner définitivement les ressources en eau », rappelle Olivier Petitjean. Au-delà du simple risque inhérent de pollution, l’industrie extractiviste peut conduire à la destruction du cycle de l’eau et à la disparition de la continuité écologique en raison de la construction de barrages hydroélectriques nécessaires pour alimenter la mine en énergie.

    « Prendre en compte ces réalités environnementales nécessite de se projeter sur le long terme, une perspective qui n’existe pas pour les multinationales »

    Les auteurs du rapport constatent que les formes de régulation qui existent ne sont pas appliquées sur le terrain et restent au stade formel. Le rapport de forces entre les entreprises et les communautés locales est le plus souvent totalement disproportionné. Les opposants aux projets industriels font l’objet de pressions, parfois économiques et juridiques, mais également physiques. A ce propos, Alice Richomme soulignait qu’en 2014, le nombre d’activistes morts pour avoir défendu l’environnement s’élevait à plus de 900 dans la dernière décennie selon les chiffres de l’ONG Global Witness.

    Droit à l’eau : un outil juridique et un droit politique :

    Le 28 juillet 2010, l’Assemblée générale des Nations unies reconnaissait « le droit à l’eau potable salubre et propre«  comme un droit fondamental de l’Homme. Mais depuis, il faut constater que son application est restée limitée.

    Pour les auteurs du rapport, le droit à l’eau « peut jouer un rôle pour permettre aux communautés ou aux collectivités locales de limiter les impacts d’un projet extractif, voire empêcher qu’il voit le jour« . Mais cela nécessite une traduction juridique opérationnelle de ce principe afin de permettre aux populations touchées de s’en saisir.

    L’accès à cette ressource vitale ne peut être compris comme la seule fourniture d’eau potable. Une conception élargie doit comprendre la garantie de l’autonomie des peuples à accéder aux réserves et l’innocuité de leur utilisation pour les populations locales. En effet, une eau contaminée condamne les moyens de subsistance traditionnels, tel que la pêche ou l’agriculture.

    Mountain top removal
    Technique du « mountain top removal » : les gisements sont exploités en décapitant les montagnes

    On peut d’ores et déjà constater des victoires environnementales grâce à la reconnaissance d’un droit à l’eau opposable aux entreprises. C’est le cas de la condamnation de l’entreprise gazière américaine ExxonMobil dans les Appalaches sur le fondement du Clean Water Act américain, adopté en 1972. Le rapport cite également un cas français, dans lequel le maire de la ville de Guitrancourt a fait reconnaître d’ »utilité publique » les ressources en eau pour s’opposer à l’exploitation d’une carrière de calcaire dangereuse pour les réserves aquifères. Mais l’Etat a parallèlement déclaré la mine d’utilité publique… Un bras de fer s’est donc engagé entre le droit à l’eau des populations locales et l’industrie du calcaire.

    En France, quelles perspectives pour le droit à l’eau ?

    Après un travail mené en concertation avec la fondation France Libertés et la Coalition Eau, des députés ont déposé une proposition de loi visant le « droit humain à l’eau potable et à l’assainissement ». Elle sera discutée à l’Assemblée nationale le 14 juin prochain. Ce texte reconnaît « le droit pour chaque personne, de disposer chaque jour d’une quantité suffisante d’eau potable pour répondre à ses besoins élémentaires« . Pour l’instant, il vise principalement l’accès « financier » à l’eau et prévoit des mesures sociales pour assurer à chacun des moyens budgétaires suffisants et un accès à des équipements sanitaires.

    Mais la proposition de loi reflète tout de même une évolution des mentalités par rapport au droit à l’eau. Dans le domaine de la responsabilité des entreprises, le texte s’appuie sur l’article L. 210-1 du code de l’environnement qui prévoit que l’eau « fait partie du patrimoine commun de la nation« , pour justifier la taxation des industriels producteurs d’eau en bouteille (qui bénéficient quasi-gratuitement de cette ressource) pour financer les mesures sociales garantissant l’accès « réel » à l’eau.

    La proposition de loi prévoit également d’inscrire dans le Code de la santé publique, l’obligation pour les collectivités d’installer des points d’eau potable destinés à l’accès public, gratuit et non discriminatoire « en vue de mettre en œuvre le droit de vivre dans un environnement équilibré, d’assurer la salubrité publique et la dignité de tous « . Cette formulation ouvre un champ de perspectives nouvelles pour la protection de l’environnement et d’un droit élargi à l’eau.

    A suivre !

  • L’Accord de Paris franchira une étape cruciale à New-York

    L’Accord de Paris franchira une étape cruciale à New-York

    Vendredi 22 avril 2016, le Secrétaire-Général de l’ONU, Ban Ki-Moon, assurera la cérémonie d’ouverture du processus de signature de l’Accord de Paris, au siège des Nations Unies, à New-York.

    Le 22 avril, c’est aussi la 46ème journée de la Terre, ou Earth Day. Lancée en 1970, cette initiative vise à sensibiliser les hommes et les femmes aux enjeux environnementaux.

    Curieux hasard du calendrier, ce jeudi 21 avril se tient à Paris le Sommet International du Pétrole. A l’ordre du jour des réunions regroupant les chefs d’entreprise des plus grandes compagnies pétrolières mondiales, des questions cruciales pour les extractivistes : « quelles seront les conséquences de la Cop21 pour l’industrie du pétrole? » « quelle sera l’évolution des prix du pétrole à court et à long terme? ». 300 militants étaient présents sur place pour bloquer l’accès à la conférence et rappeler les objectifs de la COP 21: laisser les énergies fossiles dans le sol !

    Le décor est posé et l’occasion toute trouvée pour faire le point sur les enjeux de la ratification de l’Accord de Paris.

    Ban KI-moon articleNAAT

    Lancement du processus d’adoption de l’Accord de Paris

    La première étape du processus d’adoption sera donc lancée demain lorsque l’Accord de la COP21 sera ouvert à la signature.. Chaque Etat devra ensuite le ratifier selon la procédure inhérente à son système légal national. Cette convention entrera en vigueur quand au moins 55 Etats, représentant au moins 55% des émissions de carbone global, l’auront signé et ratifié.

    L’Accord de Paris adopté le 12 décembre 2015, s’est fixé comme objectif de stabiliser le réchauffement climatique dû aux activités humaines « nettement en dessous » de 2°C d’ici à 2100 (par rapport à l’ère préindustrielle), en renforçant les efforts pour atteindre la cible de 1,5°C. L’objectif est ambitieux.

    130 gouvernements sont attendus vendredi à New-York. François Hollande et Manuel Valls devraient y assister. On ne sait pas quels Etats vont signer, ni à quel rythme les ratifications vont ensuite intervenir. Mais il faut s’activer. Le processus de ratification peut être long et le climat n’attend pas.

    L’ampleur de la tâche et la révision des ambitions

    Actuellement, les niveaux d’émissions prévus en 2030 ne sont pas compatibles avec les scénarios de limitation du réchauffement sous la barre des 2°C. Les premières évaluations montrent que la trajectoire globale de réchauffement est proche de 3°C à l’horizon 2100.

    Le Dr John Sterman du MIT s’alarme :

    « Les engagements actuellement contenus dans l’Accord de Paris reportent les réductions d’émissions nécessaires pour maintenir le réchauffement en dessous de 2°C après 2030. D’ici là, des infrastructures supplémentaires de combustibles fossiles auront été construites, devenant des actifs risqués pour les entreprises mais aussi pour les citoyens qui les ont financés»

    Les efforts nationaux de réduction doivent non seulement être plus importants, mais les actions climatiques, c’est maintenant ! Une révision immédiate de l’ambition climatique des programmes nationaux sans attendre la révision tous les 5 ans des contributions (INDC). Le Préambule de l’Accord de Paris reconnaît lui-même que les pays peuvent appliquer l’Accord avant qu’il soit en vigueur.

    L’ampleur de la lutte climatique invite donc les Etats à prendre des mesures plus ambitieuses dès que possible, et notamment la France et l’Union européenne (UE) qui prétendent jouer les bons élèves.

    La France, un acteur exemplaire ?

    Selon Ségolène Royal ministre de l’Environnement et nouvelle présidente de la COP21 jusqu’à novembre 2016, la France doit être exemplaire. Un projet de loi de ratification sera examiné par le Conseil d’Etat juste après la signature de l’Accord par le Président Hollande, le 22 avril à New-York. Ensuite le projet de loi serait présenté en Conseil des ministres pour ensuite être soumis au Parlement français au cours de l’été 2016.

    La France veut être exemplaire, qu’elle le soit dès maintenant. En confirmant son intention de ratifier l’Accord de Paris, la France s’engagerait donc à maintenir le réchauffement climatique sous la barre des 2°C.

    Désinvestissement des énergies fossiles, sortie du nucléaire et reconversion totale vers les énergies renouvelables, la France a des efforts à faire sur de nombreux sujets pour être « exemplaire ».

    Suspens outre-Atlantique

    La lutte contre les changements climatiques requiert des efforts la part de tous et la participation des USA est indispensable à la réussite de ce challenge mondial. Heureusement, l’administration Obama affirme pouvoir signer l’Accord de Paris cette année.

    Une opposition entre la Cour suprême et l’administration avait récemment conduit à une remise en question de l’Accord de Paris aux USA. Cette juridiction est la plus haute instance du pouvoir judiciaire des Etats-Unis et jouit d’un pouvoir (politique) immense, capable de bloquer des réformes de la société américaine, comme le Plan Energie propre soutenu par l’administration Obama et indispensable à la réalisation des objectifs de l’Accord de Paris.

    Or, le doyen conservateur des juges de la Cour suprême, Scalia, est récemment décédé. Désormais, il y a une parité parfaite entre quatre juges conservateurs, défavorables à l’Accord de Paris et quatre autres considérés comme progressistes.

    Barack Obama a déclaré :

    « Paris a représenté un tel moment, c’est un accord difficilement gagné, pour lequel tout le monde s’est battu. Si les États-Unis s’en détournaient et l’abandonnaient, cela donnerait inévitablement au pays une piètre image diplomatique. Ce qu’aucun président de n’importe quel parti pourrait assumer»

    Le Sénat doit encore valider le choix du successeur à la Cour suprême, mais les Etats-Unis devraient contribuer au futur accord pour le climat.

    Union européenne, se réapproprier le leadership en 2016

    Même impératif pour l’UE qui se prétend leader des négociations climat. Pour être à la hauteur des objectifs affichés lors de la COP21, l’UE doit revoir ses objectifs d’efficacité énergétique et de développement des énergies renouvelables pour 2030, estime le WWF. Les outils de régulation, comme par exemple, la tarification du carbone devrait être renforcés. Stagnant à 5 euros/tonne, le prix du carbone empêche la reprise d’une politique de décarbonisation efficace. Un rapport est attendu pour juillet 2016, Ségolène Royal présidait justement la première réunion de la Coalition pour le leadership en matière de tarification du carbone qui s’est tenue le 15 avril dernier à Washington.

    Pas simple donc pour que l’UE rehausse sa politique climatique.

    Deux options s’ouvrent à la Commission européenne, organe exécutif de l’UE. Soit elle attend que tous les 28 pays membres ratifient l’accord, mais cela peut prendre entre 2 et 3 ans (et on peut douter de la Pologne). Soit elle définit et met en place une procédure accélérée permettant une ratification de l’accord par la Commission d’ici à la fin de l’année 2016.

    Beaucoup de discussions s’annoncent donc au prochain sommet européen en juin. La Commission aura alors deux questions à trancher : la répartition des efforts à fournir et les détails de la procédure accélérée de ratification.

    La fin de 2016 en fanfare

    L’année 2016 doit donc voir la clarification de la stratégie climatique européenne, française et des autres pays qui vont signer et ratifier l’accord. L’opinion consciente des risques climatiques et les acteurs économiques et financiers attendent ces signaux et le balisage vers une économie bas carbone.

    Quelles sont les échéances à venir ?

    Les 4 et 5 septembre : sommet du G20, à Hangzou en Chine. A l’ordre du jour de cette conférence : le développement de la finance verte, une des priorités affichées par Pékin pour le G20. On attend aussi des précisions concernant la mobilisation des financements pour la mise en oeuvre de l’accord de Paris.

    Le 13 septembre : Asssemblée générale de l’ONU, à New York.

    Du 26 au 28 septembre : le rendez-vous Climate chance à Nantes. Premier sommet mondial des acteurs du climat a vocation à mobiliser les collectivités locales, entreprises, société civile… pour promouvoir leurs actions et leurs engagements.

    Cerise sur le gâteau, du 27 septembre au 7 octobre : 39ème assemblée de l’Organisation de l’aviation civile internationale, à Montréal, au Canada. On y attend un accord sur les émissions de l’aviation, secteur non pris en compte dans l’Accord de Paris et qui se situe pourtant dans les dix premiers secteurs émetteurs de CO2 du monde.

    Enfin, du 7 au 18 novembre 2016, la COP 22 à Marrakech, au Maroc. Cette conférence aura pour objectif le renforcement des niveaux de coopération entre Etats membres ainsi que l’analyse des premiers résultats de l’Accord de Paris.

    La transition vers un monde faiblement carbonné annonce un chemin long et laborieux, où nous devrons, plus que jamais nous mobiliser !

    Par Edouard Raffin