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  • Changement climatique au Pérou: l’action de David contre Goliath

    Traduit de l’allemand (retrouvez l’article d’origine sur Euractiv)

    C’est le premier recours de la sorte en Europe – et cela pourrait bien aller plus loin. Un agriculteur péruvien a poursuivi le géant de l’énergie RWE (“Rheinisch-Westfälisches Elektrizitätswerk”, conglomérat allemand de la région du Rhin-Westphalie), qu’il tient pour co-responsable du changement climatique sur sa terre natale.

    Crédit photo Edubucher

    Le guide de montagne péruvien Saúl Luciano Lliuya avait un grand objectif – moins sur le plan financier, mais pour le moins symbolique. Il voulait faire en sorte que la société d’énergie RWE soit condamnée à payer une partie des sommes nécessaires à la protection contre les effets du changement climatique dans sa région. Mais son action en dommages-intérêts contre le géant de l’énergie a échoué. C’est ce qu’a décidé le “Landgericht” (équivalent du tribunal de grande instance régional) de la ville d’Essen ce jeudi.

    Ceci pourrait cependant ne pas être le fin mot de l’histoire

    En effet, le tribunal a néanmoins consenti à faire un pas en avant et à suivre l’argumentation de l’agriculteur sur le plan moral. Bien qu’il constate l’absence de «causalité juridique», il n’exclut pas l’existence d’une «causalité scientifique». L’avocate de Lliuyas, Roda Verheyen a annoncé que son client ferait « probablement » appel de la décision devant la Haute cour de la ville de Hamm. Dans ce cas, il faudra que le demandeur apporte la preuve dans le détail que les agissements de la société RWE impliquent sa responsabilité pour la mise en danger de la propriété de Luciano Lliuya.

    Celui-ci s’est montré confiant, il espère qu’un tribunal allemand lui donnera la chance « de démontrer que RWE est conjointement responsable de notre situation dangereuse ».

    Ce recours qui est largement passé inaperçu dans l’opinion publique est le premier de la sorte en Europe. Dans la région d’origine de l’agriculteur péruvien, la ville de 120.000 habitants Huara, est menacée par un risque important d’inondation en raison de la fonte massive des glaciers. Le GIEC attribue la fonte des glaciers dans les Andes au changement climatique. À Huara, les études estiment que jusqu’à 50.000 personnes pourraient être victimes d’un tsunami dévastateur si un effondrement glacier survenait sur le lac Palcacocha .

    Le lac, à quelques kilomètres au-dessus de la ville, a vu sa taille quadrupler depuis 2003. Avec le changement climatique, le risque que de grands blocs de glace se détachent du glacier et tombent dans le lac, augmente significativement. Pour éviter le danger d’un raz-de-marée, il serait indispensable de régulièrement pomper de grandes quantités d’eau dans le lac par un nouveau système de drainage et de consolider les digues autour du lac ou d’en construire de nouvelles.

    Dans sa poursuite civile déposée fin 2015, Lliuya réclamait que RWE soit condamnée à financer les mesures de protection sur le glacier au-dessus de la ville andine à hauteur de sa contribution au réchauffement climatique. Sa démarche est soutenue par l’association environnementale Germanwatch.

    Les sommes réclamées représentent environ 17.000 euros. La société RWE, qui est un des plus grands émetteurs de CO2 en Europe, refuse de payer.

    Responsabilité historique, irresponsabilité juridique

    Selon une étude de 2014, la société d’énergie serait responsable d’environ un demi pour cent de toutes les émissions de gaz à effet de serre qui ont été globalement émises par l’action humaine depuis le début de l’industrialisation !

    Klaus Milke, président de l’association allemande Germanwatch, explique le nœud de la question : “Est ce que les principaux responsables du changement climatique peuvent écarter leur responsabilité, avec pour seul argument qu’il existe un grand nombre de coresponsables ? Pour les personnes directement touchées par le changement climatique, cela revient à en faire des victimes à la fois dépourvue de soutien matériel mais aussi de recours juridique, dit-il. Ce serait un argument en faveur de l’irresponsabilité collective. »

    Pour l’association Notre affaire à tous, ce recours met en lumière le décalage actuel entre les outils juridiques disponibles et les besoins ressentis par les victimes du changement climatique. Malgré la responsabilité scientifique évidente des grands émetteurs, le juge reste encore dépourvu d’instruments assez neufs pour rendre une justice équilibrée et trouver des solutions innovantes.

    Ce recours est emblématique de toute l’ingéniosité des défenseurs de la justice climatique. Qu’ils soient agriculteurs ou écoliers, avocats ou parents, face au refus de la société industrialisée d’agir et de réparer ses erreurs, il faut croire que la justice verra se former des recours toujours plus créatifs pour mettre les entreprises et les Etats face à leurs responsabilités.

  • Le droit à l’eau, un nouvel outil juridique face aux industries extractivistes ?

    Le droit à l’eau, un nouvel outil juridique face aux industries extractivistes ?

    A l’occasion de la publication du rapport « Droit à l’eau et industries extractives : la responsabilité des multinationales », l’association France Libertés et l’Observatoire des multinationales ont tenu une conférence le 30 mai dernier afin de présenter leurs conclusions.

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    « C’est l’aboutissement d’un long partenariat : dix-huit mois de recherches », souligne Olivier Petitjean de l’Observatoire des multinationales. Cette association dont la mission est d’analyser les impacts sociaux, environnementaux et économiques des grandes entreprises françaises, a étudié plusieurs dizaines de cas rassemblant les problématiques de l’eau et de l’activité extractiviste. « Nous nous sommes intéressés à ce secteur parce qu’on annonce actuellement la reprise des exploitations de gaz de schiste et de gaz de couche en France, notamment en Lorraine», souligne Olivier Petitjean. En Guyane, des gisements d’or sont souvent exploités illégalement, à grands frais pour l’environnement.

    Qu’est ce que l’extractivisme ?

    « C’est un modèle qui est basé sur l’excès. Il repose sur la captation d’une grande quantité de ressources, notamment en eau »

    Alice Richomme de l’association France Libertés a tenu à rappeler que l’extractivisme est la première étape du modèle économique actuel, reposant également sur le productivisme et le consumérisme.

    L’extractivisme est un terme négatif utilisé pour dénommer ces pratiques parce qu’elles mettent en péril le droit à un environnement sain, le droit à l’eau, qu’elles détruisent également le lien social, économique et la santé des populations directement affectées par son développement. A titre d’exemple, la lutte des populations équatoriennes contre l’entreprise pétrolière Chevron qui refuse toujours d’indemniser les victimes de ses forages destructeurs pour l’environnement local.

    Les scientifiques Thibaud Saint-Aubin et Théo Roche de l’association Ingénieurs Sans Frontières se sont penchés sur les impacts de la mine, le sanctuaire de l’activité extractiviste. Conclusion : « la mine durable et responsable est un mythe ! » On retrouve sur tous les projets des conséquences environnementales majeures liées à la destruction des espaces naturels et à la contamination de ces milieux. « Le projet du géant minier Alpha coal en Australie ravage la grande barrière de corail« , rappelle Thibaud pour n’en citer qu’un.

    Mais quel est le rapport avec l’eau ?

    La question de l’eau revient systématiquement quand on étudie des projets extrativistes. Leurs impacts sont graves et la plupart du temps irréversibles, « une mine à une durée de vie limitée de 10 ans, mais elle peut condamner définitivement les ressources en eau », rappelle Olivier Petitjean. Au-delà du simple risque inhérent de pollution, l’industrie extractiviste peut conduire à la destruction du cycle de l’eau et à la disparition de la continuité écologique en raison de la construction de barrages hydroélectriques nécessaires pour alimenter la mine en énergie.

    « Prendre en compte ces réalités environnementales nécessite de se projeter sur le long terme, une perspective qui n’existe pas pour les multinationales »

    Les auteurs du rapport constatent que les formes de régulation qui existent ne sont pas appliquées sur le terrain et restent au stade formel. Le rapport de forces entre les entreprises et les communautés locales est le plus souvent totalement disproportionné. Les opposants aux projets industriels font l’objet de pressions, parfois économiques et juridiques, mais également physiques. A ce propos, Alice Richomme soulignait qu’en 2014, le nombre d’activistes morts pour avoir défendu l’environnement s’élevait à plus de 900 dans la dernière décennie selon les chiffres de l’ONG Global Witness.

    Droit à l’eau : un outil juridique et un droit politique :

    Le 28 juillet 2010, l’Assemblée générale des Nations unies reconnaissait « le droit à l’eau potable salubre et propre«  comme un droit fondamental de l’Homme. Mais depuis, il faut constater que son application est restée limitée.

    Pour les auteurs du rapport, le droit à l’eau « peut jouer un rôle pour permettre aux communautés ou aux collectivités locales de limiter les impacts d’un projet extractif, voire empêcher qu’il voit le jour« . Mais cela nécessite une traduction juridique opérationnelle de ce principe afin de permettre aux populations touchées de s’en saisir.

    L’accès à cette ressource vitale ne peut être compris comme la seule fourniture d’eau potable. Une conception élargie doit comprendre la garantie de l’autonomie des peuples à accéder aux réserves et l’innocuité de leur utilisation pour les populations locales. En effet, une eau contaminée condamne les moyens de subsistance traditionnels, tel que la pêche ou l’agriculture.

    Mountain top removal
    Technique du « mountain top removal » : les gisements sont exploités en décapitant les montagnes

    On peut d’ores et déjà constater des victoires environnementales grâce à la reconnaissance d’un droit à l’eau opposable aux entreprises. C’est le cas de la condamnation de l’entreprise gazière américaine ExxonMobil dans les Appalaches sur le fondement du Clean Water Act américain, adopté en 1972. Le rapport cite également un cas français, dans lequel le maire de la ville de Guitrancourt a fait reconnaître d’ »utilité publique » les ressources en eau pour s’opposer à l’exploitation d’une carrière de calcaire dangereuse pour les réserves aquifères. Mais l’Etat a parallèlement déclaré la mine d’utilité publique… Un bras de fer s’est donc engagé entre le droit à l’eau des populations locales et l’industrie du calcaire.

    En France, quelles perspectives pour le droit à l’eau ?

    Après un travail mené en concertation avec la fondation France Libertés et la Coalition Eau, des députés ont déposé une proposition de loi visant le « droit humain à l’eau potable et à l’assainissement ». Elle sera discutée à l’Assemblée nationale le 14 juin prochain. Ce texte reconnaît « le droit pour chaque personne, de disposer chaque jour d’une quantité suffisante d’eau potable pour répondre à ses besoins élémentaires« . Pour l’instant, il vise principalement l’accès « financier » à l’eau et prévoit des mesures sociales pour assurer à chacun des moyens budgétaires suffisants et un accès à des équipements sanitaires.

    Mais la proposition de loi reflète tout de même une évolution des mentalités par rapport au droit à l’eau. Dans le domaine de la responsabilité des entreprises, le texte s’appuie sur l’article L. 210-1 du code de l’environnement qui prévoit que l’eau « fait partie du patrimoine commun de la nation« , pour justifier la taxation des industriels producteurs d’eau en bouteille (qui bénéficient quasi-gratuitement de cette ressource) pour financer les mesures sociales garantissant l’accès « réel » à l’eau.

    La proposition de loi prévoit également d’inscrire dans le Code de la santé publique, l’obligation pour les collectivités d’installer des points d’eau potable destinés à l’accès public, gratuit et non discriminatoire « en vue de mettre en œuvre le droit de vivre dans un environnement équilibré, d’assurer la salubrité publique et la dignité de tous « . Cette formulation ouvre un champ de perspectives nouvelles pour la protection de l’environnement et d’un droit élargi à l’eau.

    A suivre !